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Là j'ai fait le tour je crois.
MILLENNIUM : TROIS SAISONS, TROIS CONCEPTS
MillenniuM, comme chacun sait, s’étale sur trois saisons aussi différentes les unes des autres, résultat d’un changement annuel et systématique de son producteur exécutif. C’est bien là la principale faiblesse de la série, et qui implique une redirection perpétuelle de sa mythologie, de son visuel, et de ses personnages. Chris Carter ne s’attendait certainement pas à ce que MillenniuM évolue de façon aussi disparate au fils des ans, et n’a jamais apprécié le fait que la série s’extirpe autant de ses origines, d’autant plus sans sa bénédiction. Au final, les trois saisons apparaissent comme peu cohérentes entre elles et les ficelles pendent toujours du plafond. Et pour comprendre combien le concept général de MillenniuM diffère de son concept initial, il faut avant toute chose définir quels étaient les motivations de départ de la série conjointement culte et maudite.
Pourquoi MillenniuM ? Parce que durant la seconde année de X-Files, la Fox demanda à Carter de songer à une nouvelle série pour la chaîne. Parce que Carter avait des idées qu’il ne pouvait pas exploiter dans X-Files, notamment un certain intérêt pour les tueurs en série et l’approche du nouveau millénaire. Et si quelques histoires de X-Files comme Le Fétichiste préfiguraient déjà MillenniuM, le vrai déclic pour Carter fut lors du tournage du segment Le Visage de l’Horreur, épisode toujours controversé écrit par Howard Gordon. Dès lors Carter se documente, cherche des contacts, établit ses personnages et trouve un nom provisoire à sa future série qu’il baptise 2000. Il est impossible de prévoir à l’heure actuelle que les coulisses de MillenniuM seront en vérité aussi agitées que la fiction elle-même !
“They believe we can’t just sit back and hope for a happy ending.” Frank Black (Pilot)
L’univers de MillenniuM part d’un constat simple : notre monde est atroce. La violence gratuite, l’indifférence pullulent. Les sages antiques ont disparu, laissant place à la décadence et à l’ignorance. Dans ce simulacre de société civilisée sévissent toutes sortes de criminels parmi lesquels les tueurs en série s’élèvent en tant que monuments de l’horreur et de la médiocrité humaine. Le Mal à l’état pur en somme. Pour contraster avec ce monde noir et cruel, Carter créé le plus lumineux des héros : Frank Black. Un homme altruiste, humaniste, bon et désireux de justice. Un homme doté du Don de lire dans les pensées des pires psychopathes de la création, et qui les traque inlassablement dans le but d’offrir un monde plus beau à sa petite fille. Un homme qui travaille pour le Groupe Millennium, un rassemblement d’anciens policiers et agents du FBI luttant contre le crime et qui considèrent la méchanceté grimpante de l’humanité comme la résultante de prophéties bibliques ancestrales. MillenniuM Saison 1 est une série extrêmement crédible, portée par un Lance Henriksen exceptionnel et très enthousiaste.
L’erreur de Carter a peut-être été de ne pas bâtir de vraie mythologie à long-terme et de se lancer dans l’aventure de façon presque improvisée. Durant les premiers épisodes, le même schéma policier semble se répéter sans grande originalité. De plus la noirceur de la série a rabaissé systématiquement l’audimat après chaque petit pic d’audience. Preuve en sont les changements intervenus dans l’enceinte même de la Saison 1 : dans la seconde moitié du parcours, les épisodes deviennent moins violents et s’attardent plus sur le personnage de Frank Black. Le protagoniste se retrouve alors plus souvent lui-même impliqué dans les évènements. Les sentiments des personnages prennent plus d’importance, la série essaie d’un peu atténuer sa froideur. Carter est obligé de faire des concessions car les critiques l’acculent. Aux tueurs en série s’ajoutent des thématiques nouvelles mêlant anges et démons, apocalypse cosmique ou bien expériences scientifiques douteuses. Le Mal dans son essence surnaturelle montre de plus en plus souvent son nez afin de distraire un public blasé par l’aspect « tueur en série de la semaine » de MillenniuM. 1013 est assiégé d’ennuis en tout genre : presse mitigée, nombre de spectateurs réduit, acteurs capitaux désireux de quitter la série après seulement quelques épisodes, comparaisons incessantes avec la série Profiler… La grande politique totalitaire de fermeture de sites web par la Fox aura des conséquences d’audimat sur toute la saison. Une partie du merchandising prévu est annulée en vue d’un échec commercial.
Pour passionner un peu plus les foules et tenter de garder leur noyau d’irréductibles, Frank Spotnitz propose à Carter de doter Jordan d’un Don psychique, afin de pimenter l’histoire. L’idée ne ravit pas Carter, qui voulait au départ que la famille Black soit des plus ordinaires, mais une fois encore il doit s’y résoudre et accueillir bras ouverts tout ce qui serait susceptible de sauver sa série sans trop la dénaturer. Et même si les scénaristes ne lésinent pas à introduire des éléments paranormaux dans leurs scripts, le message de la Saison 1 est clairement conservateur : l’an 2000 n’est qu’un symbole, celui du futur et ne correspond pas à la fin du monde physique. Carter voit l’apocalypse non pas comme l’extinction de la race humaine ou la destruction de la planète, mais comme la perte des valeurs morales qui autrefois régissaient la vie des Hommes. En cessant de croire en Dieu, l’être humain n’aurait-il pas par la même occasion cessé d’œuvrer pour le Bien ? L’Armaggedon perd son contexte biblique pour devenir la lutte entre les profilers et les assassins. C’est toute cette aura métaphorique qui donne à la première année de MillenniuM cette qualité descriptive et philosophique unique dans l’histoire de la télévision. Il n’empêche que la série, boycottée par quelques mouvements catholiques intégristes, frôlera l’annulation au terme de sa première année, et qu’elle devra sa survie au fait que Carter soit le créateur de X-Files : la Saison 2 sera.
[Episodes les plus représentatifs du message de la Saison 1] : Pilot, Dead Letters, The Well Worn Lock, Lamentation, Broken World.
“Serial killers, mass murderers, it’s all genetics. Inevitability. You have no idea about true Evil.” Le Vieil Homme (Beware of the Dog)
Mais la Saison 2 demeure la saison restée en travers de la gorge de Carter. La Fox a tout d’abord été très claire au terme d’une première année peu lucrative : si 1013 ne se débrouille pas pour injecter plus d’humour à MillenniuM, alors pas question de produire une Saison 2. Carter abdique, puis trop occupé à maintenir X-Files sur les sentiers du succès, il confie les rennes de MillenniuM à Glen Morgan et James Wong auxquels il voue une confiance et une admiration sans failles. Il s’en mordra les doigts. Surnommée l’année « 90% less serial killers » par ses fans, la Saison 2 a opéré un virage à 180° dans la trame de MillenniuM. Un virage que seuls Morgan et Wong au sein de 1013 ont apprécié, et que même Henriksen exècre : la métamorphose de l’ex-judiciaire et bienfaiteur Groupe Millenium en culte mystique millénaire manipulant ses membres à sa guise.
Le constat est évident, le Groupe passe rapidement de l’état de force du Bien à celui de secte ésotérique ancestrale se moquant éperdûment des crimes isolés et visant un but ultime de nature carrément eschatologique. Henriksen est formel : selon lui, déformer le spectre héroïque du Groupe Millennium fut une terrible erreur. Et bien qu’objectivement la Saison 2 soit la plus soutenue, la mieux écrite et donc la meilleure année de la série, il faut bien avouer qu’elle écrase tout l’édifice construit durant la Saison 1 par Carter. Morgan et Wong, dans le but de bâtir une mythologie pertinente qui puisse tenir dans la durée, vont tellement gonfler le rôle de personnages secondaires comme Peter Watts que bientôt Frank Black devient simple spectateur impuissant des évènements plutôt que de rester la force motrice des histoires. Peter, au départ simple enquêteur sans relief particulier, devient carrément un personnage central dont les contradictions et le comportement ambivalent rythmeront la saison. Les nouveaux personnages, parmi lesquels le chef spirituel nommé Vieil Homme ou bien la dépressive et mystique Lara Means, vont plonger MillenniuM dans la métaphysique pure en gommant l’élément policier. Provocatrice, la Saison 2 ne tarde pas à récolter les foudres de la Scientologie et la Fox se voit intenter un procès. Le duo de scénaristes court plus loin encore et va mener involontairement Carter jusqu’à une amertume noire. En séparant dès le départ le héros de sa famille, Morgan et Wong brisent le fondement-même de MillenniuM : un homme qui se bat contre le Mal pour protéger sa femme et sa fille des horreurs du quotidien. Dès lors le rôle de Catherine Black va perdre énormément d’intérêt et de temps d’antenne, jusqu’à complètement lasser son interprête, Megan Gallagher. Les nouveaux patrons de la série ont réussi à donner à MillenniuM une aura commerciale similaire à celle de X-Files, grâce à des leitmotiv puissants, une impression de compte à rebours, et une vaste relance de l’intérêt chez les internautes à travers un site officiel corrigé et ce fameux écran Ouroboros devenu un classique. Morgan et Wong ont compris que pour fédérer une imposante communauté MillenniuM, il fallait davantage faire participer les téléspectateurs.
Alors que la presse consacre la Saison 2 de MillenniuM comme étant d’une prodigieuse intelligence digne de Twin Peaks, et que l’audimat remonte peu à peu, les grands patrons de 1013 eux développent de plus en plus de mécontentement face à deux auteurs qui semblent vouloir bâtir leur propre série sur les restes de la série d’un autre. La saison a beau atteindre des sommets scénaristiques absolument effarants, les fans de la première heure remarquent vite que l’aspect métaphorique et la sobriété philosophique de la série ont disparu : la fixation de Morgan et Wong sur un compte à rebours de l’an 2000 va modifier l’approche de MillenniuM en termes d’apocalypse. Du stade originel de série traitant de la décadence humaine, MillenniuM se voit maintenant perçue comme une simple série parlant de la fin du monde. L’apocalypse sera mystique, instantanée, catastrophique et destructrice, et seul un certain nombre d’élus possèdent le pouvoir de l’empêcher… Ou bien de la déclencher. Si le procédé de Morgan et Wong accentue de manière considérable le suspense de la série, il perd néanmoins beaucoup en subtilité de par son matérialisme tranchant avec la métaphysique d’origine du show. Pour stéréotyper et simplifier le concept de base de la série, l’on pourrait dire que selon Carter un amour réciproque entre tous les êtres humains serait apte à empêcher la fin du monde, tandis que dans l’équation de Morgan et Wong l’apocalypse devient un phénomène cosmogonique excluant toute alternative autre que celle d’un groupe d’hommes élitistes et mystérieux. Autant dire que les deux visions n’ont rien en commun et que cela a contribué à creuser le fossé entre les deux premières années de MillenniuM. La culmination mythologique de la Saison 2 servira surtout à Terry O’Quinn dont le personnage bouffera tous les autres. Gallagher s’ennuie alors de son rôle de potiche et demande à Carter de lui permettre de quitter la série. Ce dernier suggère à Morgan et Wong de tuer le personnage de Catherine en fin de Saison 2, ce qu’ils font de remarquable manière. Leur dernier épisode, anthologique, explose les limites qualitatives de MillenniuM.
[Episodes les plus représentatifs du message de la Saison 2] : Beware of the Dog, The Curse of Frank Black, 19:19, Somehow Satan Got Behind Me, The Time Is Now.
“There are forces at work today that could easily tear this country apart.” Peter Watts (Skull and Bones)
Vient l’heure des comptes. La Fox est mitigée face aux scores d’audimat car la progression a été faible. Néanmoins la série se vend bien en Europe et y bénéficie d’une certaine popularité, ainsi qu’au Japon. De plus Carter fait à nouveau jouer ses contrats. Bref, la Saison 3 verra bien le jour et constituera la dernière chance de MillenniuM de se faire un public. 1013, envahi d’une haine discrète, écarte allègrement Morgan et Wong de la série, se réjouissant de ne les avoir nommés producteurs exécutifs que pour une seule année. Carter place aux rennes de la série l’un de ses amis, le scénariste de séries policières Michael Duggan, ainsi que le collaborateur de la première heure Chip Johannessen, fan de X-Files devant l’éternel et grand critique de la Saison 2. Carter et ses deux collègues vont alors s’employer à faire deux choses en même temps : saborder le travail de Morgan et Wong en guise de vengeance pure et simple, et tenter de conquérir le public fan de X-Files en rapprochant les scenarii de MillenniuM de ceux de sa grande-sœur.
Dans la Saison 3, Frank Black réintègre le FBI et trouve une partenaire de travail en la personne de Emma Hollis, tandis que Peter Watts devient une sorte d’informateur trouble et menaçant. MillenniuM tombait de plein fouet dans le « Syndrome X-Files », et ce qui était une tentative marketing au bout du compte ne fit qu’aggraver la situation en frustrant les fans de la première heure. La seule bonne nouvelle vint des premiers spoilers donnés par Carter : Frank allait retrouver sa place de pilier de la série et croiser à nouveau le chemin de sordides tueurs en série. Le public proteste dès les premiers épisodes diffusés et le producteur Duggan est hué par les aficionados suite à ses nombreuses erreurs scénaristiques, parmi lesquelles la transformation du Groupe Millennium en clone du Syndicat typé X-Files. Admettant sa défaite, il abandonne son poste et laisse Johannessen seul aux commandes de MillenniuM. Producteur exécutif ? Un habit trop large pour Johannessen, simple bon scénariste mais qui ne dispose pas de la compétence nécessaire pour assurer la perennité d’un programme aussi complexe que MillenniuM. D’autant que Carter et Spotnitz, loin des plateaux de Vancouver, ne sont pas pressés pour le conseiller outre mesure. Comme durant l’année précédente, une sale ambiance règne sur les lieux de tournage, tandis que toute la communication se joue par téléphone. Résultat, une pseudo-mythologie conspirationniste est improvisée, d’épisodes en épisodes, sans même concertation des différents auteurs, qui écrivent chacun leurs histoires dans leur coin : les faits se contredisent, la cohérence entre Saison 2 et Saison 3 est des plus chaotiques, les relations entre les personnages sont élastiques et illogiques. La continuité est une notion abolie. 1013 ne veut plus de mysticisme dans MillenniuM et balance à la poubelle un violent scénario d’exorcisme qui pourtant s’annonçait comme grandiose. Quant aux épisodes policiers, la pression de la Fox et la susceptibilité du public font que Carter les exige moins glauques, sacrifiant contre son gré une composante de l’atmosphère originelle du show. Les scénaristes tentent également de créer un passé satisfaisant à Emma afin d’avoir plusieurs champs d’exploration possible de son personnage : échec cuisant puisque la mythologie entourant la famille Hollis laissera de marbre tous les spectateurs. Le personnage, mal écrit et morne, ne parviendra que trop tard à s’extirper de sa position narrative inintéressante, et l’équipe de 1013 apprendra à ses dépends qu’il ne suffit pas d’habiller une femme avec le costume FBI pour en faire une seconde Dana Scully. Son seul aspect attachant, celui d’être une admiratrice de Frank, ne survivra pas plus de quelques épisodes. Carter et Henriksen ont beau s’agiter dans le vent et crier à tue-tête que la Saison 3 est bonne, les fans en ont marre que l’aspect ésotérique des scenarii soient relégués au second plan. La fin du monde viendra des hommes, pour des motifs politiques et militaires. Une fois encore, mi-saison Carter abdique et demande à Johannessen de revenir vers des thématiques un peu plus surnaturelles, puis de coupler leur mythologie militaro-industrielle avec des ambiances et des messages plus ou moins spirituels. La série semble alors se remettre un instant sur le droit chemin, trop tard : le public de X-Files se fiche toujours éperdûment de MillenniuM et les fans de la première heure continuent de regarder la série avec toujours cet espoir utopique de retour à l’esprit de la Saison 2. Le season finale est diffusé et Carter lui-même croit en le retour de la série pour une Saison 4. Il ira même jusqu’à annoncer l’arrivée de nouveaux produits dérivés, dans le vide. Mais la Fox décide malgré les protestations d’annuler MillenniuM, tandis que la rumeur d’une mini-Saison 4 d’une poignée d’épisodes circule. Elle ne se fera jamais. Pas de consolation pour les amateurs, la mythologie MillenniuM restera officiellement irrésolue. La série aura juste eu le droit de se ridiculiser une dernière fois lors d’un crossover déplorable dans la Saison 7 de X-Files, que beaucoup ont interprêté comme une insulte à l’encontre de MillenniuM.
[Episodes les plus représentatifs du message de la Saison 3] : Teotwawki, Antipas, Matryoshka, Bardo Thodol, Goodbye to All That.
MillenniuM apparaît finalement comme une série improvisée et raisonnablement brouillonne, proposant trois séries différentes pour le prix d’une. En somme un énorme mais jouissif foutoir provoqué par des conflits internes entre scénaristes, producteurs et acteurs, le tout surmonté par une chaîne impitoyablement avide de rendements. Si l’aspect multidirectionnel voire peu cohérent de MillenniuM peut frustrer, en revanche qui niera que c’est cette trichotomie unique qui a fait de la série une série culte ?

