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Hors Série: Aziz Ansari, Dan Harmon, et l’hypocrisie des journalistes séries français

Par Iris, le 18 janvier 2018
Par Iris
Publié le
18 janvier 2018
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Depuis quelques années, écrire devient de plus en plus difficile pour moi. Comme vous vous en êtes peut-être rendu·es compte si vous aviez remarqué mon absence dans les colonnes de ce site. Beaucoup de choses contribuent à cela : les périodes de dépression que je traverse, les nuages que mes médicaments viennent mettre là où précédemment se trouvaient mes pensées, et mes études qui me prennent beaucoup de temps. Alors je vous présente mes excuses si ce qui suit n’est pas de la grande littérature. Je n’en ai jamais écrit, et ce n’est sûrement pas dans mon état actuel que j’en écrirai.

J’ai néanmoins besoin d’écrire aujourd’hui. Parce que j’ai été publiée dans des magazines, des mooks, et sur des sites professionnels. Je ne dis pas ça pour dénigrer ceux qui le font purement par passion : leur voix compte tout autant. Mais je le dis pour que vous compreniez que j’ai fréquenté des gens qui m’ont fait me sentir, par leurs paroles et leurs actes, qu’ils me considéraient comme une « journaliste séries TV ». Et que si j’en suis une, depuis quelques jours, je suis en colère contre la plus grande partie de ma profession [1].

Il y a peu étaient célébrés les Golden Globes « spécial MeToo », qui suivaient le déferlement de dénonciations d’agressions sexuelles et de harcèlement sexuel à Hollywood. En tête des accusés, Harvey Weinstein, mais loin d’être le seul : Louis CK [2], Kevin Spacey, et beaucoup d’autres ont été publiquement dénoncés et ont publiquement admis les faits.
Lors de ces Golden Globes, toutes les femmes étaient vêtues de noir, et beaucoup ont pris la parole pour dénoncer le sexisme dont elles étaient victimes, pour dénoncer le harcèlement sexuel, avec ce message largement repris et célébré par la presse série (française ou internationale) : "Time’s Up". Les hommes portaient même des pins à l’image de cette association nouvellement créée pour aider les victimes de harcèlement et d’agressions sexuelles à Hollywood. Des hommes parmi lesquels Aziz Ansari, dont l’image a été diffusée par des journalistes séries français ravis de la victoire de ce dernier lors de la cérémonie, pour sa comédie Master of None, célébrée par beaucoup - et vendue - comme féministe.

Aziz Ansari, qui, le 17 octobre 2017, avait été dénoncé sur Twitter pour agression sexuelle par une femme. A sa suite, d’autres femmes avaient répondu qu’elle n’était pas la seule. Le tweet a maintenant été supprimé, mais une rapide recherche du nom de son autrice (que je ne révèlerai pas dans cette colonne puisqu’elle a depuis rendu son compte privé et a changé de nom d’utilisatrice, probablement pour éviter le harcèlement) nous permet de savoir qu’elle est photographe. Son tweet avait été très peu relayé, seulement une centaine de Retweets, et personne n’en avait parlé à l’époque. Il y a 5 jours de cela, le site Babe à publié un témoignage d’une femme, photographe, et qu’on peut donc imaginer être l’autrice du tweet d’octobre. Dans ce témoignage, la femme décrit l’agression sexuelle dont elle a été victime aux mains d’Ansari.
Allez lire l’article si ce n’est déjà fait, je vous attends, c’est important pour la suite.

Suite à cet article, plusieurs réactions ont émergé dans la presse américaine. Beaucoup d’entre elles convergeaient vers un même point : ce que Grace dit avoir vécu n’aurait pas été du viol. Elle n’aurait pas clairement dit « non », elle n’aurait pas suffisamment repoussé Aziz Ansari, elle voulait se faire bien voir et voulait une relation avec l’acteur mais lorsqu’elle a réalisé qu’il n’en voulait pas elle a regretté d’avoir couché avec lui. Je vais couper court à cela : l’absence de « oui » est un « non ». Retirer plusieurs (et même une seule) fois sa main lorsqu’un homme la force à aller sur son pénis, c’est un « non ». Dire « S’il te plait, on peut ralentir, parce que si on continue je vais te haïr et je n’ai pas envie de te haïr », c’est dire non. Faire boire une femme pour la mettre plus dans l’état d’esprit de devenir ton réceptacle à queue, ce n’est pas respecter son consentement. Ce n’est même plus la considérer comme une humaine, ce n’est plus une relation sexuelle, c’est de la masturbation à l’intérieur du corps d’une femme.
Et si visiblement ce n’est pas clair pour une très large partie de la population, c’est quelque chose que quelqu’un qui se vend comme un grand féministe, que quelqu’un qui a écrit un livre intitulé « Modern Romance » sur les relations amoureuses à l’ère de Tinder sait. Aziz Ansari, quoiqu’il en dise dans son communiqué savait très bien ce qu’il faisait. Prétendre l’inverse serait hypocrite.

Ce qui est également hypocrite, c’est tous ces journalistes français qui ont célébré les Golden Globes, se sont enthousiasmés des discours féministes, et qui maintenant ne se fendent même pas d’un tweet sur le sujet, d’un retweet du témoignage. Trois médias français l’ont traité à ma connaissance, deux l’ont fait de manière biaisée, qui frôlait avec le victim blaming [3] (Konbini cependant a fait un excellent travail) lorsqu’il ne plongeait pas carrément dedans. A titre personnel, les journalistes séries que j’ai vu célébrer cet homme sont restés silencieux sur son comportement, et ce même après que plusieurs personnes les aient interpelés à ce sujet. Ce alors qu’ils ont une audience énorme et pourraient éduquer des gens. Éduquer des gens sur ce qu’est le consentement.

Lorsqu’on m’a violé pour la première fois, j’avais bu, mon violeur m’a fait boire encore plus – 2 shots et une bière en 30 minutes, je n’appelle pas ça offrir des verres à une fille qui te plaît, j’appelle ça essayer de la neutraliser – j’ai dit plusieurs fois « non », j’ai plusieurs fois repoussé ses mains trop aventureuses, puis j’ai été comme tétanisée et me suis laissée faire. Quelque chose qui arrive à beaucoup de victimes de viol.
J’ai mis 6 ans à réaliser que c’était un viol.
6 ans à réaliser que c’était pour ça qu’à chaque fois qu’un type me touchait je me mettais à pleurer ou avait envie de vomir.
6 ans c’est long, et ça n’inclut même pas les années qu’il m’a fallu pour avoir à nouveau l’impression que mon corps m’appartenait.
Si on nous informait correctement sur le consentement, ça ne m’aurait pas pris 6 ans.

Alors quand quelqu’un qu’on a proclamé comme féministe et dont on a loué le rapport aux femmes, au point qu’il ait pu écrire un best seller sur les relations amoureuses, s’avère être un agresseur, et qu’on a sur Twitter un large public qui nous suit en partie au moins parce qu’on écrit et informe sur les séries télévisées et leurs univers, on n’est pas forcés d’écrire un article, on n’est pas forcés de faire de long discours, mais on a la décence de relayer l’information. On a la décence d’admettre que non, cet homme n’est pas un allié féministe s’il n’a même pas conscience de la différence entre consentement et contrainte. Coercion is not consent.

Mais on peut leur trouver des excuses : ils peuvent souhaiter faire plus de recherches avant d’exprimer quoique ce soit à ce sujet, ils peuvent attendre que quelqu’un d’autre le fasse, ils peuvent surtout ne pas vouloir croire le témoignage, considérer que celui-ci a été bâclé (car j’avouerai qu’il n’est pas formellement parfait) et que donc ils ne le relaieront pas.

Soit.
C’est une position.
C’aurait été gentil de me répondre cela lorsque je les ai interpelés, lorsque plusieurs utilisatrices et utilisateurs les ont interpelés, pour s’interroger de leur silence quant à cette affaire.

Mais le silence quant à cette affaire n’est pas le seul que je leur reproche.

Car voyez-vous, ils n’ont également pas jugé nécessaire de relayer une affaire claire comme de l’eau de roche, sur laquelle les deux parties s’étaient largement prononcées, et qui avait été résolue depuis une bonne dizaine de jours. Cette affaire concerne quelqu’un sur qui j’ai beaucoup, beaucoup écrit. Quelqu’un que j’admirais. Quelqu’un qui représentait plus pour moi qu’aucun autre auteur. Je veux parler bien sûr de celle qui a entouré Dan Harmon. Celui-ci a été accusé sur Twitter par l’une des anciennes scénaristes de Community, Megan Ganz, de harcèlement sexuel. Il a reconnu les faits sur Twitter et lui a demandé s’il pouvait faire quelque chose pour qu’elle le pardonne. Elle lui a répondu par la négative. Quelques jours plus tard il revenait sur ces accusations dans un épisode de son podcast, Harmontown. Ca se trouve à 18:38, ça dure environ 7 minutes, et vous devriez tous écouter cet extrait, que vous aimiez ou ayez vu le travail d’Harmon ou pas. Parce qu’elles disent énormément de choses très importantes sur la manière dont on peut justifier le harcèlement sexuel, sur les problèmes de notre société actuelle, et qu’elles sont pour reprendre les mots de Megan Ganz, une « masterclass » sur comment présenter ses excuses.

Si je trouve si révoltant que cette affaire ait été si peu relayée par des journalistes séries dont on sait qu’ils aiment Community, et sont donc intéressés par Dan Harmon, c’est bien parce que si on prêtait plus oreille à ce genre de comportements, et si on relayait comme il le faut ce genre de développement constructifs, on permettrait à beaucoup d’hommes de prendre conscience de leurs propres comportements problématiques.

Donc voilà. Je ne dis pas qu’il est facile de relayer ce genre de situations. Je dis juste qu’il est nécessaire de le faire.
Et que si on décide de ne pas le faire, on devrait avoir la décence de répondre aux gens qui se demandent pourquoi on ne le fait pas.

Surtout quand on se dit féministe et qu’on s’enthousiasme du courage des femmes qui parlent aux Golden Globes et dans les médias en général.

Iris
P.S. Je terminerai sur ces mots : ce n’était pas un article que j’avais envie d’écrire. Ce n’est pas un sujet auquel j’aime penser. En tant que victime, un simple "me too" avait été dur à écrire. Alors repenser à tout ça est douloureux. Mais ce sujet est trop important. Parce que ce sont des gens qu’on admire, et qu’on doit être encore plus intransigeants face à ses modèles. Ou au moins ne pas se voiler la face. Le silence autour de ces affaires n’est pas acceptable. Je refuse de vivre dans un monde où ma fille pourrait vivre ce que j’ai vécu, et ce n’est qu’en éduquant les gens à chaque occasion qu’on arrivera à diminuer ces comportements systémiques.
Notes

[1Je parlerai beaucoup dans cet article des "journaliste séries français". Ce n’est pas parce que je suis contre l’écriture inclusive, c’est parce que je peux envisager qu’en tant que femme, les journalistes séries françaises ont probablement vécu à divers degré harcèlement ou agressions sexuelles, et que je ne souhaite à aucune autre victime d’avoir à répondre aux messages que j’ai reçus depuis que j’ai décidé d’en parler

[2sur lequel des rumeurs circulaient depuis des années sans qu’aucun journaliste séries professionnel français ne se garde de célébrer ses œuvres, au point qu’ils ignoraient lorsque des messages directs leur étaient adressés, les interrogeant sur leur chouchou.

[3N’est-ce pas Première... Et quel titre, 20 Minutes !