Critique des meilleures nouvelles séries télé (et des autres)
Regarde critique sur les séries TV actuelles

The Secret Life of The American Teenager - Critique d’une série bien réac’ de Brenda Hampton

The Secret Life of The American Teenager (Bilan) : Le monde selon Brenda

Par Jéjé, le 14 août 2008
Par Jéjé
Publié le
14 août 2008
Saison 1
Episode 7
Facebook Twitter
Je dois tout d’abord remercier Juno. Sans elle, je pense que je n’aurais pas regardé le pilote du nouveau teen show d’ABC Family et les épisodes suivants. Bien mal m’en aurait pris, je serais passé à côté de la vision la plus abjecte de la société américaine et de ses valeurs proposée à la télé depuis… Et bien, je ne suis pas capable de le dire. Vous trouvez qu’ « abject » est un adjectif bien fort et qu’implique de ma part des jugements moraux définitifs sur les intentions de la série ? Vous êtes dans le vrai.

Au début de ce bilan [1], on s’attachera à observer la façon dont sont traités les thèmes directement associés à une grossesse chez une adolescente, à savoir l’avortement et les méthodes de contraception. Ensuite, il sera question plus généralement de la représentation du rapport des adolescents (et des adultes) à la sexualité, avant d’aborder la vision générale de la société que dessinent les traitements de ces sujets. En toute simplicité...

Their so-called Life

Mais commençons calmement par une petite présentation de la série et de ses personnages.

The Secret Life suit le quotidien de lycéens dans une petite bourgade de banlieue bourgeoise, c’est-à-dire qu’il n’y a que des blancs et un représentant de chaque minorité convenable (des noirs, des asiatiques, des catholiques, des trisomiques, mais pas d’arabe, ni de gay !)
Dans le pilote, Amy Jurgens, quinze ans, se rend compte qu’elle est enceinte. (Oui, c’est comme dans le film…) Pourtant, Amy, c’est la gentille fille de base. Pas très populaire, elle est studieuse et joue du cor d’harmonie dans la fanfare du lycée. Elle est entourée d’une famille aimante.

Oui, Joma, c’est Molly Ringwald qui joue la mère.
Amy, c’est celle de gauche avec le pull à carreau.
L’autre, c’est sa petite sœur un peu rebelle.

Pour le père, c’est son deuxième essai à l’institution sacrée du mariage. Jeune, il était marié à Jane Mancini, qui depuis a refait sa vie avec Bo Duke (oui, celui de Sherif fais moi peur) dans la même bourgade.

Et une minorité visible, une !

Le papa est médecin et toute la famille est chrétienne. Oui, c’est important, et pas seulement parce que la fille s’appelle… Grace !

Mais revenons à Amy et à sa terrible condition. Qu’a-t-il bien pu se passer ?
Amy partage avec Angela Chase un penchant pour les mauvais garçons au physique agréable… Et lors d’un camp de vacances, elle a couché avec Ricky, le batteur du groupe du lycée.

A vous de l’identifier sur la photo sachant que l’on y trouve également, Ben, le gentil garçon amoureux d’Amy et Jack, le quaterback chrétien, presque blond, petit ami de... Grace.
Le tableau ne serait pas complet sans Adrienne, la garce de service.

Vous l’avez trouvée ? C’est la deuxième minorité visible.

Tout ça n’est pas encore très coloré. Les minorités se trouvent dans l‘entourage un peu lointain de tout ce petit monde. Amy possède une rousse catho et une noire, Ben, lui, a un couple d’asiatiques.

Popular : The Next Generation ?

Que fait donc la gentille Amy après qu’elle a découvert sa situation en faisant plusieurs tests de grossesse ?
Elle en parle avec ses deux copines au milieu du pilote.
L’une d’elle lui suggère d’aller voir un médecin. Amy ne sait pas comment faire, elle n’en a pas, seulement un pédiatre. (On a dit qu’elle était gentille, pas débrouillarde.) Sa camarade insiste. L’autre prend le relais mais indique que si ce genre de conseils est donné sur les boîtes des tests, c’est parce que les médecins veulent se faire plus d’argent facilement.
Je le reconnais, j’ai trouvé ça drôle. C’était n’importe quoi depuis le début, de toute façon. Grace, la blonde, dans un état de surexcitation intense, venait de proposer à Ricky, le bad boy et Adrienne, la latina, de venir à la soirée dansante de l’Eglise. Adrienne lui avait répondu que c’était impossible parce que le soir même sa mère était absente et donc avec Ricky, ils allaient boire de la bière et … « have sex ! ».
J’ai cru que c’était Popular [2], the Next Generation.
Des personnages caricaturaux, des dialogues outrés, du second degré à tous les étages, on allait s’amuser.
L’autre copine insiste pour qu’elle aille voir un médecin au plus vite de façon à garder toutes ses options, surtout si elle ne veut pas avoir d’enfants à quinze ans.
« You’re better not suggesting she’s get an abortion ? » (‘Tu ne sous-entends pas qu’il faudrait qu’elle subisse un avortement ?’)
« I’m not suggesting anything. » (‘Je ne sous-entends rien du tout.’)
La conversation s’oriente rapidement sur autre chose, Grace aurait peut-être une maladie qui rendrait les tests de grossesse positifs sans qu’elle ne le soit vraiment… C’est forcément une série comique, c’est obligé !
Pourtant, à ce stade, je commence à avoir des doutes. J’ai des flashs du générique. Une animation avec des fleurs et des abeilles. Une gentille chanson qui répète ‘Let’s fall in love’. Et le nom de la créatrice de la série.
Oh non.
Brenda Hampton.
La Brenda Hampton à qui l’on doit le célèbre Sept à la Maison ?
Oh, oh !

Je découvre [3]que la série a été créée en collaboration avec The National Campaign to Prevent Teen and Unplanned Pregnancy, une association dont le but (noble en soi) est de réduire le nombre de grossesses chez les adolescentes américaines. (Cette association n’est pas affilée au programme d’Education Sexuelle ‘Abstinence-Only’, projet qui attribue des fonds fédéraux de fonctionnement pour les écoles qui ne dispensent comme cours d’éducation sexuelle que des appels à l’abstinence. En 2002, un tiers des lycées américains suivaient ce programme. Je me sens un peu comme Alan Shore, d’un seul coup !)
La série a donc une vocation pédagogique clairement affichée. Elle n’est pas seulement la chronique d’une situation particulière. Elle désire porter un discours général sur la prévention des grossesses à l’aide des exemples fournis par les personnages.
Et cette intention universelle est déjà présente dans le titre. The secret Life of THE American Teenager. Pas The Secret Life of AN American Teenager.

Avec Brenda Hampton en unique scénariste de tous les épisodes, il y a de quoi se faire du souci.

« Oh please, no abortion » - Ben

Et manifestement, la question de l’avortement pour une jeune fille enceinte de quinze ans ne semble pas être un point important puisque, à part dans l’échange décrit plus haut, il n’y sera plus refait allusion pendant cinq épisodes.
Dans le 1.02, lorsque la médecin qu’Amy a fini par aller voir l’appelle au téléphone, elle ne lui dit qu’une chose : d’en parler au plus vite à ses parents, car « chaque jour d’une grossesse est important, maintenant qu’[elle est] responsable d’une nouvelle vie ».

Le sujet revient à l’écran dans le 1.06. Amy a pris la décision de mettre un terme à sa grossesse, parce qu’en parler à ses parents serait trop difficile.
Ben, le gentil garçon, l’amoureux pur, celui qui a fini par devenir son petit ami (on verra un peu plus tard qu’il est le personnage le plus perturbant de la série) la supplie de prévenir sa mère en lui prenant la main, déçu qu’elle pense que ce soit « the easiest way » (‘le choix le plus facile’). Elle se laisse convaincre et on assiste alors à l’échange suivant avec la mère, présentée depuis le début de la série comme un personnage compatissant et attentionné :
Amy : « I think I want an abortion. » (‘Je pense que je veux avorter.’)
La mère : « Let’s think about all the options. […] You can think about… That ! And it’s your choice. But I can’t tell you to do it. It’s not a religious thing at all. It’s just how I feel about… I don’t know. Life. » (‘Envisageons toutes les options. Tu as le droit de penser à… ça ! Et c’est ton choix. Mais je ne peux pas d’y encourager. Ce n’est pas pour une raison religieuse. C’est juste mon sentiment par rapport à, je ne sais pas… la vie.’)
Juste après, elle reçoit un nouvel appel de sa médecin qui vient aux nouvelles. Amy lui dit qu’elle s’est occupée de la situation et raccroche. On a alors un gros plan sur le visage de la représentante de la médecine familiale qui ne laisse aucun doute sur son opinion sur le sujet.
Amy demande à ses amies de l’accompagner à la « clinique du planning familial ». Sa copine rousse ne peut évidemment pas. Elle est catholique. L’autre ne veut pas. Parce qu’elle ne veut pas être associée à toute cette histoire.
« Oh my God, divorce, abortion, what next ? » (Oh mon Dieu, un divorce, un avortement, quelle sera la suite ? ‘)
« I don’t know but I don’t it as my personnal experience in High School. » (‘Je ne sais pas, mais je ne veux qu’ils fassent partie de mon expérience du lycée.’)

The Debate Team

A ce stade, nous avons donc dans la catégorie « contre la possibilité d’avorter » :
— Ben, le gentil
— la mère, l’attentionnée
— la copine rousse, la catholique
— la médecin de famille
Dans la catégorie « ne se prononce pas » : — la copine noire.
Et qui trouve-t-on dans la catégorie : « pour la possibilité d’avorter » ?
Evidemment.
Adrienne, la latina lascive et obsédée, ne peut être qu’y être favorable. Ainsi, malgré les conseils « avisés » de son entourage, Amy se tient à sa décision et, accompagné de Ben, lui demande de les conduire à la clinique. Mais sa position dépasse son statut de personnage tendancieux.
Adrienne est amoureuse de Ricky, celui avec lequel a couché Amy. Retorse, elle a tout intérêt à ce qu’Amy ne soit plus enceinte et ne reste pas une rivale pour elle.
Elle est le seul personnage sur le sujet qui n’a pas seulement une position de principe, elle a aussi un avis intéressé lié à la situation particulière. Belle stratégie de la part de Brenda Hampton, qui contre des attaques sur son manque d’objectivité, pourra toujours se targuer de présenter les différentes opinions sur le sujet.
Quant à celle de Grace, elle ne faisait de doute pour personne.
Lorsqu’elle apprend ce qu’a décidé Amy de la bouche de Ricky, elle se met en mode d’attaque. « Oh no, I won’t let anything happened to your baby ». (‘Oh non, je ne laisserai pas arriver quoique ce soit à ton bébé.’) Elle se rend à la clinique et tombe dans la salle d’attente sur Ben et Adrienne, qu’elle qualifie de «  complices de crime » pour avoir accompagné Amy.
Surprise !
Un comportement aussi inattendu que le changement d’avis d’Amy à la fin de la séquence.

« You are not using condoms. » - Amy

La clinique est aussi le bon moment pour Brenda Hampton de mentionner, et seulement pour la deuxième fois en six épisodes, l’existence des préservatifs. A nouveau, on y fait référence dans le cadre d’une blague. A nouveau, c’est Adrienne qui en parle. Dans le pilote, on voyait l’arrivée du nouveau conseiller d’éducation. Adrienne lui demandait si les lycéens pourraient toujours aller chercher des préservatifs dans le bureau. Et ce à quoi, il répondait par la négative de façon effarée ! Ici, lorsque Grace demande la raison de sa présence à elle et à Ben, Adrienne lui explique qu’ils sont venus chercher des préservatifs gratuits.
Cette petite blague d’apparence inoffensive associe cependant de par l’endroit et le moment où elle a lieu l’objet « préservatif » à l’avortement. Elle prépare le terrain pour la croisade de Brenda contre le préservatif.

Elle aurait également pu en profiter pour glisser un mot sur la pilule. Mais la contraception semble être encore un sujet encore plus tabou que le reste car en sept épisodes, il n’en a pas été fait mention une seule fois. Tout comme les maladies sexuellement transmissibles.

La conséquence médicale la plus tragique d’un rapport sexuel non protégé dans le petit monde de Secret Life semble être la grossesse non désirée. Apparemment, le médecin d’Amy n’a pas jugé bon de lui faire quelques tests. Non, Ricky est sexuellement actif depuis bien longtemps et a eu un grand nombre de partenaires, mais le VIH, les mycoses et les chlamydiae ont dû être éradiqués depuis bien longtemps à Grant High School.

Brenda Hampton revient donc sur les préservatifs dans le 1.07. En utilisant le même stratagème que pour son discours sur l’avortement. La voix libérale sera ainsi présente dans Secret Life of The American Teenager mais décrédibilisée ou au mieux amoindrie.
Adrienne ne sera pas cette fois l’instrument de sa stratégie, ce sera Ashley, la petite sœur d’Amy, un personnage négatif s’il en est, puisqu’à douze ans elle s’habille de cette façon :

Amy a décidé d’aller mener sa grossesse à terme chez sa grand mère loin de sa famille et de son lycée. Elle décide d’avoir une dernière conversation avec sa sœur.
Amy : « Ashley, promise me you won’t have sex before mariage ! Don’t make the same mistake. » (‘Ashley, promets-moi que tu n’auras pas de rapports sexuels avant le mariage ! Ne fais pas la même erreur que moi.’)
Ashley : « Are you kidding ? I’ve have condoms. » (‘Tu rigoles ? J’ai des préservartifs.’)
Amy : « You have condoms at 13 ? Where did you get condoms ? » (‘Tu as des préservatifs à 13 ans ? Où en as-tu trouvé ?’)
Ashley : « The grocery store. » (‘A l’épicerie.’)
Amy : « You are not using condoms. » (‘Tu n’utiliseras pas de préservatifs.’)
Ashley : « That’s really bad advice. » (‘C’est vraiment du très mauvais conseil.’)
Amy : « You know what I mean. You don’t need condoms. Just say no. » (‘Tu sais ce que je veux dire. Tu n’as pas besoin de préservatif. Dis juste non.’)
Ashley : « That didn’t work obviously. » (‘Ca ne marche apparemment pas.’)
Amy : « I didn’t say no. I didn’t say anything. I’ve just let things happened. » (‘Je n’ai pas dis non. Je n’ai rien dit. J’ai juste laissé les choses se faire.’)

Ce dialogue hors contexte, pour qui n’aurait pas suivi la série, pourrait illustrer un échange entre une jeune fille réactionnaire et bornée, Amy, et une autre, éduquée et responsable, Ashley. Mais il arrive à l’issue de sept épisodes, au cours desquels Amy a toujours incarné la jeune fille sage et gentille. De plus, elle est celle qui est en position de victime et donc la plus audible dans son propos.
En face d’elle, Ashley est celle qui invente des histoires pour détourner l’attention des membres de sa famille de leurs problèmes. Elle est celle qui a pris parti pour son père adultérin. Et elle n’a que treize ans. Ainsi, lorsqu’elle déclare qu’elle a des préservatifs, on n’entend pas la démarche responsable, on se demande seulement si elle n’a pas inventé ce fait ou si elle a des rapports sexuels. Comme avec Adrienne, Ashley est à la fois un personnage négatif et a un discours d’opportunité. Résultat, tout ce qu’elle dit est sujet à caution.
Et pour en rajouter une couche, on apprend quelques minutes plus tard, qu’elle a séché les cours précisément ce jour-là et qu’elle a été raccompagnée chez elle par un garçon inconnu. Ainsi, si elle en connaît autant sur les préservatifs, c’est que c’est une traînée qui couche à treize ans.
Et le discours sur l’abstinence devient le seul empreint de sagesse et de responsabilité.

« I think that the devil may have more things to do with me and you. » - Jack

Il existe un axiome fondamental dans le petit monde de Brenda Hampton. Le sexe n’est possible que dans le cadre du mariage.
Ce n’est pas discutable.

Cet axiome est la base du discours dans les deux familles respectables de la série. Il n’a pas à être démontré. C’est comme ça un point, c’est tout.
C’est l’évidence même (on s’y attendait un peu) chez les chrétiens blonds ; il s’agit simplement d’une exigence de Dieu.
Dans le pilote, Grace est toute contente de montrer à Jack, son petit ami l’anneau, de pureté (son « promess ring ») que lui ont donné ses parents. Il symbolise son attachement à vivre selon les commandements de sa religion. Et Jack comprend bien la chose quand il déclare : « Abstinence is a daily commitment to God ! » (‘L’abstinence est un engagement quotidien envers Dieu.’)
Chez Amy, Dieu n’est pas invoqué. Mais là non plus, personne n’envisage que le sexe ne puisse exister pour lui-même, il est un outil pour la création d’une famille, pas un but en soi.
Lorsque sa mère apprend que sa fille est enceinte dans le 1.06, elle ne comprend pas ce qui a pu se passer. « You’re supposed to have a plan. A plan for sex. To have sex until you’re older, until you have a career, before you settle down et have a family. » (‘Tu es supposée avoir un plan. Un plan pour le sexe. De n’avoir des rapports sexuels que plus tard, quand tu auras une carrière, juste quand tu seras prête à t’installer et à avoir une famille.’) Surtout que l’enfant à qui elle s’adresse est une fille.
Dans la série, hormis Adrienne et Ashley, aucun personnage féminin n’a de problème avec cette conception. Même Amy l’accepte dans le 1.07.
Amy : « I didn’t say no. I didn’t say anything. I’ve just let things happened. » (‘Je n’ai pas dis non. Je n’ai rien dit. J’ai juste laissé les choses se faire.’)
Elle reconnaît ainsi ne s’être comportée comme toutes les femmes normalement constituées, car comme le dit son père, « Sex doesn’t just happened. I’m a man. I know how it’s hard it is to get a woman to have sex. » (‘Les rapports sexuels n’arrivent pas comme ça. Je suis un homme. Je sais combien il est difficile de motiver une femme à faire l’amour.’)

Et c’est le deuxième axiome de notre petit monde : les hommes aiment le sexe, c’est dans leur nature. Son corolaire est que ce n’est pas celle des femmes et qu’elles doivent donc savoir les contrôler.

Brenda Hampton sait que certaines femmes disent aimer le sexe, alors elle place ce discours habilement chez l’un des personnages féminins de façon à lui donner moins de crédit. Devinons ensemble de qui il pourrait s’agir.
C’est bien. Oui, il s’agit d’Adrienne.
Et à quel moment parmi les sept épisodes peut-elle bien faire cette déclaration ?
Exactement. Au moment de la réunion à la « clinique du planning familial ». Au moment même où Amy est en consultation.
Adrienne : « It’s normal to want to have sex. It’s normal to actully do it. » (‘C’est normal d’avoir envie de faire l’amour. C’est même normal de le faire.’)
Grace : «  It’s a sin. » (‘C’est un péché’)
Adrienne : « Right. And all these normal teenagers are going straight to hell. » (‘C’est ça. Et tous les adolescents normaux vont aller droit en enfer.’)
A ce moment-là, Grace est acculée et n’a plus d’argument. Elle se tient à côté de Ricky. Si elle va dans le sens d’Adrienne (qui est ce qu’elle pense sûrement), elle porterait un jugement définitif sur le destin de celui qu’elle souhaite aider.
Mais la scène ne peut évidemment pas se terminer là. Même si les arguments contre une sexualité en dehors du mariage ont été retournés par le personnage négatif qu’est Adrienne. Mais Mme Hampton a plus d’un tour dans son sac.
Adrienne fixe son adversaire et déclare avec cruauté que Jack (le petit ami de Grace) a vraiment aimé ça et que plus jamais il ne voudra être avec Grace après avoir été avec elle.
En une seule phrase, elle place Grace en position de victime face à une jeune femme cruelle qui a utilisé le sexe pour lui faire du mal. Comment alors apporter le moindre crédit aux valeurs que prône cette dernière.

La suite de la scène vaut également son pesant d’or.
Grace : « I woudn’t want to be with Jack after he’s been with you. » (‘Je ne voudrais pas retourner avec Jack après qu’il a couché avec toi.’)
Adrienne : « You want to be with Ricky and he was with me too. » (‘Tu veux être avec Ricky, alors que lui aussi a été avec moi.’)
Grace : « That’s probably why Ricky wants to be born again. » (‘C’est sûrement pour ça que Ricky veut devenir un nouveau chrétien.’)
Sourire entendu de la part de Adrienne : « Is that so, Ricky ? » (‘Vraiment Ricky ?’)
Ricky : « We should pray together for Amy. » (‘Nous devrions prier ensemble pour Amy.’)
Grace semble avoir gagné, mais quelques instants plus tard, un petit rictus sur le visage de Ricky fait comprendre au spectateur qu’il ne pense pas un mot de ce qu’il dit. Il appartient à la catégorie des prédateurs.

« He’s a nice guy » - Le père d’Amy

Effectivement, dans The Secret Life of The American Teenager, chacun des six personnages principaux adolescents entre dans une catégorie en fonction de son rapport aux rapports sexuels.
Pour les femmes, nous avons donc celle qui arrive à se refuser aux hommes (Grace), celle qui a failli et en a subi les conséquences (Amy) et la tentatrice (Adrienne).
Pour les hommes, il y a le prédateur (Ricky), le tenté faillible (Jack) et… le tenté respectable (Ben). (Rappelons le, tous les hommes, dont les plus vertueux, ont tous envie d’avoir des rapports sexuels.)
Les adolescents n’ont donc que trois attitudes par rapport au sexe : le courage, la faiblesse ou l’agression. Le sexe en dehors du mariage (et même en son sein selon les dires du père d’Amy) implique une lutte. C’est une vision engageante.

Mais se pose la question de ce qu’est un adolescent mâle respectable. Comment peut-il concilier l’assouvissement des pulsions liés à sa nature d’homme et l’axiome numéro 1 de la sexualité ?
Voyons un peu comment se conduit Ben, le personnage étiqueté « gentil garçon » dès les premiers instants de la série.
On le découvre dans le pilote plein de désir distant pour… Grace. Il est vite remis à sa place par son couple d’asiatiques (chaste évidemment) : il vise trop haut, elle est trop belle pour lui et puis c’est une chrétienne, elle ne couche pas.
Souhaitant rester puceau le moins longtemps possible, il scrute le couloir à la recherche d’une partenaire plus accessible. Son regard se fixe sur Amy, moins belle et d’aspect plus fragile. Ce sera elle.
Il la poursuit de ses assiduités et réussit à obtenir un rendez-vous à une fête du lycée avec elle. Après avoir obtenu un baiser dans le 1.02, il lui déclare son amour au téléphone et annonce à ses amis qu’il a trouvé la femme de sa vie, celle avec qui il se mariera et aura des enfants.

Il me fait peur !

Dans le 1.05, il découvre qu’elle est enceinte. D’un autre que lui. Il la demande immédiatement en mariage. Dans un élan de noblesse ? Hmm, pas si sûr. Lorsqu’il explique la situation à son père (1.06), il trouve en lui un soutien indéfectible.
«  I was in love with my wife when I was 14. We got married when we were 18. So many years wasted ! » (‘J’étais amoureux de ma femme dès mes 14 ans. Nous nous sommes mariés à 18. Que d’années gâchées !’)
Se marier à quinze ans est donc dans notre petit monde parfaitement acceptable. L’insistance de Ben à ce qu’Amy poursuive sa grossesse prend un sens nouveau : si elle n’est plus enceinte, elle n’aura plus de raison de l’épouser, en tout cas, elle obtiendra moins facilement l’accord de ses parents pour se faire. Et sa première expérience sexuelle sera repoussée.
On pourrait penser que le fait qu’il ait des motifs personnels pour empêcher Amy d’arrêter sa grossesse amenuise la portée de ses positions sur l’avortement. A l’instar de Adrienne. Il existe cependant une grande différence entre les deux. Ben est un gentil garçon qui ne cherche qu’à respecter les axiomes de la sexualité.
Brrrrr….

Mais qu’est-ce qui sépare un Ben d’un Ricky ? Une Amy, une Grace d’une Adrienne ?
Nait-on prédateur ? Devient-on tentatrice concupiscente ?
Pour Brenda Hampton, la réponse est assez claire.
Amy et Grace viennent toutes les deux de deux familles aimantes, composées de deux parents.
Adrienne est élevée par une mère célibataire, hôtesse de l’air, qui multiplie les petits amis.
Tout simplement.

It’s a wonderful world

Certes, Ben n’a qu’un seul parent. Mais son père n’a rien d’un divorcé ou d’un homme abandonné. Il est veuf. Donc tout va bien.
Quant à Ricky. Ah Ricky.
Et bien, il s’est tout simplement fait violer par son père dans son enfance. (Si, si, sérieusement…) Il vit depuis dans des familles d’accueil.
Le mal et ses tentations ne viennent donc pas simplement des Enfers et de Lucifer, ils sont les conséquences de la partie de la société qui a abandonné la famille traditionnelle.
Il faut donc se méfier du monde extérieur, comme l’explique bien la père de Ben.
« What do you think ? Outside is a cruel world. […] Some people just want to take advantage of the others. Of the nice people. » (‘Qu’imagines-tu ? C’est un monde cruel, dehors… Certains ne pensent qu’à faire du mal et utiliser les autres. Les gens bons.’)
Le seul havre de sécurité se situe à l’intérieur de la cellule familiale. C’est seulement à elle qu’il faut se fier, c’est sur elle et uniquement sur elle qu’il faut se replier. L’un des comportements les plus importants consiste donc à d’obéir aux seules personnes qui veulent votre bien, vos parents unis par les liens du mariage. Ne pas suivre cette ligne de conduite ne peut avoir que des conséquences tragiques.
Amy n’a pas écouté ses parents, elle a eu des rapports sexuels sans être mariée, elle est tombée enceinte.
Mais cela ne concerne pas seulement la sexualité.

Grace subit, elle aussi, les conséquences de son écart à cette règle fondamentale. Dans les premiers épisodes, Jack la trompe avec Adrienne. Elle lui pardonne, mais ses parents refusent qu’elle le voie à nouveau.
Ricky lui propose alors d’être son alibi. Lorsqu’elle voudra voir Jack, il passera la chercher, jouera au gentil garçon digne de confiance devant ses parents et la raccompagnera en fin de soirée, comme s’ils avaient passés la soirée ensemble.
Au début du 1.04 (si vous ne devez voir qu’un seul épisode de la série, choisissez celui-là !), Grace attend seule dans la nuit d’être ramenée chez elle. Mais Ricky s’est assoupi (après avoir couché avec Adrienne). Deux hommes louches l’observent de leur pick-up. L’un d’entre eux en descend et s’approche d’elle. Elle l’attrape par le bras et la fait tomber. Elle se relève, s’agenouille, prie quelques secondes, puis se saisit d’une bouteille ébréchée et menace son agresseur.
Rick surgit alors à ce moment-là torse nu (Adrienne a refusé de lui rendre sa chemise lorsqu’il s’est mis en route pour aller chercher Grace) et le met en fuite. Les deux amis se tombent dans les bras.
Ce qu’ils ignorent, c’est que la scène a été filmée par une caméra de surveillance sur une cassette que se procurent des journalistes. Les images vont l’ouverture des journaux télé locaux et la une des quotidiens.

la biche et le loup

Grace devient ainsi l’héroïne de la ville, ayant réussi à mettre en fuite par sa confiance en Dieu et son sang froid ses dangereux agresseurs.
Ah non, ce n’est pas ça. Dans le petit monde de Brenda Hampton, elle devient la risée de tout le monde. Les journalistes, les lycéens, même le père d’Amy sont hilares face à la situation, tous trouvant ridicule qu’elle se soit mise à prier pour finir dans les bras d’un inconnu torse nu. Ses camarades pensent qu’elle va devoir quitter l’équipe de pom-pom girls : « It’s not a good representation of the school. » (‘Elle n’a pas donné une bonne image de l’école.’)
Et que dit Grace de tout ça quand elle découvre la vidéo à la télé ?
Son frère : « What happened to Ricky shirt ? He was topless. He’s bad ! » (‘Où était la chemise de Ricky ? Il était torse nu. Il est mauvais.’)
Grace : « No, I am bad. I shouldn’t have never threatned anyone. I don’t know what I was thinking. Please, don’t say anything to mom and dad. » (‘Non, c’est moi qui suis mauvaise. Je n’aurais dû menacer personne. Je ne sais pas à quoi je pensais. S’il te plait, ne dis rien aux parents.’)
Ses parents, vite mis au courant, espèrent que toute la situation lui servira à l’avenir de leçon. Le seul à la soutenir sera le pasteur de la paroisse (et encore, il le fait parce qu’il a besoin des donations de la famille de Grace).
« She’s a powerful girl, Grace Bowman. She’s our very own Buffy The Vampire Slayer (je vous promets !), she’s a beautiful example of faith in the power of God. » (‘Grace Bowman est une fille courageuse, c’est notre Tueuse de Vampires à nous, elle est un exemple formidable de la foi dans le pouvoir de Dieu.’)
Mais Grace sait qu’elle ne peut pas accepter autant d’éloges et déclare devant les journalistes : « I made a mistake. I was sneaking around trying to see a guy my parents doesn’t want me to see. And it was wrong to do that. Very wrong. My parents know what’s best for me. They always has my best interest at heart. And I didn’t listen to them. And I got myself in a very scary situation. » (‘J’ai fait une erreur. Je trompais mes parents pour sortir avec un garçon qu’il ne voulait pas que je voie. Et j’ai eu tort de faire ça. Vraiment. Mes parents savent ce qui est le mieux pour moi. Ils n’ont que mon intérêt à cœur. Je ne les ai pas écoutés. Et je me suis retrouvé dans une situation très effrayante.’)

Brenda Hampton se surpasse dans cet épisode, en exacerbant les sentiments de peur et d’insécurité par rapport aux autres pour parvenir à faire passer ses leçons de vie.

Elle offre à ses spectateurs une vision de la société où le monde extérieur est une jungle peuplée d’obsédés et de prédateurs sexuels de tout âge, de moqueurs et d’opportunistes, une société où le moindre écart des femmes a des conséquences tragiques. L’unique salut ne peut venir que de la famille traditionnelle et du respect des règles transmises par les parents.
Dans le cas de The Secret Life of The American Teenager, pas de question à se poser sur son féminisme. Je ne serais pas étonné de voir Adrienne lire Le Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir dans un épisode prochain...
En tout cas, Brenda Hampton arrivera-t-elle à ses fins ? L’éducation par la peur pour obtenir le repli sur soi et la fermeture à l’extérieur mènera-t-elle à une baisse des grossesses chez les adolescentes américaines ?
Je ne préfère pas le savoir et revoir de ce pas Juno.

Jéjé
P.S. Le pilote a fait le deuxième plus gros score d’audience de l’histoire d’ABC Family. Ensuite, à partir du 1.04, chaque épisode a établi un nouveau record pour la chaîne. Aucun épisode de Gossip Girl n’a jamais eu de telles audiences. Inquiétant, non ?
Notes

[1Ce bilan traite des sept premiers épisodes diffusés à ce jour.

[2Popular : teen show satirique de la WB créé par Ryan Murphy (1999-2001)

[3The New York Times, 1er juillet 2008