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Lettre ouverte aux participants d’ASI (15/12/2002) sur Buffy

par Joey

"Chaque époque engendre son héros"

Si la série Buffy the Vampire Slayer - Buffy contre les Vampires en Français - a bien une singularité, c'est celle d'avoir une base de fans très active, en particulier sur internet. Fait que France 5 a pu constater sur ses forums... Sur notre territoire, le taux d'attention médiatique intelligente - c'est-à-dire une attention médiatique dépourvue de visée commerciale - étant très bas, ce n'est guère étonnant que tous les adeptes se soient rapidement mobilisés autour de l'émission... D'autant plus qu'ils forment souvent des groupes d'amis proches, peu importent l'âge ou le secteur professionnel... - le fan ne serait-il pas aussi antisocial que ça ? A partir de là, je pense qu'il n'est pas difficile d'imaginer, ou plutôt de comprendre le véritable séisme que l'émission du dimanche 15 décembre a provoqué dans la communauté des fans, une émission où la série s'est trouvée tour à tour affligée des caractères « raciste », « anti-sociale », et finalement « machiste ».

Cette lettre n'a pas l'ambition de faire part de tous les avis qui ont circulé dans les cercles de fans de Buffy. Elle n'a pas non plus la vocation de réfuter tous les points de la thèse de Mme Frau-Meigs, car je ne tiens pas à écrire des pages qui n'auraient d'autres résultats que celui de nous faire passer pour des maniaques pointilleux. De plus, chacun est libre d'avoir son opinion. Cela étant dit, j'espère apporter une réponse, ou tout au moins un complément, à l'émission du dimanche 15 décembre. Et j'ose espérer que les autres fans ne m'en voudront pas de dire que je vais essayer de parler au nom de tous.

Veuillez noter que je n'aborderai ici que ce que je considère comme les plus sévères erreurs du débat.

Une remarque générale tout d'abord.
Je dois dire que j'ai été déçu de voir que la véhémence de Mme Frau-Meigs a trop souvent empêché les autres intervenants de défendre correctement leur point de vue. Je comprends que le sujet tenait à cœur à la sociologue, mais j'aurais bien sûr aimé voir Antoine de Froberville pouvoir défendre la série sans être constamment interrompu. Mais je ne m'étendrai pas plus amplement sur ce point dès lors que l'émission a eu lieu et que nous ne changerons rien aux actes des intervenants.

Attachons-nous maintenant au débat de fond de l'émission.

D'abord, deux points fondamentaux sont à rappeler concernant la série.
Mme Frau-Meigs, vous avez répété à plusieurs reprises que Buffy « s'octroyait le droit de tuer ». Je me vois dans la nécessité de vous faire remarquer que vous avez alors mal compris le fondement même de la série. Les deux premières saisons ne commençaient pas pour rien par la phrase, "Dans chaque génération, il y a une Elue". Pour résumer, le mythe des Tueuses tel que la série l'envisage se base sur la prédestination d'une jeune fille à affronter le Mal. Bien que la série soit restée - volontairement ? - vague sur les critères de sélection d'une future Tueuse, nous savons cependant que le Conseil des Observateurs est voué à la prise en charge de ces jeunes élues afin de les entraîner et de leur fournir un conseiller avisé, "l'Observateur". Les Tueuses sont donc des Elues. A aucun moment elles ne choisissent ce rôle : c'est une destinée. Vous avez cependant raison sur un point : Buffy ne chasse pas les vampires parce que cela lui a été demandé par la communauté de Sunnydale. Mais cette responsabilité lui a été imposée, par une force qui dépasse la décision humaine. Le monde de fiction de Buffy s'avère très différent du nôtre en bien des points ; elle combat le Mal sous toutes ses formes, et défend donc la communauté, qui ne réalise bien souvent pas ce à quoi elle a à faire. Elle s'y emploie sans leur accord direct peut-être, mais pour le bien de tous, acte altruiste et désintéressé. Reproche-t-on à Batman ou à Superman de ne pas avoir consulté leurs concitoyens avant d'enfiler leurs collants - de leur propre initiative, pour le coup ? De plus, sur ce sujet, je vous avouerai que votre argumentation frôlait l'ironie pour le téléspectateur qui a suivi un peu la série. En effet, Buffy a passé la majeure partie des trois premières saisons à remettre en cause son rôle, à vouloir renier ce destin, à tenter de se dérober à ses responsabilités assimilables au passage progressif à l'âge adulte, avant de l'accepter et de l'embrasser par la suite en grandissant.
L'autre point essentiel est celui de la femme et la manière dont elle est présentée à l'écran dans Buffy. Etrange de voir la série accusée de mettre la femme en "position de dépendance" quand certains téléspectateurs mâles eux-mêmes finissent par regretter que l'équipe soit pour la majeure partie féminine. Si Buffy a bien été créée par un homme, Joss Whedon, il a lui-même clairement exprimé sa volonté de construire sa série contre un préjugé, celui qui pose la femme blonde et innocente en victime vulnérable, qui finit tout bonnement assassinée. La toute première scène de la série est d'ailleurs déjà un renversement de ce cliché. Buffy a toujours mis la femme en avant. Dans le groupe initial des adolescents, Alex est le seul garçon, et en apparence celui qui offre le moins au groupe, tandis que Willow et Buffy sont toujours des atouts essentiels. Dans la même veine vient ensuite cette idée que la femme est présentée soit en victime, soit en héros. Dans l'épisode “Sanctuary” de la première saison de la série Angel, Buffy déclare à Faith - personne qui représente symboliquement son double maléfique - : "Personne d'autre [que toi] ne m'a jamais fait apparaître comme une victime". Notez que le personnage lui-même ne se considère jamais en tant que victime. Au demeurant, la série défend une philosophie sans doute plus proche de l'existentialisme de Sartre, où chacun est responsable de ses choix et en subit les conséquences : tout le personnage d'Angel est construit sur ce modèle. Autre illustration, la chute du coté maléfique de cette même Faith lorsqu'elle tue accidentellement un homme et refuse d'en assumer les conséquences.

De plus, Buffy réagit en réalité bien souvent comme une humaine plutôt que comme une héroïne, comme par exemple à l'annonce de sa propre mort, ou à celle de sa mère. Buffy reste avant tout proche de nous, dans ses joies, ses peurs, ses désirs, à l'instar de tous les personnages. C'est l'humanité qui les caractérise qui donne la possibilité au téléspectateur de s'identifier à eux. Ceci explique en partie le succès de la série, et de beaucoup d'autres d'ailleurs.

Ensuite, je me dois bien sûr de faire une réponse à l'accusation la plus violente, celle de racisme, qui a fait bondir devant leur écran les fans téléspectateurs.
L'un des invités l'a fait remarquer, il est ici important de mettre en avant le manichéisme de base de la série : le Bien contre le Mal. La série a aussi ses faiblesses, et la première saison, tout particulièrement, était essentiellement basée sur cette simple opposition. C'est un fait, les démons sont différents des humains. Mais dans le contexte où ils sont foncièrement mauvais, ce n'est le résultat ni d'un choix de leur part, ni d'une obligation extérieure, mais il s'agit bien de leur nature. Ils sont le Mal personnifié.
Là où le débat devient intéressant, et qu'il mériterait qu'on lui accorde plus d'attention, c'est qu'au fil des années, les exemples se sont multipliés de démons faisant preuve d'une certaine humanité, ou du moins d'une absence d'agressivité : on citera entre autres le démon Whistler qui aide Buffy en fin de deuxième saison, les démons qui vendent des livres aux Tueuses dans “Enemies” - Saison 3. Les exemples s'accumulent, avec bien sûr le personnage de Spike, qui a fait preuve d'une surprenante bienveillance dépassant de loin les interdictions imposées par sa puce anti-violence. Puisque certains démons ne semblent pas fondamentalement être des agents du Mal, il est justifié de se poser des questions sur le rôle de Buffy. Son état de Tueuse ne serait donc pas absolu ? Quelle attitude adopter face à du « potentiellement » quand on risque sa vie tous les jours ? Quel droit l'autorise ainsi à décimer ces démons ? Le débat est toujours ouvert dans la communauté des fans elle-même, et alimenté régulièrement par les nouveaux épisodes...
Cependant, il me semble essentiel de noter deux choses : d'abord, Buffy réagit plutôt qu'elle n'agit, c'est à dire qu'elle tue plus souvent des démons parce qu'ils ont fait quelque chose de mal que parce qu'ils sont démons - à l'exception notable des vampires. C'est un châtiment donné par une personne en mesure de le faire et pour le bien commun : ce n'est en aucun cas une violence gratuite, mais l'expression d'une lutte pour la simple vie. Ensuite, le démon dans un épisode n'a bien souvent qu'un rôle symbolique ou dramatique : il est là pour évoquer une peur adolescente. Pour reprendre le cas de Ted - petit-ami de la mère - il est le beau-père que les adolescents voient comme une menace. Le démon peut aussi personnifier un obstacle, être un des nœuds de l'intrigue qui fait avancer la situation globale - je pense par exemple au démon Sweet, de l'épisode musical.
Si, dans la théorie, le démon représente l'Autre, l'alien, le démon dans Buffy fait plus souvent figure d'allégorie. Pour finir, et bien que cette idée de racisme soit totalement hors de propos, soulignons qu'il serait sans doute plus légitime de s'interroger sur le message véhiculé par la série dans les épisodes “What's my Line”, qui figure une Tueuse noire...

Quelques derniers points qui me tiennent à cœur....

Il y a un père dans Buffy. Comme l'a dit Antoine de Froberville, il s'appelle Giles. Il est la figure de transmission du savoir, de la culture, et il est un élément central de la série.
Quant à attaquer Buffy sur le point de la religion, je dois avouer que c'est assez rare dans ce sens. Visiblement, les associations religieuses elle-mêmes ne voient pas les choses sous cet angle... Buffy a sans doute volontairement refusé de s'attacher à une religion.
Enfin, et bien que je ne sois pas personnellement fan de ce personnage, faisons-lui justice : Spike change. Il a évolué comme le reste des personnages. Comme un des participants l'a dit, les gentils peuvent devenir méchants, mais il prouve que les méchants peuvent aussi s'avérer capable d'être autre chose - Spike et Faith en sont la preuve.

Il est temps que je repose ma plume.
J'espère que j'ai fait justice à la série, à ses fans, et que vous avez vu en cette lettre un complément intéressant et une nouvelle lumière faite sur certains éléments. Je ne souhaite pas convaincre mais juste donner la parole à un coté qui a peut-être été un peu oublié - où était l'adolescent ou le jeune adulte pour parler de la série depuis l'intérieur ?

Je finirai sur deux choses : je suis évidemment, comme la plupart de la communauté finalement, contre une diffusion de la série à dix-huit heures. Le public auquel la série s'adresse n'a pas moins de treize ans, et vous trouverez sans doute peu de gens à arguer que Buffy est une série absolument non-violente, ce qui est sans doute la raison pour laquelle le débat a légèrement dérivé. Mais une série véhiculant une image de paix totale serait-elle série idéale ou mensongère ?
Et enfin, je tiens à remercier toute l'équipe de l'émission d'avoir écouté ses forums, et d'avoir accordé de l'attention à la série. En tant que fan, c'est ce genre d'attention intéressante que j'aime. Cela n'a peut-être pas tourné à notre avantage, mais c'est toujours une source de débat enrichissant.

Veuillez agréer à mes salutations les plus sincères,
Joey

PS : J'ai volontairement omis la fin de l'émission, bien que la comparaison des deux séries ait été riche en débat. Premièrement, car j'aurais besoin d'écrire une nouvelle lettre pour aborder le sujet correctement, et deuxièmement car, la saison six n'ayant pas été diffusée sur M6, je tenais à respecter les téléspectateurs qui n'ont pas encore eu l'opportunité de visualiser l'épisode.

Joey est modératrice de la liste de diffusion Buffy Rocks.

Transcription de l'émission disponible : http://www.leflt.com/actualites/?p=article.php&art=238