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Iris In Treatment - Sur le problème des viols dans Game of Thrones

N°16: Game of Thrones et les Raped Pixie Dream Girls

Par Iris, le 11 juin 2015
Par Iris
Publié le
11 juin 2015
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Je ne sais pas si vous êtes au courant, mais en ce moment pour les femmes fans de pop culture, c’est pas vraiment la joie. Certes, on a eu Imperator Furiosa dans Mad Max : Fury Road. Mais ailleurs, ça pue un peu. Et quand je dis ça, il faut évidemment lire « encore plus que d’habitude. »

Cet article aborde les épisodes les plus récents de la saison 5 de Game of Thrones.

Que ce soit du côté du stand up, avec tout d’abord l’affaire autour de Louis CK – allegedly coupable d’agressions sexuelles sur des femmes comédiennes – puis surtout avec le témoignage de la talentueuse comédienne Jen Kirkman dans son podcast (dont l’épisode a depuis été supprimé par Kirkman elle-même), ou du côté des séries TV, avec très notoirement Game of Thrones, nos passions nous en foutent un peu plein la gueule sur la réalité dans laquelle on évolue.

L’ironie, c’est que je n’avais jamais vraiment adhéré à Game of Thrones.

Après 4 saisons, je n’étais réellement attachée à aucun personnage, je n’étais pas investie dans la série, et pire que tout, je trouvais les épisodes terriblement mal écrits. Et je ne fais pas allusion ici aux dialogues atroces de Daenerys. Non, toute la rythmique de la série me semblait foireuse. Une mauvaise gestion du temps qui leur était offert, de la manière dont ils l’utilisaient.
Ça, c’était jusqu’à cette saison 5. Qui, malgré tout ce qui va suivre, reste à mes yeux la mieux écrite de la série ; la mieux rythmée, celle avec la meilleure répartition de scènes et allocation de temps.

Mais je n’ai jamais autant souhaité arrêter la série. Je n’ai jamais été autant en colère contre Game of Thrones que je le suis maintenant.

Certes le viol de Daenerys dans la saison 1 était déjà gratuit, surtout qu’il s’écartait radicalement du livre dans lequel elle était consentante ; appréhensive, mais consentante. C’était, dans GoT, la première instance où un viol n’avait aucune conséquence négative sur le personnage féminin. Elle s’amourachait de son violeur et souhaitait même apprendre à mieux le satisfaire sexuellement.

Mais la série s’est entêtée dans cette lignée, créant ainsi leur propre trope féminin : Celui de la Raped Pixie Dream Girl. Dérivé de la Manic Pixie Dream Girl, un personnage de jeune femme excentrique arrivant dans la vie d’un homme un peu perdu dont elle réanimera l’existence, la Raped Pixie Dream Girl subit son assaut uniquement pour éventuellement permettre à son entourage masculin d’y réagir.

Parce que non, les viols dans Game of Thrones ne sont pas (tous) restés sans conséquence. Vous avez raison.

Certains d’entre eux ont motivés des hommes à venger celles qui en étaient victimes (Oberyn et sa sœur violée ; Sandor Clegane qui exécute violemment un NobodyButAlreadyDead qui a tenté de violer Sansa) ; d’autres ont même permis de faire évoluer les Bienfaiteurs (Sam sauve Gilly d’un viol et est ensuite récompensé par celle-ci, qui lui accorde enfin le prix dont rêvent tous les Nice Guys et que toute victime d’agression sexuelle ne peut bien évidemment attendre de remettre ; une Bonne Baise) ; en bref, les viols ont servi à donner une profondeur aux personnages masculins.

Mais l’épisode 6 de cette saison atteignait le paroxysme de cette mouvance ; non pas avec un viol « gratuit », au sens qu’il était –malheureusement – cohérent avec le reste de la caractérisation du personnage de Ramsay Bolton, tortionnaire dont la cruauté est sans limite, et qu’il ne sortait pas ainsi de nulle part, mais avec un viol « gratuit » au sens où il était parfaitement inutile à la série, et ce à tous les niveaux.

Tout d’abord, avant même parler de l’inutilité du viol vis-à-vis de la série, interrogeons-nous sur le fait de le montrer à l’écran ; un choix qui n’avait aucune raison d’être. Comme on commence à connaître le personnage de Ramsay, on sait ce qui attend Sansa lorsqu’elle l’épouse [1] ; on n’a aucun doute que lors de leur nuit de noces il ne fera pas preuve de la même moralité que Tyrion.

Vous allez me dire : « Mais ça aurait été pire de le cacher ! En plus regarde comme ils le filment, c’est pour nous horrifier, nous montrer l’insoutenabilité de la situation, confronter le spectateur à cet acte horrible. »
Sauf que non. Pas réellement.
Le regard horrifié qui fixe la scène, et qui nous fait ainsi passer ces éléments, c’est celui de Theon, le "frère" [2] de Sansa qui avait été détruit psychologiquement par Ramsay dans la saison précédente. Parce que pour ajouter à l’horreur du viol, Ramsay décide de forcer Theon à regarder le viol de Sansa se produire sous ses yeux. Un vrai bâtard ce Ramsay [3]. Il n’y a là aucune pensée, aucune tentative d’empathie, qui ne passe pas par l’homme. On ne nous montre pas l’horreur du viol pour sa victime. On nous montre l’horreur pour un homme d’assister au viol de celle avec qui il a grandi. [4]. Un plan sur le visage de Sansa plutôt que sur celui de Theon aurait au moins eu le mérite de ne pas déposséder la femme de sa propre expérience, de nous montrer sa douleur et pas celle de celui qui y assiste.

La deuxième mesure dans laquelle ce viol est inutile, c’est qu’il n’a rien à apporter au développement de Sansa. Elle a déjà été brisée, et on l’a déjà vue se reconstruire.
On a suivi une jeune fille pleine d’idéaux, élevée dans le but de devenir princesse, confrontée à la brutalité du monde, à la cruauté des hommes. On l’a vue remettre en question, petit à petit, ce qu’elle devait être pour pouvoir survivre à Westeros. On l’a vue abandonner les rêves que son éducation avait fait naître en elle, et on l’a vue devenir dure. Tout au long de ce cheminement, les violences à son encontre n’étaient pas absentes ; mais elle n’a pas eu besoin de subir un viol pour en arriver là. Et quand on voit les épisodes qui suivent, les conséquences psychologiques d’une telle violence pour une femme [5] sont encore une fois totalement ignorées. Pas une scène, pas un geste, ne nous laisse penser que quelque chose est changé en elle, qu’elle a été affectée par ce qu’elle vient tout juste de subir.

Alors à qui profite ce viol, narrativement ?

C’est cette question qui nous mène à l’aspect le plus problématique du viol de Sansa, que je mentionnais déjà plus tôt. Son abus sexuel est et sera instrumentalisé pour servir le personnage de Theon. On le voit lui, ébranlé par ce à quoi il assiste. Et si sur le long terme il arrive à se défaire de l’emprise que Ramsay a sur lui, ce viol aura probablement été à la base de sa réaffirmation. Et on en reviendra du coup à ce fantasme avant tout masculin du « Rape and Revenge ».

Le corps des femmes dans Game of Thrones n’a jamais cessé d’être utilisé au profit des hommes [6], ce n’est nouveau pour personne. Que ce soit ceux dans le public, qui pouvaient se rincer l’œil devant ces femmes qu’on nous montrait nues à chaque occasion, ou ceux de la série, qui en profitaient également de moult façons. Mais il y a un moment où il faut « tirer un trait dans le sable ».

Et il est nécessaire que Game of Thrones cesse d’utiliser le viol de ses héroïnes au bénéfice de la construction de ses personnages masculins.

George R.R. Martin défendait l’omniprésence des abus sexuels en invoquant l’Histoire, et son désir d’être fidèle à ce qu’était l’Europe médiévale.

Alors peut-être qu’on est devenues trop sensibles, celles qui en souffrent au XXIème siècle, qui en gardent des séquelles qu’elles peuvent se traîner des années durant sans arriver à s’en défaire. Peut-être qu’à cette époque qu’il veut retranscrire avec justesse, un viol n’était qu’anecdotique et on s’en remettait comme si de rien était. Ou peut-être simplement que l’Histoire ne plaçait pas les femmes au centre de leurs propres agressions.

Mais en faisant ça, Game of Thrones n’est pas fidèle à l’époque médiévale. Elle est fidèle à notre société, au XXIème siècle, et à la « silenciation » systématique qu’on impose aux victimes d’agressions sexuelles.

Iris
Notes

[1Précisons au passage que a) le fait qu’on en ait conscience ne signifie pas qu’elle sache également ce à quoi elle s’expose en l’épousant ; et que b) même si elle le savait, cela resterait un viol

[2Je m’autorise cette simplification au sens où il a été élevé avec elle.

[3See what I did there ?

[4Big up à tous ceux qui se disent concernés par le féminisme et les problématiques de harcèlement de rue "parce qu’ils ont des soeurs / une mère / une nièce"

[5Je tiens au passage à m’excuser si je parle ici de femmes violées, mon intention n’est pas du tout d’invisibiliser les hommes qui peuvent en être victimes, mais ceux-ci sont absents de la série.

[6Hétéros, ça va sans dire.