Band of Brothers censuré par F2
Des spectateurs particulièrement attentifs (il y en a) ont relevé dans certaines scènes de “Band of Brothers” , série de Steven Spielberg consacrée à la seconde guerre mondiale et diffusée cinq lundis d'août entre 20.50 et 22.50, des anomalies qui les ont incités à comparer la version diffusée par F2 à la version originale et aux versions diffusées dans des pays européens (la Suisse et l’Angleterre, en particulier). Il y ont relevé des coupes dont on peut trouver le détail sur le site du Front de Libération Télévisuelle (FLT) à l’adresse <www.flt.free.fr>
J’ai personnellement contacté la chaîne le 26 août et l’attachée de presse de France 2 m’a mis en contact avec le directeur des programmes, François Tron. Voici le résumé de notre conversation:
BoB a bien été coupée, mais d’après François Tron, les coupes se montent à moins de 3 minutes sur 10 heures de programme. Il les qualifie donc de “minimes” et se demande pourquoi nous en faisons tout un plat, compte tenu du fait qu’elles ont été faites avec l’accord du producteur de la série (en l’occurrence, HBO). On pourrait en convenir, à ceci près que le motif de ces coupes est le suivant: M. Tron tenait à diffuser BoB en première partie de soirée afin, dit-il “de toucher le public le plus large”. La signalétique mise au point par le CSA est telle qu’elle empêche de diffuser les films ou fictions interdits aux moins de 12 ans en première partie de soirée pendant l’été et les vacances scolaires. Les membres de la “commission de classement” de F2 qui attribue la signalétique aux programmes ont jugé que certains plans de BoB (ceux qui ont été coupés, en particulier le plan d’un membre... coupé) étaient susceptibles à leurs yeux de le classer en “interdit aux moins de 12 ans”.
Par conséquent, le responsable de la programmation a décidé de couper l’œuvre pour qu’elle ne rentre pas dans ce cadre... et soit donc diffusable en première partie de soirée.
On voit ce que ce raisonnement a de spécieux : France 2 a décidé unilatéralement de ce qui dans BoB était “interdit aux moins de 12 ans” et l’a coupé, pour pouvoir le diffuser en première partie de soirée. Il s’agit, ni plus ni moins, d’une censure, même si elle se travestit sous les dehors d’une censure “pour l’édification du public”. Or, tous les critères de censure sont éminemment subjectifs y compris ceux de France 2 : la meilleure preuve c’est qu’après avoir envisagé de classer l’épisode consacré à la découverte des camps d’extermination sous la signalétique “accord parental souhaitable”, les membres de la commission ont jugé que ce n’était pas nécessaire car l’épisode était “parfaitement acceptable en l’état”. Autrement dit, pour les responsables de F2 un camp de concentration pendant une heure c’est tolérable (et pas interdit aux moins de 12 ans) ; tandis qu’un membre coupé pendant vingt secondes, ça ne l’est pas.
Quand je lui fais remarquer : “Vous avez fait ce choix pour une question d’audience” M. Tron m’a répondu “Pas du tout, pour que la série, que je tenais à montrer, soit vue par le plus grand nombre.” A ses yeux, ce choix est de nature philanthropique, pas stratégique. (Il a tout de même également dit clairement que le second épisode de la soirée obtenait de meilleures parts de marché que le premier). Franchement, n’est-ce pas prendre le public pour des imbéciles que de prétendre que la programmation d’été de F2 relève exclusivement d’une politique “éducative” et non, tout de même, d’une stratégie de contre-programmation? Tout le monde sait parfaitement que F2 n’a qu’un objectif : égaler ou battre TF1. Et ce ne serait pas vrai pendant l’été???
Quand je lui ai dit que, tout de même, on était en droit de s’interroger sur la justification de ces coupes, M. Tron m’a répondu que le diffuseur devait s’interroger sur ce qu’il diffuse (ce sur quoi je suis d’accord) et que de ce fait, il lui paraissait normal que France 2 décide unilatéralement de ce qui est “visible” par le public (les camps de la mort) ou “intolérable parce que trop violent” (un plan d’un membre coupé). Il n’avait pas l’air de comprendre que la perception de ce qui est “violent” pour le diffuseur n’est pas obligatoirement la même que pour le public. Mais M. Tron connaît le public, grâce aux sondages et aux enquêtes. Et il a ajouté : “On ne sait jamais si les enfants sont devant le poste.” Je lui ai répondu que chez moi, à 21 heures, les petits étaient au lit. Il m’a dit qu’il n’en était pas de même partout (je le sais) et que cela justifiait pour lui de “faire attention à ce qu’il diffuse”. Sa logique c’est donc : “on coupe parce que vos enfants risquent d’être devant l’écran et de ne pas supporter. Or, les Français ne sont pas assez adultes pour contrôler ce que les enfants regardent” et M. Tron voulait absolument montrer cette série au plus grand nombre (donc, également aux mineurs... puisqu’il la projetait en août), fût-ce au prix de coupures “minimes”. Seulement voilà : une coupure, ça ne se mesure pas à sa longueur, mais à ses intentions.
Pour F2, trois minutes sur 10 heures et avec l’accord de l’auteur c’est négligeable et ça ne devrait pas nous faire sauter en l’air. Ce n’est pas faux. A ceci près que si la démarche avait été expliquée au public (par l’intermédiaire des journalistes, par exemple), tout le monde aurait été au courant et on aurait pu en débattre. Au lieu de quoi, en découvrant qu’il y a eu des coupes sans savoir pourquoi, les spectateurs se sentent floués. Le succès de BoB sur France 2 (4 millions de téléspectateurs par épisode, plus que la soirée Delon, 2,5 millions de spectateurs) est indéniable et justifié. Le responsable des programmes de France 2 m’a révélé que ça a mieux marché en France qu’en Grande-Bretagne ou en Suisse. Il s’en félicite. Mais quel rapport avec les coupes? Rien, sauf que ça a mieux marché grâce à la diffusion à 20.50 et que, d’après France 2, pour le diffuser à 20.50, il fallait couper. Bref, on tourne en rond.
Quand je lui demande si BoB sera rediffusée, M. Tron me répond :“Certainement, mais je ne sais pas quand. Plutôt en seconde partie de soirée, et peut-être en VO, parce qu’après tout, elle est pas mal, cette VO.” (Sous-entendu : presque aussi bonne que la VF...) On rêve.
Toutes ces arguties ne doivent pas masquer le problème de fond: une œuvre a été intégralement devant le public américain, les Suisses, les Belges, les Anglais. Mais quand elle est arrivée en France, les spectateurs français, eux, et qui ont besoin d’être “éduqués” l’été (en août, d’après M. Tron, la politique de diffusion vise à “stimuler la mémoire historique” du public...) ont vu cette oeuvre à 20.50 amputée... pour que ça ne pose pas de problème avec la signalétique. Je me suis insurgé contre cet état de fait en disant qu’après tout, “Urgences” était violente, elle aussi, et rien ne me permettait de dire si France 2 la coupe ou non. M. Tron m’a alors répondu : “Je ne sais pas si “Urgences” est coupée. Je ne pense pas que ce soit prévu...” On respire. Mais on se demande pourquoi. En septembre, "Urgences" est diffusée en début de soirée. Alors ?
Je ne crois pas que les responsables de F2 soient autorisés, sous prétexte de leur mission éducative, à décider ce qui doit être montré ou non une fois qu’ils ont acheté un programme. Cette décision doit être prise avant, et si F2 décide de ne pas diffuser, c’est son droit. Mais quand elle diffuse, elle doit le faire intégralement, en respectant la signalétique, non en pliant le programme (et la signalétique) à ses choix stratégiques, et surtout pas sans prévenir ni le public, ni la presse. La démocratie, ça consiste aussi à être transparent, mais France 2 ne l’est pas.
Aux Etats-Unis, pays le plus commercial du monde, la projection de tous les films sur toutes les chaînes s’accompagne d’un carton précisant si le film a été raccourci ou recadré. Ce n’est jamais le cas en France. Est-ce donc si difficile à dire? Et si ces coupes étaient minimes et ne changeaient rien au sens de l’œuvre, comme s’en défend François Tron, pourquoi les avoir faites? Qui M. Tron a-t-il voulu protéger en les pratiquant? Le public, sa chaîne, ou son poste de directeur des programmes ?
Martin Winckler
Martin Winckler a aussi diffusé ce texte en dehors des membres du FLT et il sera vraisemblablement publié, mais pas sous la forme intégrale.
