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Fleabag - Retour sur la meilleure petite série qui est déjà montée depuis longtemps

Fleabag (Bilan de la Saison) : Les voix de Phoebe Waller-Bridge sont très pénétrables

Par Max, le 22 septembre 2019
Par Max
Publié le
22 septembre 2019
Saison 2
Episode 6
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Il m’a fallu deux visionnages et cinq mois pour (presque) me remettre (en fait non, pas du tout) de la seconde saison de Fleabag. Elle a secoué le sac à puces et ça gratte fort sur le cœur.

La dissection face caméra des névroses de Fleabag (aka Phoebe Waller-Bridge), prise entre pulsion de sexe et de mort, sarcasme et infinie mélancolie est peut-être la chose la plus frivolement profonde que vous pourrez voir cette année. Ou cette décennie.
Mieux qu’une thérapie ?

Pourquoi Fleabag n’aurait pas dû être pour moi (selon les conventions)

La réponse est aussi simple qu’elle est absurde : cela parle d’une femme par une femme. Du moins, ce sont ses prémices, son postulat et ses préjugés.

La série est racontée par le point de vue d’une femme, Fleabag, représentation fictionnalisée et physique des névroses de Phoebe Waller-Bridge. Blanche, anglaise, aisée, elle correspond à une portion spécifique de la population, pas si éloignée que cela de moi mais qui est traversée par des problèmes auxquels je ne peux pas m’identifier à 100% (et tant mieux, il en faut !).

Le personnage a perdu sa mère et sa meilleure amie. J’ai eu des pertes dans ma famille mais jamais de mon chef et jamais si jeune, donc je ne peux vraiment me reconnaître dans ce deuil. Pourtant, le brio de la série est de distiller celui-ci dans le temps, en nous le cachant puis en explorant ses différentes phases. Ainsi, elle me force, en restant avec ce fardeau pendant douze épisodes à m’associer à elle et, in fine, à totalement me prendre dans ce processus de deuil.

Fleabag peut être assimilée au premier abord à une nymphomane. Le sujet ne me touche pas, n’est pas moi et pourtant, je suis estomaqué par la manière dont elle renverse le complexe et le préjugé pour montrer que non, une femme qui aime le sexe n’est pas une nymphomane, tant que c’est honnête et dénué de ce procédé de culpabilisation que la société patriarcale impose aux femmes. Ici, la sexualité n’est plus bridée par des mots, elle n’est plus critiquée et remise en cause, de la belle-mère à Fleabag et même sa sœur qui ne juge jamais ses amants bien qu’elle n’ait pas le même style de vie.

Fleabag est une femme sans nom, un avatar. C’est l’expression, comme Phoebe Waller-Bridge le dit elle-même, d’une colère et d’un cynisme, d’une violence qu’elle porte en elle et qui a besoin de sortir. C’est son dispositif, qui nous livre sans concession les coulisses d’une vie (par le regard caméra) de quelqu’un qui va mal et qui ose tout. C’est donc ce que nous sommes (plein de névroses) et ce que nous voudrions être (capable des pires crasses, d’exprimer les mœurs les plus libérées et sans illusion). De ce mariage des contraires au sein d’un même personnage, nous ne pouvons que nous identifier, être complice et acteur, être concerné.

De fait, la série m’intéresse beaucoup moins pour les carcans qu’elle renverse (indéniablement) dans la représentation féminine que ce qu’elle dit sur l’humain en général.

Du génie dans les idées

La première saison était une lente prise de conscience que tout allait mal pour Fleabag, que sa vie personnelle, sexuelle et familiale avait été l’une des causes de la mort de sa meilleure amie, qu’il ne fallait pas lui faire confiance. Il y a d’abord une première réalisation pour le spectateur : la narratrice nous ment, elle n’est pas digne de confiance. Phoebe Waller-Bridge utilise ainsi le regard caméra comme un élément non pas surnuméraire, pour “faire genre”, donner de l’épaisseur au personnage (même si cela lui en prête énormément) mais pour aussi nous manipuler. Elle nous raconte ce que nous voulons entendre, ce qu’elle veut que l’on connaisse d’elle et des autres.

En ce sens, Fleabag se rapproche de Lolita de Vladimir Nabokov et son unreliable narrator. Nous pensons savoir parce qu’on nous le raconte de ce point de vue et que le contrat est qu’il est celui de la vérité puisqu’il tient le récit. Mais non, il est celui de l’illusion romanesque, autant de la fiction propre (la série ou le livre) que de celle que nous nous faisons de nous-mêmes et de notre réalité (Fleabag ou Humbert Humbert). Bref, ce regard caméra se brise au terme du sixième épisode avec la révélation de la sœur de Fleabag, empêchant littéralement la jeune femme de reculer, faisant face à la caméra et à ses mensonges.

On ira tous chez la psy, même moi !

Ça, c’est la partie où j’intellectualise la série parce qu’elle le mérite mais parce que ça repousse le moment où ça m’a frappé en plein dans le ventre, où ça parle de moi à un point où j’en perds les mots, où les formuler me permet un tout petit peu de comprendre pourquoi je suis attiré comme un aimant par cette série à-priori simple, très simple, est grande, si grande.

La saison une représentait l’espace mental dans lequel Fleabag contrôlait ce qu’elle nous livrait, répétant à l’envi “Don’t say it”, goguenarde et secrètement manipulatrice envers nous et son dispositif. La saison deux nous explose à la gueule : elle ne nous ment plus, elle nous parle toujours mais est obligée de tout nous livrer. Et elle nous emporte dans ce même mouvement de libération et dans cette crise.

Après avoir fait face au décès de sa meilleure amie et sa responsabilité indirecte dans celle-ci, cette saison se concentre sur les relations toxiques de sa famille et comment elle peut s’en défaire ou apprendre à vivre avec. Ainsi, Claire (Sian Clifford) montre sa reconnaissance - de manière étrange certes - à sa soeur qui est un soutien sans faille, de même que la belle-mère (Olivia Colman) découvre enfin son visage, confirmant s’il le fallait que Fleabag n’est pas le vilain petit canard de la famille : il n’y a que de ça.

Ce sont tous des personnages au compas moral décalé et ça fait du bien. Il n’y a un pas un modèle, une idéologie de vie, une façon de faire. L’exemple le plus brillant revient à ce prêtre donc, interprété par le magnifique, beau, intelligent, sexy, talentueux (rayer la mention inutile) Andrew Scott [1], dont Fleabag va tomber amoureuse. Cela va leur faire questionner leur foi à tous les deux : lui en Dieu et les préceptes de vie que son adoration impose, elle sur son rapport à l’homme, au jeu amoureux et les schémas auto-destructeurs qu’elle répète ad lib aeternam. Il ne peut pas, elle le veut, ils se tournent autour avec une attraction indéniable. C’est un échec annoncé et il faut pourtant y aller parce que Fleabag ne veut pas ne pas vivre ce qu’elle a à vivre. Et bon dieu, ça fait du bien.

Le problème est que je suis bien incapable d’expliquer en totalité pourquoi Phoebe Waller-Bridge me bouleverse à ce point. Je peux y apposer des mots mais ce n’est jamais la captation du sentiment qu’elle me laisse. Sa quête intérieure est tellement bien décrite et mise en scène, elle nous est tellement frontale qu’elle nous force à faire la nôtre dans le même temps. Elle a tous les défauts que l’on se prête aussi - “cupide, perverse, égoïste, insensible, cynique, dépravée et inique - et pourtant, sans se changer profondément, elle cherche à être en paix avec elle-même. Comme face au prêtre, elle ne cherche pas une vertu mais un entre-deux dans lequel on aimerait être, nous aussi.

Elle a la parole débridée, libérée, Fleabag. Le rêve. Sa séance chez une psychiatre offerte par son père (c’est dire le niveau : elle n’en a jamais eu l’idée), elle se met aisément à nu, consciente de ses problèmes et de ses défauts. Elle nous montre que ce n’est pas là qu’est le souci mais dans la résolution du problème en lui-même. Et nous sommes avec elle dans ce cheminement, nous sommes ses ami.es (“They’re always with me” dit-elle quand la psy lui demande si elle en a). Elle a appelé à l’aide et nous l’avons entendu, elle s’adresse à nous pour aller mieux. De fait, il n’est pas étonnant que le prêtre soit le seul à voir l’opération du regard caméra, il est celui qui comprend mieux l’état de siège, la crise dans laquelle elle se trouve. Nous sommes tous leur confessionnal et ce deuil existentiel, nous le cultivons aussi.

Et ce dernier regard qui nous est adressé, ce signe de main, c’est un merci, le plus bouleversant vu à la télévision parce qu’il est pour nous et il n’est pas celui de quelqu’un qui en a fini avec la vie mais qui va devoir apprendre à vivre avec, comme nous.

Alors Fleabag, merci, aussi.

Max
Notes

[1Please, marry me !