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Comme Jeanne D’Arc - Des disparitions et un procès

N°5: The Amelia Project / Deliberations

Par Conundrum, le 22 février 2018
Publié le
22 février 2018
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En 2018, Comme Jeanne d’Arc change légèrement de formule en abordant deux podcasts par chronique. Et ce mois-ci, nous nous penchons sur deux podcasts ambitieux qui se révèlent être les très bonnes surprises de cette fin d’année 2017. Le premier, The Amelia Project, comblera le vide laissé à la fois par Beyond Belief de The Thrilling Adventure Hour et de Dirk Gently’s Holisitic Detective Agency. Le second, Deliberations, est être bien plus qu’un podcast juridique qui suit les débats d’un jury. C’est une œuvre intelligente qui pousse à la réflexion par sa trame principale, mais qui l’alimente aussi avec des épisodes spéciaux thématiques qui élargissent le débat. Les deux ne peuvent pas être plus différents l’un de l’autre, mais ils ont un point commun : ils sont l’exemple de la vibrante créativité du genre.

The Amelia Project

Nous avons toujours un jour été confrontés à cette situation : nous nous sommes engagés à sortir avec des amis, faire les courses, aller au travail, chercher ses enfants ou se rendre à son propre mariage. Pourtant, au fur à mesure que le moment de quitter sa maison approche, l’envie d’honorer son engagement laisse place à celle de regarder une série confortablement affalé·e sur son canapé.
Et pas une nouvelle saison de notre obsession du moment.

Non, on se souvient qu’à un moment Jim n’était pas un gros connard, et qu’on se doit de revoir la saison 2 de The Office pour le confirmer. Ou on réalise que notre dernière intégrale de Friday Night Lights remonte à bien trop longtemps. Ou encore, on se dit qu’il doit bien avoir un Law and Order quelque part de diffusé à la télévision.
Il n’y a alors qu’une seule et unique solution : simuler sa propre mort auprès de ses proches. Et c’est exactement le service que proposent les protagonistes de l’excellent podcast, The Amelia Project. Chaque épisode, un·e client·e fait appel aux services de cette entreprise avec un but bien précis : disparaitre…pour réapparaitre.
Un peu comme Mc Solaar dans Bouge de Là.

Tous et toutes expliquent à un curieux interrogateur, impeccablement campé par Alan Burgon, leur raison et la manière de disparaitre et où réapparaitre. The Amelia Project se chargera alors de l’exécution du plan.
C’est une idée ingénieuse pour un podcast. Elle est simple et a des codes et règles à suivre aisément compréhensibles à l’écoute de n’importe quel épisode. Les dialogues fins et l’ambiance soignée de The Amelia Project ne sont pas sans rappeler ceux de The Thrilling Adventure Hour. Il n’y a pas de performance en public [1], mais l’écriture de Øystein Ulsberg Brager et Philip Thorne rappelle un peu celle de Ben Blacker et Ben Acker. Et avec un concept qui force l’action dans une seule et unique pièce, qui ne repose que sur les dialogues entre deux personnages dont notre héros, la qualité des dialogues et la richesse des thèmes abordés empêchent la répétition.

En effet, après une solide entrée en matière dans un épisode centré sur la revanche, pour un podcast qui se repose fortement sur l’humour et l’absurdité des situations, on peut être agréablement surpris de l’exploration de son thème : l’identité. Le podcast fait rire, souvent, mais cela ne l’empêche pas d’explorer ce thème sous son aspect légal et philosophique, d’aborder l’impact de la médiatisation, de naviguer du côté de la science-fiction avec l’intelligence artificielle ou de parler de foi.
Les histoires sont teintées d’une forme de cynisme et rappellent un peu un The Twilight Zone écrit par un Rod Serling bien plus drôle. Si les épisodes sont indépendants les uns des autres, une écoute linéaire est appréciable. Il y a un personnage principal et trois périphériques, les informations sur leur passé, leur personnalités et même leurs noms sont distillés au détour des épisodes. S’il n’y a pas de sérialisation, ces informations récompensent l’auditeur fidèle sans perdre l’occasionnel. Et cela a un double emploi, ces informations glanées brièvement renforcent l’ambiance particulière du podcast mais ouvre la porte à une mythologie si ses auteurs décident un jour de se rendre sur cette route.

Il est aussi impressionnant de voir que le concept est bien rodé dès son premier épisode. Il n’y a pas vraiment besoin de temps d’adaptation. Si vous êtes convaincus dès son pilote, The Amelia Project ne déçoit pas. Si certains épisodes sont plus faibles que d’autres, les dialogues et les performances de la distribution rattrapent toujours les rares baisses de régime. En tout cas, le premier épisode affirme fièrement ce qu’est le podcast et ce dont nous sommes en droit d’attendre de lui.
La chic équipe de production est d’ailleurs présentée lors d’un épisode spécial bien sympathique qui permet d’en apprendre plus sur la production de The Amelia Project. Le podcast, produit à Oslo, est écrit par un finlandais et un anglo-suisse-allemand qui réside en France, réalisé et interprété par un anglais et une allemande qui habitent à Vienne. Bref, un podcast anglophone et très européen. Alors on se prépare un bon chocolat chaud (si on est parisien, on peut faire comme l’un de ses auteurs et de se rendre à Les Deux Magots à St Germain des Prés pour le déguster comme il se doit), et on disparait dans cette première saison très enthousiasmante de The Amelia Project.

Deliberations

Deliberations était l’un des podcasts les plus intéressants de 2017.

Le concept est très bien trouvé. Nous suivons les délibérations d’un jury lors du procès d’une dominatrice dont le partenaire a trouvé la mort lors d’un acte de suffocation où elle était absente mais qu’elle avait préparé.
L’intérêt du podcast vient du fait que les délibérations sont improvisées, seules les scènes de procès qui entrecoupent les épisodes sont scriptées.

Et c’est une écoute fascinante. Le podcast suit une législation où, dans certains cas de figure, le jury n’est composé que de six personnes. C’est une sympathique trouvaille, car comprendre qui parle lorsque tout le monde se coupe la parole aurait été une tâche ardue avec un groupe de douze jurés. Ici, les personnalités sont tellement marquées que l’on comprend rapidement qui est qui sans avoir besoin que l’on répète les prénoms. Il s’agit de discussions enjouées où les protagonistes ont des partis pris. D’un côté du spectre, il y a un ancien drogué qui vient de trouver la religion qui a vision négative de la communauté BDSM, de l’autre une femme avec une mentalité de positivité sexuelle. Là où le podcast est remarquable est que, peu importe où on se situe dans ce spectre, même les extrêmes avancent des points pertinents.

Le podcast détonne avec les séries judiciaires que l’on a l’habitude de voir sur un écran. En règle générale, l’angle narratif choisi est celui d’un·e avocat·e. Notre personnage principal connait les lois et les règles qui régissent son univers. Suivre le procès à travers les yeux d’un jury est une expérience différente et, du coup, originale. Il s’agit de personnes qui ont le même niveau de connaissance que l’auditoire. A plusieurs reprises, le jury lit des définitions et débat de ce qui est attendu de lui. C’est un élément important pour deux raisons.

La première est que le jeu entre les avocats est lui aussi vu sous un autre angle. Avoir comme un personnage central l’assistant du procureur ou l’avocat de la défense biaise le point de vue de l’histoire. On veut qu’une des parties l’emporte plus que l’autre. Nous sommes aussi pris dans l’affrontement entre les deux parties. The Good Wife mettait souvent le mérite de son intrigue de côté pour se concentrer sur le combat. Ici, si certains membres du jury ont un parti pris, en tant que groupe, il n’y a pas d’intérêt narratif à faire pencher la balance plus d’un côté que de l’autre. Le jury questionne même par moment l’intérêt ou l’attitude des avocat·es, tant du côté de la défense que de l’accusation.

La seconde est bien plus intéressante car elle aborde le concept même de justice par un jury. Cette idée part du principe que l’accusé sera jugé par un groupe formé de ses pairs. Mais est-ce que ce point reste valide quand les préjugés et les idées fausses rentrent en ligne de compte ? L’accusée, Samantha, est une femme dominatrice. Pour pouvoir la juger, il faut comprendre les codes de sa communauté et avant cela, être capable de les accepter sans juger. Son compagnon, Troy, est mort lorsqu’il s’asphyxiait par plaisir sexuel. Samantha avait préparé la corde, avec un nœud que l’on pouvait défaire en tirant sur une corde de sécurité. Alors qu’elle était au travail, elle lui a demandé de s’étrangler, et de se libérer au dernier moment.

De ce fait, d’un côté, nous avons un homme adulte qui s’est tué par accident car il n’a pas su quand se libérer. De l’autre, une femme qui l’a poussé à un jeu dangereux sans s’assurer que tout allait bien se passer. Dans une relation dominante/soumis, le point des débats est de comprendre où commence la part de responsabilité de l’un ou s’arrête celle de l’autre. L’un des points de discussion du jury les plus intéressant est vient sur le fait que Samantha ait attendu 15 minutes avant d’appeler la police afin qu’elle se rende à son domicile et d’avoir minimiser la situation (elle ne donne aucune indication qu’il s’asphyxiait par plaisir). Pour certain·es, la honte que l’on peut ressentir dans cette situation doit être mise de côté face au danger, pour les autres, ceci est vrai que si la personne qui appelle est un homme blanc. La crainte de la police dans cette situation par une femme qui a un mode de vie mal compris est légitime.

Le contexte du podcast n’a rien de sensationnel. On ne joue jamais la carte du BDSM par voyeurisme ou pour juger. Le podcast cherche à mettre la lumière sur une communauté mal connue et mal comprise qui, pourtant, compte près de 20% de la population américaine selon un épisode du podcast. Cet aspect informatif est très présent dans le podcast, des épisodes complémentaires où son auteure, Chelsea Cox, rencontre des personnes de la communauté, mais aussi des avocat·es et des juré·es ce qui donne une vision plus réelle de la justice américaine.

On se retrouve ainsi avec un podcast ambitieux, fascinant mais qui pêche un peu par les scènes de tribunal. Elles paraîssent lentes et, parce qu’elles sont jouées, sont beaucoup moins animées et intéressantes que les délibérations elles-même. Cela n’empêche pas Deliberations, publié par Audioboom, d’être une très bonne écoute et une excellente idée innovante dans son format. Surtout que la saison 2, centrée sur une accusation de viol, a commencé en janvier.

Conundrum
Notes

[1Sauf si vous participez au financement du programme, dans ce cas, vous avez accès à un épisode enregistré devant un public.