Pour 41 minutes de programme découpé en cinq parties (voire six), vous avez eu 2 minute 30 de promotions pour la chaîne ou le network, 4 minutes de pubs locales et 12 minutes 30 de pubs nationales. Aussi pénibles soient-elles pour le téléspectateur, elles sont la seule et unique raison à l’existence de Desperate Housewives et de tout ce qui passe en prime time.
Même si leurs revenus se sont un peu diversifiés (vente de DVD, vente d’épisodes sur Internet, produits dérivés…), la publicité reste la ressource première et majeure des networks. Et à ce titre, c’est elle qui scelle non seulement le format mais également le destin des séries télé.
Les séries ont longtemps été diffusé en quatre actes, avec une courte séquence avant le générique. ABC a depuis la rentrée 2005 imposé que toutes ses séries soient découpées en six morceaux. Un pré-générique (enfin, une séquence avant le carton qui indique le nom de la série), un long premier acte de plus de dix minutes, puis quatre segments beaucoup plus courts (jusqu’à quatre minutes). Les autres networks commencent à suivre, CBS avec Criminal Minds et Numbers, NBC avec Las Vegas. Pour l’instant, les producteurs de CSI, de Law & Order et de Urgences ont refusé de changer leur découpage. [1]
Attardons nous dans ce deuxième numéro de Vus d’en Haut sur le marché des espaces publicitaires en prime time.
Au premier semestre 2006, 73 milliards de dollars ont été dépensés pour la diffusion de messages publicitaires tous supports médiatiques confondus.
La télévision en a récupéré 44 %. Dans ce secteur, les networks ont obtenu la plus grosse part avec 12,3 milliards de dollars.
Les journaux arrivent juste après (11,6 b$), les magazines (10,9 b$). Le câble (8,1 b$) et les stations de télé locales (7,7 b$) arrivent ensuite, tout juste devant Internet (4,7 b$). [2]
Les programmes diffusés par les networks représentent ainsi le plus gros marché publicitaire des Etats-Unis.
Qui trouve-t-on aux alentours de ce pactole ?
Les annonceurs
Ce sont évidemment les entreprises qui dépensent de l’argent en publicité avec l’espoir d’en gagner plus. Les télécommunications, les services financiers, le divertissement et l’industrie automobile forment le TOP 4 des secteurs les plus "dépensiers". Des entreprises comme Procter & Gamble (Lessive), General Motors (Automobile) et AT & T (Télécommunication) lâchent plus d’un milliard de dollars par semestre.
Les agences de publicité
Les grandes entreprises font gérer leurs investissements publicitaires par des agences qui s’occupent en général de tout, de la fabrication du support des messages à l’achat, voire à la création, des emplacements. La plupart sont basées à Manhattan, sur Madison Avenue. Il n’est pas rare d’utiliser le nom de cette rue pour désigner ces publicitaires.

La plus grande des agences, Mindshare, est cependant basée à Londres (elle s’occupe entre autres d’IBM, 20th Century Fox, Mattel, IKEA et Kellog’s).
Les networks
Trois historiques, NBC, CBS et ABC. Deux récents, FOX et CW. Et un petit dernier, MyNetworkTV, qui peine à percer.
Ce sont les seuls six entreprises dont les programmes de télévision qu’elles diffusent sont visibles par la quasi totalité des foyers américains. Particularité qui fait que leurs espaces destinés à la publicité sont les plus recherchés.
Elles ne peuvent cependant pas vendre la totalité de ces espaces.
En effet, le territoire américain est tellement vaste - il est traversé par trois fuseaux horaires – que les networks ne peuvent pas techniquement et financièrement émettre seuls leurs programmes.
Ils doivent être relayés par des émetteurs locaux.
Les stations de télévision locales
Il existe 210 émetteurs de télévision sur tout le territoire américain, autour desquels sont organisés 210 marchés locaux de télévision d’une superficie d’environ 300 km2 chacun. On les appelle les DMA, les Designated Marketing Area.
1393 stations de télévision diffusent des programmes à partir de ces émetteurs. Les Affiliates sont celles qui ont des accords avec les networks pour diffuser dans leur DMA l’ensemble des programmes de prime-time de l’un d’entre eux.
Elles diffusent ainsi les spots de pubs des espaces achetés par les agences aux networks en échange de deux minutes par demi-heure où elles diffusent des publicités dont les recettes leur reviennent en intégralité.
La moitié d’entre elles sont des publicités locales, l’autre des publicités nationales achetés sur les marchés locaux. Les Affiliates réalisent de plus 10% de leurs recettes sous forme d’indemnités perçues de la part des networks.
Les networks peuvent être les propriétaires de certaines stations, mais leur nombre est très faible et est réglementée par la FCC. NBC par exemple ne possède que 10 de ses 217 Affiliates. (Oui, dans certaines DMA, il y a deux Affiliates pour NBC… Et pourtant, le network n’est reçu que par 97% des foyers !)
Nielsen Media Research
Les audiences des programmes sont le cœur de ce marché : ce sont elles qui indiquent aux annonceurs le niveau d’exposition au regard des consommateurs des différentes cases des grilles des networks.
Nielsen Media Research est l’entreprise qui s’est spécialisée depuis les années 50 dans la mesure les audiences des programmes télé. Elle produit les fameux « Nielsen TV Ratings », que l’on trouve en partie sur The Futon Critic, par exemple.
Elle évalue les audiences nationales grâce aux données récupérées chez un échantillon de foyers américains (5 100) qui possède une Nielsen Box ( un boîtier qui enregistre ce qui est regardé sur les télévisions du foyer). Elle obtient les fast national numbers.
38 DMA sont des marchés suffisamment peuplés et rentables pour que les stations locales aient demandé des mesures d’audience quotidiennes sur le mode national. Avec les résultats obtenus dans ces DMA (les fast affiliates ratings), Nielsen peut affiner ses résultats nationaux.
Enfin, les mesures électroniques étant très couteuse, une méthode beaucoup plus traditionnelle est appliquée dans le reste des DMA, celle des "diaires". Nielsen distribue à des volontaires des carnets de bord et en échange d’une indemnité de 30 $ leur demande d’y noter ce qu’ils ont regardé à la télévision au cours d’une semaine. Cette opération est renouvelée quatre fois par an, en février, en mai, en juillet et en novembre. Ce sont les périodes de sweeps.
Le mot sweep ferait référence à l’organisation des envois des carnets de bord par Nielsen avant chacune de ces périodes. Les premiers envois concernent les adresses de la Côte Est, puis le territoire est "balayé" et les derniers à recevoir leurs "diaries" sont ceux de la Côte Ouest.
Les studios de production
Acteurs essentiels du marché – ils produisent ce pourquoi les gens se mettent devant leur télévision -, ils ne reçoivent pas d’argent de la publicité diffusée sur les networks. Ces derniers leur achètent les épisodes de séries à des prix fixes, qui couvrent rarement les budgets.
Cette année, ABC paye à la Warner 1,65 millions de dollars par épisode de Pushing Daisies, qui coûte pourtant au studio près de 3 millions de dollars. [3]
La FOX achetait Arrested Development à 20th Century 1,2 millions de dollars, 400 000 dollars de moins que son budget. [4]
Les sociétés de production ne retrouveront leur mise que si la série est un succès et qu’elle est diffusée sur le marché de la syndication. Les ventes de DVD et sur Internet des épisodes sont de nouvelles sources de revenus plus rapides (ce qui n’a pas échappé à la Ligue des Scénaristes).
Une saison de pubs
Les achats d’espaces publicitaires ne sont pas au jour le jour à l’unité… Il existe un calendrier de la saison bien établi, qui commence avec les fameux upfronts.
Au mois de mai, les différents networks invitent à New York les annonceurs - dans les faits, ce sont les agences de pub qui se déplacent - à des grandes messes qui célèbrent leurs nouvelles grilles de programmes pour la saison à venir et éventuellement les résultats d’audience de la saison passée.

On ne lésine pas sur les moyens pour épater la galerie, c’est champagne, stars et petits fours pendant une semaine pour les gars de Madison Avenue, car en quelques jours, les networks vont vendre 75 à 80% de leurs espaces publicitaires.

Ceux-là sont vendus en paquets aux annonceurs qui s’engagent assez souvent pour une saison entière avec un programme. En contre-partie, les networks offrent des garanties d’audience.
Les programmes les plus recherchés sont évidemment ceux qui ont fait leurs preuves les saisons passées et qui attirent un maximum de téléspectateurs, en nombre total mais surtout dans certaines catégories, les 18-49 ans, les femmes de 18-35 ans, les foyers avec de gros revenus...
Aux upfronts de 2007, en ce qui concerne la grille du dimanche, l’espace de 30 secondes le plus cher (hors Football sur NBC) n’était pas sur ABC, qui réalise pourtant la plus grosse audience de la soirée avec Desperate Housewives (270 000 $), mais sur FOX. Les Simpsons atteignaient 315 000 $. C’est le programme qui réalise le meilleur score chez les jeunes hommes de 18-35 ans, cible privilégiée des marchands de joujous électroniques et de voitures (Général Motors, Ford et Toyota sont dans le TOP 10 des plus grands annonceurs).
Le jour de diffusion d’un programme entre également en ligne de compte.
Pourquoi CBS a-il risqué de griller Survivor, son programme le plus regardé en 2000, en le diffusant dès sa deuxième édition face à Friends le jeudi ?
Pourquoi ABC a-t-il lancé à la rentrée 2006 Grey’s Anatomy, son plus gros succès de la saison précédente, face au mastodonte CSI toujours le jeudi ?
Parce que c’est ce jour là que les studios de cinéma veulent diffuser les bandes annonces des films qui sortent le lendemain… Les espaces publicitaires n’étant pas extensibles, les prix grimpent très vite le jeudi.
Survivor, à sa quinzième édition, avec une audience en constante érosion, reste quand même avec 208 000 $ le troisième programme le plus ‘cher’ de CBS (après CSI et Mon Oncle Charlie).
Les tarifs pour les nouveaux programmes sont estimés en fonction du buzz qui peut être généré autour d’eux, mais à moins d’être un spin-off (Private Practice était coté à 208 000 $, derrière Desperate Housewives et Grey’s sur ABC), ils atteignent rarement des sommets.
En 2007, 9,2 milliards de dollars d’espaces ont été achetés aux upfronts. C’est de l’argent collecté sur les résultats de la saison précédente. Il ne surprendra personne de voir que CBS a ramassé le plus d’argent (2,45 b$), qu’ABC est deuxième avec la plus forte augmentation (2,4 b$ vs 2,2 b$ en 2006) et que NBC a encore baissé (1,8 b$ contre 2,9 b$ en 2003).
Les chiffres des espaces de 2007
ABC
Grey’s Anatomy : 419 000 $
Desperate Housewives : 270 000 $
Private Practice : 208 000 $
Extreme Make Over Home Edition : 198 000 $
Brothers & Sisters : 182 000 $CBS
CSI : 248 000 $
Two and an Half Men : 231 000 $
Survivor : 208 000 $
Without a Trace : 190 000 $
CSI Miami : 180 000 $NBC
Sunday Night Football : 358 000 $
Heroes : 296 000 $
The Office : 186 000 $
Bionic Woman : 178 000 $
My Name is Earl : 151 000 $FOX
American Idol : entre 500 000 et 700 000 $ (selon la place dans l’émission)
Les Simpsons : 315 000 $
House : 294 000 $
Prison Break : 200 000 $
Family Guy : 198 000 $CW
America’s Next Top Model : 130 000 $
Beauty & The Geek : 97 000 $
Smallville : 77 000 $
Gossip Girl : 76 000 $
Reaper : 70 000 $
[5]
Quand ce premier marché de la saison est terminé, il ne reste plus qu’une petite partie de l’inventory (l’ensemble des espaces publicitaires disponibles).
La vente de ces espaces va se faire dans ce qui s’appelle le ‘scattered markets’, le marché dispersé. Les annonceurs pourront placer leurs offres au début de chaque trimestre, les tarifs prendront à ce moment-là en compte les audiences de l’année en cours.
De plus, les résultats initiaux de la rentrée vont avoir une influence sur la taille de l’inventory.
Aux upfronts, les deals négociés impliquaient des garanties d’audience. Lorsqu’un programme ne permet pas au network de les tenir, des "make goods" sont offerts aux annonceurs. Leurs spots de publicité sont diffusés gratuitement à d’autres endroits de la grille de façon à pallier le manque de spectateurs. Ce qui fait diminuer la taille de l’inventory. Le netmork a donc moins d’espace à vendre.
Pourquoi NBC s’embarrasserait-il à diffuser Kidnapped plus de quelques épisodes quand une rediffusion de Law & Order : Criminal Intent fait plus de spectateurs ? Non seulement, à chaque épisode de Kidnapped diffusé, le network perd des spots potentiels, mais en plus, la première rediffusion d’un épisode ne coute rien.
Evidemment, l’idéal pour un network dans le cadre du "scattered market", c’est d’avoir un hit surprise. Un seul gros hit peut sauver une saison entière. Avec deux, c’est le jackpot.
Prenons l’exemple de ABC en 2004. Au mois de mai, le nouveau président de l’entertainment Stephen McPherson, ne peut que, comme Madison Avenue, constater l’échec de la grille de la saison passée : ses nouveaux dramas, Karen Sisco, Threat Matrix et Line of Fire n’ont pas brillé. Le network réussit à négocier la vente de 75% de ses espaces, avec les garanties d’audience les plus basses des quatre grands networks.
Pour Desperate Housewives, le tarif était de 150 000 $ et les espaces n’ont pas été achetés pour toute la saison. En général, ils concernaient les 13 premiers épisodes.

A la fin du mois de septembre, le prix d’un espace est monté à 255 000 $. Du côté de Lost, on est dans la même logique. De 130 000 $ pendant les upfronts, ses espaces ont atteints 220 000 $. [6]
De plus, un espace dans l’une des ses deux séries est un ‘make-good’ très intéressant pour les annonceurs qui s’étaient engagés avec Life as we know it ou Rodney. ABC peut même continuer de diffuser les épisodes de ces séries, avec l’espoir qu’elles finissent par trouver un public sans que ça ne lui compte trop d’argent.
En janvier, au second scattered market, Desperate Housewives affiche un tarif à 400 000 $.
Il n’est donc pas étonnant que les networks ne gardent pas longtemps à l’antenne une série qui ne marche pas, forcément, mais même une série qui marche à peine moyennement. Leur but est de mettre à l’antenne le futur-gros-hit qui peut bouleverser les comptes d’un network en quelques semaines.
La taille variable de l’inventory peut être une chance pour les networks même lorsqu’ils n’ont pas de hits.
En fin de saison dernière, bien que les audiences aient été relativement moroses, le prix des espaces sur le scattered market était supérieur de 10% à celui du prix pendant les upfronts. Logique… Des audiences moyennes, de nombreux ‘make-goods’ à faire, et voilà un inventory réduit dans un contexte où de nouveaux produits ont été lancé dans les secteurs de l’électronique, des médicaments et des produits financiers.
Johnson & Johnson, un grand groupe pharmaceutique, le 10ème plus grand annonceur américain (derrière Toyota et News Corp.), n’avait rien acheté lors des upfronts, s’est retrouvé avec des dépenses publicitaires en nette hausse. [7]
Résultat, malgré une saison médiocre, les upfronts 2007 ont été un succès, de nombreux annonceurs ayant eu peur de se retrouver le bec dans l’eau avec le scattered market.
C’était sans compter sur la grève des scénaristes.
Les présidents de networks affichent une grande sérénité de façade, expliquant à qui veut bien l’entendre que finalement, les scénaristes leur rendent bien service tellement la saison était mal partie.
Magna Global, l’une des plus grandes agences de pub, la deuxième en termes de revenus juste derrière Mindshare, estime que les audiences en prime-time pourraient chuter de 9% avant la fin de la saison et annonce le chiffre de 13% de baisse en mai si la grève n’est pas réglée dans les trois mois. [8]
Avec de telles baisses, le scattered market sera saturé par les ‘make goods’. Les annonceurs vont se tourner vers le marché local et être en concurrence frontale avec les campagnes pour les élections présidentielles. Le prix des spots va flamber sur ce marché. Et il n’est pas sûr que les présidents de networks et de studios gardent leur sourire quand ils seront tenus pour responsable de l’augmentation faramineuse des couts de la campagne 2008.
Ce modèle de marché des networks vit peut être ses derniers instants.
Aux derniers upfronts, MediaShare a conclu un accord avec NBC Universal portant sur un milliard de dollars, plus seulement sur les espaces du prime time de NBC, mais également sur les chaînes du câble du groupe, son network en langue espagnole Telemundo, ainsi que ses plateformes numériques et l’intégration des produits de ses annonceurs dans les programmes. Les données relatives aux audiences seront basées sur les spectateurs live des programmes mais également sur ceux qui les regardent sur leurs DVR dans les trois jours.
Un programme inédit dans lequel Vus d’en Haut n’aura pas de mal à puiser ses prochains sujets.
[1] USAToday, Ad glut turns off viewers, Gary Levin, 10/11/2005
[2] TNS Media Intelligence
[3] Variety, TV shows getting ambitious, Cynthia Littleton, Joseph Adalian, 21/09/07
[4] Variety, Ratings-challenged laffer’s third-season order recently cut, Denise Martin, Joseph Adalian, 14/12/2005
[5] Advertising Age
[6] USA Today, ABC cashes in on Desperate Housewives , Micheal McCarthy, 12/12/2004
[7] MediaBuyerPlanner, Scatter Market Bodes Well for Sellers, 19/03/07
[8] MediaBuyerPlanner, Prime Time Ratings Could Slip 9 Percent Before Season End, 14/11/07