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21 Drum Street - Retour sur Roseanne, saison 10

N°68: Barr vs. Conner

Par Conundrum, le 30 mars 2018
Publié le
30 mars 2018
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"We’re not going to talk about who the Conners are going to vote for. I think people would turn us off real quick." Il est difficile de croire que ces paroles sortent de la bouche de Roseanne Barr. Mais c’est le cas. Enfin, c’était le cas. En 1992. (Elles sont citées dans Stealing The Show, le livre de Joy Press paru il y a quelques semaines, qui explore les coulisses de séries dont la production a été dirigée par des femmes.)

Vingt cinq ans plus tard, le lancement de cette nouvelle mouture de Roseanne a eu lieu dans un climat politique chargé où l’interprète principale de la série est devenue une figure d’extrême-droite. Et de toutes les informations qui ont filtré des coulisses avant la diffusion de cette saison, celle qui a fait le plus fait parler d’elle est que Roseanne Conner (le personnage) a voté pour Donald Trump. L’amalgame entre l’actrice productrice et le personnage central de la série éponyme était facile à faire, et la crainte de voir un personnage emblématique et important des séries télévisées devenir celui d’une femme aigrie aux tendances racistes, homophobes et transphobes, à l’image de son interprète, devenait de plus en plus grande.

Les deux Roseanne et la série mère

Cette crainte était légitime puisque la confusion entre les deux Roseanne, Barr et Conner, a été entretenue dès les débuts d’une série vendue comme autobiographique. Cependant, Roseanne n’a pas été créée par Barr, elle a été inspirée de sa vie.

Ce fut d’ailleurs l’une des premières (et nombreuses) sources de conflits entre elle et son équipe de production. Matt Williams avait le projet d’une série centrée sur trois femmes qui travaillent dans une usine tandis que ABC voulait développer un véhicule basé sur le one woman show de Barr. Williams a alors été mandaté pour fusionner ces projets, le produit fini est devenu Roseanne. Le problème est que Barr a des réactions violentes et extravagantes à tout ce qu’elle perçoit comme un manque de respect. Parfois compréhensible quand Williams fournit un premier script où l’héroïne est Jackie et Roseanne Connorkb un personnage secondaire car, d’après lui, une femme forte et à la personnalité abrasive qui ne colle pas avec l’image de la mère de famille idéale ne pouvait être le personnage central du projet. Mais Barr a perdu de sa légitimité dans les combats qu’elle a choisi de mener. Et malgré ce qu’elle pense, elle n’a pas créé la série.

Dans le chapitre qui lui est consacré, Stealing the Show explique bien la différence entre "contrôle éditorial" et "contrôle créatif". Barr ne faisait pas partie de l’équipe des scénaristes, les idées et intrigues étaient gérées par les différents showrunners. Elle validait ou non les scripts proposées.
Et nombreux sont les talents qui ont fait partie de ces nombreuses équipes : Danny Jacobson (Mad About You), Joss Whedon, Alan Katz (All In The Family, The Mary Tyler Moore Show), Chuck Lorre (Mom, The Big Bang Theory), Amy Sherman Palladino, Dan Palladino (Gilmore Girls), Eileen Heisler et DeAnn Heline (The Middle)… La série était réussie car, en plus d’être bien interprétée, elle était brillamment écrite.
Et l’attitude problématique de Roseanne Barr se cristallise autour de la relation qu’elle entretenait avec la writers room. D’un côté, elle avait créé une atmosphère d’indépendance par rapport à la chaîne en se battant pour les scénarios auprès des censeurs et était parvenue à empêcher que la chaîne envoie des notes de productions sur les scripts. De l’autre, elle entretenait un climat de peur où elle renvoyait régulièrement les scénaristes et avait même décidé de les appeler par des numéros au lieu de leurs noms. Elle rationalisait cette attitude au regard de leur haute rémunération. Bien évidemment qu’une femme qui pense que l’argent prime sur la dignité votera pour Trump 30 ans plus tard.
Un autre argument venait du fait que si la série était mal écrite, c’est elle qui aurait été sous le feu des critiques. Mais, avec son succès, elle s’est assigné une grande partie du crédit de la qualité de la série.
Elle a flouté volontairement la ligne qui sépare Barr et Conner.

Avec le temps, ce contrôle éditorial s’est transformé en contrôle créatif : elle a pu décider que, ayant rencontré Joan Collins un week-end, il fallait l’inclure dans l’épisode de la semaine ou bien que pour l’ultime saison son personnage gagne à la loterie. Avec le temps, Roseanne Barr s’est éloigné du message de base de sa série et a entraîné Roseanne Conner avec elle.
Alors avec le revival que constitue cette saison 10 à un moment où Barr pourrait difficilement être plus détestable, que reste-t-il de Rosanne Conner ?

Les deux Roseannes et la suite

Il y a beaucoup de bruit autour de la série, mais si on se concentre sur la qualité des épisodes livrés, force est de constater que cette saison 10 commence de manière intelligente.

Le conflit politique n’est pas le cœur de la série, il ne définit pas Roseanne, et il est même amené finement. Il ne sert que de prétexte pour montrer l’impact sur le long terme de l’attitude du personnage sur Jackie. Cette dernière est une femme qui a une forte relation avec sa sœur. Elles ont eu une enfance difficile et une relation conflictuelle avec leurs parents. Elles ont forgé une relation aimante, honnête et protectrice mais aussi de dominante/dominée. Celle-là a eu un impact sévère sur Jackie, l’attitude abrasive de Roseanne, son cynisme et ses attaques l’ont minée. Trump a été l’élément qui a poussé cette dernière à bout et à couper les ponts avec elle.
Les deux femmes passent une grande partie de l’épisode d’ouverture à se balancer des insultes liées au candidat et à la candidate qu’elles ont soutenues mais ne parlent quasiment jamais de leurs opinions politiques. Vendre le retour de Roseanne comme une série sur le conflit d’une famille autour de Trump, c’est donner de lui une fausse image. Il s’agit juste une façade, d’une accroche, mais ce n’est pas un moteur de la série. D’ailleurs, une fois les sœurs réconciliées, le second épisode n’aborde pas le sujet.

Et si Jackie a la part belle de cet épisode d’ouverture, Becky et Darlene ont les deux autres intrigues principales de ces premiers épisodes. Elles font face toutes les deux à de sérieux problèmes financiers qui conduisent la première à accepter de devenir mère-porteuse et la seconde à revenir vivre chez ses parents. DJ lui, comme dans la série mère, a son rôle de super figurant. Assez étonnamment, le personnage de Roseanne ne fait que réagir aux intrigues des autres et si son temps de présence est important, elle n’a pas un grand rôle et ne fait pas vraiment avancer les intrigues. Dan et elle semblent juste commenter ce qui se déroule dans leurs salons.

Il n’y a pas de surprise à ce que la série soit réussie. Des talents de la série d’origine, Bruce Rasmussen, Norm McDonald et Bruce Helford accueillent des voix reconnues telles que Withney Cummings et surtout Wanda Sykes. Indépendamment de Barr, les talents derrière la caméra mais aussi le talent de John Goodman et surtout Laurie Metcalf, en très grande forme, méritent qu’on s’attarde sur cette nouvelle mouture. Ces deux épisodes pourraient être très prometteurs malgré tout le bruit autour de la série.

Sauf qu’il est difficile de l’oublier, ce bruit.
Et comme pour la série d’origine, Barr va se voir attribuer une partie de la qualité de cette suite. Montrer qu’une Roseanne Conner qui a voté pour Trump n’est pas quelqu’un de mauvais, qu’elle peut dans le même temps soutenir son petit fils qui aime s’habiller avec des vêtements pour filles et qu’elle a toujours un bon fond n’est pas problématique en soi. Le souci c’est que Roseanne Barr profite, encore une fois du flou qu’elle entretient avec son personnage.
Pour la série mère, les problèmes dans les coulisses pouvaient ne pas avoir d’impact négatif sur notre plaisir de découvrir la série.
Mais là on est face à de messages de haine, de violence verbale, et d’attaques envers d’autres qu’il est difficile à justifier. Conner n’est pas une amie de longue date de Trump, Barr l’est. La qualité de la série va servir à lui apporter une nouvelle légitimité. Cela va lui donner une plus grande visibilité avec des invitations dans des émissions ou des interviews dans les journaux.

Ces dernières années, on l’avait un peu oubliée et pour être honnête, jusqu’à quelques mois, je ne connaissais pas ses vues en politiques. J’ai beau me dire qu’en manière de politique, il faut dissocier une œuvre des opinions des membres de sa distribution [1], j’ai quand même une très légère sensation de gêne à chaque revisionnage de Babylon 5 ou Firefly quand Garibaldi ou Jayne sont à l’antenne.
Mais là, donner une plateforme plus importante à une femme qui agit de manière aussi ignoble est un prix cher à payer pour le plaisir de revoir les Conner.

Conundrum
Notes

[1Je parle d’opinions, pas d’actes. Aller voir un film de Woody Allen ou de Roman Polanski est une problématique bien différente.