DOCTOR WHO - Saison 3
Amour sans retour
Par Sullivan Le Postec • 21 décembre 2009
Nouvelle saison pour le nouveau « Doctor Who » et, après le départ de Billie Piper, nouveau changement dans la distribution principale. Martha arrive et amène son lot de nouveautés dans la dynamique du show.

La troisième saison manquait à l’appel dans notre passage en revue de la nouvelle série. Voilà qui est corrigé.
Les acteurs en tête d’affiche se passent le relai, mais l’objectif de cette version contemporaine de « Doctor Who » reste le même : provoquer le dépaysement le plus divertissant possible en situant ses épisodes aux quatre coins de l’espace-temps, ne jamais oublier la critique sociale inhérente au genre de la science-fiction, et suivre avec attention et subtilité l’évolution émotionnelle de ses personnages.

Smith...

Les précédentes saisons de la série ont mis en évidence la difficulté pour le Docteur de gérer ses relations. Être quasi-immortel, le Seigneur du Temps est confronté au fait qu’il va probablement passer le reste de l’éternité à voyager dans le temps et dans l’espace. Tous ceux qui l’entourent, eux, seront amenés à mourir. Et, du point de vue du Docteur, ce sera forcément plutôt tôt que tard. Alors il doit trouver un équilibre difficile entre une solitude absolue à laquelle il ne peut se résoudre et le traumatisme qui pourrait découler de trop s’attacher à quelqu’un. Son acharnement à protéger la Terre et l’humanité peuvent sûrement être relus sous cet angle. Les Humains, en tant que groupe, sont son meilleur ami, celui qu’il veut voir l’accompagner jusqu’à la fin.
Cette prudence aussi nécessaire qu’impossible, le Docteur l’a oubliée avec Rose. ‘‘Je t’aime’’ a-t-il même failli lui dire au moment où il lui disait au revoir (l’au revoir, un privilège que d’autres, avant elle, n’avaient pas eu). Séparé d’elle à jamais, le Docteur doit en porter le poids et néanmoins entamer un nouveau cycle.
Son dévouement à protéger l’humanité, et le fait qu’il soit — presque — le dernier survivant de sa race provoque inévitablement un rapprochement de plus en plus prononcé avec les Humains. Smith (c’est ainsi qu’il se fait appeler quand il cherche à se fondre parmi eux), la part humaine du Docteur, est explorée à plusieurs reprises au cours de cette troisième saison. C’est même sous cette facette humaine de Smith qu’il apparaît pour la première fois dans « Smith and Jones » qui ouvre la saison, alors qu’il se fait passer pour un patient dans l’hôpital où travaille une certaine Martha Jones. Prélude au sublime double-épisode de Paul Cornell.

...and Jones

Martha Jones, l’addition controversée de cette saison 3... Le personnage a quelques caractéristiques générales communes avec Rose : c’est une jeune femme Londonienne donc la fonction est de servir de référent émotionnel au téléspectateur, et de personnage identificateur pour les petites filles qui regardent la série (la féminisation du public de « Doctor Who » est une des explications du grand succès de cette version). Mais, au-delà de ces traits, les deux personnages sont très différents.
Rose a suivi le Docteur dans ses aventures parce qu’elle menait une vie sans grand intérêt de vendeuse dans une boutique, sans passion, sans véritable attache émotionnelle autre qu’une mère avec qui il était temps de couper le cordon et un boyfriend qu’elle aimait bien, mais qu’elle n’a jamais aimé. Martha, étudie pour devenir médecin et, comme l’illustre sa première scène, est au contraire au centre de sa pléthorique famille : médiatrice des conflits qui agitent notamment ses parents divorcés. Si elle est plus mature que Rose, c’est tout de même beaucoup de responsabilité pour une jeune fille qui, en réalité, n’est pas vraiment encore devenue une femme sur le plan émotionnel – et qui peine à le faire dans ce contexte. Pour elle, l’aventure avec le Docteur est une échappatoire à la pression plutôt qu’un moyen de combler un vide. Des vacances, en quelque sorte, envisagées comme temporaires.
Et puis, bien sûr, il y a ses sentiments pour le Docteur. Une sorte d’amour immédiat, instantané, de petite fille. Mais le Docteur ne pourra jamais tomber amoureux d’elle, ne serait-ce que parce qu’elle est quasiment la première à avoir poussé la porte du Tardis après la perte de Rose.

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La personnage de Martha est une rafraîchissante réussite, surtout à son arrivée. Après que la relation Rose/Docteur se soit un peu hystérisée au cours de la saison 2, Martha ramène un peu de cérébralité et de calme à l’intérieur du Tardis. Freema Agyeman déborde d’un enthousiasme évident et communicatif. Le problème, c’est que, malgré toute la bonne volonté du monde, elle est loin d’avoir la qualité émotionnelle du jeu de Billie Piper. Ces grosses limites dans ses capacités d’actrice condamnent au final le personnage de Martha à une certaine superficialité. Et après de bons débuts, l’intérêt pour le personnage ne cesse de décroître, même si les scénaristes sauront lui donner quelques bons moments, notamment dans le final de la saison.

The Master

La troisième saison présente un arc mythologique comme à l’habitude construit avec beaucoup de soin, qui relie à la dernière minute des épisodes qui semblaient jusque là n’avoir aucune connexion. Le retour de la montre qui permet de cacher le caractère alien d’un Time-Lord est ainsi est rebondissement à la fois surprenant et immensément gratifiant pour le public qui a suivi la saison.
Dans notre mémoire, la saison 3 restera la saison du Maître, personnage over the top sublimé par un John Simm phénoménal dans sa manière d’assumer les aspects les plus barrés du personnage et de les mixer avec une sorte de figure à la Tony Blair. L’ampleur des fins de saisons grandit d’année en année, et nous assistons cette fois-ci à rien de moins que la quasi-destruction de la Terre. Le bond dans le temps d’un an qui fait suite à celle-ci est l’un des rebondissements les plus surprenant de la série (même si Russel T Davies regrette que les auteurs de « Battlestar Galactica » aient eut la même idée grosso modo en même temps, le fait est que cela fait malgré tout son effet).

Les épisodes

3.00 : The Runaway Bride
Scénario : Russell T Davies, Réalisation : Euros Lyn.
Alors qu’il vient de faire ses adieux à Rose, le Docteur voit apparaître Donna, en robe de mariée, dans le Tardis. Cherchant à comprendre pourquoi, le Docteur remonte la trace d’une mystérieuse affaire qui pourraitn bien amener à une nouvelle invasion d’extraterrestres à Noël...
Le deuxième épisode spécial de Noël reste peut-être à ce jour le plus mémorable. C’est bien sûr, l’introduction du personnage de Donna, brillante dans sa relation haute en couleur avec le Docteur et déjà superbement incarnée par Catherine Tate. L’histoire fonctionne très bien, et a de bonnes résonances émotionnelles grâce à Donna, qui passe de gueularde un peu insupportable à femme pleine d’humanité et très touchante en l’espace d’une heure. Elle est aussi l’occasion de tours de force visuels impressionnants dans le cadre d’une production télévisée, telle que la course-poursuite sur l’autoroute ou encore le spectaculaire maquillage du monstre.

3.01 : « Smith and Jones »
Scénario : Russell T Davies, Réalisation : Charles Palmer.
Un hôpital londonien se retrouve téléporté sur la Lune par les Judoons, des policiers de l’espace à la recherche d’un criminel extraterrestre caché parmi les patients. Le Docteur est sur place et fait la connaissance d’une étudiante en médecine Martha Jones.
Une reprise de saison réussie à la fois de part l’intelligente introduction de Martha, le scénario malin à défaut d’être très épais, et les charismatiques méchants de l’épisode, les Judoon, policiers à tête de rhino.

3.02 : « The Shakespeare Code »
Scénario : Gareth Roberts, Réalisation : Charles Palmer.
Le Docteur amène Martha à Londres à la toute fin du XVIe siècle, à la rencontre de Shakespeare. Ils ne sont pas seuls sur place et doivent bientôt affronter d’inquiétantes sorcières...
Un très bon épisode historique de la série qui multiplie références et clins d’oeils et fait de Shakespeare un personnage plutôt haut en couleurs et très intéressant.

3.03 : « Gridlock »
Scénario : Russel T Davies, Réalisation : Richard Clark.
Retour sur New Earth, une vingtaine d’années après les événements du premier épisode de la saison 2. Martha et le Docteur deviennent prisonnier d’un embouteillage qui pourrait bien durer... jusqu’à la fin des temps.
« Gridock » a ses fans, principalement du coté des amateurs de hard SF parfois agacés par l’ancrage sur la Terre contemporaine de la série de Davies. Pour tous les autres, risque se poser le problème d’une histoire qui empile les éléments insensés les uns sur les autres et tire très peu partie de ses points forts, tel que le personnage de Boe et sa révélation au Docteur. Mention tout de même pour le joli duo de scène où le Docteur ment, puis finit par révéler la vérité à Martha sur Gallifrey. Leur relation se développe de façon plutôt subtile et intéressante.

3.04/05 : « Daleks in Manhattan » / « Evolution of the Daleks »
Scénario : Helen Raynor, Réalisation : James Hawes.
New York, les années folles. Des dizaines de sans-abris ont élus domicile dans un bidonville érigé à Central Park. Ils disparaissent un à un. Le Docteur et Martha découvrent bientôt que les Daleks échappés de leur dernière rencontre avec le Docteur sont responsables.
Clairement le pire épisode en deux parties de la série. Il y a bien quelques éléments intéressants, mais rien qui ne surnage dans cette histoire sans originalité et qui tire sur la corde des Daleks jusqu’au point où l’on n’a plus envie de les voir avant un bon moment.

3.06 : « The Lazarus Experiment »
Scénario : Stephen Greenhorn, Réalisation : Richard Clark.
Retour à son époque pour Martha. Sa sœur travaille pour le professeur Richard Lazarus qui vient d’inventer une machine à rajeunir. Reste qu’il est possible qu’elle ait aussi largement transformé le code générique de Lazarus. Martha et le Docteur doivent affronter le monstre tout en gérant les relations difficiles avec la famille de Martha : sa mère, Francine, est très inquiétée par ce mystérieux Docteur.
Un monstre particulièrement improbable pour cet épisode qui fonctionne essentiellement sur la dynamique familiale des Jones, sans rapport aucun avec les Tyler, et la mise en avant perceptible de l’arc de cette saison.

3.07 : « 42 »
Scénario : Chris Chibnall, Réalisation : Graeme Harper.
Martha et le Docteur se retrouve dans un vaisseau spatial en perdition qui va s’écraser dans un soleil dans 42 minutes. Nous les suivons en temps réel tentant de prévenir la catastrophe.
Le scénario de Chibnall, qui fut le scénariste principal des deux premières saisons de « Torchwood » est une compilation hétéroclite d’idées et d’imagerie déjà vues ailleurs. Le contexte rappelle « Sunshine », le temps réel est emprunté de « 24 », les ombres de victimes semblent sorties de l’épisode « Soft Light » de « The X-Files »... Il est compréhensible qu’on reste extérieur à ce patchwork bancal. Pour ma part, l’épisode a réussi à m’engager émotionnellement avec les personnages de la Capitaine et du jeune homme qui tombe amoureux de Martha. C’est déjà une progression par rapport à toute une série d’épisodes relativement faibles qui n’ont généré que peu d’engagement émotionnel. Heureusement, la saison est sur le point de se reprendre de façon spectaculaire...

3.08/09 : « Human Nature » / « The Family of Blood »
Scénario : Paul Cornell, Réalisation : Charles Palmer.
Pour échapper à des ennemis qui peuvent suivre le Tardis à travers le temps et l’espace, le Docteur a enfermé sa nature de Time Lord dans une montre à gousset et assume une identité d’Humain, sans souvenir de ce qu’il est vraiment, surveillé par Martha qui doit supporter de voir Smith tomber amoureux de l’infirmière du pensionnat de 1913 où ils ont trouvé refuge.
Le scénario de Paul Cornell est un chef d’œuvre qui parle avec richesse de la nature humaine, donne de la vraie matière tant au personnage du Docteur qu’à celui de Martha, le tout dans le contexte d’une histoire originale et qui bénéficie en outre d’une imagerie superbe (les monstres épouvantails, notamment). Une immense réussite !

3.10 : « Blink »
Scénario : Steven Moffat, Réalisation : Hettie MacDonald.
Sally Sparrow visite une maison abandonnée avec sa meilleure amie. Elle trouve sous le papier peint un message qui s’adresse spécifiquement à elle et la met en garde contre les anges pleureurs, des statues présentes dans le jardin. Peu après, son amie disparaît mystérieusement. Mais Sally reçoit un message de sa part disant qu’elle a été transportée dans le passé. Tout ça est relié à la collection personnelle de DVD de Sally, des DVD qui contiennent tous un bonus caché comportant un message incompréhensible du Docteur !...
Pour une série ayant pour héros un voyageur du temps, « Doctor Who » aborde réellement ce thème de manière frontale. Sauf peut-être dans les épisodes de Steven Moffat qui aime jouer avec les paradoxes. C’est le cas dans ce chef d’œuvre absolu qui repousse à sa limite le coté terrifiant de la série. « Blink », c’est le genre d’épisode qu’on regarde vraiment caché derrière le sofa.

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3.11/12/13 : « Utopia » / « The Sound of Drums » / « Last of the Time Lords »
Scénario : Russel T Davies, Réalisation : Graeme Harper (3.11), Colin Teague (3.12/13).
Un arrêt rechargement à Cardiff est l’occasion pour le Docteur de renouer avec Jack Harkness. En réaction avec l’anomalie que représente Harkness maintenant qu’il est immortel, le Tardis s’échappe et les emmènes tous les trois à la fin des temps. Les derniers Humains espèrent embarquer dans une fusée qui les conduira à Utopia. Un professeur travaille en ce sens, mais il n’est peut-être pas ce qu’il a l’air d’être...
C’est en effet le Maître qui vole le Tardis et retourne à notre époque. Le Docteur, Martha et Jack le suivent grace à la montre de voyage temporel de Jack et découvre que le maitre n’est autre que Saxon, le nouveau Premier Ministre. Celui-ci annonce à la télévision le contact avec une race extraterrestres. Les Américains sont furieux d’avoir laissé hors du coup et tentent de reprendre les choses en main, sans imaginer une seconde que Saxon cache un plan absolument terrifiant...

L’introduction, « Utopia » pèche par son caractère un peu brouillon, et c’est donc la partie la plus faible de ce final, même si elle est indispensable à sa compréhension. Pour le reste, c’est un festival grandiose, délirant et terrible, porté par le charisme de John Simm, incroyable dans son portrait d’un Maître cinglé et parfaitement démoniaque. Les surprises et les morceaux de bravoure sont nombreux. Et j’ai même absolument adoré la séquence de la résurrection du Docteur, qui pousse un peu trop loin le limite du kitsch pour certains.

En conclusion, une saison riche et intéressante, bien que Martha n’ait été qu’une demi-réussite. Grâce çà une série finale d’épisodes d’une qualité exceptionnelle, elle rattrape aisément une première moitié beaucoup plus chargée en épisode de nature bancale.