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The Real Jéjé of pErDUSA - Frustration et envies, ou le calvaire des séries impossibles à trouver

N°27: Ô Rage, Ô Désespoir

Par Jéjé, le 23 mars 2016
Par Jéjé
Publié le
23 mars 2016
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A notre époque, en matière de séries, je ne vous apprendrai rien, il possible de quasiment tout voir. Une très large partie du catalogue de la production de séries US est accessible. Des productions les plus récentes aux grands classiques qui ont marqué l’histoire de cette télévision, grâce aux DVD, à Netflix et autres Hulu, aux chaînes Youtube plus ou moins autorisées où des fans mettent en ligne des rips de leurs enregistrement VHS de séries jusque là disparues, et évidemment au peer-to-peer, il y a de quoi se constituer un programme bien fourni pour une vie entière.

Et malgré ça, je trouve le moyen d’enrager assez régulièrement à l’idée de ne pas pouvoir découvrir certaines des rares séries qui ont la très mauvaise idée de ne pas m’être accessibles.

Je ronge mon frein en me rappelant que je suis en permanence en retard de quelques épisodes sur la plupart des séries actuelles que je suis, que j’ai accumulé des saisons entières voire des séries entières « à voir un jour », qu’à ce rythme je ne pourrais jamais retrouver les séries qui ont construit ma dépendance [1] (Murder One, je sais que tu m’attends…).

Mais rien n’y fait.

J’ai une liste d’incontournables à découvrir (et qui me plairont énormément) longue comme trois bras.

St Elsewhere. Freaks And Geek. The Bob Newhart Show. Firefly. Les dernières saisons d’Engrenages. Taxi. China Beach. Les trois dernières saisons de Vikings. Black-ish. The Dick Van Dyke Show. Pour commencer.
J’ai commencé avec délice Lou Grant et Cagney & Lacey. Je me régale toujours avec Cheers.
Mais non, rien n’est plus fort que l’envie de ce que l’on ne peut pas (a)voir.

Voici donc un état des lieux des sources de mes plus grandes frustrations du moment.

1 The Defenders (CBS / 1961 - 1965)

Dans n’importe quel ouvrage sur la télé américaine, dès qu’il est fait référence à son Âge d’Or (le premier, celui des dramatiques en direct et du théâtre filmé des années 1950, pas celui de Walking Dead et de True Detective), on trouve des pages entières sur The Defenders.

Conçue sur les cendres de cette période mythique par certains de ces artisans, elle est la première série [2] sociale et complexe de la télé, la grand-mère de Hill Street Blues, d’Urgences et surtout de Law & Order et de Boston Legal.
Elle met en scène un père et son fils, Lawrence et Kenny Preston, tous les deux avocats dans le même cabinet, qui, dans chaque épisode, explorent les ressorts de la loi et les questions éthiques que soulève l’affaire de la semaine, souvent caractéristique d’un sujet de société.

La déclaration d’intention de son créateur, Reginald Rose (scénariste de Douze hommes en colère) aurait de quoi faire rougir de nombreux producteurs actuels, voire même les scénaristes des dernières saisons de Law & Order : « The law is the subject of our programs : not crime, not mystery, not the courtroom for its own sake. We were never interested in producing a ’who-done-it’ which simply happened to be resolved each week in a flashy courtroom battle of wits.  » / « Le droit est le sujet de nos épisodes : il n’y a pas de crimes, de mystères, de procès simplement pour eux-mêmes. Nous n’avons jamais été intéressé à produire un "whodunit" qui serait résolu chaque semaine au cours d’un procès et d’une bataille d’effets. ».

Si seulement les producteurs de Chicago Law (Chicago Justice ?) pouvaient s’en inspirer ! (Et oui, en cette période de disette de séries judiciaire et avec la fin prochaine de The Good Wife, je nourris quelques espoirs envers ce spin-off ! Même si je sens qu’il risque probablement d’alimenter davantage encore ma frustration de ne pas pouvoir regarder The Defenders.)

The Iron Man (1.25), le seul épisode que j’ai pu voir respecte ce principe à la lettre. Les Preston défendent un étudiant partisan du remplacement de la démocratie par une dictature éclairée et dont les discours agressifs ont conduit certains de ses supporters à agresser l’un de ses contradicteurs lors d’un meeting.
Toute la première partie de l’épisode est consacrée aux débats sur la liberté d’expression entre Lawrence, convaincu de la légitimité et de l’importance de la défendre jusque dans ses dérives extrêmes, et son client lui-même (« I don’t believe to trial by jury ! » [3]), son fils, des clients réguliers mécontents, un professeur de droit, le procureur (« If [the victim] dies, I’m going for murder one [4] ! »)…

Apparemment, la grande différence avec les séries judiciaires complexes tels qu’on les connait (ou plutôt que l’on a connues), c’est que dans The Defenders, il y a un positionnement politique assumé. Tous les avis ne se valent pas. Contrairement à Law & Order par exemple, The Defenders promeut des positions. Dans le finale (pas sûr que ce terme existait à l’époque) de la première saison, la série prend fait et cause pour la légalisation de l’avortement. Je serai prêt à beaucoup de choses (à l’exception peut-être de mes DVD de Murder One et des Golden Girls) pour pouvoir voir l’épisode où les Preston défendent un prof licencié de son établissement pour… athéisme !

Je tente de me consoler en constatant que la place des femmes y est extrêmement minime (dans The Iron Man, seules trois actrices apparaissent et délivrent moins de 5% des lignes de dialogues) et que la parole libérale et émancipatrice n’est délivrée que par des hommes blancs en position dominante.

Mais ça ne dure pas bien longtemps. Je me plonge alors dans des lectures forcément frustrantes :
— The AV Club : The Defenders was the great drama of the ’60s, but good luck seeing it today, Todd VanDerWerff, The AV Club, 2012
— Benefactors (Un texte entièrement consacré à The Benefactor (1.32), l’épisode sur l’avortement), Stephen Bowie, The Classic TV History Blog, 2008
— Séries télé : vision de la justice, Barbara Villez, PUF, 2005
— Watching TV : Six Decades of American Television, Harry Castleman & Walter J. Podrazik, Syracuse University Press, 2010

2 Almost Grown (CBS / 1988 - 1989

C’est la première série créée par David Chase, à qui l’on doit Les Soprano.

Oui, je meurs d’envie de voir la première série de celui qui a été préféré par HBO à Winnie Holtzman et sa série sur une femme d’affaires et qui de ce fait est à l’origine de 20 ans de dramas sur la difficulté d’être un homme quinquagénaire blanc hétéro, 20 ans de Breaking Bad, de Better Call Saul, de Low Sun Winter, de Ray Donovan, de Broadwalk Empire, de Vinyl (et de Mad Men, de The Wire et The Shield, aussi) ! (Et soyons clair, j’adore Les Soprano !)

Pour vous faire comprendre cette envie « particulière », il faut que je vous raconte quelques petites choses sur David Chase et sur la production de cette série que j’ai découvertes dans le formidable Difficult Men de Brett Martin.

David Chase aurait souhaité être le Fellini ou le Godard américain. Son truc, c’est le cinéma, le cinéma d’Auteur.
Il est malheureusement atteint d’une terrible malédiction, la télévision l’adore.
Voyez donc. L’un de ses premiers scripts est acheté par un producteur de télévision dans les années 1970. Pour acquérir un peu d’expérience et rencontrer quelques producteurs, il consent à rejoindre des writing rooms de séries. Il est alors repéré par Stephen J. Cannel et travaille quelques années sur The Rockford Files.

En 1980, ABC produit, à sa grande surprise, un téléfilm sur l’un de ses scripts. Off the Minnesota raconte l’histoire légère et très grand public du retour à la maison d’une adolescente manipulatrice après quelques années de fugue et de prostitution à New York.
S’en suit une terrible conséquence, il obtient un Emmy.
Il est alors courtisé par les studios de télé. Il n’a qu’une idée en tête : intégrer le monde du cinéma. Il élabore un plan qu’il estime ingénieux chez Universal. Il écrit alors une histoire assez intimiste et tragique (la fin d’un mariage) dans un format narratif complexe qui mèle trois époques.
« I thought, ‘Most pilots don’t get bought, so I’ll shoot this, cut it together, and I’ll be in the movie business.’ » / « J’ai pensé : "La plupart des pilotes n’aboutisse pas à des séries, donc je vais tourner celui-là, le monter et j’aboutirai du côté du cinéma." »
Pas de chance à nouveau. CBS adore le pilote et commande la série. (Qui sera un échec public et ne durera pas plus de huit épisodes.)

N’est-ce pas un conte fabuleux ?
Je ne sais pas à quel point cette genèse tragi-comique est proche de la réalité, mais j’ai énormément envie d’y croire et suis donc extrêmement curieux de savoir si les scripts de Chase sont à la hauteur de l’histoire de cette histoire.

Pour parfaire ma frustration de ne pas avoir accès à Almost Grown, les critiques sont évidemment très postitives et Josh Brand and John Falsey, les créateurs de St Elsewhere, l’ont tellement aimée qu’ils ont engagé David Chase sur leurs séries suivantes !

3 The Trials Of Rosie O’Neill (CBS / 1990 - 1992)

Je découvre actuellement Cagney & Lacey avec la lecture parallèle de Cagney & Lacey & Me, le livre que son créateur, Barry Rosenzweig, a consacré à ses coulisses [5] (J’ai ainsi appris qu’elle est la première série policière à s’être construite autour d’un duo féminin dans une démarche féministe assumée, et ce, bien avant qu’Hollywood ne s’aventure sur les terres des Buddy Movies féminins.)

Bien que je n’en sois qu’au début du livre (je n’ai regardé pour l’instant que le téléfilm inaugural et la première saison de 6 épisodes), une note de bas de page m’a appris que Sharon Gless (qui n’est pas encore pour moi la Cagney de la série, elle n’arrive qu’en saison 2) et Barry Rosenzweig, ont remis le couvert quelques années plus tard, pour une série tout aussi « libérale » mais cette fois avec dans l’univers de la justice.
Elle y incarne une avocate des beaux quartiers qui, quittée par son mari pour une femme plus jeune, apprend à gérer une indépendance obtenue bien malgré elle dans sa vie professionnelle comme dans sa vie personnelle.
Avec ce simple pitch et le pédigrée de Gless et Rosenzweig, il ne m’en a pas fallut plus pour me lancer toute affaire cessante sur la piste de The Trials of Rosie O’Neal.

Le pilote inscrit comme je l’imaginais la série dans des thématiques féminines et sociales fortes. Rosie, pour sa première affaire comme avocate est chargée de défendre une jeune fille, à qui l’on a refusé la possibilité d’avorter, accusée d’avoir tué son nouveau-né après l’accouchement. Plus inattendu pour moi, l’épisode dégage une atmosphère mélancolique, et parfois désabusée, qui se démarque de l’énergie optimiste et revendicative (des premiers épisodes) de Cagney & Lacey. The Trials Of Rosie O’Neill semble déjà posséder un ton propre et ne semble pas avoir peur d’être autre chose que Christine Cagney, Attorney At Law.

L’autre épisode que j’ai pu voir, Reunion (1.15), est un peu moins réussi car trop déséquilibré. Le cas de la semaine, assez tragique, (le procès d’un malheureux père de famille d’un quartier pauvre qui a attaqué des dealers de drogue) est expédié au profit de la vie personnelle de Rosie et de ses retrouvailles houleuses et un brin puériles avec son ancienne meilleure amie du lycée. Cet épisode n’est probablement pas représentatif de la série, étant construit pour célébrer la réunion d’un jour à l’écran de Sharon Gless avec Tyne Daly, la Lacey de Cagey & Lacey, mais on retrouve l’esprit un brin désenchanté du pilote dans les scènes avec les amies de Rosie autour de cocktails. Et leurs discussions sur Simone de Beauvoir et l’état du féminisme aux États-Unis valent le détour.

Quand je me suis penché un peu plus précisément dans la fiche Wikipedia de la série et qu’il est apparu que MTM était à la production et que Ed Asner, Monsieur Lou Grant himself, devenait un regular en saison 2, ma quête des 24 autres épisodes a viré en quelques secondes à l’obsession.
Mais, elle est, hélas, elle est restée sans résultat depuis.

Une petite brève lue récemment par Ken Tucker et parue dans Entertainment Weekly à l’époque de la diffusion m’a permis de retrouver un semblant d’équilibre mental.

Merci à lui pour la phrase suivante :
« The decision to add Ed Asner to supply some macho gruffness to attract male viewers has proven not only sexist, but silly. » / « L’arrivée d’Ed Asner pour insuffler un peu de rudesse machiste dans l’espoir d’attirer quelques téléspectateurs masculins s’est révélé une décision non seulement sexiste mais stupide. »

4 I’ll Fly Away (NBC / 1991 - 1993)

David Chase.
Josh Brand and John Falsey.
Sam Waterston, pré Law & Order.
La lutte pour les droits civiques dans les années 50.
Le vue du point de vue du gentil mâle blanc progressiste, mais aussi et surtout, en parallèle, le point de vue de sa domestique noire.

Cela fait vingt ans que j’attends de voir cette série.
Je me souviens encore de la photo dans l’encart qui lui était consacré dans l’un des premiers Générations Séries que j’ai achetés. Et de la petite critique qui annonçait sa diffusion sur Télé Montecarlo.
Malheureusement, je n’avais pas encore le câble à l’époque et je ne connaissais personne avec un magnétoscope à Monaco.

Le plus dur, c’est de savoir que de nombreux d’entre vous ont vu Les Ailes du Désir.
Je me rassure en me disant que c’était probablement en version française, peut-être même avec des épisodes édités par rapport à la diffusion américaine originale.
Mais bon. Vous l’avez vue. Et aimé.

Et pas moi.

5 Fay (NBC / 1975)

En 1969, quand James L. Brooks et Burns, les créateurs du Mary Tyler Moore Show pitchent l’idée pour la série que leur a achetée CBS sur le simple nom de l’actrice, un vent de panique s’empare de tous les executives présents lors de la réunion lorsque le mot « divorce » est prononcé.
Ils s’attendaient certes à quelque chose d’inhabituel, d’un peu innovant, mais pas à ce qu’ils divorcent Laura Petrie (l’épouse exemplaire « modèle années 50 » du Dick Van Dyle Show et rôle qui fit tomber les États-Unis amoureux de Mary Tyler Moore).

La légende veut que l’un d’entre eux ait déclaré : « Our research says American audiences won’t tolerate divorce in a lead of series any more than they will tolerate Jews, people with mustaches and people who live in New York. » / « D’après nos études, le public américain n’acceptera pas plus qu’un personnage principal soit divorcé que juif, avec un moustache ou new-yorkais. » [6]
Malgré le soutien de Grant Tinker et Mary Tyler Moore, ils n’auront pas gain de cause auprès de CBS et leur héroïne révolutionnera les personnages féminins en trentenaire célibataire.

Cinq ans plus tard, NBC met Fay à l’antenne, une sitcom centrée sur une femme de 40 ans fraîchement divorcée et créée par Susan Harris, qui venait de faire ses premières armes sur All in the Family et Maude (c’est elle qui écrivit le « fameux » double épisode où Maude prend la décision d’avorter) et qui créera une dizaine d’années plus tard les Golden Girls.

Je serai vraiment curieux de découvrir cette version « (presque) originale » du Mary Tyler Moore Show, même si pour y parvenir, il faudrait que je puisse avoir accès au pilote initial tourné pour NBC.
En effet, en 1975, après une demi-décennie d’avancées progressistes à la télévision américaine, la censure et le conservatisme reprennent la main. C’est la mise en place de la « fameuse » [Family Viewing Hour. Pour sa diffusion en début de soirée, le pilote de Fay est retouché : certaines répliques sont modifiées en voice-over, certains plans retournés avec des comédiens plus habillés [7]… NBC choisit de diffuser ensuite les épisodes aux histoires les plus consensuelles et de repousser les deux épisodes initialement prévus dont les thèmes sont trop en lien avec la sexualité des personnages.

Fan de cette période de la télé américaine, j’ai pu avec Rhoda savourer comment une série progressiste établie avait pu s’arranger des contraintes sans perdre son identité et en sortir presque grandie, j’ai pu avec Happy Days et La Petite Maison dans la Prairie constaté l’intérêt tout limité de séries construites uniquement dans l’esprit de la Family Viewing Hour, j’aimerais beaucoup voir le destin tragique d’un projet progressiste mutilé et affadi dans l’oeuf.

Fay fut un échec d’audience assez fulgurant et seuls 10 épisodes furent diffusés.
La chance pour qu’un épisode ait été enregistré sur l’un des premiers Betamax à l’époque, qu’il ait été conservé pendant 40 ans, et qu’il fasse surface un jour sur Youtube est pour le moins infime !

Jéjé
P.S. Je n’ai plus le choix, il va falloir que je déménage à Madison dans le Wisconsin. Selon Todd VanDerWerff, les Archives du Département « Télé » de son Université aurait l’intégrale de The Defenders. On peut imaginer qu’il s’y trouve quelques épisodes de Fay, de The Trials of Rosie O’Neill et au minimum les deux saisons de I’ll Fly Away.
Notes

[1Je tiens à remercier Chris Carter et la FOX de m’avoir guérir de l’envie de revisiter les premières saisons de X-Files !

[2Avec des épisodes enregistrés sur film et des personnages récurrents

[3Je suis tellement en manque de séries judiciaires qu’à chaque fois que j’entends une expression juridique qui a donné son nom à une série, j’ai mon coeur qui se serre !

[4Aaaargh !

[5Et à sa propre célébration, c’est un peu dommage !

[6Mary & Lou & Rhoda & Ted, Jennifer Keishin Armstrong, Simon & Schuster, 2013

[7See No Evil : The Backstage Battle over Sex and Violence in Television, Geoffrey Cowan, Touchstone, 1980