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LE QUINZO — 2.18 : Où l’on pense que la médiocrité devrait être la permière source d’indignation

Toutes les deux semaines, l’humeur de la rédac’ du Village

lundi 20 juin 2011, par Dominique Montay, Sullivan Le Postec

Le Quinzo, saison 2, épisode 18. Cette semaine, les garçons de la rédac du Village (heureusement, c’est bientôt la fin de l’année scolaire pour Émilie qui fera donc son retour dans le Quinzo) parlent de "EastEnders" qui fut récemment une expérience traumatisante pour les réacs britanniques, et des "Vacances de l’Amour", expérience traumatisante pour tout le monde.

Ma Vie en Rose

Par Sullivan Le Postec.

La BBC considère qu’en tant que Service Public, elle doit répondre à toutes les plaintes de ses téléspectateurs, et les réponses sont souvent rapides [1]. France Télévisions ferait bien d’en prendre de la graine, elle qui sous-traite ses réponses aux téléspectateurs — ce qui a logiquement pour conséquence des réponses aléatoires et, quand elles arrivent, déconnectés des réalités — et dont l’interface de contact en ligne est un vestige d’une ancienne version du site, où le logo n’a pas été mis à jour.

Mais je m’égare.

Donc, la BBC a même un mini-site dédié, BBC Complaints, où elle archive toutes ses réponses quand un nombre élevé de plaintes sur le même sujet justifie une réponse. Voici ce qu’elle y a publié il y a quelques jours :

Plainte
Nous avons reçus des plaintes de certains téléspectateurs qui ont eu le sentiment qu’une scène montrant Christian et Syed au lit ensemble durant un épisode de « EastEnders » était inappropriée.

La réponse de BBC
« EastEnders » cherche à refléter la vie réelle, et cela signifie inclure et raconter des histoires à propos de personnages de milieux, foi, religions et sexualités différents.

Nous approchons la mise en scène des relations homosexuelles exactement de la même manière que celle des relations hétérosexuelles, en nous assurons que les démonstrations d’affection ou de sexualité à l’intérieur d’un couple conviennent à une diffusion avant l’heure de couché des plus jeunes [2]

Nous aimerions également pointer que les partenariats civiles entre personnes du même sexe sont devenus légaux depuis Décembre 2005, donnant des droits égaux aux couple gay en Grande-Bretagne. La BBC ne saurait faire de la discrimination en traitant les personnages gays différemment des personnages hétérosexuels.

Nous avons également reçu beaucoup de retours positifs concernant l’intrigue sur la relation entre Christian et Syed.

L’objet du délit, la scène ayant suscité ces plaintes, peut être regardé ci-dessous. Elle intervient peu après que Syed ait accepté la demande en mariage de Christian.

La réponse de la BBC à ces plaintes est la bonne. Mais elle est un peu hypocrite, aussi, quand la Beeb indique qu’elle s’emploie à montrer les relations homosexuelles selon les mêmes critères que les relations hétérosexuelles, en particulier depuis que l’égalité des droits est devenue la règle avec la Loi instaurant le Civil Partnership — qui donne, sous un autre nom, exactement les mêmes droits que le mariage, y compris celui à l’adoption — de 2005. Nous sommes près de six ans plus tard, et c’est seulement la première fois qu’elle montre un couple gay dans un même lit, c’est bien qu’il y a eu différence de traitement. On mesure-là le long chemin dans la représentation des chambres à coucher, depuis les sitcoms familiales américaines des années 50 dans lesquelles les parents faisaient lit à part puisqu’un lit double était censé évoquer irrésistiblement les relations sexuelles.
Il faut dire que la Grande-Bretagne a vécu une révolution législative en l’espace de quelques années sur la question de l’égalité des droits. Elle est en avance sur la France aujourd’hui, alors que dans les années 90, la Loi interdisait encore toute mention de l’homosexualité sous un jour positif dans les écoles du pays.

Cet épisode de « EastEnders » a été regardé par 5,2 millions de téléspectateurs sur BBC1, tandis que 1,53 millions supplémentaires ont regardé la rediffusion de 22h sur BBC3. Des audiences plutôt faibles pour le soap — c’est 2 millions de téléspectateurs de moins que l’épisode du vendredi précédent sur BBC1 — qui s’expliquent par la concurrence exceptionnelle de « Britain’s Got talent » ce soir-là (l’émission étant diffusée quotidiennement cette semaine-là dans l’anticipation du résultat du samedi suivant).
C’est là le premier point qu’il faut pointer : les deux principaux soaps britanniques, le « EastEnders » de BBC et le « Coronation Street » de ITV sont des institutions. Chaque semaine, ce sont systématiquement eux qui trustent le classement des dix meilleures audiences, tous programmes confondus. Presque tout le monde regarde ces soaps, et ce succès très large a une conséquence logique : des vieux réactionnaires composent une partie de son public (mais pas seulement).

D’ailleurs, le soap concurrent de la télévision privée « Coronation Street » a récemment été l’objet de polémiques similaires. Précisément, on reprochait au soap d’avoir trop de personnages homosexuels à l’écran (deux couples gay figurent parmi les personnages réguliers actuellement).

Évidemment, on a vite fait de comparer la situation avec « Plus Belle la Vie ». Notre soap a, quasiment depuis son origine — le personnage de Thomas a été introduit au bout de quelques mois — mis les personnages homos à égalité de traitement avec les hétéros. Et ça fait longtemps qu’on a vu Thomas, ou Céline, au lit avec des partenaires de même sexe. On me dira que ces images n’ont pas provoqué de remous. Mais comme France Télévisions n’archive pas les plaintes de ses téléspectateurs ni leur réponse, et qu’il n’existe pas non plus d’équivalents français aux tabloïds britanniques à grand tirage hyper réacs qui seraient susceptibles de relayer ce genre de plaintes de spectateurs, je répondrais qu’on ne peut pas le savoir.

Il faut quand même pointer que « Plus Belle la Vie » est l’exception plus que la règle. La France qui se moque si souvent du puritanisme bigot des américains avait, dans la réalité, fuit à grandes enjambées plutôt que de traiter ce sujet. La représentation de l’homosexualité dans la fiction est d’abord passée, en France, par la diffusion de séries américaines.
La principale différence tient au fait qu’une fois qu’il a été décidé qu’il était possible de traiter du sujet de l’homosexualité à la télévision française — ce qui est arrivé à la toute fin des années 90 — l’égalité de traitement a été quasi-immédiate là où elle a été, aux États-Unis comme en Grande-Bretagne, le fruit d’un long processus.

C’est particulièrement le traitement de l’homosexualité dans les fictions diffusées avant 21h qui a été l’objet d’une transition relativement longue et tâtonnante. La Grande-Bretagne restera le pays ayant diffusé la première série mettant en avant des personnages gay, avec le « Queer as Folk » original, chef d’œuvre de Russell T Davies, qui a été suivie de plusieurs autres exemple, dont la série lesbienne « Lip Service » dont la deuxième saison est en cours de tournage pour la BBC.
Il n’y a aucun équivalent en France, et la série qui s’en est le plus rapproché, « Clara Sheller », qui traitait de son personnage gay à égalité de traitement avec son héroïne féminine, comme son titre ne l’indiquait pas a elle aussi soulevé des protestations. Son scénariste Nicolas Mercier n’avait pas hésité à affirmer : ‘‘Je pense aussi que la deuxième saison allait trop loin dans la représentation de l’homosexualité. Je pense avoir touché aux limites du service public. Les hautes sphères ont été choquées’’.

Encore une fois, on mesure les conséquences en France de l’absence de chaînes équivalents à Channel 4 (la chaîne de Queer as Folk ») ou à BBC3. Ou, quand elles existent — parce que France 4 pourrait facilement être rapprochée de BBC3 — leur refus de programmer de la fiction originale. Tant qu’il n’existera aucune chaîne prête à sortir de la religion de la ménagère, la fiction française sera condamnée au politiquement correct.

The AB Experiment

Par Dominique Montay.

Ce qu’il y a de bien quand on passe le week-end chez ses parents la veille d’avoir à écrire un Quinzo, c’est qu’on peut, sur un malentendu, tomber sur un programme à la télévision qu’on n’aurait jamais, mais alors jamais, regardé chez soi. Et là, j’ai eu à ma disposition 10 minutes d’un chef-d’œuvre de la télévision française : « Les vacances de l’amour ». Série que je n’avais jamais croisée auparavant, et qui est à la hauteur de ses promesses. Et en plus, maintenant, j’ai un sujet pour un Quinzo.

10 minutes. C’est court pour une analyse de fond. Je ne risque pas de me le permettre. Disons juste que l’intrigue du jour traite d’un sujet sensible : les sectes. Que la bande de jeunes adultes prennent sous leur aile une jeune victime. Qu’en effet miroir, une fille de la bande se retrouve endoctrinée. Et donc qu’elle se retrouve en soutien-gorge, vu que le grand Gourou est aussi un grand Pervers. Un pervers très performant, vu qu’il arrive à la faire se désaper et renier sa vie en six minutes. Respect. C’est dégueulasse, mais respect.

Un sujet de fond, un traitement à la hauteur. Alors que la bande (incomplète), discute autour d’une table de pique-nique de comment aider la jeune femme qu’ils ont recueillie (air grave et tout le reste), trois gars de la bande reviennent pour détendre l’atmosphère (et donc faire sursauter les filles, hihi, drôle). Éventons le suspense, je n’ai pas regardé jusqu’au bout, mais je me doute que le vilain gourou Pervers a du se faire attraper par le gang de la plage, qu’on a du avoir deux ou trois maximes bien senties du type “école de la vie”, et qu’on a du bien se marrer à la fin quand X a fait une bonne blague qui détend l’atmosphère (je ne sais pas moi, placer sa main sous son aisselle, lever puis baisser le bras très vite, plusieurs fois de suite.)

Au-delà de l’expérience télévisuelle immédiate, le visionnage express de ce grand moment a eu un effet madeleine de Proust (ou ici, croissant de Porry), qui m’a fait me souvenir du studio de séries télés le plus prolifique des années 90 : AB Production. Des tonnes de programmes comme « Le miel et les abeilles » et son actrice qui chante sans culotte, « Premiers Baisers » avec ses comédiens trentenaires qui jouent des pré-ados, des chef-d’œuvres ultimes comme le machin avec les Musclés (un groupe hyper tendance, qui arrivait à mêler rock’n roll hardcore et chant yödl), ou d’autres trucs qui font tâche dans un CV. Sans oublier la tête de gondole « Hélène et les garçons », qui doit en être à son 25e spin-off.

AB productions, c’est un homme, Jean-Luc Azoulay, qui sous le pseudonyme Jean-François Porry, a du fournir près de 500 scripts par an pour 4 séries différentes. Un stakhanovisme qui force le respect, ou pose des questions sur la fraîcheur des histoires, la qualité intrinsèque du produit fourni. AB production, c’est l’école du Low-Cost, un moyen hyper-simple de faire de l’argent avec un investissement nul, de faire bosser des comédiens et les installer dans un confort bien agréable (sans qu’ils sachent qu’ils seront grillés à vie).

On peut se poser la question : la télévision française s’est elle remise de ce tsunami ? Comment convaincre des exécutifs élevés à ces succès que la qualité, l’exigence peut amener une image positive à la chaîne qui diffuse, ainsi qu’une bonne audience ? Pour eux, l’expérience AB a prouvé qu’en investissant rien, on arrivait à maximiser les profits. Elle aurait dû amener une autre réflexion, prouvée par les succès, par la suite, des shortcoms du soir ou, aujourd’hui, de « Plus Belle la Vie ». Les français aiment les séries quotidiennes.

Il faut juste ne pas oublier que quotidienne, ça veut dire plus d’exigence et plus de travail (pour le jugement sur la qualité au final, c’est une question de personne ; demandez dans la rédac du Village leur opinion sur PBLV, vous verrez qu’elle n’est pas homogène du tout). Pas plus de facilité et de laxisme.


[1L’année dernière, quand un bandeau animé s’était superposé sur le cliffhanger d’un épisode de « Doctor Who » diffusé le samedi soir, suscitant des milliers d’appels téléphoniques, un porte-parole s’était exprimé et un communiqué de presse avait été envoyé dès le lendemain, un dimanche.

[2Pre-watershed : 21h est l’heure à laquelle les règles deviennent différentes pour ce qui est de montrer sexualité ou violence à la télévision britannique.

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