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Analyse de Super Nanny et de C’est du propre

par Séverine Barthes

L'année 2005 a vu arriver sur M6 deux émissions d'un genre nouveau : {Super Nanny} et {C'est du propre}. Dans ces deux émissions, des « experts » (en l'occurrence, des expertes) se proposent de vous aider à régler des problèmes relevant de votre vie privée, liés à la vie domestique - dans le premier cas les enfants, dans le second, le ménage. La télévision prend donc en quelque sorte la place de votre mère et se donne pour but de vous dispenser l'enseignement ménager que, sans la déliquescence de la société actuelle, vous auriez dû recevoir ! M6, spécialiste de la famille à travers les rediffusions de {La Petite Maison dans la prairie} et ses téléfilms de l'après-midi narrant l'histoire de femmes se battant pour conserver la garde de leurs enfants, continue dans la même voie « féminine ». Avec ces deux émissions, M6 s'adresse aux mères actives qui enchaînent deux journées (leur travail, puis leur famille) et qui ne s'en sortent pas. Dans {C'est du propre}, la cible s'élargit aussi aux jeunes, célibataires, en couple ou en colocation, afin d'embrasser toute l'étendue de la cible de la chaîne. Ces émissions continuent dans le mouvement plus global consistant à légitimer dans la sphère publique ce qui relève du privé, voire de l'intime. Cependant, contrairement à un certain discours existant sur ces émissions, on ne peut pas dire que ces concepts soient révolutionnaires. En effet, elles ne sont qu'une déclinaison de formats qui existaient déjà dans la presse magazine. Dans le fond, quelle différence entre un papier dans {Parents} ou {Famili} sur le problème de l'autorité et un numéro de {Super Nanny} ? Quelle différence entre un article de {Femme actuelle} sur les « recettes de grand-mère » pour détacher sa moquette et un numéro de {C'est du propre} ? Aucune. Ce qui change, c'est la façon de présenter les choses, la forme. {{{Différence formelle entre ces émissions et leurs ancêtres de la presse magazine.}}} Si, dans la presse magazine, on pouvait avoir des témoignages, par exemple de parents ayant des problèmes d'autorité avec leurs enfants, l'effet n'était pas le même. Il y a d'abord la différence fondamentale entre la médiation de la parole et la livraison brute de la réalité par l'image (avec toutefois la limite du montage, qui est aussi une médiation discursive). Mais l'image et la parole n'ont pas le même pouvoir. D'autre part, dans un témoignage écrit, on a une synthèse plus importante : on ne peut pas comparer une dizaine de lignes de texte et une heure d'émission. Enfin, le contrôle de la personne n'est pas le même : dans un témoignage, la maîtrise de la personne qui s'exprime est plus grand que dans le cas d'une caméra qui tourne et qui filme toute situation se trouvant dans son champ. En ce qui concerne les articles « ménagers », ceux qui présentent des témoignages sont d'un tout autre genre. Dans ce cas, on est face à une configuration du type « Nos lectrices partagent leurs recettes de grand-mère, leurs trucs et astuces ». Il n'y a pas une sorte de mise en avant d'un échec, mais plutôt la mise en avant d'une réussite. On est donc tout à fait à l'inverse de {C'est du propre}. Enfin, dans le cas de cette dernière émission, il ne faut pas oublier la dimension ludique, avec le défi et l'inspection finale qui permet de distribuer les bons points. Même si, dans {Super Nanny}, on a le retour de Cathy pour voir si les parents s'en sortent sans elle, l'état d'esprit n'est pas le même, puisqu'il s'agit de recadrer plus que de récompenser. {{{Super Nanny}}} {Super Nanny} a été diffusée pour la première fois le 1er février 2005 et compte, au 27 septembre, quatorze numéros. Elle est diffusée le mardi soir en {prime time}, à raison de deux numéros à chaque fois, et est rediffusée le dimanche vers 16h30, dans les mêmes conditions. Elle a été reconduite dans la grille 2005-2006. Son concept est simple : une famille rencontre des problèmes avec l'éducation de ses enfants. Elle n'arrive pas à les faire obéir, ils sont capricieux, ils dictent leurs lois à la maison... Cathy, une « nurse », intervient et aide les parents à se repositionner par rapport à leurs enfants afin d'améliorer la situation. Le schéma est toujours le même : 1) prégénérique : on nous montre la famille dans sa vie quotidienne (scènes de pleurs, de cris, crises entre les parents et l'enfant), puis on nous présente Cathy. Durant cette séquence, la voix est off et, dans ses commentaires, on trouve toujours une opposition entre le champ lexical de la difficulté et celui de la maîtrise. Par exemple, on trouve, dans le second numéro du 1er février 2005 (c'est sur ce numéro que nous avons fondé principalement notre analyse et toutes les citations en seront extraites) : « Aujourd'hui Christelle et Denis, les parents d'Emma, sont totalement dépassés, ils ne savent plus comment éduquer leur fille. Cathy est une super nounou qui a plus de 20 ans d'expérience. Pendant trois semaines, elle va déployer toutes ses techniques éducatives pour aider ces parents dans leur vie quotidienne. » 2) générique : ce générique est très simple. Sur fond blanc apparaissent successivement les lettres des mots Super Nanny et Cathy se positionne par rapport à elles, dans des attitudes récurrentes dans l'émission (le doigt pointé, penchée pour regarder, ...). A la fin, le titre apparaît en entier. 3) Présentation de la situation : On nous présente la famille, en voix off, avec une mise en scène spécifique, puis on passe au cadre de vie et à la vie quotidienne de la famille, en alternance avec des commentaires des parents et de la grande sœur sur les actes d'Emma. Exceptionnellement, dans ce numéro, on a également, dans la bande-image, des extraits d'une vidéo familiale. Font suite quelques questions du type « Cathy arrivera-t-elle à aider cette famille ? », destinées à mettre en place un certain suspense. 4) On nous présente ensuite Cathy, qui avance d'un pas ferme et décidé, pendant qu'en voix off on vante son expérience. On la voit arriver dans la famille et présenter le concept de l'émission. 5) Phase d'observation : un montage d'image, dans l'ordre chronologique, nous présente plus largement la vie quotidienne de la famille. Cathy observe et fait régulièrement, face caméra, des commentaires sur ce que nous voyons. La voix off est toujours présente, commente et explique les images. A la suite de cette observation, Cathy propose un diagnostic, dans lequel la voix off est toujours présente : elle commente les réactions des parents, par exemple. 6) Phase d'action : c'est le moment où Cathy expose et explique les nouvelles règles, qui s'appliquent aussi bien aux enfants qu'aux parents. Puis on retrouve le même principe que dans la phase d'observation : montage d'images avec une voix off qui commente ce qui se passe à l'image. Cette même voix off assène des vérités générales qui peuvent être extrapolées et utilisées par les téléspectateurs : « Cathy ne revient jamais sur ce qu'elle dit à un enfant car la parole d'un adulte doit être crédible. Emma va obéir dès qu'elle aura compris que Cathy ne cédera pas. » En même temps, on a une incrustation en bas de l'écran : « Une parole donnée à un enfant doit être respectée jusqu'au bout. » On retrouve ce même principe de présentation dès que Cathy met en œuvre une de ses « techniques éducatives ». Puis, juste avant la coupure publicitaire, nous avons de nouvelles questions du même type qu'en début d'émission, pour maintenir le suspense. 7) Retour du programme : la voix off présente de nouveau Cathy (pour ceux qui prendraient l'émission en cours) puis on poursuit la phase d'action, sur le même principe. 8) Phase d'essai : Cathy fait ses dernières recommandations, s'en va et laisse la famille seule, afin de voir si les parents arrivent désormais à cadrer leurs enfants. On retrouve, dans cette phase, les mêmes procédés de montage audiovisuel, avec une grande importance de la voix off. 9) Phase de recadrage : Cathy revient, avec des extraits vidéos de la vie de famille pendant son absence. Elle les commente aux parents et procède avec eux aux derniers ajustements. Très souvent, il y a eu un raté lors de son absence et elle leur fait rejouer la même situation afin de leur montrer qu'il était possible de réussir. 10) Départ de Cathy : le montage joue à ce moment avec l'affectif, on voit les enfants faire des cadeaux à Cathy et on pleure beaucoup. 11) Annonce pour recruter de nouveaux candidats et générique de fin. Ce plan est celui des émissions de la grille annuelle mais, pendant l'été, Super Nanny sévit toujours, mais avec une autre émission : {Super Nanny. Le bilan}. Il s'agit de retourner voir, plusieurs mois après l'intervention de Cathy, les familles que cette dernière a aidées, afin de voir si la situation s'est améliorée ou est revenue à l'identique. On compte six numéros de cette déclinaison, tous diffusés en juillet et août 2005. Ils ont été diffusés dans les mêmes conditions que les émissions originales ({prime time} le mardi et rediffusion le dimanche après-midi). Le premier numéro de cette déclinaison a été diffusé le 6 juillet 2005 et présentait le bilan de l'émission originale du 1er février 2005 (c'est sur l'émission du 6 juillet que notre étude est fondée). Plus qu'un véritable bilan, cette émission permet surtout de proposer une émission qui coûte peu, la durée des images originales étant très courte par rapport à celle des images tirées de l'émission originale : sur ce numéro, qui a commencé à 20h54, les premières images originales arrivent à 21h49 et l'émission finit à 22h05. La plus grande partie de l'émission est donc constitué d'un nouveau montage de l'émission originale, introduit par la voix off : « Souvenez-vous, il y a huit mois, vous avez fait la connaissance d'Emma, une petite fille de quatre ans ». La partie originale de l'émission est constituée de trois parties : 1) Témoignages d'amis et de membres de la famille sur les changements de comportement de la petite fille, suivis de commentaires des parents et de la sœur, montés en alternance avec des images de la vie quotidienne de la famille, bien plus apaisée que dans les images d'archive. [durée indicative : 6 minutes] 2) Retour effectif de Cathy : retrouvailles avec la famille et participation de Cathy à la vie quotidienne du foyer, avec d'éventuels recadrages en cas de dérapages ou d'attitudes pas tout à fait conformes à ce que Cathy avait dit huit mois plus tôt. [durée indicative : 7 minutes] 3) Le « bonus » : il s'agit d'images plus « fun », où Cathy est bien loin de l'image stricte qui transparaît dans l'émission. [durée indicative : 2 minutes] On retrouve ensuite le générique de fin et l'annonce de recrutement de nouveaux candidats à l'émission, comme dans le format original. {{{C'est du propre}}} Cette émission ne compte, à ce jour que quatre numéros : deux ont été diffusés le mardi 10 mai 2005 en {prime time} et deux le mardi 30 août 2005 dans les mêmes conditions. Ils ont également été rediffusés le dimanche suivant vers 16h30. Le concept de l'émission est similaire à celui de {Super Nanny}, mais sur un autre thème : celui du ménage. Béatrice et Danièle viennent vous aider si vous avez des problèmes de rangement ou de ménage. Chaque émission présente deux cas, deux intérieurs que les deux expertes du ménage vont aider à ranger et à rendre plus vivables. L'émission commence par un avertissement : « M6 vous informe que l'émission que vous allez voir a été réalisée sans trucage. Les personnes, les lieux et les situations des reportages sont bien réels. » On peut se poser des questions sur cet avertissement : tout d'abord, il prépare le côté « incroyable mais vrai » que veut se donner l'émission et est à ce titre suspect. Ensuite, le fait que, par exemple, aucun des contenants qui jonchent le sol des intérieurs montrés n'ait d'étiquettes (interdiction de la publicité clandestine oblige) nous fait quand même sérieusement douter de la véracité de cet avertissement. Puis a lieu la présentation des deux comparses, avec un commentaire en voix off à l'humour plus que douteux : « Si vous avez atteint le niveau zéro du nettoyage, si pour vous ménage rime avec Moyen Age, si vous pensez que votre saleté met votre vie en danger, n'hésitez plus, faites appel à Danièle et Béatrice. Il était une fois deux filles très différentes, mais unies par la même haine de la saleté. Danièle experte du balayage, championne toutes catégories du ramassage de poussière : elle connaît toutes les parades pour éliminer les traces les plus résistantes. Béatrice la terreur des microbes et des bactéries qui envahissent notre quotidien. Son atout : maîtriser toutes les formules pour venir à bout des matières les plus nocives. Toutes les deux s'apprêtent aujourd'hui à vous transmettre leurs trucs infaillibles pour décrasser, récurer et désinfecter votre maison. Bientôt, les dangers de la saleté feront partie du passé car Béatrice et Danièle seront prochainement chez vous. » Sur le début de ce commentaire, on a une bande-image qui montre, en gros plan, des images dégoûtantes (moutons énormes, moisissures, tas de vaisselle sale), puis, quand le commentaire s'intéresse aux deux femmes, on a un montage qui se veut parodique : Danièle fait du nunchaku avec des balayettes et Danièle nous est présentée dans un montage digne (ou plutôt indigne) des {Experts} (quel que soit par ailleurs le jugement qu'on porte sur la série). D'autre part, cette présentation s'accompagne d'une musique de fond qui se veut très « pop » : musique de {Chapeau Melon et Bottes de cuir}, de {Buffy} ou encore d'{Alias} (notons qu'il s'agit de séries télévisées dont les droits appartiennent à M6). On a ensuite une présentation rapide des deux cas et enfin, le générique de l'émission, en images animées (comme {Ma Sorcière bien-aimée}, autre série M6). Enfin, nouvelle présentation des deux femmes, qui retrace leur cursus (l'une est une ancienne gouvernante, l'autre une ancienne chef de cabine chez une compagnie aérienne) : cette présentation se fait par le biais de split screen présentant des photos des deux femmes à différents moments de leur vie, ce qui fait furieusement penser à {Amicalement vôtre} (encore une série diffusée sur M6). Puis a lieu la première intervention. Le schéma de ces interventions est toujours le même : 1) Présentation du cas : dans l'émission que nous avons étudiée, le premier cas est celui d'une famille qu'on nous présente sur fond musical de {La Petite Maison dans la prairie} (mais, ne serait-ce pas une série M6 ?), suivi d'une musique de film d'horreur quand on entre dans la maison. Cette présentation est couplée à des témoignages de proches. 2) Béatrice et Danièle découvrent, seules, la maison. A ce moment-là, c'est un festival de remarques débiles, comme « Ouh, ça sent le foin », « oh, c'est une blonde. Sens, ça sent la blonde ! », « Tu sens ? ça sent la chaussette », « ça sent le dromadaire du désert ». 3) Arrivée de la famille, discussion entre les expertes et elle, entrecoupée de gros plans sur les éléments sales. 4) Béatrice et Danièle se mettent en tenue (blouse blanche et gants en caoutchouc), dans une séquence qui se veut comique, dans le même style que la présentation des deux femmes. 5) Béatrice et Danièle passent à l'action, donnent des explications aux membres de la famille, leur donnent des trucs et astuces et les mettent à la tâche. Chacune des deux femmes a une spécialité : à Danièle les recettes de grand-mère, à Béatrice les explications scientifiques (allergènes, bactéries...). Ce discours scientifique est parfois soutenu par des images de laboratoires et peut prendre une esthétique très marquée : dans le numéro que nous avons visionné, les allergènes sont montrés (façon de parler, car on ne voit rien) dans des plans obscurs, avec des lumières bleues sur les mains ou les objets, ce qui fait vraiment penser aux plans des {Experts} ou d'autres séries de ce genre où les personnages utilisent le réactif permettant de trouver des traces de sang. Le discours scientifique est tenu à la fois en voix in, par Béatrice, et en voix off : pour ce que nous avons vu, il est simplifié, mais pas inexact (ce qui est déjà un bon point). Dans cette partie, on trouve des explications sur des choses aussi diverses que comment ranger son frigo, comment se laver les mains, comment nettoyer un lino ou comment laver des vitres. On voit que le niveau n'est pas très élevé. 6) Arrivée de l'équipe de nettoyeurs : à un moment (variable selon les numéros) arrive une équipe de nettoyeurs. Ces nettoyeurs lavent la maison, pendant que la famille l'a quittée. 7) Bilan : la voix off, à la fin du travail, fait le bilan de ce qui a été utilisé pour nettoyer la maison. Cette partie joue toujours sur l'énormité des nombres et sur un vocabulaire exagéré : ainsi, les éponges ont été « sacrifiées » à la bonne cause. 8) Présentation de la maison propre : cette présentation est fondée sur l'opposition avant/après, grâce au fondu enchaîné entre deux plans des mêmes pièces, selon le même angle : on voit donc la cuisine affreusement sale devenir une cuisine proprette, etc. La famille revient et découvre sa nouvelle maison. 9) Le défi : Béatrice et Danièle lancent un défi à un membre de la famille. Généralement, toute la maison a été rangée, lavée et nettoyée, sauf une pièce. Elle devra donc être rangée pour le moment de l'inspection. 10) Départ des deux femmes et transition avec le deuxième cas. Le deuxième cas suit le même schéma. Puis, à la fin de l'émission ont lieu les deux inspections : Béatrice et Danièle reviennent quelques semaines plus tard et regardent si le défi e été relevé et si la famille a pris de nouvelles bonnes habitudes de ménage et de rangement. C'est le moment de décerner les bons et mauvais points. {{{Un procédé discursif commun : la redondance}}} Ces deux émissions présentent, du point de vue de l'organisation de leur discours, un point commun : le redondance. L'image nous montre quelque chose, avec souvent une voix in, qui est explicitée par la voix off, elle-même redoublée par une incrustation en bas de l'image. Ainsi, dans {Super Nanny}, Cathy va énoncer une règle (voix in), cette règle va être reprise et amplifiée par la voix off (« Super Nanny explique que... ») et cette règle est reprise dans une incrustation en bas de l'écran. Il en est de même dans {C'est du propre} : par exemple, Danièle explique sa recette de grand-mère pour laver un lino (voix in), la voix off explique de nouveau et commente (« Danièle mélange des cristaux de soude et des paillettes de savons) et l'incrustation reprend la composition du mélange. Ce procédé de l'incrustation systématique est né des émissions type {Loft Story, Star Academy} et consorts : il est ici repris pour marteler ce que le téléspectateur peut reprendre, faire sien dans sa vie quotidienne, ce qui assimile ces émissions à des recueils de recettes, de trucs et astuces. {{{Un contenu commun : la recette}}} En effet, on pourrait regarder tous les numéros de ces émissions, en reprendre toutes ces incrustations et en faire, pour {Super Nanny}, un manuel d'éducation et, pour {C'est du propre}, un recueil d'enseignement ménager. Elles adoptent souvent la forme péremptoire de la règle à suivre. Voici toutes celles que l'on peut lire dans l'émission de {Super Nanny} du 1er février 2005 : « Une parole donnée à un enfant doit être respectée jusqu'au bout. », « Faire diversion par le jeu permet de contourner le refus d'un enfant. », « Un enfant se comporte mieux s'il comprend les règles qu'on lui impose. », « Se mettre à la hauteur de l'enfant permet de mieux capter son attention. », « La punition s'impose quand l'enfant persiste à aller trop loin. », « Faire participer l'enfant permet de contourner son refus. », « Pour Super Nanny, le sommeil s'accompagne, mais ne se partage pas. » On remarque que toutes ces phrases sont au présent de vérité générale et utilisent la valeur générique des articles défini et indéfini. Ce grand degré de généralité permet que le téléspectateur se les approprie et interdit surtout tout recul critique. De plus, il s'agit la plupart du temps de simple bon sens, mais le dispositif discursif qui permet leur énonciation, en sacralisant un peu ces phrases, leur donne l'image de vérités originales et percutantes. Dans {C'est du propre}, le procédé semble moins choquant parce que le ménage est d'abord le vrai lieu d'élection de la recette de grand-mère et, ensuite, parce qu'il ne met pas en jeu de l'humain. Mais, en rapprochant ces deux émissions, on voit bien que, quelque part, l'enfant est mis au même niveau que le lino ou le frigo, en termes d'approche et de résolution des problèmes, ce qui, de mon point de vue, est quand même un peu choquant. {{{Une attitude commune : l'infantilisation}}} Dans ces deux émissions, les participants adultes sont traités comme des enfants par les expertes qui mènent la danse. Ainsi, une des règles de Cathy est qu'il faut encourager l'enfant et le féliciter quand il a bien fait ce qu'on lui a demandé. Cette règle, elle l'applique elle-même aux parents. Ainsi, il n'est pas rare de l'entendre dire à l'enfant « Je suis contente, je suis fière de toi car tu as bien compris que ce n'était pas bien de faire des caprices » et, quelques minutes plus tard, l'entendre dire aux parents : « C'est bien, je suis fière de vous, vous avez bien agi envers votre enfant. » Parents et enfants sont ainsi renvoyés dans la même position d'infériorité par rapport à sa place d'experte. Dans {C'est du propre}, on a également une part d'infantilisation : Béatrice et Danièle parlent aux adultes qui les entourent comme à de grands méchants enfants qui ne savent pas bien se tenir. Paradoxalement, elles s'adressent aux enfants avec plus de respect. Mais, alors que Cathy ne sort jamais de sa position d'éducatrice, les deux expertes de {C'est du propre} se comportent parfois avec une attitude condescendante. Des débuts de phrases, tels que « Mais, on ne vous a jamais dit que... ? » ou « Mais vous ne savez pas que... ? », avec le ton très étonné qu'elles adoptent alors, sont déjà à la limite, mais on franchit allègrement les bornes avec leurs remarques de début de reportage, que nous avons déjà citées, comme « Tu sens ? ça sent la chaussette » (je ne m'attarderai pas sur l'intelligence du propos, je ne l'ai pas trouvée). {{{Une stratégie marketing commune : la convergence}}} Ces deux émissions ont leur page sur le site de M6, et on y retrouve bien évidemment un certain nombre d'éléments des émissions. Ainsi, la présentation des expertes y est reprise. En ce qui concerne l'aspect « prêt à penser » qui est présent dans les recettes données, il n'est pas en reste puisqu'on peut y lire les trucs et astuces de nettoyage de Béatrice et Danièle et les règles éducatives de Cathy. Un forum est consacré à chacune des ces émissions et on peut s'y échanger, d'ailleurs, de nouvelles recettes ou ses angoisses face soit à la crasse soit à ses enfants. Mais c'est surtout dans le montage de {C'est du propre} que nous trouvons cette fameuse convergence : nous l'avons déjà dit, les musiques utilisées font largement référence aux autres programmes de la chaîne (notamment les séries télévisées) et, plus globalement, aux types de programmes que la chaîne diffuse. Ainsi, dans le numéro que nous avons plus particulièrement regardé, la transition entre les deux cas se fait sur la musique de {L'Exorciste}, ce qui rappelle la part de ce type de films dans la grille de la chaîne. {{{Une rhétorique différente : image de l'éducatrice {vs} émotion du second degré}}} Une grande différence existe cependant entre ces deux émissions. Dans {Super Nanny}, Cathy garde toujours une image stricte et sérieuse. Dès le début, son costume (chemisier blanche, tailleur jupe ou pantalon noir, escarpins noirs, cheveux attachés, le plus souvent en queue de cheval) pose le personnage. Elle garde toujours une attitude sévère et a le plus souvent le visage fermé. Elle projette une image guindée, conforme à l'idée du programme. Elle incarne l'autorité dans ses gestes et son image. Dans {C'est du propre}, il s'agit d'une image plus décalée. Si la blouse blanche est de rigueur, les gants décorés de fleurs géantes en tissu sont plus festifs. D'autre part, le montage se veut souvent drôle (le problème, c'est qu'il atteint rarement son but). Les commentaires en voix off jouent de l'exagération comique et tout confine à la mise en scène burlesque. Prenons la transition de l'émission du 10 mai 2005 : « Béatrice et Danièle repartent en mission. Cette fois, elles ont rendez-vous au cœur de la capitale dans un appartement habité par deux jeunes colocataires situé dans le premier arrondissement de Paris. Très vite, nos courageuses aventurières ressentent de bien mauvaises ondes. [Surimpression d'éclairs et musique de {L'Exorciste}] Elles viennent traquer le démon de l'immonde jusque dans son antre et exorciser des locataires possédés par le vice de la saleté. Pour l'heure, elles n'imaginent pas ce qui les attend. [rires démoniaques] » On note immédiatement le vocabulaire largement hyperbolique (« nos courageuses aventurières », « le démon de l'immonde », « le vice de la saleté »), le jeu sur les sonorités (« démon de l'immonde ») et la référence au film d'horreur censée dramatiser le moment (elles ouvrent la porte d'entrée de l'immeuble). Ce type de montage est récurrent dans l'émission et est plus pathétique que comique. On retrouve le même type d'opposition entre les deux émissions dans le choix de la configuration de prise de vue dominante : dans {Super Nanny}, il s'agit du commentaire ou de la confession face caméra, en plan serré. On met en avant la parole, la médiation du discours, la réflexion, si l'on peut dire. Dans {C'est du propre}, il s'agit du gros plan. On vise là avant tout l'émotion. Dans ces deux émissions, on retrouve donc non seulement un concept proche (demander à des experts de nous aider pour régler un problème qui relève du privé), une origine commune (la presse magazine féminine), des procédés voisins (la délivrance de trucs et astuces, l'infantilisation, la redondance)... Cependant, une différence fondamentale saute aux yeux : c'est l'opposition entre une certains image projetée sérieuse et une image beaucoup plus décalée, qui se veut ludique. Cette opposition se retrouve dans la classification INA de ces deux émissions : {Super Nanny} y est classée, dans le champ « genre », comme « documentaire télé réalité », {C'est du propre} comme « télé réalité » seulement. Si on s'arrête sur les classifications de ces deux émissions, on remarquera également que, en thématique, {Super Nanny} est décrite comme une émission de « psychologie » et {C'est du propre} comme une émission de « société » (ce qui est un admirable fourre-tout). Mais c'est surtout la classification Médiamétrie qui étonne. Trois critères, identiques, définissent ces deux émissions : « société » (pourquoi pas ?), « documentaire » (là, on commence à se poser des questions) et « culture connaissance » (là, franchement, on hurle). Et l'on voit bien que le problème de ces programmes, c'est moins les valeurs qu'ils véhiculent, l'idée de facilité qu'ils montrent face à des situations plus complexes qu'on ne veut bien nous le faire croire, que la façon dont ils ont croisé un thème issu de la presse magazine et le mouvement plus général de la télévision qui consiste, ces dernières années, à mettre sur le devant de la scène ce qui relève du personnel, du privé, de l'intime. Ainsi, ces émissions sont le produit du processus d'hybridation et de déplacement des frontières génériques qui traverse la télévision de ces dernières années, processus auquel il est grand temps de s'intéresser afin de donner au plus grand nombre les moyens de le décrypter.