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Folge 3
Tatort - Rubin und Karow
lundi 4 mars 2019, par
Chacune équipe est associée à son petit coin d’Allemagne bien précis (en général, une des grandes villes du pays et leurs environs), possède un ton et une atmosphère caractéristiques (sur un spectre qui va de la franche rigolade au naturalisme très sombre) et revient à l’écran environ une fois tous les six mois.
Cette rotation de nombreuses équipes (en ce moment il y en une grosse vingtaine) tire son origine dans le fédéralisme du pays. En effet, la télévision en Allemagne est historiquement « régionale ». A peu de choses près, chaque Lander possède son réseau de télévision public qui crée et diffuse ses propres programmes. Associés en une structure fédérale, ARD, ils alimentent une chaîne « collective », Das Erste, la première chaîne publique diffusée sur tout le territoire, avec certaines de leurs productions, dont des épisodes de ce fameux Tatort à tour de rôle.
Et le succès, considérable dès ses débuts en 1970 (en Allemagne de l’Ouest [1]), ne se dément toujours pas.
Les équipes de Münster, Cologne et Hanovre réunissent encore en 2018 plus de 10 millions de téléspectatrices et téléspectateurs (et à peu près toutes les autres sont à plus de 8 millions). Certaines existent depuis 25 ans, d’autres pour quelques épisodes seulement.
Depuis une quinzaine d’année, Tatort a dépassé le simple engouement d’un public traditionnel [2] [3] et est devenue une institution culturelle traitée avec sérieux. Chaque épisode est disséqué, critiqué et analysé la veille de sa diffusion dans une bonne partie des quotidiens et hebdomadaires du pays. Et, signe qui ne trompe pas, chaque épisode possède sa propre page Wikipedia, avec une description scène par scène de l’intrigue [4] et une revue de presse des avis critique.
Avec plus de 1000 téléfilms/épisodes, la première des tâches était de trouver un point d’entrée.
Mon cœur battant à l’Est, j’ai été tenté de démarrer par Tatort-Leipzig, l’une des éditions les plus populaires, ou par Tatort-Dresdes, l’une des rares à mettre en scène un duo féminin, mais lorsque j’ai découvert que l’équipe la plus récente de Tatort-Berlin proposait le premier enquêteur identifié comme bisexuel, mon choix fut très facile.
C’est qui qu’enquête ?
Robert Karow (Mark Waschke) et Nina Rubin (Meret Becker), un homme et une femme, que, surprise, tout oppose.
Il est le loup solitaire, froidement analytique, elle est l’enquêtrice ultra sociable, mère de famille et pétrie de compassion pour les victimes.
Mais comme on est à Berlin, l’antre de la boboïtude allemande, chacun des deux se doit d’incarner l’aspect alternatif de la ville. Karrow s’assume donc pleinement au travail comme dans sa vie personnelle comme bisexuel, tandis que Rubin s’échappe de temps en temps, pour décompresser de ses charges familiales et professionnelles qui ont tendance à s’entrechoquer, dans la vie nocturne berlinoise et à comme habitude de coucher avec des inconnus.
Le duo existe maintenant depuis 2015 et en est à l’heure actuelle à sa 8ème enquête.
C’est joli Berlin ?
Dire que « la ville est un personnage à part entière » quand on parle de polars est un cliché parmi les plus usés, mais là, on ne peut pas faire l’impasse sur la façon dont les lieux sont utilisés et participent à l’atmosphère des histoires. Tar-Ort. Der Ort. Le Lieu.
Et à mon sens, c’est ici que se situe la plus grande réussite de cette édition.
Les lieux participent habilement à la définition des personnages, Rubin habite un appartement chaleureux en plein cœur de Kreuzberg, quartier réputé pour sa vie nocturne tandis que Karrow vit dans un immeuble de Pankow, ancien quartier est-allemand, dont l’architecture impersonnelle communiste fait écho à la froideur de ses relations avec les autres. Différents lieux emblématiques du Berlin contemporain, comme l’aéroport désertique « Willy Brandt » dont l’ouverture est sans cesse repoussée depuis des années, ancre physiquement les problématiques sociétales (la vie des immigrés clandestins, la PMA pour les couples homosexuels, les débuts de l’intelligence artificielle dans le quotidien…) de notre époque qui jalonnent les intrigues.
Et c’est bien ?
J’aurais aimé adorer ce Tatort-Berlin mais malheureusement les efforts et les réussites certaines concernant la représentation de personnages en dehors des normes traditionnelles ne suffisent pas à pallier des caractérisations et des fonctionnement de personnages très stéréotypés et des enquêtes policières souvent plates.
Certes, Karow a ce mérite d’être représenté comme assumant pleinement sa bisexualité [5], malheureusement, il contrebalance ce trait original avec l’ensemble des critères du héros traditionnel viril et solitaire (à la Jack Bauer de 24), de ceux du génie asocial (à la Sherlock) - il a évidemment une mémoire photographique et un don de déduction quasi surnaturel et du bisexuel qui fait tomber le monde (à la Kalinda de The Good Wife), une superposition un peu indigeste et finalement assez creuse.
Moins « super-tout », Rubin existe davantage. Si elle est associée à des développements très classiques concernant sa condition d’épouse et de mère très prise par son travail, sa volonté farouche et souvent malhabile de ne pas perdre son indépendance d’esprit en fait un personnage particulier et attachant.
Le gros problème de Taort-Berlin concerne cependant l’aspect strictement policier. On sent une volonté très nette de dépasser le classicisme des enquêtes unitaires de l’univers et de faire dans le sophistiqué. Les premiers épisodes sont traversés par une intrigue feuilletonnante concernant l’implication de Karow dans la mort mystérieuse de son ancien partenaire, Meta, le septième épisode, est construit sur la mise en abyme (le duo enquête sur une affaire concernant un film dans lequel un duo de policiers enquête sur une affaire concernant un film…), les effets maniérés de cadrage et montage sont nombreux, mais les efforts de formes semblent trop souvent sans rapport avec le fond voire même à son détriment. Les résolutions sont bâclées et inutilement spectaculaires, les déductions pas vraiment à la hauteur de facultés supposées de Karow, les mobiles des auteurs de crime peu clairs, les implications des personnages réguliers secondaires artificielles…
On se dit parfois que les scénaristes font un peu trop les malins sans véritablement aimer une bonne enquête policière ou tout du moins en connaître les ressorts.
C’est dommage.
Un épisode à retenir
Amour Fou - 5 Juin 2017 (Christoph Darnstädt)
Et c’est évidemment le plus classique. Le cinquième. Toute l’intrigue feuilletonnante a été résolue dans le précédent (ce qui me semble une bonne chose quand il s’écoule parfois plus de six mois entre deux épisodes), Karow et Robin fonctionnent pour la première fois comme un véritable duo concentré sur la même affaire. Ils enquêtent cette fois-ci sur la mort d’un prof gay qui venait d’être suspendu par son lycée, suite à une dénonciation au sujet de rapports qu’il aurait entretenus avec un adolescent qu’il hébergeait avec son compagnon.
L’orientation sexuelle de Karow n’est plus cette fois un gimmick pour se distinguer des autres enquêteurs mais participe à l’établissement d’une relation intrigante suspect/policier et à la spécificité de cette intrigue. Pour une fois, le dénouement se révèle inattendu et malin, dans le bon sens du terme.
Et pour ne rien gâcher, l’épisode est parsemé de références à la France (même si clairement on se serait bien passé de La Mer et de la Charles Trenet).
[1] J’espère revenir un jour prochain à sa réponse est-allemande, Polizeiruf 110, créée quelques mois plus tard et toujours également à l’antenne.
[2] Sur ce fait, voir le reportage passionnant Tatort partagé, de Ali Farhat et Sophie Serbini, SoFilm #62, été 2018
[3] J’ai été confronté dans mon propre foyer à des réflexions un brin méprisantes, variations autour du « Tu regardes encore ce machin pour les vieux ?! », qui dénotent le fait que Tatort n’a pas toujours fédéré toutes les générations…
[4] Outil précieux et fondamental pour moi puisque rares sont les épisodes avec des sous-titres.
[5] Et de prendre du plaisir avec des hommes en position « passive » (une fois), une exception dans l’univers des personnages gays principaux de série quasi systématiquement montrés comme « actifs ».