C’est celle que j’ai vue en cinq jours.
L’âge d’or des comédies
En seulement deux années, CBS a bouleversé le monde des sitcoms. La provocatrice All in The Family, toujours prête à repousser les limites de la bienséance télévisuelle, est devenue au cours de sa deuxième saison un succès public monumental [1]et a fait de sa liberté de ton une référence.
Dans cette nouvelle veine, CBS met à l’antenne en septembre 1972 M*A*S*H*, une série à l’humour très noir sur des médecins militaires, et lance Maude, le premier spin-off d’All in The Family, que Norman Lear, son créateur, a construit autour de la cousine féministe d’Archie Bunker.
Interprétée par Beatrice Arthur, elle remporte immédiatement les faveurs du public et de la critique, devenant la première héroïne de comédie à s’imposer depuis l’arrivée du Mary Tyler Moore Show (qu’elle dépasse même dans les audiences).
Dans ce contexte, les vies discrètes de Mary Richards et de ses petits amis pouvaient apparaître un brin désuètes. Il n’en est rien. Au même titre qu’All in the Family, le Mary Tyler Moore Show est devenu un phénomène : Mary Richards est le personnage féminin le plus populaire et le plus commenté sauf quand Maude prend la décision de subir un avortement de la télévision américaine et est propulsée dans de nombreux magazines, au grand dam de certaines féministes, comme l’archétype de la femme moderne.
La Femme
La série débute sa troisième saison par une allusion à cet état de fait.
James L. Brooks, son co-créateur, qui n’a pas écrit d’épisode depuis plus d’un an, fait dire à Mary dans les cinq premières minutes de season premiere : "It used to be I feel like I’ll be myself. Now, I feel I represent women everywhere"
(Avant, j’avais l’impression que je pouvais être moi-même, désormais, j’ai l’impression de représenter les femmes partout où je suis.")
Cette réplique n’est pas qu’un simple clin d’oeil aux spectateurs avertis, elle annonce une évolution du personnage tout le définissant clairement.
Mary n’est pas une activiste féministe qui remet en cause l’ordre établi, c’est une femme qui a pris conscience de l’inégalité de sa condition par rapport à celle des hommes et qui en tentant de trouver son bonheur dans son époque tout en respectant certains principes de dignité, se retrouve à faire avancer, presque malgré elle, la cause des femmes.
Dans cet épisode, quelques instants plus tard, elle se rend compte qu’elle est payée moins que son prédécesseur parce qu’elle est une femme.
Il n’y a pas d’ambiguité, Lou le lui signale de façon explicite.
Elle va alors tenter de lui faire comprendre l’injustice de la situation, continuer à faire son travail (la majeure partie de l’épisode est consacrée à la recherche d’un co-présentateur à Ted Baxter, non pas à l’inégalité des salaires entre les hommes et les femmes) et obtenir une petite augmentation (sans obtenir la rémunération de son prédécesseur).
En saison 1, Mary était dans l’observation, en saison 2, dans le compromis, à partir de cet épisode, elle est dans l’affirmation de ses choix.
Et si le ton de la série évolue avec son personnage principal, son esprit général reste le même. On sent que malgré le "bruit" des séries voisines, le Mary Tyler Moore Show a une assurance totale de ce qu’elle est, qui sont ses personnages et de la façon de les faire évoluer.
Cette pleine maîtrise de la forme permet aux scénaristes des jeux de plus en plus subtils avec le contexte sociétal, plus présent cette saison mais toujours au service de l’humour et des personnages.
De cette même manière discrète et fine qui laisse au spectateur le soin de tirer ses propres conclusions, cette saison livre de nombreux éléments sur sa sexualité. On apprend que Mary n’est plus vierge (3.17 - My Brother’s Keeper), qu’il lui arrive de passer des nuits entières chez les hommes qu’elle rencontre (3.07 - Just Around the Corner), qu’elle prend la pilule (3.11 - You’ve Got A Friend)...
Ces moments n’aboutissent jamais à de petits passages didactiques sur l’évolution des moeurs, ce sont uniquement des faits de la vie d’une seule femme.
On peut penser cependant que la série prend position puisque ces révélations particulières sont en général faites en même temps au spectateur et aux parents de Mary. Ceux-ci prennent acte de ces informations en essayant de ne pas porter de jugement et en s’intéressant uniquement à l’épanouissement de leur fille.
Au cours d’échanges avec son père, deux lignes de dialogues scellent explicitement sa condition, heureuse dans une vie qui ne tourne pas uniquement autour de la recherche de l’homme parfait.
— Son père : "Mary, are you ever lonely ?"
(Mary, te sens-tu parfois seule ?)
— Mary : "No, not too often Daddy. I have a good life."
(Non, pas très souvent. J’ai une belle vie.)
(3.11 - You’ve Got A Friend)Mary : "I think he was surprised to find out that I’m not living my life in a constant search for the right man to marry. You know something ? I was pretty surprised to find that out myself."
(Je pense qu’il était surpris de constater que je ne mène pas ma vie à la recherche permanente du mari idéal. Tu sais quoi ? J’étais moi-même un peu surprise de m’en rendre compte.)
(3.15 - The Courtship of Mary’s Father’s Daughter)

Avec cette focalisation sur Mary, Rhoda se retrouve quelque peu en retrait [2], ce qui n’empêche pas les scénaristes d’essayer de faire avancer son personnage.
Dans l’un des épisodes les plus célèbres de la série, elle constate, par l’intermédiaire d’une inscription involontaire à un concours de beauté, qu’elle ne correspond pas à l’image de vilain petit canard qu’elle a d’elle-même (3.06 - Rhoda the Beautiful).
Cet épisode qui touche à l’acceptation de son propre corps et aux critères physiques que la société impose aux femmes n’a bizarrement pas de conséquences pour Rhoda. On peut penser qu’elle reste prisonnière du personnage qu’elle a composé toutes ces années pour expliquer son célibat, mais j’ai plutôt l’impression que les scénaristes ont eu peur de devoir se passer de son auto-dérision et de ses répliques cinglantes.
Ce que je comprends aisément, mais cette stagnation de Rhoda me rend l’idée de son départ prochain plus supportable.
Jamais aussi drôle
D’autant qu’un humour bien plus fin et plus efficace a gagné la série, d’une part grâce à une bien meilleure utilisation des guest stars (malgré encore deux gros ratages : l’épisode avec Jerry Van Dyke, un ancien collègue de Mary Tyler Moore sur le Dick Van Dyke Show - 3.08 - But Seriously Folks - et un épisode où Mary est confronté à un prétendant aux initiatives plus embarassantes les unes que les autres - 3.19 - Romeo and Mary - ) et d’autre part grâce au fait que les scénaristes se sont décidés à humaniser Ted Baxter.
Il partage deux très beaux épisodes avec Lou Grant (3.13 - Operation Lou et 3.16 - Lou’s Place) dans lesquels ses répliques et son personnage existent en relation avec d’autres, et non plus seulement par eux-mêmes. Sa romance naissante avec Georgette [3] lui permet également d’être plus proche de Mary et Rhoda.
Il est enfin un personnage à part entière de la série, et, point essentiel, un élément comique réussi.
Il ne reste plus aux scénaristes qu’à s’occuper de Murray, dont le seul épisode qui lui est consacré et qui lui donne un coup de déprime à la résolution trop attendue semble indiquer que les scénaristes ne savent pas encore trop quoi faire de lui hormis lui faire balancer des vacheries (souvent très drôles) à Ted.
Du simple point de vue comique, cette saison est clairement supérieure aux deux premières.
A mon sens, c’est la première qui peut s’apprécier sans aucun problème sans connaissance de son contexte de production et de diffusion. Elle tiendrait la dragée haute à toutes les comédies actuelles de networks, et je dois dire que je reste soufflé par la modernité et la finesse de la direction prise par le personnage de Mary Richards.
Quarante années de personnages féminins principaux plus tard, peu ont affiché un tel mélange d’indépendance, d’assurance, de sérénité et de crédibilité.
Roseanne, Veronica Mars et Liz Lemon.
Des femmes écrites par des femmes... Et par des hommes
Même s’il y a moins d’épisodes écrits par des femmes cette saison (deux pour Treva Silverman, un seul pour Susan Silver - qui écrivit cette année-là le pilote de Maude), la série continue de donner leurs chances à de nouvelles scénaristes, comme Charlotte Brown, futur pilier de Rhoda.
Le sexe des scénaristes se fait beaucoup moins sentir qu’en première saison et, après deux années, les questions féminines sont prises en charge dans les épisodes attribués aussi bien à des hommes qu’à des femmes. Pour Jennifer Keishin Armstrong, cela s’explique par une collaboration très fructueuse entre tous les scénaristes de la série, permise par une règle d’attribution très transparente des crédits de scénario et donc des royalties [4].
Enfin, la progression de Mary et la solidification de l’aspect comique de la série doivent beaucoup à un homme, Ed Weinberger, recruté par Brooks et Burns, pour superviser et homogénéiser l’écriture de la série à leur place, qui se sont davantage concentrés cette saison sur leurs tâches de producteurs exécutifs, et pour prendre la suite de David Davis et Lorenzo Music, occupés eux par l’écriture de la première saison de The Bob Newhart Show, la deuxième série de MTM Entreprise.
— 3.02 - What Is Mary Richards Really Like ? (Susan Silver)
Mary est interviewée par un éditorialiste spécialisé dans la télévision.
Episode formidable où un journaliste venu écrire un article concernant son statut d’unique femme productrice dans la newsroom fini par faire de Mary sa secrétaire durant l’entretien.
— 3.06 - Rhoda the Beautiful (Treva Silverman)
Rhoda se rend compte qu’elle a perdu 10 kilos et gagne un concours de beauté.
Joli épisode autour de l’acceptation de son corps et sur le fait que l’auto-dérision de Rhoda l’empêche de percevoir une évolution.
Valerie Harper, lors de son discours de remerciements pour son troisième Emmy, remercira Treva Silverman, pour avoir écrit l’épisode parfait. La légende veut que cette dernière ait regardé la cérémonie pendant une cure d’amaigrissement [5].
— 3.10 - Have I Found the Guy for You (Charlotte Brown)
Mary sort avec l’un de ses amis, fraîchement séparée de l’une de ses amies.
Amusant. Avec des guests supportables, qui ne sont pas les comic reliefs de l’épisode, mais ceux qui permettent à Mary d’être la source de l’humour.
— 3.14 - Rhoda Morgenstern Minneapolis to New York (Treva Silverman)
Rhoda et Mary se font leurs adieux, Rhoda étant sensée déménager à New York.
Très drôle.
Le petit nombre d’épisodes écrits par Treva Silverman, la voix de Rhoda, explique certainement le retrait du personnage cette saison.
Première apparition de Georgette.
— 3.17 - My Brother’s Keeper (Dick Clair & Jenna McMahon)
Phyllis est consternée de voir Rhoda et son frère se fréquenter.
L’épisode le plus drôle de toute la saison, où il apparait que Mary a déjà eu des relations sexuelles.
Phyllis : "It looked like you have been saved for each other."
(Il semblerait que vous vous soyez préservés l’un pour l’autre.)
Mary : "Phil, I’m not all that saved !"
(Phyllis, je ne suis pas si préservée que ça !)
— 3.22 - Rememberance of Things Past (Dick Clair & Jenna McMahon)
Mary retrouve un ancien amant auquel elle n’a jamais pu résister et se rend malade.
Portrait émouvant d’une femme trop amoureuse.
— 3.23 - Put On A Happy Face (Marylin Suzanne Miller & Monica Johnson)
Le sort semble s’acharner sur Marry pour l’empêcher d’assister à la cérémonie des Teddy Awards.
Mary Tyler Moore est formidable de drôlerie, dans un épisode pas vraiment léger, mais avec quelques moments hilarants.
Mes épisodes favoris
Parmi les précédents :
— 3.02 - What Is Mary Richards Really Like ? (Susan Silver)
— 3.17 - My Brother’s Keeper (Dick Clair & Jenna McMahon)
— 3.01 - The Good Time News (Allan Burns & James L. Brooks)
WJM-TV décide de donner à Ted un co-présentateur et charge Mary de l’opération, qui se rend compte, au passage, qu’elle est payée moins que l’homme incompétent qu’elle a remplacé.
Un épisode très drôle où la série porte avec habilité un regard sur elle-même et offre dans le même temps à ses spectateurs des clés de lecture claires.
— 3.03 - Who’s In Charge Here ? (Martin Cohan)
Lou est promu et Mary, à sa grande surprise (et avec une certaine forme de soulagement), n’obtient pas son poste.
Un épisode qui se moque gentiment de la position paradoxale de Phyllis, qui encourage Mary à être la plus féministe possible, quand elle, de son côté, correspond à toutes les attentes qu’à la société pour une femme.
— 3.11 - You’ve Got A Friend (Steve Pritzker)
Mary s’inquiète du fait que son père n’a pas d’ami.
Un épisode drôle et touchant, avec l’une des répliques les plus célèbres de la série.
— La mère de Mary : "Don’t forget to take your pill !"
— Son père : I won’t.
— Mary : I won’t.
— 3.15 - The Courtship of Mary’s Father’s Daughter (Elias Davis & David Pollock)
Tout le monde aime le petit ami de Mary… Exceptée peut-être Mary.
L’épisode dans lequel on découvre la philosophie de la vie de Mary.
— 3.16 - Lou’s Place (Ed Weinberger)
Lou et Ted achètent un bar.
Pour les scènes poignantes entre Ted et Lou et l’anecdote à mots couverts sur le bar gay.
— 3.18 - The Georgette Story (Ed Weinberger)
Mary et Rhoda supportent mal de voir Ted profiter de la gentillesse de Georgette.
Episode formidable dans lequel Georgette prend confiance en elle grâce aux conseils de Mary et Rhoda et rééquilibre sa relation avec Ted.
NB : "I haven’t seen Ted so angry since they canceled My Mother, The Car."
La série dont il est fait mention dans cette réplique est la première sur laquelle Allan Burns fut scénariste.
[1] Elle sera la première série à rester numéro une des audiences pendant cinq années consécutives.
[2] Phyllis, quant à elle, à cause des engagements parallèles de Chloris Leachman, n’apparait que dans quatre épisodes. C’est affreux, je sais, mais elle est extraordinaire dans chacun d’entre eux.
[3] Oui, c’est comme ça, en français, ça ne passe pas très bien, mais en anglais, y’a pas de souci. Comme Paul Robinette, dans les premières saisons de Law & Order.
[4] Mary & Lou & Rhoda & Ted - Chapitre 11 - Pot and the Pill (1972-1973)
[5] Mary & Lou & Rhoda & Ted - Chapitre 10 - The Writers Wore Hot Pants (1972-74)