L’INFILTRÉ
Politique, terrorisme et Histoire vraie
Par Sullivan Le Postec • 13 mars 2011
Canal+ poursuit sa programmation de téléfilms unitaires politiques avec « L’Infiltré » qui nous plonge dans les années 80, mais aussi dans un sujet tout à fait brûlant. Il est diffusé lundi 14 mars sur la chaîne cryptée.

Comment lutter contre le terrorisme ? Quelles compromissions et quels sacrifices et ‘‘dommages collatéraux’’ sont acceptables pour le ‘‘Bien général’’ ? Voilà les questions, difficiles, que pose « L’Infiltré ».

Nous sommes dans les années 80. Le terrorisme palestinien fait des dégâts en Europe. La France et ses agents s’activent pour éviter que le pays ne soit touché. Abou Nidal a été contraint à l’exil lors de la partition de la Palestine en 1947. Le jeune homme intelligent issu d’une famille riche est peu à peu transformé par ces circonstances en terroriste, en mercenaire, et pour finir en véritable psychopathe.
Un agent de la DST, Michel Carat (excellent Jacques Gamblin) est en contact avec Nidal, pour mieux essayer de déstabiliser son organisation. L’intérêt de la France est en effet qu’Arafat, devenu l’ennemi absolu de Nidal maintenant qu’il en engagé dans la voie d’une résistance plus pacifique et espère un processus de paix, devienne le leader incontesté des Palestiniens.
Michel Carat propose à Abou Nidal de permettre à des jeunes de ses camps d’entraînement de bénéficier d’une formation dans des écoles françaises. Il n’est pas dupe du fait que Nidal se servira d’eux pour mener des opérations en Europe, mais il a l’assurance que ces opérations n’auront pas lieu sur le sol français. Surtout, il espère pouvoir retourner un très trois jeunes hommes pour en faire un infiltré.

Son attention se concentre sur Issam Mourad (Mehdi Dehbi, parfait même s’il n’a probablement pas assez à jouer), au destin tragique et dont le seul membre survivant de sa famille est une sœur handicapée et hospitalisée, qui peut pour les différents camps en présence, y compris les services secrets israéliens, être un instrument de pression sur lui. Patriote déterminé, mais qui s’interroge sur le terrorisme et sur la de plus en plus évidente psychose paranoïaque d’Abou Nidal, Issam va être retourné par Carat et devenir un infiltré.

Mais ces manipulations auront un coût moral très élevé...

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L’Infiltré
Jacques Gamblin et le réalisateur-scénariste Giacomo Battiato sur le tournage.

Une histoire vraie

« L’Infiltré » est basé sur des sources réelles et des récits de témoins direct. Il souffre d’un défaut récurrent de ces œuvres très directement inspirées de la réalité. On passe de recréation de scène vraie en recréation de scène vraie en négligeant quelque peu la fiction et l’émotion. La sensation procurée par le résultat se rapproche dès lors parfois plus de celle que l’on ressent en feuilletant un album photo, plus que celle que devrait véhiculer une véritable construction dramaturgique.
Les personnages de ce film ne sont pas assez investis, restent à l’état de figures au service d’une reconstitution. D’où l’intérêt d’un casting réussi, et il l’est énormément. Jacques Gamblin et l’étonnant Mehdi Dehbi parviennent à insuffler de la chair, simplement par la profondeur et la sensibilité de leur jeu, même si la chair est presque absente du matériel écrit.

Le prix d’interprétation reçu par Dehbi au dernier FIPA est vraiment mérité, même si je garde pour moi la frustration d’imaginer ce qu’il aurait été si le scénario avait permis à Issam Mourad d’être moins hermétique, si on ne s’était pas contenté d’écrire son humanité de façon un peu superficielle, et si le conflit intérieur du personnage avait été un peu mieux mis en valeur.

Néanmoins, l’histoire racontée est tellement forte, les conflits moraux qu’elle pose sont tellement énormes, et la conclusion si tragique et ingrate qu’il faut reconnaître que « L’infiltré » parvient malgré les limites de son écriture à toucher son spectateur et à provoquer chez lui de multiples questionnements, sur ces vies sacrifiées pour préserver des intérêts précaires, dans l’espoir d’une paix qui semble toujours si distante vingt ans après les faits racontés…

Post Scriptum

« L’Infiltré »
2011. 1h45.
Une production Breakout Films pour Canal+.
Scénario et réalisation : Giacomo Battiato.
Avec Jacques Gamblin et Mehdi Dehbi.