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Mildred Pierce - Premier avis sur la série HBO avec Kate Winslet

Mildred Pierce: La lutte, c’est classe

Par Jéjé, le 30 mars 2011
Par Jéjé
Publié le
30 mars 2011
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On en viendrait presque à être blasé. Ben oui, c’est une mini-série en costumes au budget illimité. Avec une reconstitution de l’époque exceptionnelle, une photo incroyable et une distribution où tout le monde a été au minimum nominé pour un Oscar.

C’est HBO, c’est normal.

Ils font ça souvent. Ils s’assurent comme ça une pluie de nominations aux Emmys chaque mois de septembre. (Surtout qu’ils sont désormais les seuls à produire encore des mini-séries flamboyantes.)
C’est l’effet Angels in America, Elisabeth I ou John Adams.
Ca marche tellement bien qu’ils ont adapté cette recette à leurs séries traditionnelles et qu’on a eu Boardwalk Empire il y a quelques mois… Ah oui...

Au final, c’est peut-être pas la peine de regarder Mildred Pierce.

On pourra se contenter d’applaudir Kate Winslet quand elle aura son Emmy et jeter un coup d’oeil aux croquis des tenues quand la costumière ira chercher le sien. Ce sera bien suffisant et ça permettra de ne pas passer sept heures devant un joli objet gentiment prestigieux et un peu académique sans culpabilité.

Ce serait une grosse, grosse erreur.

Part One

Je ne préjuge pas de la suite, mais ce premier épisode annonce quelque chose d’exceptionnel, dans un genre relativement inédit pour la chaîne, qui s’éloigne de la grande fresque historique pour se rapprocher dans ses enjeux de (mini-) séries britanniques comme Bleak House ou Downton Abbey.
J’ai l’impression que les conventions sociales et les rapports de classe vont être au coeur de cette mini-série.

En effet, le ton est donné dans la première scène. L’action se déroule dans la cuisine d’une maison de banlieue bourgeoise au début des années 30.
Kate Winslet prépare des tartes et des gâteaux sur une petite musique jazzy pour une occasion qui ne semble pourtant pas joyeuse. La tension s’accroit quand son mari rentre dans la maison. Une dispute commence entre les deux époux au sujet de sa présence au dîner, dérive sur ses occupations dans la journée et se termine sur son départ du foyer. Les deux filles du couple finissent par rentrer et l’aînée, Veda, douze ans, se rend rapidement compte de la situation. Mildred tente de les rassurer.

Mildred : It’s not his fault. It’s noone’s fault. It’s simply due to things that happen. All right ?
Veda : If you mean, Mrs Binderhof, Mother, I quite agree. I think she’s distinctively middle-class.

Il n’y a donc pas au départ de Mildred Pierce de maîtres et de servants, d’aristocrates et de domestiques, comme dans les histoires classiques anglaises, mais les conventions sociales éclatent dans toutes leurs importances dans le monde de Mildred à mesure qu’elle doit prendre seule en charge sa famille.

L’épisode explore sa première possibilité, la seule quasiment acceptable pour une femme à cette époque-là : trouver un nouvel homme.
Lorsqu’elle se voit convoitée par un ancien associé de son mari, elle joue le rôle qu’elle doit tenir dans cette situation de façon à se positionner en épouse-potentielle. Mais elle n’est pas suffisamment naïve et est suffisamment moderne pour ne pas s’attarder dans une relation vouée à l’échec. Mais c’est en s’affranchissant d’une soumission conventionnelle aux hommes qu’elle va se confronter aux affres de la descente de l’échelle sociale.

Elle accepterait bien un poste de réceptionniste, mais en période de pleine dépression économique, les emplois sont difficiles à trouver. Les multiples refus qu’elle essuie la conduisent à envisager la possibilité de prendre un emploi de serveuse. Elle se rétracte au dernier moment.
Lui est alors proposé un emploi de gouvernante pour le compte d’une bourgeoise sur le point de se remarier avec un riche réalisateur. Etre au service d’une femme qui aurait fait le choix qu’elle-même a refuser semble être une explication plus poignante à son départ précipité lors de l’entretien que les remarques désobligeantes et méprisantes de son éventuelle "maîtresse".
Cette déception la pousse à accepter un emploi de serveuse dans un restaurant. Quand elle révèle sa situation à sa voisine, elle en vomit. Elle ne parvient pas à voir dans cet état de fait autre chose qu’une absence de sa part de fierté ou de noblesse, "qualités" qu’elle pensait avoir et qu’elle est rassurée de trouver dans sa fille aînée, sur laquelle se termine le dernier plan de l’épisode.

Todd Haynes (à la fois scénariste et réalisateur de la mini-série) dont on a pu apprécier le regard incisif sur la société américaine dans Safe et son art de la perversion des genres dans Far from Heaven a trouvé la distance parfaite pour son sujet. Au plus près des gestes de son personnage. C’est par eux que passent les atermoiements de son parcours.
Il ne fait pas de gros plans sur le visage grave de son héroïne dans les moments importants et tragiques de l’épisode.
Au contraire, les trois séquences clés sont annoncées par "une petite musique jazz" sur les mains en action de Mildred.
Ainsi, avec des dialogues minimaux qui évitent les grandes tirades édifiantes et une Kate Winslet aussi exceptionnelle que d’habitude, la mise en scène stimule l’esprit du spectateur pour le lancer à la découverte d’un personnage sans trop dire, ni trop montrer.

Part Two

Un épisode qui confirme les espoirs que le premier avait fait naître : Mildred Pierce pourrait être une formidable réussite.

J’espère pouvoir dire la même chose dans quinze jours lorsque l’on aura vu la mini-série dans son intégralité. [1] Mais pour l’instant, je savoure encore cet épisode, qui décuple la complexité des rapports de son personnage principal au travail et à la famille.

L’épisode commence comme le précédent par des plans sur les mains de Mildred. Elle s’entraîne dans sa chambre à porter et déplacer d’un endroit à un autre plusieurs assiettes.
Déterminée à conserver son emploi de serveuse par l’exécution du travail bien fait, elle affronte son mari venu rendre visite à leurs deux filles et obtient qu’il lui cède la voiture. Les scènes suivantes la montre être d’une grande efficacité au restaurant, elle a même noué des liens d’amitié avec ses collègues et a réussi à augmenter ses revenus en obtenant que ses tartes soient celles proposées à la carte.
Dix minutes qui montre que c’est par le travail que les femmes trouvent l’émancipation et que Mildred est devenue une femme moderne.
Un discours relativement classique sur les vertus de l’effort au travail qui semble se poursuivre dans la séquence suivante et que l’on imagine que Mildred va tenir à sa fille, qui s’est a décidé de forcer l’aide que sa mère à engager chez elle pour produire ses tartes à porter un uniforme (celui-là même que Mildred doit revêtir à son travail et dont ses enfants sont sensés ignorer la nature).
Veda se montre - semble-t-il - odieuse avec sa mère, la manipulant pour lui faire avouer ce qu’elle sait déjà. Le spectateur est alors satisfait de voir Mildred administrer une bonne fessée à sa fille…
Non, mais… Il va falloir qu’elle arrête avec ses airs de grande dame bourgeoise, cette sale gamine !
Se produit alors un moment qui m’a abasourdi.
Alors que Veda refuse d’abandonner le combat et regarde sa mère en formulant "A waitress !" d’un ton plus méprisant que la pire des insultes, Mildred lui avoue qu’en fait elle ressent exactement la même chose qu’elle.

Mais…
A ce moment-là, on ne sait pas si ce qu’elle dit reflète ce qu’elle pense vraiment ou si c’est une façon un peu malsaine de garder l’estime de sa fille. Elle se lance alors dans une justification un peu fumeuse, qu’elle n’a concédé d’accepter ce travail que pour connaître le milieu de la restauration puisque son but depuis le départ est d’ouvrir son propre restaurant…
Ce qui est formidable, c’est que ce n’est toujours pas suffisant pour Veda.

Veda : What kind of restaurant ?
Mildred : Something we can be proud of.
Veda : A fine restaurant.

Et Mildred d’insister auprès d’elle pour que, peu importe ce que en pourraient dire d’autres, de ne jamais abandonner sa façon de regarder le monde.
Complètement inattendue, toute cette séquence est extraordinaire.
Elle redéfinit le personnage de Mildred Pierce, et pose la façon que la série va avoir d’aborder ses personnages : ce ne sont pas de vagues types (la mère abandonnée, la fille gâtée) dont on va définir les traits au cours et surtout par les événements de la vie qui vont être présentés, ce sont des caractères déjà construits (et passablement abîmés) dont on va suivre les réactions pendant une période donnée. En gros, Mildred n’est pas la pauvre victime d’un drame féminin qui va voir s’abattre sur elle une succession d’épreuves tragiques, c’est une femme déjà abîmée dans une tourmente qui ne doit pas tout à la fatalité.

Les avis que j’avais pu lire sur la mini-série étaient pour la plupart très négatifs sur le personnage de Veda jugés comme trop caricatural, unidimensionnel, sans évolution. Je suis au contraire fasciné par ce "monstre" qu’est en train de fabriquer Mildred et ai hâte de voir ce binôme fonctionner au cours du temps.
Il est probable que la mort de la cadette promet une évolution "intéressante".
J’ai été glacé par la dernière phrase de l’épisode que Mildred prononce quand elle enlace sur son lit son aînée à son retour de l’hôpital.
"Veda, Veda, thank you God !"
"Merci Mon Dieu, parce qu’il me reste une fille" ou "Merci Mon Dieu que ce soit Ray qui soit morte et pas Veda " ?
J’ai également hâte de voir ce que va donner la suite de sa rencontre avec Monty, le riche oisif, qui lui fait découvrir le plaisir sexuel. Plus que cet aspect des choses (dont l’association à la mort quasi simultanée d’une des filles risque de ne pas être une source de grand épanouissement), c’est surtout sa découverte d’un monde où la fierté ne passe pas par le prestige de sa fonction dans le monde du travail qui m’intrigue.

Ces deux premiers épisodes constituent ainsi une formidable entrée en matière pour une mini-série qui va me sembler bien courte si elle continue sur cette lancée.

Jéjé
Notes

[1Oui, j’ai peur de m’enflammer un peu trop vite… C’est la faute de la dernière saison de Big Love.