Vous avez sans doute dû entendre parler dernièrement de la grève des intermittents du spectacle, et surtout de leurs diverses attaques envers la télévision, dont la plus spectaculaire fut l'envahissement des plateaux de la (malheureusement) célèbre émission de Real TV: "Star Academy", le samedi 18 Octobre 2003. Seulement, face à ce "coup médiatique" notre opinion se brouille un peu [[A noter : pour la petite histoire, je ne suis pas intermittent du spectacle, juste un spectateur, lambda, comme il en existe tant d'autres.]].
Pourquoi la crise des intermittents?
Les intermittents font des actions de grèves, ça on le sait depuis cet été, seulement, on sait assez peu pourquoi ils le font. Pour résumer, le "statut" d'intermittent du spectacle" permet à des personnes qui travaillent dans les milieux artistiques, (que ce soit des chanteurs, des acteurs, des musiciens, mais aussi des couturiers, des éclairagistes, etc...) de toucher les assedics pour tout les moments où ils ne touchent aucun salaire (lorsqu'ils ne sont pas encore embauchés sur un projet de spectacle par exemple...) Pour être considéré comme un intermittent du spectacle, il faut avoir travaillé pendant 507 heures dans l'année.
Ce qui fait gueuler les intermittents, c'est que les conditions du statut vont être modifiées, et qu'ils devront bosser 507 heures en 11 mois, puis 507 heures en 8 mois, afin d'être considérés comme intermittent. Ce chiffre de 507 heures qui "correspondraient environ à 3 mois de travail" est fortement contesté par les intermittents qui considèrent qu'elles n'englobent pas les répétitions diverses, les mises au point, les recherches de contrats, etc.... De plus, les intermittents participant massivement à des festivals et des spectacles de rue d'été ne peuvent plus compter sur une année complète pour remplir leur quota.
De plus, à cela vient se greffer la colère de gens qui bien que bossant à plein temps (ou à temps partiel) dans une entreprise, sont considérés comme intermittents à longueur d'année, ce qui est le cas pour des travailleurs du secteur audiovisuel. (Dont certaines chaînes de télé et certaines radios....)
Je ne m'étendrai pas plus sur ce point, ni chercherai à dire s'ils ont raison ou non. Les intermittents sont en colère, c'est un fait [[Leurs revendications et leur point de vue se trouvent sur
Acrimed.]].
Les Intermittents déboulant à la Star Academy, c'est bien ou pas?
Qui n'a pas souri en entendant parler de l'affaire et en se disant : "Ouais, bien fait pour leur gueule."? Qui n'a pas secrètement eu ce désir, un jour, de débouler avec des potes et de détruire le plateau d'une émission honteuse, à mi-chemin entre le voyeurisme pour tous et l'appauvrissement crétin de la créativité musicale française ? Surtout au FLT, des types qui viennent se pointer à la , ça nous fait jubiler.
Seulement, il est vrai que si les intermittents sont allés sur le plateau de la Star Ac, ça n'était nullement pour déclarer leur dégoût envers l'émission, (enfin, peut-être un peu quand même, j'espère) mais plutôt pour expliquer leurs revendications un samedi soir à une heure de grande écoute.
L'histoire, on la connaît. Les intermittents font une irruption en grand nombre et forcée sur le plateau, Nikos, en bon faux-cul de présentateur de télé, fait semblant de les accueillir à bras ouverts (toujours avoir le sourire à la télévision, ne jamais s'énerver, c'est la base), ils font brièvement passer leur message, puis les prennent en traître en envoyant la pub et Julie Lescaut pendant que les vigiles de TF1 font le ménage sur le plateau.
Le lendemain, TF1 en profite pour jouer les victimes éplorées, profitant du fait qu'une de ses hôtesses ait eu le poignet cassé pour dénoncer la violence de la situation , et pour porter plainte "pour violences et voies de fait" afin de protester contre une occupation de leur studio de la plaine St-Denis. Ce qui est quand même assez gonflé du coup. Sans parler que par derrière ce sont les vigiles de TF1 qui donnaient des coups et tentaient de subtiliser le matériel des intermittents qui voulaient filmer ça "de l'intérieur", et que finalement, les plus hospitalisés sont du côté des intermittents.
Retombées apparentes de l'affaires
Si ce que les intermittents voulaient, c'est que l'on parle d'eux, alors effectivement, on a parlé d'eux. Par contre, si ce qu'ils cherchaient, c'était qu'on parle de leurs revendications, alors là, c'est une nouvelle fois foutu.
Surtout, parce que tout ce que les journaux, les dépêches et les analystes ont retenu, c'est l'intrusion des intermittents, leur violence, et pas leurs revendications. Seul Emmanuel Chain, dans son "Merci Pour L'Info" du Lundi 20 Octobre a tenté de donner la parole aux intermittents, mais d'une façon qui paraissait plutôt agressive. Chain était plus occupé de demander si les intermittents allaient pousser leur violence, si ils allaient radicaliser leur mouvement, plutôt que de laisser la parole à un type au discours plutôt chiant pour le téléspectateur lambda, qui de plus, avait contre lui l'argument "507 heures, c'est 3 mois de travail" et devait convaincre tout le monde en 5 minutes chrono. Et Emmanuel Chain de conclure: "Voilà. Donc, les intermittents vont devenir de plus en plus violents."
Enfin, si ce qu'ils cherchaient, c'était d'ouvrir les yeux des téléspectateurs vis-à-vis des émissions de télé, c'est d'autant plus loupé que ceux-ci se sont retournés contre eux. Privés de leur dose de StarAc', de Ruquier ou de Law & Order: CI (NYDistrict : Section Criminelle) hebdomadaire, les fans aveugles en sont devenus encore plus enragés. On a par exemple entendu des propos assez édifiants le Mercredi 22 Octobre dans l'émission radio de J.M. Morandini.
Quelques semaines plus tard, les intermittents s'imposaient dans le journal de David Pujadas, tout se passant globalement sans castagne. (Seuls quelques salariés de France2 ont eu un peu de mal à re-rentrer dans les locaux, bloqués.) A la suite de quoi, Olivier Mazerolle dénonce un "détournement de l'information". (Mais, une grève d'intermittents, c'est de l'info aussi...)
En bref, une cause qui est toujours montrée sous son aspect négatif et dont le message est relativement déformé par les médias.
Mais pourquoi les intermittents en veulent-ils à la télévision ?
Là, n'ayant pas beaucoup d'information sur le sujet, je vais être relativement subjectif.
Personnellement, je connais surtout les revendications des intermittents plus "traditionnels", ceux qui bossent dans les métiers du spectacle, du théâtre, de la musique, etc... Ce sont les plus touchés par cette réforme, ils vont perdre leur boulot d'ici peu de temps ou vont s'astreindre à des conditions drastiques pour que leurs spectacles puissent vivre. Or, le protocole qui va être mis en application dans quelques semaines n'est bénéfique qu'auprès des précaires considérés comme intermittents. C'est-à-dire ceux bossant dans les boîtes de prod, comme Endemol ou Case Production, et qui sont embauchés pour 10 jours et payés le reste par les assedics, parce que ça arrange bien le patron, tout un tas de caméramen, chauffeurs, maquilleurs, bossant à plein temps et dont le "statut" d'intermittent, a perverti le système.
Finalement, c'est encore la même histoire. Si ceux-là n'auront pas trop à s'inquiéter de leur boulot (comme les grandes compagnies parisiennes), ce sont les théâtres locaux, les animateurs de villes, les musiciens undergrounds, bref, encore une fois les plus petits, ceux qui ont le plus "besoin" du statut d'intermittent et qui le méritent le plus, qui vont trinquer sévère.
Mais d'autres frustrations contre la télévision existent aussi. Je me rappelle d'une prof de théâtre qui dès qu'elle a appris la nouvelle a fait une remarque comme "il faudrait faire sortir les gens de leurs postes de télévision. A l'époque des grandes révolutions, les gens savaient ce qu'il se passait réellement dehors. Quand il y avait un mouvement, les gens étaient obligés de le voir. Maintenant, chacun rentre dans son petit appartement, prend sa dose de télévision et oublie tout le reste."
Pour preuve, la manifestation avait lieu dans le cadre des "Journées mortes pour une Culture Vivante" où tous les spectacles, concerts, représentations, etc... avaient été annulés sur la semaine afin de faire comprendre au public ce qu'il allait perdre. Vu le peu d'écho que cette opération à reçu, la colère des intermittents est peut-être montée d'un cran au-dessus, au point qu'ils ont voulu montrer "de force" au public que s'il continuait à regarder la télé sans rien faire, eux allaient disparaître.
Et toi? T'en pense quoi (Paragraphe énervé et totalement subjectif!!)
Pour être clair, la position officielle du FLT sur cette histoire... c'est qu'il n'a pas de position officielle. Chacun pense ce qu'il veut. De plus, le FLT se démarque dans ses objectifs des intermittents. Ceux-ci ont par l'idée "Eteignez vos télévision" pour utopie l'éradication de la télévision, alors que notre but est de changer la télévision pour qu'elle devienne un outil de connaissance et de qualité.
Moi, ce que j'en dis, c'est que, que leur lutte soit justifiée ou non, il est à noter que certaines initiatives d'intermittents ne sont pas de bon goût ( insultes du public, boycotts forcés..) ou provoquent des amalgames malheureux (certains se souviendront d'une remarque pas très fine d'un groupe de musique pendant le festival de Mâcon, par exemple...)
Seulement, ma sympathie dans ce conflit, penche nettement plus en faveur des intermittents qu'envers TF1, télévision privée et populiste, qui une nouvelle fois m'a montré toute l'étendue de sa couardise. Que ce soit dans les mensonges de son présentateur vedette, dans la gestion purement simplificatrice et bourrine de la crise, dans l'auto-promotion visant à se faire reconnaître et désigner comme victime, dans le mépris pur et simple de la colère humaine, TF1 et ses dirigeants, Endemolisés jusqu'au cou, démontrent une fois de plus qu'ils ne respectent culturellement que leur Star Academy, formatage gerbant de la chanson française.
Et puisque j'en suis à montrer ma sympathie, je tiens aussi à dire que dans cette crise j'ai compris à quel point la télévision peut masquer aux gens la détresse qui se passe pourtant sous leurs yeux. Pourquoi à chaque spectacle de théâtre, une impression de tristesse se fait, les artistes nous disant que voilà, ils en ont encore pour un an, et qu'après ils seront obligés de se reconvertir ailleurs? Pourquoi je ressens un pessimisme radical et un désespoir auprès des rares intermittents que j'ai pu connaître? Pourquoi je vois des festivals dont les subventions venant du ministère de la culture sont en chute radicale? Pourquoi une salle de théâtre (et accessoirement un cinéma cette semaine...) va-t-elle fermer ses portes l'année prochaine à Nantes? Pourquoi des modifications ont été effectuées entre le protocole qui a été voté à l'Assemblée et celui qui devrait être mis en application, (ce qui est par conséquent, illégal...) ?
Et surtout.... Pourquoi personne n'en parle à la télé?
Pourquoi tout ce que la télé est capable de nous montrer, ce sont des intermittents en colère, des manifs, et rarement (plutôt rarement...) les conséquences de ces lois? Pourquoi c'est lorsque les intermittents viennent eux-mêmes dire leurs revendications que je les vois?
Et d'ailleurs, pourquoi en 5 mois de lutte, j'ai jamais vu un politicien s'avancer à la télé pour recevoir les doléances des intermittents ou pour annoncer qu'ils les ont écoutés? Pourquoi, alors, en une semaine de grève des buralistes ou en trois des étudiants (je le sais, j'en suis un...) le gouvernement recule?
Parce que tout le monde s'en branle? Parce que c'est quelque chose qui n'est pas important? Pas urgent? Parce que finalement, la télévision fait des spectacles rentables, qui tournent en autogestion, et qu'on peut très bien se passer de financer ce qui se passe ailleurs?
Pour finir, une note plus légère... Que venait faire Jacques Dutronc à la Star Academy?
Putain, c'est vrai, depuis quand il a besoin de ça pour vendre des disques? Encore un qui est tombé très bas dans mon estime.