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The Real Jéjé of pErDUSA - Peut-être que le pilote de Daredevil est éventuellement un poil sexiste

N°23: Pas Merci Les Filles

Par Jéjé, le 24 avril 2015
Par Jéjé
Publié le
24 avril 2015
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Pendant un temps, le féminisme, je trouvais ça vraiment super. Avoir ouvert les yeux sur le fonctionnement patriarcal de notre société, c’était chouette. C’était comme si j’avais changé de lunettes et que je voyais un monde différent. Mieux, c’était comme si j’étais sorti de la Matrice. C’était très grisant.

Et très pratique pour écrire chez pErDUSA des articles à la chaîne à moindre frais. Que je te compte le nombre de femmes dans les épisodes (y’en a rarement beaucoup), que je te chronomètre les échanges entre elles (ce n’est jamais très long), une petite conclusion sur la dure lutte à mener pour atteindre une égalité dans la représentation des genres dans la fiction télé, et hop, plus de problème d’inspiration.

Mais bon, varier les plaisirs, c’est chouette. Alors, j’ai essayé de retrouver mon ancien regard, celui qui ne voit pas les pourcentages de personnages féminins, celui qui... hmm... ne voit que la qualité des histoires...
Il faut dire que Ju s’est un peu (beaucoup) moqué de moi. Il a pointé le fait que nombre de mes séries fétiches d’avant ne correspondaient à mes nouveaux critères, que cette façon comptable et dogmatique de regarder les séries n’était pas tenable, que j’allais perdre le vrai plaisir que j’ai toujours associé à ma forme favorite de fiction. « Abandonne tes idéaux et regarde ce que tu veux, peu importe le nombre d’actrices dans le cast et ce qu’elles se disent.  »
Et c’est vrai qu’il n’y a pas beaucoup de femmes dans The Wire.
Alors, j’ai essayé.

J’ai décidé de regarder Daredevil, juste pour le plaisir.
Ça tombait bien, Ju a a-do-ré !

Et Blackie aussi.

« C’est. Trop. Bien. […] Je pense sincèrement que la série peut plaire à un grand nombre de gens, y compris ceux qui ne se s’intéressent pas forcément au genre. »

Blackie. Qui est une FEMME. (Ah non, ça, ce n’est pas important.)

Et voici ce que j’ai vu devant le pilote :

« Un papa paniqué court dans la rue. Il retrouve son fiston qui est accidenté. Il a un problème aux yeux.
Ensuite, un joli monsieur se lance dans un monologue sur son papa. Son père vraiment, il était super, il savait prendre les coups sans craquer, il avait une éthique, il ne renonçait jamais, c’était un super papa.
Puis c’est la nuit.
Quatre Demoiselles sont En complète Détresse. Elles ne font que crier. On leur dit de se taire, sinon... Mais elles continuent de crier. Elles sont sauvées. C’est pratique, ça montre les pouvoirs d’un héros avec un bonnet trop grand, qui n’en reste pas moins un super homme super efficace. Et patient.
Les quatre Demoiselles Qui Ne Sont Plus Détresse ne le remercient même pas, elles n’ont pas compris qu’elles n’étaient plus en détresse. Il est quand même sympa et il leur explique même par où sortir.

Une scène au téléphone, avec quelques petites blagues un brin sexistes de l’associé au sujet de la nuit qu’a passée notre héros aveugle, et hop, une nouvelle Demoiselle En Détresse. Il y a un cadavre à ses côtés, la police arrive, elle est très belle, ni une, ni deux, elle se retrouve en détresse en prison.
Conversation entre deux hommes. L’un menace l’autre, petit ipad, et hop, sur l’écran la future Demoiselle En Détresse #6, avec un méchant à l’air sadique tout à côté d’elle…
A ce moment-là, la seule femme qui n’a pas fallu sauver est l’agent immobilier, vue quelques secondes pour décrire l’historique du quartier dans lequel se sont installés nos deux héros (pour faire simple, on va aussi faire de l’associé un héros, pas super, mais un héros quand même).

On en est à 20 minutes de l’épisode, pas de conversation entre deux femmes…
(Le test de Bechdel se rappelle à mon bon souvenir. Bon sang, je l’avais presque oublié celui-là.)
Demoiselle En Détresse #5 est attaquée dans sa cellule. Elle parvient par elle-même à éviter la mort, ce qui est important car ça permet à nos deux héros de la libérer au cours d’une scène entre quatre hommes gonflée aux échanges d’intimidations viriles.
Monologue de Demoiselle En Détresse #5 au cours duquel elle endosse la responsabilité du meurtre [1] pour lequel elle est accusée, parce que la victime avait, vous comprenez, un petit garçon… A « cause » d’elle, un petit garçon n’a plus de père.
Et la relation entre les petits garçons et leur père, c’est très très important. C’est ça qui fait d’eux de vrais hommes. Alors oui, en étant incapable de trier ses mails, elle est coupable. De bien plus qu’un meurtre. Elle a brisé le futur équilibré d’un petit garçon. Parce que que ce petit garçon, sans repère masculin dans sa vie, il va faire quoi ? S’inscrire à la chorale de son école et collectionner les programmes des spectacles de Broadway...

Face aux terribles conséquences de son incompétence, elle préférerait se retirer et ne pas mettre en danger d’autres hommes autour d’elle.
Mais notre héros, il est vraiment super. (Il a eu un super papa, il faut le rappeler).
« I’ll keep you safe, Karen ! ». Dans son appartement.
Premier (très léger) coup d’oeil à un sein nu de Demoiselle En Détresse #5. (Ce sera le seul...)
Puis, nouveau personnage féminin. Une petite vielle asiatique, posée à côté d’un groupe de gangsters, qui sourit quand ils parlent. Elle prend la parole à son tour, dans une langue qui n’est pas l’anglais. C’est toujours menaçant une femme qu’on ne comprend pas.
A 35 minutes d’épisode, seules quatre femmes ont eu la parole : l’agent immobilier (30 secondes), Demoiselle En Détresse #5, Demoiselle En Détresse #6 (qui a dit qu’elle allait bien et qu’elle viendrait faire ses lessives ce week-end chez son père) et celle-ci que l’on ne comprend pas… Au moins, celle-là n’est pas en détresse. Elle est menaçante. Mais pas suffisamment intéressante pour que ses lignes de dialogues soient compréhensibles par le spectateur.

Demoiselle En Détresse #5, en toute sécurité chez le héros, décide que ça fait longtemps qu’elle n’a pas été détresse et et se rend sur les lieux où elle a été piégée au début de l’épisode.
Elle trouve ce qu’elle cherche, mais avant que le méchant très méchant ne puisse utiliser son couteau, le héros arrive. Baston virile. Le héros est assommé.
Flashback.
C’est son enfance. Il est petit garçon. Il est déjà aveugle. Il touche le visage tuméfié de son papa qui saigne, c’est très émouvant (même si on est dans la pénombre et qu’on ne voit pas grand chose). Son papa qui lui a expliqué que c’était très important de travailler à l’école, l’adjoint à continuer son travail et se faire abstraction qu’il saigne.
C’est l’encouragement paternel dont il avait besoin pour se réveiller dans le présent.
Les deux messieurs se battent sous la pluie.
Longtemps.
Le héros gagne.
Demoiselle En Détresse #5 était là, sous la pluie. A attendre. Elle explique que ça change rien. Il lui dit que « Ben si ».
Un homme méchant discute de la situation avec un haut-parleur.

Demoiselle En Détresse #5 est tellement contente d’être encore en vie qu’elle apporte à table un petit plat qu’elle a fait avec ses petites mains à nos deux héros. C’est la recette secrète de sa grand mère à qu’elle avait pourtant promis de n’utiliser que pour son futur mari…
"So I know it’s not much in the way of repayment. But it is my grandmother’s recipe, and she made me promise only to serve it to my future husband [2].
Bref, elle est trop contente d’avoir été sauvée. Les héros minimisent leurs rôles, mais elle insiste. Elle est contente qu’un homme l’ait écouté.
Alors elle propose de faire le ménage.

Si, si.
"Maybe I could clean the place up a bit."

Tout le monde rit. Elle est engagée par nos deux héros.

Montage musical.
Le héros (le vrai, celui qui est aveugle) s’entraîne dans une salle de boxe.
Un méchant fait des trucs de méchants.
Future Demoiselle En Détresse #6 porte une bassine de linge sale. Elle trouve son père assassiné. Devenue une véritable Demoiselle En Détresse, elle hurle (et fait tomber son linge par terre).
La petite vieille asiatique marche au milieu de ses employés de façon très menaçante.
D’autres méchants font d’autres trucs de méchants.
Pour terminer avec des méchants qui kidnappent un petit garçon qui crie « Papa, papa ».
Et qui c’est qui entend le cri terrible du petit garçon qui est séparé de son papa ? C’est le petit garçon devenu notre nouveau héros préféré. »

J’ai essayé, je vous jure.
Mais c’est ça que j’ai vu.

Merci le féminisme, merci Feyrtys, merci Anita Sarkeesian, merci Judith Butler, merci Iris Brey.
Vous m’avez gâché la meilleure série de l’année...

Jéjé
P.S. Et ça va être compliqué de subir un deuxième épisode écrit par le même Drew Goddard en attendant l’arrivée de Steven DeKnight… (Parce que c’est sûr, ça va être tellement bien quand Daredevil, ce sera Spartacus En Bonnet De Ski).
Notes

[1Ce sont des méchants promoteurs immobiliers, les vrais coupables, mais en mauvaise secrétaire, elle a lu un e-mail qu’elle n’aurait pas dû ouvrir.

[2Ce sont les vrais dialogues…