Nous sommes fin 1999. 1013 Productions est fortement affecté par l’annulation abrupte d’Harsh Realm, dans laquelle Carter et Spotnitz s’étaient fortement investis. Au même moment, le projet The World on Fire, issu de la collaboration entre 1013 et J. Michael Straczynski (‘‘Babylon 5’’) est lui aussi mis à l’arrêt par la Fox qui décrète suite à l’échec d’Harsh Realm, inspirée d’un comics, qu’elle veut maintenant du 100% Carter.
Mais l’équipe, qui est en train de réaliser qu’il est probable qu’X-Files ne s’arrête pas avec sa septième saison, ne va pas chômer longtemps. Même si, cette fois-ci, ce n’est pas Carter qui propose un nouveau projet. C’est la Fox qui vient à lui, suggérant de lancer ce spin-off d’X-Files dont on parle depuis des lustres, centré sur les Lone Gunmen.
Un Lancement Précipité...
Carter accepte ; nous sommes alors en janvier 2000 et le projet The Lone Gunmen devient officiel. Les communiqués de presse à l’attention des journalistes partent. Ceux-ci s’empressent d’aller poser des questions à Dean Haglund, Bruce Harwood et Tom Braidwood, alias Langly, Byers et Frohike. Invraisemblable : les trois acteurs... ne sont pas encore au courant !! Personne n’a jugé bon de les en avertir ! L’attitude dégage une certaine condescendance de la part de 1013/Fox (« bah, il n’y a pas de raison que ces trois-là ne soient pas d’accord, qu’est-ce qu’ils font à part ce qu’on leur donne, de toute façon ? ») qui sera d’ailleurs assez mal perçue dans l’Industrie – on évoque encore aujourd’hui l’anecdote quand on parle de Carter. Elle donne aussi une idée de la précipitation dans laquelle le projet fut lancé. Deux mois après cette annonce, Rob Bowman met en effet un point final au tournage du Pilote.
Les crédits de la série mentionnent que les créateurs en sont Chris Carter, Vinge Gilligan, John Shiban & Frank Spotnitz. Le moyen pour Carter à la fois de ne pas s’investir à fond dans un nouveau projet alors qu’il n’est pas remit d’Harsh Realm, de récompenser ses fidèles camarades (le trio John Gilnitz étant donc placé à la tête de la production), et de se payer le luxe d’un bras d’honneur à la Fox et sa volonté de voir du ‘‘100% Carter’’. Il faut d’ailleurs savoir que la version d’origine du pilote ne mentionnait pas Carter dans les crédits d’écriture, il ne fut rajouté qu’ensuite, à l’occasion de retouches réalisées lorsqu’il fut décidé que la série ne serait lancée qu’à la mi-saison, en mars 2001.
...Aux conséquences désastreuses
Lancer une série en deux mois ne se fait pas, d’une manière générale. On comprend aisément pourquoi à la vision du Pilote de The Lone Gunmen, qui fait montre d’une absence totale de maîtrise artistique. Les auteurs n’ont pas la moindre idée de la série qu’ils veulent tourner. Ils n’exploitent rien du potentiel qu’on envisageait, mais nous imposent un X-Files bis avec Byers dans le rôle de Mulder. Reporters d’investigation pour leur journal ‘‘The Lone Gunman’’, Byers, Langly et Frohike tentent de dévoiler une conspiration gouvernementale dissimulée derrière la nouvelle puce informatique Octium IV, et qui semble liée au père de Byers. Concession à la nature des personnages : la narration s’interrompt toutes les cinq minutes pour laisser place à un ‘‘gag’’. Impossible de faire l’économie des guillemets, tant c’est à 99% lourd et, surtout, pas drôle. En plus des Lone Gunmen, un nouveau personnage principal est introduit. Du moins, c’est ce que nous apprend le générique. Pour le reste le personnage d’Yves Adele Harlow, incarné par Zulheika Robinson, est à peine esquissé. On n'a pas la moindre idée de la manière dont elle s’insérera de façon permanente dans la série.
On aimerait que ce pilote ait été un coup pour rien, mais les choses sont plus sombres. Les projections réalisées notamment à l’attention des acheteurs étrangers éventuels contribuent à générer un buzz de départ très négatif autour de la série. Soyons honnête: si Carter n’avait pas été Carter, il y a fort à parier que la chaîne n’aurait pas donné suite à cet épisode-test.
Par chance, le renouvellement de X-Files permet de repousser le lancement du spin-off à la mi-saison 2000/2001. Les auteurs n’ont ainsi pas à enchaîner directement sur la production d’épisodes réguliers, mais peuvent prendre le temps de réfléchir à ce qu’ils veulent faire de cette série, le tournage ne devant commencer qu’à la fin 2000.
TLG 2.0
Il est par ailleurs heureux que le trio John Gilnitz ait pu avoir suffisamment de recul pour prendre conscience des graves problèmes du Pilote. C’est donc à une redéfinition de la série qu’il s’emploie à l’été et automne 2000.
Première bonne nouvelle, les producteurs font un choix : celui de tourner une comédie. Fini le ‘drama à gag(s)’, la légitimité de TLG, et l’originalité de son ton par rapport aux autres productions 1013 sont maintenant garantis. Mine de rien, la série s’en trouve réellement bouleversée, et son intérêt grandit franchement une fois le parti pris de réalisme du Pilote oublié. Comparaison avant/après : Yves Adele Harlow travestie en homme dans le Pilote, c’était une Zulheika Robinson dont on avait essayé un peu vainement de masquer la féminité écrasante derrière moustache, barbes, et autres poils touffus. Dans la suite de la série, ce sont tout simplement d’autres acteurs qui sont invités à incarner ‘‘Yves maquillée en’’. Les auteurs assument le délirant et aboutiront à un épisode aussi formidable que « The Lying Game » avec Jimmy-déguisé-en-Skinner qui donne lieu à un festival de la part d’un Mitch Pileggi épatant. Plus généralement les intrigues passent d’une tentative d’attentat orchestrée par le gouvernement US contre le World Trade Center à des investigations sur des Chimpanzés intelligents ou la révélation du passé de star du tango de Frohike.
La seconde bonne nouvelle, et la plus intéressante, est l’ajout d’un nouveau personnage principal qui prolonge la volonté d’ancrer la série dans la comédie. Jimmy Bond (l’excellent Stephen Snedden) vient rejoindre le gang. Introduit au travers d’un épisode plus que passable dont il est presque le seul intérêt, Jimmy Bond est un riche (intéressant pour nos pauvres Gunmen !) idéaliste avec le cœur sur la main. Un homme qui serait presque parfait, si son QI n’était pas fermement ancré en dessous de 25 !
Pour les scénaristes, Jimmy était d’abord une solution à un problème : pourquoi nos trois Gunmen passaient-ils le Pilote à s’expliquer des choses qu’ils savaient les uns comme les autres, étant trois spécialistes ? Jimmy est un puits de non-science qu’il faut constamment remplir, ainsi qu’une source inépuisable de moments comiques. Rapidement, toutefois, la création va un peu échapper à ses créateurs, et Jimmy devient le cœur émotionnel de cette série qui manquait d’âme. Sa candeur est touchante et le public en vient vite à se prendre d’affection pour lui. Presque plus, en fin de compte, que pour les Lone Gunmen, qui restent malheureusement enfermés dans des archétypes établis dans X-Files. Mais ce qui fonctionnait pour des apparitions de 5 minutes par épisode, en moyenne, peine à nourrir 42 minutes chaque semaine.
Le McGuffin Yves Adele Harlow
La relation Jimmy/Yves grandit. L’attirance entre l’idiot gentil, doux et un peu bouseux sur les bords et l’ultra sophistiquée, ultra intelligente et ultra bombe Harlow s’avère totalement délectable et contribue à décaler fortement le centre du show. Contrairement à ce à quoi on pouvait s’attendre, The Lone Gunmen a bien cinq personnages principaux, non pas trois plus deux autres en retrait. Yves, son accent Anglais, et l’hommage parodique à Emma Peel qu’elle constitue, devient de plus en plus agréable au fur et à mesure des épisodes, alors qu’il devient de clair qu’elle se bat du bon coté, et pas uniquement dans un but vénal. Mais si on devine chez elle l’existence d’une quête, celle-ci reste tout aussi mystérieuse que le personnage lui-même. En fait, Yves était le point d’entrée de la mythologie de la série, qui ne fut malheureusement jamais développée puisqu’elle ne fut introduite que lors du season finale, « All About Yves », le dernier épisode avant l’annulation de la série. La conclusion apportée aux Lone Gunmen dans X-Files permettra de comprendre où John Gilnitz voulait en venir, et de contribuer à nous faire regretter l’annulation de la série. Cet arc était d’autre part incroyablement dans l’air du temps, puisqu’il se serait centré sur le père d’Yves, qu’elle combat, le leader d’un réseau terroriste international...
Au-delà de cette mythologie avortée, la série choisit de s’intéresser aux conspirations privées, aux mafias locales, aux dérives de la science, aux dangers des multinationales et de la mondialisation, se dégageant de ce fait quelque peu de l’aspect gouvernemental qu’X-Files a déjà passablement usé.
Une fois encore presque trop en phase avec son époque, un épisode passe à la trappe. Nos héros y enquêtaient sur la présence possible d’un espion pour le compte des Chinois sur le territoire américain. Nous sommes en pleine crise diplomatique autour de l’affaire de l’avion espion US crashé en Chine. Il ne sera diffusé, en catimini, qu’en plein mois de juin, pendant la saison creuse. Cet épisode ne sera d’ailleurs jamais officiellement titré (les fans l’appellent le « Capt’n Toby Show ») et cette affaire lui a valu d’être retiré du marché étranger, si bien que France 2 n’en possède pas aujourd’hui les droits (quoi que je suspecte fortement que cela puisse s’arranger dès qu’elle aura entamé la diffusion).
Des lourdeurs
En dépit de la redéfinition opérée entre le Pilote et le premier épisode régulier, les débuts sont toujours particulièrement poussifs et peu intéressants. Les scénaristes éprouvent d’extrêmes difficultés à maîtriser la série, et à intégrer la comédie aux scénarios. Souvent, ils sacrifient au rite du gag, imposant autant de digressions qui cassent le rythme du récit. Un exemple s’impose tout seul : lors des premiers épisodes, ils s’étaient persuadés que le simple fait de faire tomber Frohike par terre devait permettre de provoquer l’hilarité générale. Toute surface glissante est ainsi destinée à accueillir le pied de Frohike, puis le reste de son corps dans les secondes qui suivent, ce jusqu’à trois fois en un seul épisode. Succès garanti en Grande Section de Maternelle. Mais ailleurs ?...
C’est seulement lors des tous derniers épisodes de la série que les auteurs parviendront à construire de véritables intrigues de comédie et à trouver le juste équilibre entre humour, sérieux et émotion. On peut comprendre qu’après 10 épisodes atteignant au mieux le moyen et sombrant parfois dans l’inregardable, la Fox ait estimé que cette reprise en main soit intervenue trop tard. Tout le monde était d’ailleurs bien conscient de ce départ difficile. Il faut savoir que les critiques des journaux américains n’ont pas reçu, lors de son lancement, simplement un, ni même deux, mais bien six épisodes entiers (!), dans l’espoir qu’ils perçoivent l’évolution et se montrent un peu indulgents. (Au final, la série s’est faite descendre quasi-unanimement.)
The Lone Gunmen souffre aussi beaucoup d’un humour au ras du ras des pâquerettes (Carter a été jusqu’à citer en référence les frères Farrelly [‘‘Mary a tout prix’’, ‘‘Dumb and Dumber’’]). On endure ainsi Frohike divertissant l’attention en simulant une crise incontrôlable de pets, ou Langly contraint et forcé, pour assurer sa couverture, de procéder à un toucher rectal approfondi sur une vache, etc. Voilà qui, en plus de ne faire rire à peu près personne (et surtout pas le public normallement acquis à 1013) offre autant d’armes aux gens désireux d’assassiner la série en quelques lignes et d’en oublier totalement les qualités. La débâcle critique n’ayant par la suite fait que faciliter la tâche de la Fox au moment de décider de son annulation. A l’annonce de cette nouvelle, Bruce Harwood (Byers) qui espère poursuive une carrière à plein temps de comédien, fut le plus déçu. Dean Haglund et Tom Braidwood y voyaient quant à eux l’opportunité de retourner à leurs autres activités (les spectacles comiques dans le premier cas, la réalisation dans le second), mises entre parenthèses le temps du tournage.
Fin de série
Preuve de la concurrence acharnée que se livrent désormais les chaînes de télévision française quand il s’agit d’achat de série, The Lone Gunmen fut achetée par France 2 dès le stade du pilote, en dépit de la nullité de celui-ci. Il est d’ailleurs permis de se demander si la chaîne l’a simplement vue avant de sortir le porte-monnaie, une nouvelle fois appâté bêtement par le seul nom de Chris Carter. C’était il y a deux ans. Depuis, pas le moindre signe de l’arrivée de la série à l’antenne. Les fans se sont mis en action pour tenter de pousser F2 à diffuser TLG avant qu’elle trouve sa résolution définitive au cours de la neuvième saison de X-Files. Peine perdue, la chaîne fait la sourde oreille, une fois de plus, et se paye la tête de ses téléspectateurs – et financiers par le truchement de la redevance – en les ballottant d’un service à l’autre depuis des mois. Pire, elle refuse maintenant de donner les droits photographiques de la série à la presse si l'on mentionne qu'elle garde la série dans ses cartons! La débâcle entourant MillenniuM n’avait déjà rien fait pour remonter notre estime du service public, cette fois on touche le fond.
Il reste néanmoins probable que The Lone Gunmen débarque très prochainement sur l’antenne de France 2... dès que celle-ci aura un trou à boucher ! Surveillez les milieux d’après midi et les programmes de la nuit... Une fois la série enfin diffusée, une page qui s’avère, et de loin, la moins mémorable de 1013 Productions, sera définitivement tournée. A moins que profitant de l’effet X-Files, le spin off trouve grâce aux yeux des éditeurs de DVDs...
The Lone Gunmen
2001 – 20th Century Fox/1013 Productions
Création et production exécutive: Chris Carter, Vince Gilligan, John Shiban & Frank Spotnitz
Avec Bruce Harwood, Tom Braidwood, Dean Haglund, Stephen Snedden et Zulheika Robinson.
Note : C
A ne pas manquer : « The Lying Game », « All About Yves » et surtout « Tango de los Pistoleros »
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Sullivan
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Dernière modification par Sullivan le 28 oct. 2002 23:00, modifié 3 fois.
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Re: ACTUALITE: The Lone Gunmen
C'est corrigé. Pour le reste, j'ai pas encore pris le temps de me relire en profondeur.
Sullivan
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