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Survivor - Bilan de la toute première saison de Survivor

Bilan de la Saison 1: Snakes and rats...

Par Jéjé, le 29 juin 2006
Par Jéjé
Publié le
29 juin 2006
Saison 1
Episode 14
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Première incarnation américaine du concept de Charlie Parson [1], Survivor : Borneo fait figure, au-delà de son succès gigantesque, de réussite absolue dans le cœur des fans et dans celui de son animateur, Jeff Probst [2] : “You’ll never repeat those first 39 days - never. It was the virgin season, and the show was created day by day. In many ways, Richard, Sue, Rudy, and the other 13 created as much as we did. Even though content-wise the show was solid, we weren’t always sure where it was going.
Par contre, Mark Burnett, son producteur exécutif, était sûr de là où il voulait aller : obtenir un maximum de tension dramatique à partir des relations qui allaient s’établir entre les 16 concurrents du jeu.

La philosophie du jeu est annoncée dès les premières minutes du premier épisode : alors que les concurrents se préparent à se jeter dans les eaux de la mer de Chine d’un bateau de pêche local, Jeff Probst, sur le pont, présente l’esprit du jeu. “This is more than just a test of survival skills ; it’s also a test of social skills. [...] To win you must survive the island, survive the vote and ultimately survive each other.

Le propos de Survivor n’est donc pas seulement d’observer de parfaits étrangers jouer à Robinson Crusoë pendant treize épisodes, mais surtout d’organiser des réseaux de relations sociales entre eux, relations mouvantes qui vont devenir les cartes d’un véritable jeu de pouvoir.

C’est cette idée que l’équipe de production, sur place et dans la salle de montage, va tenter d’imposer aux concurrents et aux spectateurs dès les six premiers épisodes, quand la vie sur l’île s’organise sous le régime de deux équipes distinctes, la tribu Tagi d’un côté, la tribu Pagong de l’autre.

OPPOSITIONS

Dans cette phase, les scènes choisies de la vie dans les tribus mettent l’accent sur leurs oppositions de style.

Par exemple, dans les deux premiers épisodes, les deux hommes les plus âgés du programme sont mis en lumière : B.B., 64 ans, chez Pagong et Rudy, 72 ans, chez Tagi. Ils sont dans une situation similaire : seuls de leur génération au milieu de concurrents beaucoup plus jeunes, ils sont tous les deux stupéfaits de la désorganisation qui règne leur groupe. Rudy est peu loquace avec ses compagnons. En aparté, il confie qu’il doit cependant s’intégrer.

They are more of them than me.”. (1.01)

Au contraire, B.B. décide de prendre la direction de la construction l’abri, aboie pour obtenir de l’aide tout en traitant ses co-équipiers d’incapables et de paresseux.

I want to make my life as comfortable as possible and then get off !” (1.02)

A la fin du deuxième épisode, Rudy est toujours là, B.B. s’est fait sortir par sa tribu.

Clairement, l’un des deux n’avait pas assimilé l’esprit du jeu.

C’est à peu près la même chose d’un point de vue collectif.

A Pagong où, sans B.B. la moyenne d’âge est inférieure à 30 ans, c’est la bonne ambiance : tout le monde semble très bien s’entendre, les concurrents arrivent aux différentes épreuves le sourire aux lèvres en faisant une sorte de chenille, on évoque la possibilité d’une romance entre deux candidats, l’un d’entre eux invente le téléphone noix de coco, la première discussion autour du feu porte sur le sexe... Un téléspectateur égaré pourrait penser qu’il vient de tomber sur une nouvelle édition de The Real World, l’émission de télé réalité de MTV à l’antenne depuis 1992, qui suit les vies de 7 jeunes gens co-locataires d’occasion.

Il est fort probable que lors du casting et de la composition des équipes, la production se soit arrangée pour construire une tribu aux comportements de télé-réalité familiers, un repère rassurant pour le téléspectateur pour qu’il ne soit pas effrayé par le mode de fonctionnement de l’autre tribu.

Pagong s’éclate... pour le moment !


Car effectivement, le contraste est flagrant avec la vie sur Tagi. La moyenne d’âge est plus élevée, les sujets de discussion plus sérieux (l’organisation des tâches au sein de la tribu, l’homosexualité d’un des concurrents, la pratique religieuse d’un autre...) et l’attitude plus grave face aux épreuves. Le comportement nonchalant de ses adversaires étonne Kelly, la plus jeune de l’équipe :

They’re playing Island 90210 ! They don’t take it seriously. They want to look cute on tv, I don’t know.” (1.06)

La grande différence entre les deux tribus reste cependant la façon dont elles abordent le processus d’élimination.

Les conseils tribaux (moment où l’une des deux équipes se réuni avec Jeff Probst pour voter à bulletin secret le départ de l’un de ses membres) sont vécus comme une aberration dans la tribu Pagong. Il semble que leur seul but soit de rester ensemble le plus longtemps possible pour le plaisir de vivre ensemble. Jenna explique qu’à chaque vote elle se sent coupable de devoir écrire le nom d’une personne qu’elle respecte et qu’elle a appris à apprécier (1.04) Les décisions qui motivent ces votes sont essentiellement émotionnelles : sont désignés ceux qui avec lesquels les participants ne s’entendent pas, ou en tout cas s’entendent le moins bien, ou bien ceux qui ne participeraient pas suffisamment à la vie quotidienne du camp. Et surtout ce sont des décisions individuelles.
Il n’y a pas non plus d’enthousiasme démesuré à l’approche d’un conseil chez les Tagi mais leur préparation est très différente. Dès le premier épisode, Kelly et Stacy se sont concertées pour voter contre la même personne. Elles ont essayé de convaincre Sue de les suivre, qui n’a pas ouvertement refusé mais qui a opté pour une stratégie différente, en choisissant de voter contre la personne qu’elle estimait être la plus faible dans les épreuves. (Tous les trois jours, une épreuve d’immunité est organisée : la tribu perdante doit alors se rendre au conseil tribal). La plupart des membres de Tagi a déjà compris que le processus éliminatoire est une partie intégrante du jeu qu’il faut contrôler et non subir.

Tagi a donc intégré le mode de fonctionnement imposé de fait par les règles du jeu, alors que Pagong répète les schémas connus de la télé réalité classique. L’un des arcs de cette première saison va suivre les mécanismes qui vont pousser cette tribu à adopter le comportement requis par le jeu.

A la deuxième visite au conseil tribal de Pagong (1.04), Jeff Probst demande à l’assemblée si l’un des concurrents se sent confiant en ce qui concerne l’issue du conseil. (Avant de déposer leur vote, les concurrents sont amenés à répondre à quelques questions sur le déroulement des trois derniers jours posées par l’animateur). Gervase lève la main. Probst enchaîne immédiatement, lui demandant comment il peut se sentir en sécurité sachant qu’il est responsable pour la perte des deux épreuves d’immunités qui ont mené son équipe au conseil.

Jeff Probst vient de faire remarquer aux membres de Pagong et aux téléspectateurs que non seulement les épreuves permettent de désigner l’équipe à réduire mais également de mettre en lumière ses forces et ses faiblesses et ainsi distribuer ou redistribuer les positions de pouvoir. La production s’est arrangée pour mettre en scène des épreuves dont l’issue ne repose en général que sur un seul concurrent ; parfois, dans certaines, seule une partie de la tribu peut concourir. Les deux épreuves par épisode (une de confort, une d’immunité) sont là surtout pour pimenter les liens entre les équipiers.

Cette intervention de Probst met également en lumière le rôle même de l’animateur. Non, ce n’est pas seulement l’arbitre du jeu, c’est un outil : il va être celui qui va tenter de mettre de l’huile sur le feu, de faire s’exprimer en public ce que les candidats s’acharnent à taire au sein de leur tribu.

Les épreuves comme l’animateur sont des catalyseurs de tension.

RICHARD HATCH

Une autre voix que celle de Probst va guider le spectateur dans le fonctionnement du jeu : il s’agit étrangement de celle d’un concurrent, Richard Hatch.

De gauche à droite : Sue Hawking, Sonja Christopher, Rudy Boesh et Richard Hatch

Présenté comme un « corporate communication consultant », il va être celui dont on va voir et entendre le plus d’interventions en aparté (interventions individuelles détachées de la vie du groupe où les concurrents s’adressent directement aux caméras et commentent les événements récents).

Dans son premier commentaire, en contre point d’une scène où il s’est accroché avec une autre concurrente, Sue, sur la façon dont l’équipe devait fonctionner et qu’il a prise un peu de haut, il explique qu’il sait que le chèque d’un million de dollars est déjà écrit à son nom, qu’il est le vainqueur, qu’il va falloir qu’il adoucisse un peu son attitude arrogante bien que c’est elle qui va lui permettre d’arriver jusqu’à la fin. A ce point du jeu, on pourrait prendre cette intervention comme de l’auto persuasion plutôt que l’expression d’une véritable assurance.
Dans le second épisode, en aparté, Richard analyse sa relation naissante avec Rudy, le militaire retraité de 72 ans, avec lequel il se sent en confiance. Il soutient que Rudy semble l’apprécier mais que la situation serait différente s’il savait qu’il était gay. Dans la scène suivante, l’ensemble de la tribu discute des mots « gay », « homosexuel » et « style de vie ». Richard explique qu’on ne choisit pas d’être gay mais qu’il est intéressant dans ce jeu de choisir quand on va dévoiler certaines informations sur sa propre vie.

Aux téléspectateurs et à ses compagnons, Richard vient de décrypter un des aspects du jeu.

Dans la scène suivante, Rudy détaille comment Richard lui a annoncé son orientation sexuelle, et que malgré ses préjugés, cela ne le dérange car dans le jeu, il a remarqué que Richard semblait être celui qui maîtrisait le plus la situation. Un joueur répond à un autre joueur.

On a ainsi deux concurrents qui ont parfaitement intégré les bases du jeu.

Dans la minute suivante de l’épisode, alors que Rudy met de la crème solaire dans le dos de Richard, l’ancien militaire s’adresse aux caméras en demandant que soit assuré que cette scène passe à la télévision. La dimension télévisuelle ne leur a pas non plus échappé.

Sur Pagong, c’est la même chose.

Greg et Colleen s’amusent à maintenir l’ambiguïté sur leur relation, à la fois pour leurs équipiers mais également pour les téléspectateurs. Aucun des deux ne révèle dans ses interventions en aparté ce qu’il en est vraiment. Lors de l’épisode réunion où tous les participants se retrouvent sur un plateau de télévision, ils avouent avec humour que c’était un jeu conscient : ils faisaient partie d’une émission de télé, c’était de leur devoir de fournir un peu de tension sexuelle.

L’une des forces de Survivor est d’avoir réuni des concurrents - certains - suffisamment fins pour utiliser tous les aspects du jeu et garantir un spectre large de réactions.

Toutes les interventions en aparté de Richard suivront un modèle didactique : jamais elles ne seront redondantes avec les scènes filmées en groupe. Elles offriront toujours un éclairage en rapport avec le jeu. Quand il pêchera sa première raie, son commentaire sera :

My position is the tribe is increasing” (1.03)

Quand lui et Sean entreront en conflit à propos d’une stratégie à adopter dans une épreuve de confort, voici ce qu’il dira en aparté :.

I know what the resolution to the conflict that exists right now would be at home. But... I’m actually playing something different from that that might benefits me and that’s a little sneaky .

I’m going to develop some alliances with some folks to ensure I’m moving to the next round.
” (1.04)

Même s’il n’est pas le seul à se rendre compte que Survivor est un jeu de nombre (Greg, de Pagong, le mentionne dans le même épisode), il est le seul qui va agir à partir de ce fait. Il est celui qui va créer la notion d’alliance sur le long terme, l’ingrédient fondamental pour que les délices du jeu s’expriment pleinement.

Tous les éléments pour arriver à cette évolution étaient présents dans le concept de départ, mais il fallait qu’au moins l’un des concurrents s’en saisisse. L’analyse de Probst dans EW sur l’importance des joueurs de la première saison dans le processus créatif de Survivor prend à ce moment toute sa pertinence.

A partir de là, le montage des épisodes va s’axer autour du thème des alliances.

ALLIANCES

Il souligne une fois de plus les attitudes opposées des deux tribus.

Sur Tagi, il montre l’alliance exister, se construire et agir : Richard est approché par Sue et Kelly pour voter avec elles. Ravi de ne pas paraître à l’origine de l’idée de l’alliance,

The idea of an alliance has begun. And I didn’t have to much to do with it.” (1.04)

il les convainc d’intégrer Rudy. L’alliance la plus célèbre de Survivor est née (et l’une des plus efficaces, puisque ses quatre membres seront les quatre derniers joueurs en lice pour le million de dollars), à sa plus grande satisfaction.

I think I’m in control of who’s voted off, and that’s all that matters to me.” (1.06)

Richard vient de créer le coeur du pouvoir du jeu. Pour cette partie là et pour toutes les saisons qui vont suivre.

Les débuts de l’alliance

En attendant, ils décident qu’à ce stade, leur arrangement doit rester secret. Devant Jeff Probst qui, au conseil tribal, cherche des informations sur l’idée d’alliances, Richard évacue la question en ne considérant que la seule grande alliance qui existe est celle de la tribu.
Sur Pagong, l’idée de créer un tel accord émerge chez certains à mesure qu’approche le moment de l’union des deux tribus : Joel propose qu’après la réunification, les anciens membres de Pagong votent ensemble pour sortir les anciens Tagi. Il est éliminé au conseil tribal suivant (1.06) par une équipe qui le trouve trop retors et trop manipulateur.

Quand les deux tribus sont unifiées pour n’en former qu’ne seul, la configuration pour l’alliance secrète de Tagi change : les quatre comploteurs n’auront pas la majorité lors des premiers conseils tribaux.

La chance [3] de la production est qu’à ce moment du jeu, les deux tribus ont perdu chacune trois membres. Un duel Pagong-Tagi se serait soldé par une égalité. Encore aurait il fallut que les membres de Pagong veuillent s’associer ou se rendent compte de l’existence de l’alliance des anciens Tagi, une situation pourtant envisagée. Greg, ancien Pagong :

If people are afraid, they will start alliances, vote off strong people. If so, vote me first because it will be boring.” (1.07)

Quand Gretchen est éliminée avec quatre votes contre elle, il n’y a plus de doute.

Avec cette révélation, les dynamiques et les comportements évoluent.

Greg devient une voix concurrente à celle de Richard à mesure qu’il analyse le jeu et la stratégie adoptée par son rival.

Friends on the island are like kittens. You fed them, you’re always with them... but when you’re hungry, you look at them right in the eyes and... it’s nothing personal !” (1.08)

Rich decides what he will share and with whom.” (1.08)

Greg, passe du statut de spectateur blasé à celui de joueur agressif : il tente de séduire Rich, mais malheureusement pour lui, ce dernier n’est pas dupe (bien qu’un peu titillé).

Pagong s’est enfin adapté, et d’une équipe de The Real World, elle est enfin devenue une tribu de Survivor. Pagong illustre finalement l’évolution plus globales des émissions non scriptées.

Kelly, quant à elle, membre de l’alliance Tagi, a de plus en plus de mal à mentir et à, selon elle, « poignarder » dans le dos. Elle a tissé avec les autres concurrents des liens de nature différente, d’amitié, d’estime, de stratégie, d’alliance. Elle va devoir maintenant jouer en essayant de concilier les différents fils de son réseau et sa propre nature d’esprit.

Le pari de Mark Burnett est gagné : la dimension humaine ne passe jamais au second plan. Kelly n’arrive pas malgré tout à percevoir ses compagnons comme de simples étrangers qu’il faut utiliser pour atteindre le million de dollars. Il faut dire que la production s’amuse à forcer le trait en s’évertuant à rendre chacun d’entre eux plus humain aux yeux des autres : c’est clairement le but des récompenses où les concurrents voient des vidéos de leurs familles ou de l’épreuve om ils concurrents pour des lettres de personnes aimées. Ces passages qui tirent sur le sentimentalisme possèdent cependant leur dimension dramatique.

Une fracture apparaît ainsi dans l’alliance la plus forte du jeu. Trahisons, manipulations, persuasions, soupçons, tout est maintenant possible. Survivor peut devenir un soap opéra puissant et offrir son lot de conflits et de rebondissements.

Par exemple, dans le 1.09, avec Kelly qui a décidé de voter non plus stratégiquement mais avec « sa conscience », les rapports de force se sont équilibrés. Les trois anciens de Pagong ont décidé de s’allier et de voter contre Richard, les trois Pagi vont encore voter dans le même sens. Le vote décisif appartient alors à Sean, dernier concurrent qui refuse de jouer le jeu et qui vote pour un candidat dans l’ordre alphabétique. Cette stratégie irrationnelle sert finalement les intérêts de Tagi puisque c’est au tour d’un ancien Pagong d’être désigné par l’alphabet. Ces moments sont purement jubilatoires.

D’autant plus que se met en place la dernière phase du jeu, à mon sens, la plus grande trouvaille de ses concepteurs : le jury.

Quand il n’y a plus que neuf concurrents sur l’île, chaque nouvel éliminé rejoint les bancs d’un jury qui assistera aux prochains conseils tribaux et qui départagera les deux finalistes par un vote toujours à bulletin secret.
Les hésitations - sincères - de Kelly à voter dans une alliance sont analysées par Sue comme une tentative de son ancienne alliée de s’approprier l’estime des anciens de Pagong, qui vont constituer la majorité du jury. Sue se sent trahi par celle dont elle pensait être l’amie. La confrontation entre les deux est explosive. (1.12)

AU FINAL

Da façon très satisfaisante, les deux derniers en lice pour le million de dollars sont Richard et Kelly, les deux qui auront le plus fait vivre les contraintes du jeu et qui auront provoqué le plus grand intérêt dramatique.

Et une fois de plus, le spectateur va avoir devant lui une opposition de caractères.

Au cours du dernier conseil tribal (1.13), les finalistes doivent répondre aux questions des membres du jury et les convaincre de voter pour eux.
Dans leurs déclarations liminaires, Kelly leur demande de voter pour la personne qu’ils estiment le plus.

I’m not a policitian. [...] Judge on the person I am. I care to know all of you. [...]The better person will win

Richard, lui, pour le joueur qu’ils estiment le plus.

You don’t know who I am. Before here, I was thinking strategy . [...] They have been sincere interactions but we don’t know who we are. Vote not for the better person but for the better player.

La même opposition de style émerge de leurs réponses. A la question « qui mériteraient d’être en finale à votre place ? », Richard cite Rudy, avec lequel il avait une alliance très tôt dans le jeu, et Greg, qu’il considère avoir été son plus grand adversaire. Kelly choisit Sonja (la première personne à avoir été éliminée) et Gretchen, à cause de l’admiration qu’elle nourrit pour ces femmes honnêtes.

Evidemment, ce conseil est l’occasion d’éclats. Sue délivre l’intervention la plus marquante de toutes les saisons de Survivor, en comparant Richard à un serpent et Kelly à un rat, pour laquelle elle ajoute

If I ever pass you along on life again and you are lying down on thirst, I would not give you a drink of water. Il would let the vultures take you and do whatever they want with you.[...] We owe to the island that the snake eats the rat.
D
u drame donc, jusqu’au bout.

Au final, Richard obtient 4 voix, est couronné Sole Survivor (c’est le titre du gagnant) et repart avec un million de dollars.

En écho de la présentation par Probst dans le premier épisode, l’une des répliques de la bande annonce pour la seconde édition du jeu diffusée dans l’émission réunion est

Surviving the social politics is what the show is really about.

Le concept s’est ainsi révélé suffisamment fort pour que ses intentions contenues se réalisent pleinement. La grande réussite aura été que les concurrents auront montré une aptitude à percevoir l’esprit du jeu et à jouer avec sérieux. Mais aussi avec suffisamment de recul pour ne pas trop se prendre au sérieux et ménager de nombreuses plages d’humour et d’auto-dérision.

Les réactions décalées de Greg, qui éclate bruyamment en sanglots par exemple quand il est éliminé, ont permis des respirations salutaires, les répliques dévastatrices et laconiques de Rudy également.

On ne peut pas nier que pendant l’émission, on ne fait pas que rire avec les concurrents, on rit aussi de certains. La plus grande source d’amusement de ce type fut, et de loin, la stratégie dite de l’alphabet de Sean.

Il est amusant de noter que l’élément « réalité » permet d’accorder au programme une plus grande latitude avec le politiquement incorrect. Quand Rudy utilise le mot « queer »(1.02 et suivants), quand Richard déclare que la religion est ce qui détruit la société (1.08), quand Rudy (encore) explique que la seule raison qu’il aurait d’amener une Bible sur l’île serait d’avoir besoin de papier toilette (1.05), que Gervase déclare que les femmes sont ce qu’il y a de plus stupides sur la Terre, juste après les vaches(1.06), il est accepté que les concurrents n’expriment que leurs idées personnelles. Sûrement pas qu’elles ne sont pas des répliques écrites, donc réfléchies, de scénaristes.

Ainsi, Survivor : Borneo est un divertissement fascinant par ses effets de construction et très satisfaisant du point de vue plus basique des codes du soap opéra.

COMMENT SURVIVOR CHANGEA LA FACE DE LA TELEVISION AMERICAINE...

...ou de CBS, tout du moins...

Partie 1

TV Guide du 27 mai 2000

Quand l’émission est lancée le 31 mai 2000, CBS est dans une situation désespérée [4].
Depuis des années, il est le dernier des trois networks majeurs en termes de revenus publicitaires, loin derrière NBC et son concurrent sérieux ABC. Quelques séries font de bonnes audiences, Touched by an angel et Judging Amy, par exemple, mais leur cœur de cible est plus proche de la maison de retraite que du centre commercial.
Publiquement son nouveau PDG, Les Moonves, semble avoir renoncé à séduire les jeunes : il tente de convaincre les annonceurs que les vieux sont aussi des consommateurs intéressants et que CBS est numéro sur cette cible.

Mais fondamentalement, Moonves est à la recherche de programmes capables de séduire des spectateurs de tous âges, dont les fidèles de la chaîne. Il a en mémoire l’échec cuisant de Central Park West lancé en 1995 et à destination des seuls 18-49 ans, et que la production avait du remodeler après des audiences désastreuses, rajouter des acteurs avec un âge plus en accord avec celui des téléspectateurs de la chaîne, avant d’être annulé.
Le seul programme qui offre quelques espoirs de ce point de vue est Everybody loves Raymond.

Inspiré par le succès phénoménal de Who wants to be a millionnaire ? diffusé sur ABC qui montrait que des émissions non scriptées pouvait générer d’énormes scores d’audience, Moonves donna son accord pour diffuser Survivor. CBS ne déboursa pas un sou pour la production, Burnett du s’arranger pour financer le programme avec des sponsors.

A la fin mai, Survivor bénéficie d’une bonne couverture médiatique, le buzz est en train de prendre, la saison télévisuelle est terminée, la concurrence ne sera constituée que de rediffusions. Un optimisme relatif est de rigueur.
ABC décide alors au dernier moment de programmer face à son premier épisode une édition spéciale de Who wants to be a millionnaire ?.

Survivor réalise 15,5 millions de téléspectateurs, le plus gros score pour la chaîne pour un mercredi depuis deux ans. Millionnaire réunit lui 16,8 millions. Mais la grosse surprise vient des audiences du jeune public : Survivor est premier chez les 18-39, les 18-49 et même chez les adolescents.
La semaine suivante, CBS bat même ABC et ses millionnaires dans le nombre total de spectateurs.
Survivor écrase ensuite le All Star Game de la NBA diffusé sur NBC avec une marge d’une dizaine de millions de spectateurs le 17 juillet, pour enfin atteindre 51 millions de téléspectateurs, la plus grosse audience de l’année après le SuperBowl, lors de l’épisode final.
Six ans après Friends et Urgences, CBS, la chaîne de Diagnosis Murder et Murder, she wrote déniche le plus gros succès auprès des jeunes.

Après trois semaines de diffusion, Mooves annonce que Survivor aura une nouvelle édition en janvier.

Le phénomène Survivor tiendra-t-il ses promesses pour une deuxième édition ?
Comment CBS va pouvoir utiliser au mieux cette nouvelle arme inespérée pour concurrencer ses deux rivaux ?

Jéjé
Notes

[1Producteur britannique à qui Mark Burnett acheta les droits américains de Survivor, Charlie Parson s’associa avec la télévision suédoise en 1998 pour monter la première version de l’émission, initutée Expedition Robinson.

[2Au moment du lancement de la 10ème saison, EW publia le classement des saisons de Survivor dans l’ordre de préférence de Jeff Probst. Borneo est numéro 1. (#806, Feb. 11, 2005)

[3Interrogé à propos de cette configuration heureuse, Mark Burnett a nié toute manipulation de la production pour arriver à ce résultat. « This show does fall under game show rules. There’s absolutely no way that we could let that happen. It was completely happenstance. » (Extrait du transcript du chat organisé par USATody.com avec Mark Burnett le 19 juillet 2000)

[4De nombreux faits relatés dans ce paragraphe sont tirés de Desperate Networks de Bill Carter.
Et oui, j’écoute les conseils de Drum et du guide de ce qui est Kief Cool.