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The Handmaid’s Tale - La série vole désormais de ses propres ailes

The Handmaid’s Tale (Unwomen) : C’est comment après le livre ?

Par Max, le 28 avril 2018
Par Max
Publié le
28 avril 2018
Saison 2
Episode 2
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Dès qu’une série adaptée d’un livre apparaît, il est de bon ton (et normal) de jouer au jeu des sept erreurs, de déplorer les différences et de comparer les qualités l’un de l’autre. Game of Thrones est un cas d’école, avec Harry Potter comme pendant cinématographique. Et on continuera de le faire, de plus en plus de séries se reposant sur un matériau littéraire.

Avec sa première saison, The Handmaid’s Tale mettait en images le livre de Margaret Atwood, publié en 1985. Elle avait alors deux défis : adapter l’univers de Gilead et une écriture particulière de l’intrigue, tout se déroulant du point de vue d’Offred, mais aussi rendre sa dystopie la plus actuelle possible, plus de 30 ans séparant le livre de la série, le contexte présent se révélant encore plus propice à la critique.

Bruce Miller et son équipe ont pris le parti pour les dix premiers épisodes composant la saison de retranscrire la totalité du bouquin, opérant peu de changements dans le récit en lui-même, réarrangeant seulement sa nature et ses événements pour y apporter leur touche personnelle.
Ainsi, des parties de l’intrigue, des développements de personnages interviennent dès le départ (la rébellion d’Offglen par exemple) alors qu’ils sont minimes et tardifs dans le livre. Les seuls ajouts notables sont les flashbacks sur la vie de June et Luke, ainsi que le parcours de son mari une fois qu’ils se sont quittés.
Ce background est là pour que le téléspectateur s’investisse plus dans le personnage et essayer de lui donner la profondeur d’un être de papier.
Et ce fut réussi.
Mais c’était aussi là pour ouvrir l’horizon d’un livre à l’univers volontairement très contraint et permettre d’envisager ainsi des saisons supplémentaires, qui vont s’affranchir totalement du livre [1].
Ce n’était donc pas mieux, pas moins bien, la même chose agencée avec assez de personnalité pour que la série se distingue et soit percutante.

Blessed be the fruit (de Margaret Atwood)

La saison 1 tourne autour de la liberté du corps de la femme, son appropriation par autrui, son emprisonnement, message tout à fait pessimiste dans laquelle l’équipe créative apporte peu d’espoir, seulement quelques élans souvent arrêtés en plein vol.
C’est aussi tout le propos du livre, mis en scène avec la même douleur et froideur que dans la série. Dès lors, on peut voir dans la naissance de cette saison 2 un début de réponse : en s’affranchissant du matériau littéraire où Offred termine sa course sans aucune porte de sortie, The Handmaid’s Tale ne peut rester enfermer dans ce camion qui clôt la saison 1, la femme dans cette oppression. La tâche de la série est désormais d’exposer les moyens par lesquels elle va renverser la vapeur tandis que la série doit combattre l’adage comme quoi s’éloigner du livre est une mauvaise idée, une perversion de l’idée de départ.

Il y avait donc fort à attendre de ce premier épisode qui devait désamorcer le cliffhanger de fin de saison tout en créant un nouvel horizon narratif.
Fini l’ancien monde, fini le livre, bonjour The Handmaid’s Tale 2.0.
Fort heureusement, l’œuvre de Margaret Atwood est assez riche pour soutenir l’extension de son univers et de son propos à aujourd’hui et à l’image. Elle a esquissé les prémisses d’un monde en choisissant le monologue intérieur, choix littéraire que la série ne peut soutenir littéralement. Dans ces deux premiers épisodes, nous voyons alors plus de Gilead (et en dehors) que pendant toute la première saison. La cavale de June, les colonies avec Emily. Libérer des chaînes ou en créer d’autre permet métaphoriquement de se libérer de celles d’Atwood plutôt que d’étirer son propos sur plusieurs saisons (sauf si cela s’y prête comme avec Outlander) [2].

Under her eye

Avec ces deux premiers épisodes, The Handmaid’s Tale parvient alors à prolonger son récit sans artifices, en gardant une cohérence. Mais là où elle se surpasse, c’est par la panoplie de violence qu’elle parvient à développer.
La scène inaugurale nous plonge sans préparation dans une spirale d’inconnu et de danger qui, quand elle se termine, montre que le système en place à Gilead est bien plus sournois et puissant qu’on le pensait, et nous laisse sur la même interrogation que June : ‘Seriously ? What the actual fuck !’.
Les scénaristes déjouent alors le cliffhanger de manière très intelligente, sans renier ce qui a été construit par Atwood : elle est soustraite à un mal pour un autre peut-être bien pire.

Aunt Lydia, que la formidable Ann Doyd rend encore plus glaçante d’ambiguïté, est toujours déterminée à faire de ses “filles” des ouailles obéissantes après la fronde. En ce sens, la symétrie des plans montre tout autant l’ordre et la morale à l’épreuve dans ce monde que l’oppression qu’elles subissent. C’est le catalyseur parfait pour montrer une violence plus frontale dans l’endoctrinement des Handmaids et les méthodes employées. La scène à la cantine confrontant June et toutes les autres alignées pour leur punition suite à la mini-rébellion pour Janine est effrayante mais expose brillamment à quel point il n’y a plus de solidarité féminine. L’homme a tellement réussi son travail d’assujetissement que sans être présent dans l’épisode, par l’intermédiaire de Aunt Lydia, il détruit la femme.

Praised be (The Handmaid’s Tale)

Si l’histoire ne prend pas la tournure que l’on aurait pu croire après la fin de saison et l’annonce d’une suite, elle s’accélère tout de même. La résistance est faible, timide, June est peu sûre de sa conviction à la suivre mais elle est là, tapie comme une force dans l’ombre (de Gilead comme de June). Il faut juste l’étincelle pour la réveiller. Il faut alors l’intervention d’un autre camion mais où elle choisit d’entrer cette fois-ci pour que l’espoir renaisse. Son salut viendra alors d’elle-même (et de Nick) parce qu’elle le décide.

On fait également un tour du côté des colonies donc, où Emily est détenue après avoir volé une voiture et renversé un garde. Là où elle n’était que périphérique dans la saison 1, la jeune femme devient un point d’entrée non négligeable, qui a encore a prouvé sa pertinence narrative mais enfonce un peu plus le couteau de la dystopie terrifiante. Elle aussi entre dans une certaine résistance, exerçant son pouvoir de vengeance non pas contre les hommes, encore hors d’atteinte, mais contre une femme qui, fut un temps, a collaboré. Non, il n’y a pas d’unanimité dans l’adversité. Et c’est dévastateur.

May The Lord Open (a great season)

Outre le fait de continuer l’histoire, cette seconde fournée de The Handmaid’s Tale trouve sa pertinence dans ce qu’elle va construire comme parallèle avec notre monde et la condition des femmes. Une mère ne peut avoir une carrière : les flashbacks sont peut-être moins subtils mais prennent tout leur sens dans ce qu’ils veulent dénoncer des pratiques et comportements qui sont loin d’être dystopiques et même très très actuels.
Ces retours sur la vie avant Gilead montrent que la série peut s’en sortir sans suivre le matériel d’origine. Elle parvient à se faire contemporaine quand l’infirmière questionne avec véhémence June sur sa capacité à jongler entre vie privée et vie de mère, quand Emily perd son emploi de professeure d’université, lui ôtant toute résistance intellectuelle.

En tant qu’homme, je trouve déjà le visionnage extrêmement éprouvant psychologiquement, comme rarement à la télévision. Je n’ose alors m’imaginer la tension qu’une femme doit ressentir à voir les petits cailloux dans la chaussure de l’émancipation, des libertés qui nous sont donnés dans les flashbacks mettre en place l’horrible régime que le récit présent dépeint. L’espoir de l’échappée de June ne supprime pas la prison qu’elles se sont créées dans leur esprit, qu’on leur a créée. À la géographie de Gilead et du monde se fait écho celle de souterrains intérieurs dont elle veut sortir, à commencer par brûler ses vêtements, couper ses cheveux, s’extraire une puce dans la tête. Comme la série, June est à la recherche d’une nouvelle identité mais n’est pas au bout de ses peines.

Max
Notes

[1Enfin avec l’accord et la supervision de Margaret Atwood qui suit de près l’adaptation comme G.R.R. Martin et J.K. Rowling le font également (et qui me fait dire qu’elle aurait dû mettre des initiales dans son nom).

[2C’est le cas avec American Gods qui choisit de suivre l’œuvre de départ, d’y apporter sa touche mais au final, de rester engoncé dans un récit qui peine à décoller et nous captiver parce que sans lattitude de la part de l’équipe (ce qui a probablement provoqué ces chaises musicales en production).