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FICTION EN CRISE - Et si TF1 copiait moins les séries US et plus... « Secret Story » !

Les modèles ne sont pas toujours là où l’on croit...

samedi 7 novembre 2009, par Sullivan Le Postec

Avec la télé-réalité, TF1 est capable de penser niche et d’avoir de l’audace. Pourquoi ne pas appliquer les mêmes recettes à la fiction ?

La saison 3 de « Secret Story » diffusée cet été pendant près de quatre mois sur TF1 a donné à voir une réorientation forte du programme, dont on avait constaté les prémisses lors de la deuxième saison. Le bouleversement est d’importance dans un pays ou la qualité moyenne de production des émissions de télé-réalité est tout aussi médiocre que celle des fictions. Il pourrait donner des idées. A condition d’être capable de décloisonner les genres et d’admettre qu’une série ou une télé-réalité sont deux formes de programmes de culture populaire, et que l’une et l’autre peuvent s’enrichir mutuellement. Ce n’est pas gagné.

Des maux communs

On le dit beaucoup moins — essentiellement parce qu’on a beaucoup moins l’occasion de comparer — mais les programmes de télé-réalité français souffrent exactement des mêmes maux que la fiction hexagonale : manque de rythme, d’efficacité, de réflexion sur les programmes et de subtilité.
Quelques exemples. Communément, à « American Idol », on fait chanter dix candidats et on recueille les impressions des quatre membres du jury sur chaque performance en 42 minutes de direct, tandis que 22 minutes diffusées le lendemain suffisent à présenter le résultat des votes des téléspectateurs, dramatisés à souhait, et entrecoupés de quelques duos ou performances de groupe et d’une ou deux star en promo. Le tout est donc bouclé en 64 minutes montre en main quand un prime du même format décliné en France, « Nouvelle Star », avoisine plus souvent qu’à son tour les deux heures et demie.
Pour montrer exactement les mêmes éléments, soit trois jours de survie, incluant deux épreuves et un conseil débouchant sur une élimination, un épisode de « Koh-Lanta » prend de 65 à 85 minutes (ce dernier temps étant la durée record de l’épisode diffusé vendredi 23 octobre 2009) tandis qu’un épisode de l’équivalent américain « Survivor » se conforme la durée standard de 42 minutes.
A l’intérieur du thème imposé, le candidat de « American Idol » est totalement libre de choisir la chanson qu’il veut interpréter, au point qu’on a déjà vu deux candidats chanter la même chose à quelques minutes d’intervalle. A « Nouvelle Star », la production impose de choisir entre trois titres qu’elle propose, maintenant la programmation musicale de l’émission ’’grand public’’ de son point de vue, souvent médiocre et très répétitive dans la réalité des faits. Et si un des candidats se voit attribué un titre peu connu, les autres sont d’autant plus obligés de chanter de gros ‘‘tubes’’ de variet’ sans intérêt. Sur un format similaire, « Star Academy » accentue encore le problème puisque là, les candidats n’ont absolument aucun contrôle sur ce qu’ils chantent. Cela peut sembler anodin, en réalité cela transforme radicalement le résultat de l’émission.
Il n’y a pas de voix-off dans « Survivor », là où rien ne semble pouvoir arrêter Denis Brogniard de déblatérer des platitudes dans « Koh-Lanta ». Et l’incrustation en bas d’écran, qui répète généralement l’information donnée en voix-off, qui elle-même est redondante par rapport à l’image, est aussi une spécificité française. Comme la fiction française à la mode TF1, qui se tient dans un refus absolu de l’ellipse et croit obligatoire de répéter une information importante pour l’histoire trois fois, cette multiplication des moyens de communiquer la même information laisse souvent le téléspectateur avec la sensation d’être pris pour un idiot [1].
Pour une analyse plus complète sur ce sujet, je vous renvoie à l’excellent article de Jérôme Férec, Koh-Lanta vs. Survivor qui étudie cet exemple précis et est archivé sur le site de feu le FLT.

Confiance & pop-culture

Ces maux ont pour source un même problème, et c’est une question de confiance. En France, et cela s’inscrit dans le cadre d’un complexe global par rapport à la notion de culture populaire, on n’a pas confiance, dans la vaste majorité des cas, en la capacité du public à appréhender ce qu’on diffuse. Et on n’a pas non plus confiance en ceux qui font les programmes, qu’ils soient scénaristes ou candidats d’émissions de télé-réalité, à faire des choix intelligents. Pour tenter de se rassurer, et dans une tentative assez absurde de rationaliser ce qui reste de la création artistique, on oblige les scénaristes à empiler des kilos de pages de présentations, synopsis, séquenciers et versions de scénario. Pourtant l’énergie donnée à une fiction en la produisant très rapidement participe beaucoup de la qualité des séries américaines ou anglaises. Car même en Angleterre, on passe très souvent en moins de deux ans d’une idée-concept de quelques lignes qui germe dans la tête d’un scénariste à 13 épisodes entièrement filmés.
Le manque de confiance dans le public se révèle par le peu de courage dans le choix des sujets des fictions, et plus encore par le traitement de ces sujets. Mais aussi, plus généralement, par tous les choix de production : lumière (quand un héros de TF1 à une partie de visage dans « l’ombre », la luminosité de l’ombre est souvent proche de la partie du visage d’un héros américain qui se trouve dans la lumière), rythme, subtilité des histoires, capacités à laisser des non-dits...
Et la manière dont on est persuadé que le téléspectateur va zapper si son candidat préféré chante une chanson qu’il ne connaît pas prouve un manque de confiance en la force du concept de l’émission. Les producteurs de « American Idol » qui laissent la liberté de choix à leurs candidats ne sont pas idiots. Tout simplement parce que les candidats eux-mêmes savent qu’ils doivent séduire un public – leur présence dans le télé-crochet en dépend – et que s’ils arrivent sur scène avec une version métal radicale d’un titre inconnu, ils savonnent leur propre planche. Comme ils le feraient s’ils venaient chaque semaine chanter du Céline Dion, ce qu’on impose à bien des candidats en France. Certes, avec cette liberté, la possibilité existe qu’un candidat américain se plante totalement, par exemple en visant trop haut. Mais un plantage aussi c’est du drama, et le drama c’est de l’audience ! Et même certainement plus d’audience qu’une prestation neutre, sans risque ni personnalité que le télé-crochet à la française à tendance à produire en masse. Plus profondément, l’approche américaine fait aussi plus de sens industriellement. A l’issue de l’émission, le gagnant de « American Idol » a démontré qu’il savait chanter juste, mais surtout, en choisissant lui-même ses chansons et le style de ses reprises, qu’il avait en lui une approche musicale cohérente et la capacité de faire des choix artistiques. Donc que l’on pouvait raisonnablement penser qu’il était capable de produire un bon album. Tous les candidats de « American Idol » ont été aussi numéro 1 des ventes. C’est loin d’être le cas des candidats français, ce qui n’a rien d’étonnant vu la totale nullité de bon nombre de disques. Et, clairement, je pense que ceci explique cela.

Des mots communs

Pour en revenir à « Secret Story » après ces quelques éléments de contexte, son évolution, amorcée dès la saison 2 mais décuplée cette année, s’est justement faite en aspirant beaucoup de codes de la série télé. C’est l’avantage de travailler en bas de l’échelle sociale de l’audiovisuel, eux n’ont pas de scrupules à chiper ce qui marche dans d’autres types de programmes. Et ils ont aussi la possibilité de le faire, tout simplement parce qu’il connaissent les autres programmes, ce qui implique qu’ils aiment la télévision. A coté de cela, le petit monde des créatifs de la fiction française a souvent du mal à dissimuler son manque de passion. Soit ils n’aiment carrément pas leur média (mais cette génération de cinéastes frustrés disparaît petit à petit), soit ils ont le sentiment de travailler pour des programmes qui ne les méritent pas et y collaborent sans passion ni investissement personnel. C’est aussi le résultat d’un système vicié qui a imposé le désinvestissement, et dont on peine à sortir.
« Secret Story » a beaucoup regardé du coté des séries, mais pas seulement sur la forme, comme l’a tenté à ses débuts la dernière saison de « Star Academy », produisant un résultat qui sonnait souvent très creux. Comme le faisait remarquer Manuel Raynaud dans un article sur téléobs.com, un réel travail de scénarisation sérielle a été effectué. La structure en ‘‘intrigues’’ A (arche de long terme), B (feuilletonnant personnel et court terme) et C (histoire bouclée) d’un épisode-type de « Secret Story » est quasiment une version assouplie de celle de « Plus Belle la Vie » quand elle a installé sa formule à succès. Par ailleurs, tant la production, la chaîne, que les candidats ont parfaitement assumé l’émission pour ce qu’elle était réellement. Pour la première fois, les candidats (du moins une majorité d’entre eux) semblaient assumer qu’on faisait d’eux, par le biais du montage et du contrôle de l’environnement, des personnages.
C’est ainsi que « Secret Story 3 » est devenu le premier exemple de télé-réalité français excellemment produit – un exemple qui fait d’autant plus ressortir l’amateurisme à la bonne franquette de la première génération de télé-réalité française.

Ah, la niche !

Plutôt qu’un siphonnage à sens unique, le média télévision en France gagnerait maintenant à ce que la fiction regarde à son tour « Secret Story » pour en extraire ce qui peut lui être utile. Les scénaristes américains l’ont fait sans l’ombre d’un remord depuis l’apparition de la télé-réalité. En France, la hiérarchisation de la culture rend extrêmement difficile de se réclamer de ce qui est ’’au dessous’’ de soi.

En l’espèce, ce qui est le plus intéressant dans « Secret Story 3 », c’est sa capacité à s’affranchir de règles qu’on imaginait incontournables à TF1.
En premier lieu, « Secret Story 3 » a intégré sa nature de programme de niche, ce qui est mis en évidence par sa programmation : les quotidiennes étaient à 18 heures (et non pas 19) et les hebdo ont continué de s’appeler des ‘‘primes’’ en dépit du fait qu’elles commençaient à 22h et quelques. Depuis des années que les créatifs français réclament des cases de fiction à 22 heures pour pouvoir se permettre d’être un peu plus segmentant, TF1 l’a fait... mais pour de la télé-réalité [2]. Dans son ton et sa forme, le caractère ciblé du programme est clairement assumé. Sur ce coup, TF1 la consensuelle a pris le risque de repousser une partie du public pour mieux susciter l’adhésion d’une cible jeune qu’elle convoite beaucoup. Un exemple à mettre sous le nez des responsables fiction de la chaîne.

Et puis il y a le rapport au formatage. « Secret Story » est formatée, comme la fiction télévisée en général l’est. Le terme signifie qu’il existe un format qui permet de produire en série, et n’a rien de péjoratif ainsi utilisé. « Secret Story » est aussi intéressant pour sa capacité à s’affranchir du format quand c’est utile. Quelque chose que la fiction américaine, notamment, fait très bien, mais qui est totalement étranger à la fiction française qui se répartit entre une fiction qu’on va qualifier ‘‘d’auteur’’, sans format, et une fiction emprisonnée dans ses formats au point d’étouffer le moindre point de vue d’auteur. Le juste milieu, celui qui fait la puissance de la fiction anglo-saxonne, n’existe quasiment pas.
Imaginez la tête du responsable de la fiction de TF1 si vous débarquiez avec une continuité dialoguée comportant une scène, clé en terme d’enjeux narratifs, qui ne contienne rien d’autre que deux personnages parlant dans une pièce pendant 12 minutes en continu. Il faudra probablement moins de 12 minutes à ce scénariste téméraire pour se voir montrer le chemin de la sortie. Sauf, peut-être, s’il est capable de dire que « Secret Story » l’a fait, en pleine émission hebdomadaire, et que cela a été un succès d’audience !

« Secret Story »
Jonathan et Daniela

La séquence en question montrait la confrontation entre Jonathan, toujours à l’intérieur du jeu et Daniela, une autre candidate sortie au bout d’une semaine pendant laquelle une idylle était née entre eux. Mais, quelques jours avant cette confrontation, et après moult promesses de fidélité et de vie commune à la sortie, Jonathan avait finalement rompu par télévision interposée pour pouvoir sortir avec une autre candidate (oui, je sais, ça vole pas haut, mais ce n’est pas le propos). Le plus intéressant est que la dite séquence, vu son potentiel de dérapage à la manière d’une scène de rupture en direct d’un couple de lesbiennes diffusée l’année précédente, a été enregistrée juste avant l’émission hebdomadaire en direct. La production a donc fait le choix conscient de proposer ce face à face non monté 12 minutes durant. L’exemple n’est pas isolé, on pense notamment à la révélation du secret de Maija (elle a survécu au tsunami de décembre 2004), un long monologue en direct de 5 minutes [3].
Enfin, on notera la galerie incroyable des personnages de cette saison de « Secret Story », qui ne devrait pas manquer d’intérêt pour un scénariste. Brochette improbable mais efficace de personnalités ultra-marquées, souvent barrées, pleines de défauts (c’est le moins qu’on puisse dire !) et en même temps réellement attachants pour un certain nombre d’entre eux.

La preuve est faite, par la forme de programme la plus populaire qui soit actuellement, que TF1 peut trouver son intérêt à viser clairement une niche de téléspectateurs dans des cases de programmation appropriées. Elle n’a pas à craindre de perte d’audience en ayant confiance en la capacité de son public à s’approprier, quand c’est justifié par la force des enjeux narratifs, des séquences très innovantes par rapport aux formats théoriques. Enfin, il est également démontré que des personnages à mille lieux des très lisses et parfaits héros de fiction de TF1 pouvaient tout à fait fédérer et susciter l’adhésion et la sympathie du public, parce qu’il les aime ou bien aime les détester (FX, spécial dédicace).
Reste à transformer cette esquisse de bilan en base d’action...


Que vous soyiez d’accord ou que vous ayiez failli vous étrangler de rage avant la fin de la lecture de l’article, venez-en débattre sur le forum.

[1Il est intéressant de constater que les Networks américains sont peu à peu en train de tomber dans le même piège, avec la même conséquence. Terrifiés par les programmes qu’ils estiment trop compliqués, ils font multiplier les répétitions. Celles-ci font fuir les téléspectateurs sophistiqués, et au final la crainte des cols blancs des chaînes devient auto-réalisatrice. « Flash-Forward » en est cette saison la démonstration éloquente. Les américains, au moins, sont capables de faire fuir leur public vers d’autres programmes qu’ils produisent eux-mêmes, à savoir leurs séries du câble, quand les chaînes françaises ont, ces vingt dernières années, fait fuir le public vers la fiction américaine...

[2Il faut dire que du fait des délais courts dans lesquels elles sont préparées, ces émissions peuvent bénéficier d’une bonne adéquation concept/case de programmation. Les fictions, elles, sont écrites dans la plupart des cas sans aucune idée de leur case de programmation finale, au mieux des mois, généralement en France des années, avant diffusion.

[3Pour ceux qui n’ont rien vu de Secret Story, et pour les pervers qui ne s’en lassent pas, les deux séquences sont en ligne. Il y aurait aussi beaucoup à dire sur la synergie émission/internet de ce programme. La confrontation Jonathan/Daniela. La révélation de son secret par Maija.

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