Même si j’ai bien tenté de faire abstraction de ces propos, mes attentes pour cette dernière saison étaient encore plus grandes que d’habitude. Et je dois dire que je n’ai pas été déçu.
Courage, arrêtons !
Si en 1977, il y avait eu peu de véritables "finales" (à savoir des derniers épisodes conçus comme des conclusions à une série), c’est qu’à cette époque (comme c’est très souvent le cas encore maintenant) les créateurs et producteurs n’avaient pas de pouvoir sur la longévité de leur série.
Le Mary Tyler Moore Show bénéficia (si l’on peut dire) du climat de panique qui régnait chez les networks au milieu des années 70. La montée du conservatisme (et l’instauration de la Family Hour) et l’intérêt croissant des publicitaires pour les jeunes adultes avaient brouillé ce qu’ils pensaient connaître des attentes du public et les networks enchaînaient les échecs avec leurs nouvelles séries.
A la fin de saison 5, alors que Mary Tyler Moore [1] avait filmé suffisamment d’épisodes pour prétendre à une diffusion en syndication (diffusion qui pourrait enfin faire gagner de l’argent à MTM, sa société de production), Grant Tinker, son président, proposa à ses créatifs de terminer la série à l’issue de sa sixième saison [2]. Il insista sur l’intérêt artistique de s’arrêter lorsque l’on est au sommet et qu’elle ne survivrait pas qualitativement au départ de Ed Asner, qui militait ardemment pour son propre spin-off.
Après discussion, il fut convenu de tourner deux saisons supplémentaires. La décision fut validée sans problème par les dirigeants pour lesquels le maintien à l’antenne ad vitam eternam de Mary Tyler Moore, une sitcom adulte d’une autre ère, était loin de constituer la solution miracle à leurs problèmes du moment.
The Final Five
Conscients de l’échéance, Daivd Lloyd et Bob Ellison (scénaristes de 19 des 24 épisodes de la saison) préparèrent la sortie de la série en consacrant les quatre épisodes précédant le finale à explorer et conclure les relations fortes et les thèmes importants de la série. Avec cette élégance inouïe d’en faire les épisodes parmi les plus drôles de la saison.
7.20 - Murray Ghosts for Ted s’intéresse aux rapports entre Murray et Ted, qui ont existé principalement à travers l’enchaînement interrompu pendant 7 saisons de répliques (souvent savoureuses) du premier moquant les défauts de l’autre. Ici, David Lloyd, le seul à avoir vraiment su écrire Ted Baxter, parvient à le faire se comporter (sans que ça n’apparaisse forcé ou en contradiction avec le personnage) d’une façon telle qu’elle aboutit à provoquer l’admiration de Murray.
7.21 - Mary’s Three Husbands interroge le statut de célibataire de Mary. Il prend comme point de départ l’avis partagé par trois hommes de la newsroom qu’elle aurait fait une femme formidable. Bob Ellison met en image les trois représentations de l’épouse parfaite qu’elle aurait pu être à leurs côtés : pour Murray, une compagne bienveillante, soutenante et souriante, toujours à se sacrifier pour la réussite professionnelle de son mari, pour Ted, une bimbo docile aux tenues légères, pour Lou, une égale asexuée. Sans rien expliciter, l’épisode suggère que Mary est sûrement mieux encore célibataire qu’engagée dans ces configurations rétrogrades et indignes d’elle . Et il se permet même de se moquer du mariage (et de la saison 3) de Rhoda.
"Oh, a postcard from Rhoda. Nothing new, she’s still waiting for Joe to come back." - Mary de 90 ans
Le suivant, 7.22 - Mary’s Big Party, est un… clip-show. Si la forme peut paraître un peu paresseuse, sa réalisation en fait un formidable hommage aux deux appartements de Mary et à ses soirées ratées, l’une des situations emblématiques de la série.
Et l’on termine sur la résolution la plus importante et la plus drôle de cette phase avec 7.23 - Lou Dates Mary. On revient sur le célibat de Mary et met en lumière le fait qu’elle a cotoyé seulement professionnellement et amicalement l’homme avec lequel elle s’est le mieux entendu pendant sept saisons . En refusant de transformer cette relation complice en couple romantique, Mary Tyler Moore montre qu’une amitié entre un homme et une femme peut être la relation centrale du série sans que les personnages ou les spectateurs ne passent à côté de quelque chose.

Fort de cette rampe de lancement, il ne reste à 7.24 - The Last Show qu’à mettre le point final à la série en attestant la fin de l’aventure, en rassurant le spectateur sur le devenir de ses personnages et en faisant revenir Rhoda et Phyllis.
Les scénaristes ont eu l’idée de génie de faire licencier tous les membres de la newsroom, à l’exception de Ted.
De cette façon, les personnages se font leurs adieux entre eux en même temps qu’aux spectateurs, avec un groupe-hug mobile hilarant et un "I cherrish you, people" de Lou Grant/Ed Asner qui ferait monter des larmes au coeur le plus desséché. De plus, le spectateur est assuré qu’à plus ou moins long terme, tout ira bien pour eux : Mary, Lou, Murray et Sue Ann sont des professionnels compétents qui ne mettront pas beaucoup de temps à retomber sur leurs pattes, tandis que Ted continuera de travailler en dépit de ses inaptitudes devenues légendaires.
Et ce finale n’aurait pas été parfait si Phyllis n’avait pas, comme elle l’avait fait au mariage de Rhoda, volé la vedette à tout le monde avec le moment le plus drôle de l’épisode.
If not feminist, at least funny
Le reste de la saison est de bonne tenue, dans la droite lignée de la précédente. La mécanique de la sitcom au travail est désormais bien huilée. David Lloyd et Bob Ellison excellent tous les deux dans l’art de la réplique qui fait mouche, l’écriture de guest stars amusantes et le comique d’interactions entre personnages.
Ce dernier repose beaucoup en début de saison (et à mon plus grand plaisir) sur les disputes entre Lou et Mary (7.01 - Mary Midwife, 7.02 - Mary The Writer, 7.04 - What’s Wrong With Swimming, 7.06 - One Producer Too Many). On peut peut-être y voir le début d’un manque d’inspiration, et si ces épisodes sont de jolies réussites, se satisfaire que la série se soit arrêtée avant qu’elle n’ait vraiment eu le temps de s’essouffler.
Je dois reconnaître que les deux dernières saisons de Mary Tyler Moore sont sûrement d’un point de vue de l’humour les mieux maîtrisées de la série, mais elles ne sont pas mes préférées.
Depuis les départs de Rhoda et de Phyllis, la série a fait le choix de conserver Mary comme unique personnage féminin consistant. Si elle a accordé un peu plus de place à Sue Ann et Georgette, ces deux-là n’ont jamais eu l’épaisseur des personnages masculins et n’ont jamais pu incarner des rôles un peu plus progressistes que la dévoreuse d’homme et la femme soumise.
De ce point de vue, Georgette, qui accouche dans le season premiere (7.01 - Mary Midwife, probablement mon épisode favori de sitcom avec une naissance), se voit même isolée dans ce rôle. On ne la voit plus jamais en situation d’amie de Mary, mais toujours comme la femme de Ted. Dans l’épisode le moins réussi de la saison (7.16 - The Ted and Georgette Show), elle finit même par révéler qu’elle regrette de travailler et que s’occuper de ses enfants, faire à manger et s’occuper de la maison lui manque. L’autre épisode raté de la saison concerne Sue Ann (7.03 - Sue Ann’s Sister), dans une nouvelle tentative malheureuse de rendre Sue Ann un peu plus humaine.
Ainsi, et même si leurs répliques peuvent être hilarantes, leur présence dans ces dernières saisons m’aura toujours fait regretter l’époque du Mary Tyler Moore plus féministe et conforté dans l’idée qu’on a plus de chance d’avoir des personnages féminims multi-dimensionnels quand il y a des femmes dans la writers room [3].
Il n’empêche que ces deux dernières saisons ont réussi une évolution très réussie de la série car, à défaut d’avoir perpétué sur la longueur son esprit novateur, être parvenu à faire de Mary Tyler Moore un bijou de comédie est une alternative on ne peut plus satisfaisante.
Mary et la newsroom écrits par d’autres hommes que David Lloyd et Bob Ellison
— 7.02 - Mary the Writer (Burt Prelutsky)
L’avis de Lou sur les talents d’écriture de Mary jette un froid entre les deux amis.
Un Lou-Mary centric hilarant.
Une scène formidable entre Mary et Lou de 6 minutes dans son bureau où il regrette de lui dire que son article est mauvais. Cette scène est l’illustration du plaisir de la répétitivité réussie des sitcoms : c’est un poil différent de d’habitude, c’est aussi génial que d’habitude.
Mary Tyler Moore est exceptionnelle en Mary prisonnière de la spirale du mensonge.
— 7.08 - Mary Gets a Lawyer (Burt Prelutsky)
Mary doit prouver au tribunal qu’elle est une journaliste.
Un épisode moyen, un peu plombé par une guest star lourdaude, mais sauvé par un Ted Baxter hilarant.
La dernière scène où il raconte ce qu’il croit être le travail de Mary (qui n’est que ce que le spectateur voit) est l’une des plus drôles de la série.
Scénariste de deux épisodes de Mary Tyler Moore, d’un de Rhoda et de quelques épisodes de M*A*S*H*, Burt Prelutsky a ensuite écrit pour les Dessous de Palm Beach et de Pensacola, avant de devenir chroniqueur au WordNetDaily, un magazine en ligne conservateur et de publier en 2006 des pamphlets aux titres évocateurs comme Conservatives Are from Mars, Liberals Are from San Francisco : 101 Reasons I’m Happy I Left the Left et en 2010 Liberals : America’s Termites or It’s A Shame That Liberals, Unlike Hamsters, Don’t Eat Their Young.
Un long chemin depuis le Mary Tyler Moore Show.
— 7.05 - Ted’s Change of Heart (Earl Pomerantz)
Ted échappe à une crise cardiaque et voit la vie de façon différente.
Très joli épisode, avec une scène de comédie physique exceptionnelle et une conclusion émouvante. Le sentiment de gratitude envers la vie gagne Lou, Mary et Murray et annonce la progression de la saison vers son finale.
— 7.18 - Hail the Conquering Gordy (Earl Pomerantz)
Ted a du mal à accepter le succès de Gordy, l’ancien Monsieur Météo de WJM, de retour à Minneapolis pour quelques jours.
Episode inégal un peu plombé par la bêtise envieuse de Ted, qui fait de lui un affreux bonhomme, même si le duo Mary-Lou continue de faire des étincelles.
L’épisode est sauvé par les dernières minutes, très belles, sur Mary, seule dans son appartement et face à son rêve de petite fille qui ne s’est pas réalisé.
“Recently, you became aware that the time is slipping away and your life’s turned out a little different from the dream.” - Mary
Earl Pomerantz a un parcours plus classique que le Burt Prelutsky. Il a poursuivi sa carrière de scénariste sur Taxi, Cheers, le Cosby Show (pour lequel il a gagné un Emmy) et Major Dad, entre autres.
— 7.19 - Mary and the Sexagenarian (Les Charles and Glen Charles)
Mary fréquente le père de Murray de 30 ans son aîné et s’agace du jugement de son entourage.
Très réussi.
Le père de Murray est charmant et rend l’argument tout à fait plausible.
Les deux frères n’ont écrit qu’un seul épisode de Mary Tyler Show mais douze de Phyllis. Ils sont connus pour avoir créé Taxi, Cheers et le personnage de Frasier.
Mes épisodes préférés

Parmi ceux déjà cités :
— 7.02 - Mary The Writer (Burt Prelutsky)
— 7.05 - Ted’s Change of Heart (Earl Pomerantz)
— 7.19 - Mary and the Sexagenarian (Les Charles and Glen Charles)
— 7.20 - Murray Ghosts for Ted (David Lloyd)
— 7.21 - Mary’s Three Husbands (Bob Ellison)
— 7.23 - Lou Dates Mary (David Lloyd)
— 7.24 - The Last Show (James L. Brooks & Allan Burns & Ed. Weinberger & Stan Daniels & David Lloyd & Bob Ellison)
— 7.01 - Mary Midwife (David Lloyd)
Ou plutôt Lou la sage-femme.
Un épisode exceptionnel qui réunit tous les ingrédients qui font la réussite de la nouvelle version de la série : une dispute phénoménale entre Lou et Mary, des allusions sexuelles hilarantes de Sue Ann, un Ted Baxter couard et drôle, une conclusion touchante sans mièvrerie.
— 7.13 - Look at Us, We’re Walking (Bob Ellison)
Lou et Mary s’associent pour négocier leurs augmentations.
Un joli épisode sur le rapport à l’argent et au travail des deux héros, et évidemment sur l’amitié qui lie Mary et Lou.
— 7.14 - The Critic (David Lloyd)
Victor Newman est embauché comme critique à WJM.
Un épisode formidablement drôle. Un peu facile, forcément le critique est un bonhomme pompeux, élitiste et arrogant, mais tellement bien fait.
L’un des rares épisodes de la saison où Mary fait une allusion féministe (elle s’étonne de ne pas être choisie dans l’équipe de sofball de WJM pour participer à un tournoi entre les networks de la ville).