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The Crown - Mais qu’en pense la reine ? Esthétique d’une réalité royale

The Crown (Gold Stick) : Biopic en pointillés

Par Max, le 12 décembre 2020
Par Max
Publié le
12 décembre 2020
Saison 4
Episode 1
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Des millions de confinés ont attendu un rayon de soleil (métaphorique, on a bien compris qu’il faisait beau et qu’on ne pouvait pas en profiter, merci au mec qui a bouffé le pangolin !)

Et il est arrivé, étrangement un 15 novembre. Tous sous nos couettes douillettes, on trépigne de retrouver la série qui sauverait au moins une semaine de confinement : The Crown.

Et elle arrive avec plein de promesses : la love story la plus connue du monde entier, la princesse du peuple, la reine des mégères alors qu’elle accède au pouvoir … La fiction rejoint la réalité et pourtant ! Elle est là pour que l’on s’échappe de la notre. It is strange, isn’t it ?

Alors comme il faut bien un ton un peu posh pour parler de cette immense série, le voici !

You Should See Me in a Crown

Le postulat de The Crown est d’une simplicité confondante : suivre le règne d’Elizabeth II, reine d’Angleterre et de sa famille. C’est une marotte de la fiction britannique (et même au-delà) qui ne peut guère surprendre aujourd’hui. Suivre les pas de la monarque doit alors avoir un atout supplémentaire dans sa manche, un angle d’attaque, une originalité.

Non, The Crown ne nous introduit pas à des aristocrates assoiffés de pauvres [1] ou à une reine rock n’roll qui aime s’enfiler des macarons et porter des Converse. La meilleure série Netflix (j’ose l’affirmer) et une des meilleures séries tout court (qu’on me guillotine si ce n’est pas vrai) est on ne peut plus classique sur son approche : l’histoire, la vraie, de cette reine qui ne voulait pas vraiment l’être.

Ce qui fait le sel de cette œuvre, c’est qu’à travers la reine, ses premiers ministres, son mari, ses enfants, elle nous propose de disséquer le pouvoir et ses effets. On peut écrire des essais entiers sur les liens entre le pouvoir, l’individu et l’image rien qu’à partir d’une poignée d’épisodes et donc encore plus avec les quatre saisons qu’on nous a offert jusqu’ici. Non, ce qui m’intéresse aujourd’hui, c’est une réflexion que je me suis faite en regardant le premier épisode de la nouvelle saison, c’est que la série est un biopic en pointillés.

Premièrement, elle ne cherche pas à nous refaire l’Histoire du siècle écoulé, il y a des documentaires, des commémorations, des historiens pour ça. Et ils feront le job mais avec moins de panache. Deuxièmement, elle n’invente pas des éléments qui conviendraient à ses personnages, aux développements souhaités. La série a choisi une ancre pour son récit, la reine, et doit composer un tableau à partir de ce point d’accroche. Il y a des faits auxquels elle ne peut pas déroger. Il y a des personnes desquelles elle ne peut pas se détourner. Il y a des personnalités sur lesquelles elle ne peut pas broder (enfin, pas tout à fait). Le parti-pris historique d’une telle entreprise impose des contraintes narratives indéniables mais laisse aussi un espace vide : celui de la fiction.

Dreams are my reality

Une des composantes les plus étranges de The Crown est que la surprise n’existe pas. Elle est annihilée par le cours de l’Histoire. Et pour une série, en 2020 qui plus est, le fait que le spoiler soit de fait impossible rend le récit encore plus excitant. Nous savons tous les grands événements de la famille la plus scrutée et analysée de la planète. Nous connaissons les unes et les coulisses de leurs histoires. Pourtant, à l’aune de chaque saison, nous nous précipitons dessus comme si le secret du récit en dépendait.

Cela vient probablement de la construction en elle-même, de ce que chaque saison va nous dévoiler, du plan que Peter Morgan a pour sa salve d’épisodes. Si nous sommes mis au parfum des grandes lignes (la saison 1 suivra les pas d’une jeune reine, la saison 4 verra Diana et Margaret Thatcher arriver, renforcées en grandes pompes par les annonces de casting), le cadre est à chaque fois un mystère (où est-ce que cela commence, quand est-ce que ça s’arrête) et les focus nous sont inconnus. La série prend souvent le contrepied de nos attentes en s’attardant sur tel personnage secondaire, sur telle tragédie populaire (1.04 - Act of God, 3.03 - Aberfan sont parmis les plus grands épisodes proposés), décentrant alors la géopolitique d’un biopic classique qui serait de se concentrer sur tous les événements marquants pour en donner une réinterprétation ou les coulisses. The Crown le fait, plus qu’à l’occasion, mais choisit d’en faire une toile de fond, un point de départ, un catalyseur pour explorer ses personnages.

L’œuvre fait alors lumière sur un état de la société à l’époque, certes du point de vue des dominants - on ne l’oublie pas - sans oublier la rue. Souvenons-nous encore une fois d’1.04 - Act of God, où les Windsor, bien que présents, sont relégués au second plan, pour mettre en avant le destin tragique d’une secrétaire (fictive et c’est bien là la force du geste) qui nous permet d’avoir un point de vue qui sort des murs cloisonnés de Buckingham Palace. Si l’actualité est au centre de chaque arc narratif, elle importe moins pour son déroulé que pour ses répercussions sur chaque individualité qui constitue The Crown.
Pour prendre un des exemples les plus récents (attention spoilers-ish), l’IRA et ses actions révolutionnaires et sanglantes entraîne dans 4.01 - Gold Stick, la mort de Lord Mountbatten.
L’épisode utilise alors l’événement avec deux agendas : montrer la révolte sociale d’un pays qui va préoccuper la décennie à venir et ébranler le pouvoir mis en place dans cet épisode d’ouverture (Margaret Thatcher étant le prisme principal) et explorer les répercussions qu’a cette mort sur toute une famille, meurtrie même toute royale qu’elle est. À ce titre, les scènes entre Philip, Charles et Anne sont un exemple brillant de ce que la série peut faire de plus beau. Il y a des humains derrière le titre, des individus derrière l’Histoire. Donc, un biopic à double face, avec pignon sur rue ?

Fiction Saves the Queen !

Je l’ai dit un peu plus haut, il réside dans The Crown la beauté de la fiction. Elle prend appui sur le réel pour créer de toutes pièces des personnages, profonds, complexes, nuancés. Loin de l’image papier glacé que le regard extérieur donne de la famille royale, la série leur invente un intérieur qui existe mais qui ne sera jamais tout à fait le vrai.

Elle prend des traits de caractères, sûrement renseignés, documentés, pour les tirer vers le domaine de l’imaginaire. Dans un excellent podcast, Verifiction [2], Stéphane Bern reproche à la série de jouer avec la vérité, notamment la personnalité de la reine, apparemment plus drôle et moins revêche que celle qui nous est présentée. Il n’est en rien demandé à The Crown de reproduire à l’identique, c’est impossible. Comme le dit le célèbre - et un peu partial à mon avis - présentateur, personne n’a pu assister aux scènes derrière les portes closes. Et c’est là que vient se nicher la fiction, dans l’interstice entre ce qui est vu et ce qui est fantasmé. Dans cet espace clos, il n’y a qu’une solution pour ne pas enchaîner les banalités historiques et factuelles : inventer.

Nous avons alors une reine qui révèle ses failles tout en étant un souverain parfois impitoyable et exposé comme étant sans émotion. Nous avons un mari réputé antipathique mais dont le passé éclaire la dureté. Nous avons deux enfants écrasés par les oripeaux du pouvoir, aux destins aussi enchaînés à la couronne qu’une sœur cadette qui choisit de matérialiser et soigner ses malheurs dans la boisson et l’amour malheureux. Si je suis comme un gosse à Noël de voir Lady Diana, Winston Churchill ou Margaret Thatcher entrer sur la scène, si j’exulte quand l’Histoire se recrée sous mes yeux, ce qui m’intéresse réellement, ce qui m’intrigue, ce sont les portraits fictifs de ces personnes.

C’est très Shakespearien d’utiliser l’Histoire pour explorer les grandes tragédies qui agitent les hommes (et les femmes mais il était moins équipé sur ce terrain ..). Et cela a beau être la reine d’Angleterre que je vois à l’écran, quand elle renonce à une vie maritale qu’elle a toujours voulu avec un homme dont elle est amoureuse parce que la réalité la rattrape et qu’elle doit être couronnée, je vois les responsabilités qui incombent à tous, peu importe notre statut, et qui nous empêchent de réaliser des rêves. Quand je vois sa sœur qui vit dans l’ombre et n’est pas aimée pour qui elle est, je plaque toutes les névroses qui m’agitent. Peter Morgan offre un tour de force : le personnage est un réceptacle pour les émotions du spectateur mais la personne publique réelle est l’enveloppe qui l’attire.

C’est cette dichotomie irréconciliable entre ce que l’on sait et ce que l’on veut que ces êtres soient qui est à l’œuvre dans The Crown. De fait, la série crée un pont entre la personne et le personnage, ni tout à fait, ni pas du tout.
Un anti-biopic alors ?

Max
Notes

[1Coucou La Révolution, autre produit Netflix autrement plus marketing et, il faut le dire hein, mauvais.