Du coup, la vague interminable d’articles autour des ces séries semble toucher tout mon entourage sériel sans que j’arrive à m’impliquer dans le débat.
Ce printemps, avec l’annonce du « Twin Peaks sans David Lynch », les rares souvenirs de l’horrible film, Fire Walk With Me, où il était seul aux commandes de Twin Peaks, me comblaient d’un « Oui, s’il vous plait, merci ! » qui, non seulement n’était pas une opinion populaire mais en plus qui s’avérera de courte durée puisque Lynch sera bien aux (co-)commandes de la suite de la série. En tout cas, quoiqu’il en soit, je voulais être de la partie. Je voulais faire partie du débat. Je voulais lire des articles et m’indigner du sort réservé à ce pauvre Mark Frost.
Sauf que… je n’ai vu que le film et la version européenne du pilote avec une fin différente de la version américaine. Il a donc fallu que je regarde l’intégrale de Twin Peaks.
Si découvrir une série des années 90 pour la première fois me remplissait d’un bonheur probablement similaire à celui de n’importe quel mec blanc ressent devant Donjons, Dragons et Nichons, dans un coin de ma tête, je savais que cette expérience, aussi plaisante qu’elle soit, allait impliquer revoir ce film tout pourri et tout naze. J’allais autant me faire chier et être agacé devant qu’un mec blanc devant une intrigue de Jon Snow, en somme.
Et Twin Peaks, c’est pas la série d’Aaron Spelling ?
Avant The Wire, il y a avait Twin Peaks.
C’était la « série culte » qu’il fallait voir parce que "c’est aussi bien qu’un film" mais c’est normal parce que c’est David Lynch, un réalisateur. De films. Pour le cinéma !
Ouais, les « fans-Télérama » de séries étaient aussi pénibles à l’époque qu’aujourd’hui.
Faire le raccourci de dire que Twin Peaks est une série de David Lynch, c’est occulter le fait qu’elle a un co-créateur, Mark Frost. Vous savez, ce type que tout le monde oublie quand David Lynch menace de quitter le projet de retour de la série. Parce que Mark Frost, c’est un scénariste aguerri de télévision, et quand on compte Hill Street Blues sur son C.V., on mérite un peu plus de respect.

Twin Peaks n’est pas uniquement la vision singulière d’un réalisateur talentueux, la série est née d’une vraie collaboration entre les deux hommes. Alors qu’il travaillaient sur un idée de film autour de Marylin Monroe, les problèmes financiers et juridiques de la société qui détient les droits des films de Lynch ont fait qu’ils se sont tournés vers la télévision pour leur prochain projet. Si une série de science-fiction pour NBC est envisagée puis rapidement abandonnée, Frost et Lynch ont alors l’idée d’explorer le quotidien d’une petite ville des États-Unis par l’intermédiaire du meurtre d’une de ses jeunes résidentes. A l’origine intitulée "Northwest Passage", Twin Peaks est proposée à ABC.
La chaine sortait d’une époque où elle avait du mal à imposer ses séries. A la fin des années 80 et début des années 90, elle cherchait à se faire un nom en mettant à l’antenne des séries innovantes et différentes.
Cette période de prise de risque créative nous a donné deux dramas très justes d’Ed Zwick et Marshall Herskowitz, thirstysomething et My So Called Life, une sitcom bien plus pertinente et réaliste qui tranchait avec ce que le genre proposait à l’époque, Roseanne, et l’une des meilleures séries policières de Steven Bochco (co-créée par David Milch), NYPD Blue.
Twin Peaks est bien une série de David Lynch, mais c’était bien plus que cela.
C’était une série qui bénéficie de la riche expérience d’un co-créateur habitué aux codes à l’évolution du genre sériel, diffusée par une chaîne qui avait le goût du risque et distribuée par Aaron Spelling (c’est pas une blague, Ilene Chaikin et whisperintherain pourront confirmer !). Et quitte à faire un raccourci, "Twin Peaks, la série d’Aaron Spelling", c’est beaucoup plus fun et aussi vrai que "Twin Peaks, la série de David Lynch".
Twin Peaks, c’est pas la série avec la Marie Alice Young originale de Desperate Housewives ?
Effectivement, Brenda Strong a joué dans Twin Peaks.
Il y aussi Molly Shannon dans le rôle de « C’est marrant de voir des membres de Saturday Night Live à leurs débuts », Alicia Witt dans le rôle de « la sœur de la meilleure amie de Laura qu’on ne verra qu’une fois », et Heather Graham et Billy Zane dans les rôles de « J’ai vu assez d’épisodes de The Good Wife pour comprendre que deux acteurs ne se parlent plus et qu’il faut les tenir le plus loin possible l’un de l’autre ».
Il y aussi Cal de Agents of S.H.I.E.L.D., les belles-mères de Rory et celle de Jess de Gilmore Girls, une actrice qui nous rappelle qu’à un moment on a beaucoup aimé The Practice, et le Diable. Et à un moment il y a Fox Mulder et le cousin de George Clooney.
Twin Peaks, c’est pas la série avec un super générique ?
Oui, la musique de Twin Peaks d’Angelo Badalamenti mérite amplement les éloges qu’elle a reçus. Le long générique, la version courte dépasse la minute, met si parfaitement dans l’ambiance qu’on ne l’avance jamais lors d’une intégrale.

On peut juste reprocher le score en mode Shuffle sur les quelques musiques composées pour la série. Les thèmes reviennent très (trop ?) souvent mais ils sont utilisés habilement.
En effet, le score est quelque fois en avance par rapport à l’action, le changement de musique annonce un changement rapide d’atmosphère dans une même scène. La musique contribue à l’ambiance rien n’est réellement ce qu’il n’y parait. Une scène douce et calme devient angoissante avec un simple changement de musique avant même que le rebondissement sinistre ou inquiétant se produit.
C’est un score très efficace qui accompagne parfaitement la série.
Twin Peaks, c’est pas un peu comme Murder One ou The Killing ?
Twin Peaks, dans la bonne lignée de nombreux "Mais C’est Qui Qui l’A Fait ?" met une jeune et jolie fille dans le rôle de victime qui a une vie cachée (lire qui couche) dont personne ne soupçonnait l’existence.
Laura Palmer est donc une jeune fille de seize ans dont le corps est retrouvé nu, dans une bâche en plastique. Son meurtre est la raison de l’arrivée de Dale Cooper, l’agent du FBI chargé de résoudre l’enquête.
Alors, sans trop de spoilers, Twin Peaks, c’est si bien que ça ?
Quand c’est bien, c’est vraiment très bien. Le problème, c’est tous ces moments où ce n’est pas bien, et alors là, il ne faut pas avoir peur des mots, c’est un peu nul Twin Peaks, quand même.
La série est un petit peu un cheval de Troie. Par l’intermédiaire de l’enquête autour du meurtre, on découvre bien évidemment les secrets des habitants de la ville, mais surtout, la série cache habilement son aspect surnaturel lors des premiers épisodes.
Il existe d’ailleurs deux pilotes.
David Lynch avait demandé un budget supplémentaire pour tourner quelques scènes afin de pouvoir diffuser son pilote en tant que film en Europe si la série n’était pas achetée. Il existe donc deux pilotes. Le pilote s’achève sur une vision de la mère de Laura. Dans le pilote européen, elle entrevoit une figure très flippante dans la chambre de sa fille, dans le pilote américain, elle voit quelqu’un s’emparer d’un médaillon. Cette distinction est assez significative car le pilote européen peut laisser entendre que la mère de Laura se rappelle d’un élément auquel elle n’a pas fait attention lorsqu’elle s’est rendue dans la chambre de sa fille. Le pilote américain montre clairement que la mère de Laura a des visions.
L’incursion du surnaturel se fait graduellement dans la série. Cooper accorde beaucoup de crédit à la signification des rêves et est présenté comme un homme ouvert d’esprit. Le shérif qui l’accompagne ne semble pas être trop gêné par cette vision de la vie et accompagne volontiers Cooper.
On découvre, un peu plus tard, qu’il fait partie d’une société secrète et qu’il sait qu’il y a quelque chose d’étrange dans les bois qui entourent la ville. Il devient alors clair que le surnaturel a un rôle dans le meurtre de Laura. L’habilité de la série est alors de jouer sur les deux niveaux dans la résolution du meurtre. Il a l’explication surnaturelle découverte plutôt rapidement dans la série puis la résolution dans le vrai sens du terme avec la révélation de l’identité du meurtrier qui, elle, viendra avant la fin de la série. Cela explique donc la lenteur de l’intrigue. Il faut établir les bases du meurtre, en présentant les principaux acteurs de la vie de Laura, puis incorporer graduellement l’élément surnaturel sans aliéner le téléspectateur simplement présent pour connaitre la résolution de l’enquête.
C’était d’ailleurs un des points de dissension entre Frost et Lynch. Le premier, ainsi que la chaîne, insistait pour révéler l’identité du tueur, tandis que Lynch voulait garder ce mystère ouvert. Et force est de constater que Frost avait raison sur ce point.
En fait, Twin Peaks était aussi, et principalement, un soap opera qui cherchait à se moquer gentiment des codes sans tomber dans la satire et la parodie.
Derrière le surjeu et les rebondissements quelques fois forcés, il fallait quand même réussir à engager son public. Et Twin Peaks peinait trop souvent sur ce point. Il est difficile de rester engagé quand on bascule de l’enquête autour de la mort de Laura à… une femme qui se réveille un jour pensant avoir 16 ans mais avec des facultés physiques décuplées !
On s’ennuie très vite et trop longtemps avec certaines intrigues et certains personnages et des tensions derrière la caméra entrainent des modifications dans l’histoire (et l’arrivée d’Heather Graham). Il y a bien un second mystère qui prend le relai, mais il met trop longtemps à s’installer et il y a un gros creux en saison 2 avant que ce dernier se révèle intéressant.

Le quotidien des mecs blancs et de leurs familles ne passionnent pas toujours mais, en plus de cela, il y a aussi un élément un peu gênant dans Twin Peaks. Il y a cette fascination pour les jeunes filles. Cooper flirte ouvertement avec une gamine de 17 ans qui se jette à lui en insistant qu’elle veut perdre sa virginité avec lui. Heureusement pour Cooper, la pédophilie devient légale à 18 ans. Bons ou mauvais, la plupart des hommes de Twin Peaks partagent cet appétit pour la jeune chair jusqu’à Lynch lui-même, dans le rôle du superviseur de Cooper, qui se retrouve dans une scène à séduire, et embrasser, la jeune Madchen Aamick, dont le personnage est en couple dans la série avec un jeune homme de son âge. C’est un élément obligé quand on découvre l’aspect sinistre du crime, mais sur lequel Lynch et son équipe appuient un peu trop. Et dans son film, il appuie encore plus le trait.
Et venons-en, au film. Ce film a été développé par Lynch, sans Frost, et Fire Walk With Me sert à la fois de préquel totalement inutile, et résolution trop légère de l’excellent cliffhanger de la fin de saison 2.
En plus de Frost, un grand nombre d’acteurs ont refusé de participer au film, la plupart de ceux qui ont accepté se sont retrouvés coupés au montage, et le rôle de Lara Flynn Boyle a été recasté pour le film. La première image du film prend alors ton son sens : on y voit la destruction d’une télévision. Quelle belle manière (et subtile aussi) de dire à la fois que nous allons voir quelque chose de différent de la série, de cracher sur et minimiser ce qui a précédé le film mais surtout qu’on va voir mieux qu’une série : un film !
Le film, sous-titré les "Sept Derniers Jours de Laura Palmer", détruit tout ce qui été appréciable dans la série. Il retrace un enchainement d’évènements que nous connaissons déjà puisqu’ils ont été découverts pendant l’enquête. Lynch semble pousser ses acteurs à surjouer encore plus que dans la série. Revivre le calvaire de Laura de manière aussi graphique [1] n’a pas d’intérêt et est un peu cruel lorsqu’on est investi dans la série. La douleur qui découle du crime était parfaitement adressée dans sa résolution dans la série. C’est un retour en arrière qui n’avance à rien. Surtout qu’en fin de série, elle avait enfin réussi à se construire en dehors de cet élément. Pire que cela, le cliffhanger est adressé de manière trop légère puisque le statu quo reste (quasiment) le même entre la fin du film et celui de la série.
Tout n’est pas à jeter dans ce film. Le premier quart d’heure est né de la non-disponibilité de McLachlan pendant la durée du film et commence sur un meurtre similaire. L’enquête de Chris Isaak et Kiefer Surhterland est intéressante à suivre et le lien entre les deux crimes est un nouvel élément du film qui rentre dans la motivation du meurtrier.
Malheureusement, cela ne justifie en rien le film. C’est bien dommage de finir sur une note si négative car Twin Peaks était une série audacieuse et, malgré ses défauts, très intéressante. On voit très bien son impact sur l’évolution du genre au début des années 90.
L’idée d’une suite est très intrigante. La série a été très déstabilisée par la clôture de l’enquête autour de Laura Palmer et commençait à retrouver son équilibre en toute fin de saison 2. Le dernier épisode de la série était particulièrement fort et bien qu’il est une conclusion idéale à la série (mieux vaut oublier le film), la résolution du cliffhanger pourrait être un bon point de redémarrage de la suite.
En revanche, la saison 2 très inégale a montré que Twin Peaks ne peut pas uniquement se reposer sur son ambiance et atmosphère particulière. Une intrigue solide doit en être l’arc principal et si on pouvait laisser Laura Palmer reposer en paix, ce serait parfait. La pauvre mérite qu’on la laisse tranquille après ce film tout pourri.
[1] Rappelons au passage que même si l’actrice est plus âgée, on parle de scènes explicites d’une jeune adolescente.