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QUEER AS FOLK 2

« It’s all yours, now. All of them » - Vince à Nathan

jeudi 10 juin 2010, par Sullivan Le Postec

Pas vraiment une saison 2, même pas une suite, « Queer as Folk 2 » est en vérité un épilogue étrange et fascinant, qui traite autant des personnages et de leurs histoires que de la série elle-même et de la place qu’elle a prise à la télé britannique.

Cette semaine, la production d’une saison 4 de « Torchwood » a été annoncée. Bienvenue, ne serait-ce que parce que l’écriture de Russell T Davies me manque. En attendant, cela m’a fournit l’occasion de revenir vers mes archives et « Queer as Folk 2 » la conclusion controversée de l’œuvre majeure qui l’a propulsé parmi la crème des scénaristes britanniques dont nous avions déjà évoqué la saison 1 ici.

Comme chacun le sait, l’adaptation américaine de « Queer as Folk » a couru sur cinq saisons et 83 épisodes, alors même que ses premiers épisodes sont un décalque de la série anglaise. C’est donc bien qu’il existait la possibilité de transformer le 8x30’ original en une série longue installée dans le paysage audiovisuel britannique. Et, initialement, ce fut le projet développé.
La série avait été un gros succès critique et public, Channel 4 avait commandé une saison de 10 épisodes, et Russell T Davies s’était mis au travail. Mais il butte sur une difficulté, et celle-ci est une différence très importante, même si elle peut passer inaperçue entre la version originale anglaise et l’américaine. Même s’il n’était jamais dit, même si sa présence était plus un sous-texte sous-tendant toute l’œuvre qu’une intrigue mis en avant, le « Queer as Folk » de Davies reposait sur l’amour particulier, incomplètement partagé, qui unit Vince et Stuart, et se focalisait sur un pivot, le moment le plus fort de leur vie. L’univers était riche et facilement déclinable, les personnages secondaires très bien définis et tout à fait à mêmes de porter leurs propres intrigues et de participer au développement de la série, mais son cœur avait déjà connu son climax dans la saison originale. Russell T Davies réalise que faire une véritable saison 2, ce serait amoindrir la première, diluer ce qui devait être le moment le plus important de la vie de Stuart et Vince. Alors il revient finalement vers Channel 4 et leur propose d’écrire simplement une conclusion en deux épisodes spéciaux de 52 minutes.

Un univers endurci

Quelques mois ont passé. Nathan vient de revenir de Londres, Vince cherche à obtenir une promotion au supermarché dans lequel il travaille, le neveu de Stuart a découvert qu’il était homo et le fait chanter en le menaçant de le révéler aux parents de Stuart. Ce qui le pousse à un coming-out mémorable :

I’m queer. I’m gay. I’m homosexual. I’m a poof, I’m a poofter, I’m a ponce. I’m a bumboy, battyboy, backside artist, bugger, I’m bent. I am that arsebandit. I lift those shirts. I’m a faggot-ass, fudge-packing, shit-stabbing uphill gardener. I dine at the downstairs restaurant, I dance at the other end of the ballroom. I’m Moses and the parting of the red cheeks. I fuck and am fucked. I suck and am sucked. I rim them and wank them, and every single man’s had the fucking time of his life. And I am not a pervert. If there’s one twisted bastard in this family, it’s this little blackmailer here. So congratulations, Thomas. I’ve just officially outed you.” - Stuart

C’est tout l’univers de « Queer as Folk » qui, globalement, s’est endurci. Comme si la joie en avait quasiment disparu. Une prise de conscience hante tout le récit : Stuart et Vince ont vécu leurs meilleurs années à Canal Street. A partir de maintenant, ils n’ont plus d’autres perspectives que celle de revivre les mêmes choses, en moins bien.
Peut-être parce que cette noirceur les conduit à voir le monde d’un autre œil, celui-ci est- soudain devenu hostile autour d’eux. Le neveu de Stuart, le concurrent de Vince pour la promotion, leur crachent leur homophobie à la figure. Et quand le père d’Alexander se retrouve à l’hôpital, sa mère le contacte, alors qu’elle et son mari l’ignorent depuis des années... mais c’est pour lui faire signer un papier dans lequel il renonce à tout héritage. S’ils restent dans les parages de Canal Street, Stuart et Vince ne peuvent que tourner en rond, mais s’ils s’en éloignent ils doivent constater que le monde hors du milieu gay refuse de les accueillir vraiment.

Un propos sur la série dans la série

La première saison parvenait par une utilisation magistrale des artifices de la fiction à une sensation d’hyper-réalisme. Ce n’est pas du tout l’approche de cet épilogue. Au contraire, tout y est larger than life, grossi démesurément, transformé en version fantasmatique des choses. Ainsi, pour punir la mère d’Alexander, Stuart fait carrément exploser sa voiture en pleine rue !
Par ce biais, Russell T Davies commente aussi ce que la série elle-même est devenue. Centre de toutes les attentions médiatiques, la première saison a déclenché mille polémiques, une infinité de commentaires, et a eu des conséquences dans la vie réelle qu’il est impossible de réellement évaluer. (Voir le paragraphe une réception paradoxale dans la critique de la saison 1). Au passage, Stuart et Vince ont perdu leur statut de personnages. Ils se situent maintenant quelque part entre l’icône et la légende. C’est cela, aussi, qui empêche Russell T Davies de s’investir dans l’invention d’une véritable histoire autour d’eux. Les icônes, les légendes, est-ce que cela peut vraiment nous communiquer des émotions ? D’ailleurs, la relation entre Stuart et Vince, cœur non-dit de la première saison, est cette fois-ci constamment évoquée de front. Mais sa résolution est parfaitement ambiguë : ils partent ensemble, mais sans que soit rendue claire la nature de leurs rapports, confirmant l’impression que Stuart et Vince sont devenus des “entités” sans sentiments.

Leur nouveau statut réuni encore plus Stuart et Vince qu’auparavant : ils sont coincés dans la même impasse. Et si le ton exagéré des deux épisodes n’avait pas suffisamment clarifié les intentions de Davies, la scène finale, quasi-fantastique, achève de poser les choses. Dans une ultime confrontation symbolique avec Nathan, Stuart et Vince font de lui leur successeur, le nouveau roi de Canal Street, tandis que le jour se change subitement en nuit, que la rue se peuple tout à coup, et avant que la voiture, après avoir pivoté sur place, ne décolle quasiment vers les cieux !

Misfits

Stuart et Vince évacués, Russell T Davies envisageait néanmoins de prolonger l’univers de « Queer as Folk ». Il développa en effet une série dérivée pour Channel 4, « Misfits » [1], dont la première saison devait comporter 22 épisodes dont le scénariste avait écrit les intrigues.

« Misfits » aurait été centrée sur la maison d’Hazel, où Bernard et Alexander auraient continué à vivre, tandis que celle-ci épousait (pour des raisons financières) le policier rencontré à la conclusion de « Queer as Folk 2 ». De nouveaux personnages auraient aussi fait leur apparition, tel que Mickey, le beau-fils lui aussi gay d’Hazel. Si Nathan y était apparu, cela aurait seulement été en guest, principalement parce qu’à l’époque déjà, Charlie Hunnam, depuis devenu la vedette de « Sons of Anarchy », avait le regard tourné vers l’Amérique — c’est aussi ce qui explique la réduction de son rôle dans « Queer as Folk 2 ».
« Misfits » était entrée en phase d’écriture, Russell T Davies et Paul Cornell travaillant chacun sur des épisodes – les quatre premiers ont été écrits. Ceux-ci faisaient d’ailleurs revenir Vince avant qu’il ne disparaisse de nouveau. Un Vince complètement changé, éloigné de sa mère, à qui il n’envoie plus qu’un ou deux e-mails par mois, et dont la relation avec Stuart aurait continué d’être mystérieuse...

Mais, à ce stade, Channel 4 décida soudainement de mettre fin au projet, de même qu’elle arrêta bientôt le développement de « The Second Coming », autre mini-série de Russell T Davies. Les raisons et circonstances sont restées nébuleuses, mais Davies ne travailla plus jamais pour la chaîne.

« Queer as Folk » en resta donc là, en tout cas sur le sol britannique. Le vent nouveau qu’elle avait fait souffler peinant lui-même à se diffuser ailleurs. En terme de liberté de ton, la série n’a trouvé de véritable successeur que des années plus tard, avec « Skins »...


« Queer as Folk 2 »
Channel 4 / Red Productions. 2x52 minutes. 2000. Créé, écrit et produit par Russell T Davies ; réalisé par Menhaj Huda.
Productrice Exécutive : Nicola Shindler.
Avec Craig Kelly, Aidan Gillen, Charlie Hunnam.

[1Ceux qui veulent un peu plus d’infos peuvent se reporter à l’ouvrage - en anglais - "T is for Television" consacré à Russell T Davies par Mark Aldridge et Andy Murray.

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