Critique des meilleures nouvelles séries télé (et des autres)
Regarde critique sur les séries TV actuelles

Breaking Bad - Avis sur la première saison de la série au titre en allitération

Bilan de la Saison 1: Vince Gilligan wants to turn Mr. Chips into Scarface

Par Dominique Montay, le 8 octobre 2008
Publié le
8 octobre 2008
Saison 1
Episode 7
Facebook Twitter
Il n’y a pas que « Mad Men » à porter bien haut les couleurs du nouvel acteur des séries du câble US. Il y a aussi cette belle série éducative qui nous apprend à cuisiner du crack.

7 épisodes, fichue grève. 7 épisodes seulement, mais assez pour convaincre que « Breaking Bad » est sûrement la meilleure surprise du début de l’année 2008. Alors que la seconde saison est en production, petit retour sur le nouveau bijou d’AMC.

American Movie Classics

AMC, la télévision d’un des plus grand propriétaire de salles de cinéma du nord de l’Amérique. Des films, des vieilles séries et depuis peu, des productions maison qui font de l’ombre aux anciens nababs que sont HBO et (déjà) FX. « Mad Men » fût un coup d’essai proche du coup de maître, « Breaking Bad » s’inscrit dans la même mouvance. Un concept fort (sans être forcemment un high-concept dans le sens très usité ces derniers temps), un showrunner de talent et expérimenté (du moins au scénario) et un casting en béton.

Ou-ou ou-ou ou-ou (tugudugum tugudum)

Le showrunner : Vince Gilligan. Les amateurs d’« X-Files » connaissent déjà le bonhomme, auteur de quelques uns des meilleurs épisodes de la série pour laquelle il travailla à partir de la fin de la seconde saison, mais aussi showrunner sur la moins réussie « The Lone Gunmen » aux côtés de Frank Spotnitz, un autre Carter-boy. Cette série n’avait pour but que d’installer les deux scénaristes en tant que showrunner afin de leur confier les rênes d’« X-Files » après le retrait de Chris Carter (je tiens d’abord à remercier mon rédac’ chef...). Après le plantage de la série, Gilligan se retrouve plus ou moins sans travail. Un épisode pour « The Night Stalker », un autre pour « Robbery Homicide Division », et pas grand chose d’autre. Au fil d’une conversation avec un ami, Gilligan se demande ce qu’il ferait s’il décidait de changer complètement de profession. Etrangement, il pensa à la fabrication d’amphétamines. Et Walter White de faire son chemin dans l’esprit de l’auteur.

Prof

Walter White est professeur de chimie. Il a une moustache ridicule, un look vestimentaire d’un autre âge, une coupe sans intérêt, un second travail où il est forcé de parfois nettoyer les voitures des élèves qu’il éduque dans la journée. Sa vie ressemble à une longue et insurmontable suite d’humiliations. Sa famille, même si elle est aimante, contribue à ce sentiment d’étouffement. Sa femme aime contrôler les choses et attend un enfant. Son premier fils est hadicapé moteur et adolescent, avec tout ce que ce statut draine derrière lui. Ainsi va Walter, distillant des sourires gênés, balladant sa timidité et construisant autour de sa personnalité des barrières qui l’empêchent de se libérer. Puis tout va basculer. Walter apprend qu’il est atteint d’un cancer des poumons incurable. Etrangement, il prend la nouvelle avec un stoïcisme total, semblant assumer la situation. A croire que Walter vivait sa vie pour attendre la mort et qu’il venait juste d’apprendre que la fin allait arriver plus tôt, sans forcemment trouver ça injuste. Mais la seconde reaction post-annonce de Walter est sûrement la plus surprenante.

Le beau-frère de Walter est un beauf. Sans jeu de mot. Flic des stups (un très bon flic des stups, au passage), il s’affiche comme un mec macho et fort. Crâne rasé (comme Vic Mackey), trappu et musclé (comme Vic Mackey), gras et lourd (comme Jean-Marie Bigard). Lorsqu’il emmène Walter sur les lieux d’une perquisition (oui, en plus il frime, fier comme un coq de son métier), ce dernier croise Jesse Pinkman, un de ses anciens élèves devenu dealer d’amphéts. Enfin, il le croise... il le voit fuir en courant, à poil. Walter n’intervient pas parce qu’il s’est rendu compte de quelque chose : vendre des amphéts, ça rapporte de l’argent. Il retrouve alors Jesse et lui fait une proposition malhonnête et contre-nature : remplacer son équipier (que son beau-frère vient de coffrer), et préparer les amphétamines à sa place. Passée la première réaction de Jesse (se moquer ouvertement du "vieux con"), il accepte, pour se rendre compte que non seulement Walter est capable de faire des amphétamines, mais que son statut de prof de chimie en fait le meilleur préparateur d’amphéts qu’il n’ait jamais vu.

Mauvais chemin

« Breaking Bad », comme on nous l’explique dans le générique, est une expression du sud qui désigne quelqu’un qui a dévie du droit chemin pour emprunter une voie en marge. En gros, la traduction littérale pourrait être "Mal tourner" (répétez après moi : "ne donnez pas ce titre à la série si elle est diffusée en France"). Et Walt tourne mal. Et pourquoi ? Pour laisser de l’argent, le maximum d’argent à sa famille avant de mourir. Mais cette révolution personnelle a d’autres répercussions sur Walt, plus profondes, moins évidentes au départ.

Plus jeune, Walter White était un jeune chimiste bien bâti, barbu et le cheveu rebelle. Il portait des jeans et des tee-shirts et sortait avec une jeune chimiste baba-cool très calme et jolie. Cette histoire d’amour (magnifiquement introduite dans la série au détour d’un discours sur ce qui fait un corps humain, discours autour duquel la question de l’existence de l’âme est abordée avec une intelligence absolue) va briser la carrière de Walter. Cet avenir doré qui aurait donné la part belle à son talent de chimiste, Walter lui a tourné le dos pour des raisons sentimentales. En bazardant tout, Walter va s’orienter vers l’éducation, et étouffer son égo par la même occasion. Cette incartade vers l’illégallité, si elle a beaucoup d’aspects négatifs au départ, va considérablement libérer Walter. D’abord par rapport à son travail. Il quitte son humiliant second boulot. Puis dans ses relations avec sa femme, qu’il a laissée diriger le couple, et de laquelle il s’affranchit, retrouvant son autonomie sans pour autant arrêter de l’aimer ou de la respecter (encore un aspect traité avec finesse).

Casting en or

Skyler (fabuleuse Anna Gunn), sa moitié, est une femme d’action, qui aime diriger, avec des idées bien arrêtées sur les choses et assez bien pensante. Mais son personnage est traité avec finesse et n’est absolument pas monocorde. Pour preuve, alors qu’on l’imagine prude et un peu catho coincée, on la retrouve se faisant caresser en plein milieu d’une réunion parents-professeurs puis enchaîner avec des ébats débridés (le tout avec Walter, of course) dans la voiture sur le parking de l’école. Ce qui motive et dirige Skyler, avant toute chose, c’est l’amour qu’elle porte à Walter. Qu’il s’agisse de sa tentative malheureuse d’intervention pour pousser Walter à accepter la chimio ou de le confronter vis à vis de ses absences répétées.

Jesse Pinkman est une petite frappe qui deale avec amateurisme, qui se paye des prostituées chargées au crack et qui n’a des amis que lorsqu’il a de la dope à proposer. Pinkman n’est pas le branleur agaçant qu’il aurait pu être. Merci à la perfomance d’Aaron Paul, déjà sacré dans ce site pour son talent et la qualité de la réplique donnée à Bryan Cranston. Si c’est ce dernier qui a obtenu les faveurs des prix (Emmy du meilleur acteur dans une série dramatique), il le doit autant à son jeu et son charisme qu’à la qualité du cast face à lui, Anna Gunn et, evidemment, Aaron Paul en tête. Un dealer qui se veut cador face aux petits ou aux non initiés comme Walter, mais qui se retransforme en petit garçon craintif face à des hommes bien plus dangereux que lui. Sa relation avec Walter n’est ni celle d’un père et son fils, ni de deux collègues, frères, amis... en fait elle est tout en même temps.

Faux rythme, vraie ambiance

Walter White est donc devenu un dealer, avec tout ce que ça comporte de risques, comme la concurrence, les affres de la revente... Mais « Breaking Bad » n’est ni « Weeds » ni « the Wire ». Si nous suivons la vie de dealers, ça reste un élément finalement secondaire, un moteur qui génère de la péripétie mais qui nous montre surtout les répercussions sur le quotidien d’un homme normal. Et qui prend surtout le temps de faire le tour des questions abordées, sans cèder au sensationnel et au twist gratuit. 3 épisodes traitant du "comment se débarasser de deux concurrents séquestrés ?", 2 qui s’articulent autour de la séparation entre Jesse et Walter, 2 pour leurs retrouvailles et leur face à face avec un dealer psychopathe. Un faux rythme permanent qui ne laisse que peu de place aux digressions. Rares sont les scènes dispensables, peut-être à part la cleptomanie de la soeur de Skylar. Toutes les histoires sont directement liées au choix de Walter, ce qui leur donne du corps, de l’importance et qui justifie toute la série.

Vince Gilligan admet ne pas savoir vraiment où il va avec « Breaking Bad », qu’il navigue à vue, et que la grève fut une bonne chose pour lui. La première saison telle qu’elle était concue au départ se terminait sur un twist majeur qui aurait changé l’optique de la série de manière irréversible. Avec le recul, et une saison en plus, Gilligan va pouvoir étoffer son récit et avancer naturellement vers cette révolution de manière plus graduelle, moins violente. Pour une saison 2 qu’on espère aussi riche que la première.

Saison 1

#1 Pilot

Walter White, simple professeur de chimie qui vient d’apprendre qu’il est touché par un cancer incurable, décide de s’associer avec Jesse Pinkman, un petit dealer, afin de vendre des amphétamines et assurer l’avenir de sa famille.
Superbe entrée en matière. Le principe de montrer la fin de l’épisode au début est souvent un procédé casse-gueule et sans valeur ajouté. Ici c’est brutal, c’est visuellement parfait (Cranston en chemise et slip de grand-père ridicule qui tient un flingue) et ça pose à merveille le personnage de Cranston et son charisme. Un superbe pilote.

#2 Cat’s in the Bag...

Walter et Jesse tente de gérer les conséquences de l’incident de la veille, avec deux corps à disposer, l’un en vie, l’autre mort. Pendant ce temps, Skyler apprend l’existence de Jesse, qu’elle pense être le dealer de Walter.
Alors qu’on pensait démarrer sur un Walter qui découvre le monde de la drogue, on nous prend à rebrousse poil pour nous montrer deux mecs paumés qui ne savent plus quoi faire. La scène où Jesse et Walter tirent à la courte paille pour savoir qui va s’occuper de tuer le "vivant" est magnifique. On sent à ce moment précis qu’en plus d’être soulagé de ne pas avoir à le faire, Jesse se sent mal d’imposer ça à Walter, un "mec normal". Et sinon, le plastique, c’est fantastique, la fonte, super mou.

#3 ...and the Bag’s in the River

Walter engueule Jesse à qui il reproche de trop prendre de drogue. Jesse quitte la maison, laissant Walter seul avec l’homme qu’il doit tuer.
Un épisode riche, qui nous offre un moment fort et fondateur. Les conversations entre Walter et sa victime, ses moments de désarroi (la liste des "pour ou contre tuer cet homme", le moment de faiblesse, la reconstitution d’une assiette brisée...), autant d’introspections qui font ressurgir du passé une conversation avec son anicenne petite amie sur ce qui composent chimiquement un être humain.

#4 Cancer Man

Walter avoue enfin à sa famille qu’il est en train de mourir d’un cancer. Pendant ce temps, Jesse se rend chez ses parents, qui sont loins de l’acceuilir à bras ouverts.
C’est l’épisode de Pinkman. Cette famille de bourgeois bien pensants élèvent le frère de Jesse, traité comme la huitième merveille du monde. Jesse quand à lui, et même s’il n’est pas exempt de tous reproches, subit le regard de parents qui lui font toujours payer ses erreurs du passé et ne lui laissent aucune chance de rédemption.

#5 Gray Matter

Invité à l’anniversaire d’un ancien ami de faculté, Walter se voit proposer un travail.
On en sait plus sur le passé de Walter. Ce chimiste talentueux avait une route pavée d’or devant lui. Mais une histoire d’amour y mit fin, laissant ce seul ami de fac profiter de leur travail quand lui se retrouvera au bas de l’échelle. Un épisode qui recèle d’une scène géniale, l’intervention de Skyler et de sa famille pour tenter de convaincre Walter de se soigner. Génial sur le principe du coussin dont on doit se saisir pour parler. Génial sur la réaction de la soeur de Skyler, qui plutôt que de jouer son jeu, se retranche à l’avis de Walter et le soutien dans son choix. Génial aussi dans sa résolution finale et simple au possible. Walter n’accepte de souffrir que par amour pour Skyler.

#6 Crazy Handful of Nothin’

Walter revient travailler avec Jesse pour pouvoir financer sa chimio. Décidé, il ne veut que préparer les amphétamines et ne rien avoir à faire avec la vente...
...et le prégénérique de l’épisode de nous montrer que ce voeu pieux ne sera pas réalisé. Une baffe en plein visage. En blouson de cuir, le crâne rasé, Walter marche entouré de débris volants. Un choc visuel ahurissant pour, encore une fois, une bonne utilisation du procèdé "la fin au début". La maîtrise de Gilligan n’est plus à prouver, comme le charisme de Cranston, qui écrase tout sur son passage.

#7 A-No-Rough-Stuff-Type-Deal

Le nouveau client de Jesse et Walter, un psychopathe complet, les pousse a voler un laboratoire pharmaceutique pour fournir plus d’amphétamines.
Ca ne devait pas être la fin, mais ça fonctionne presque aussi bien comme ça. On laisse Walter et Jesse alors qu’ils viennent de passer un deal avec le diable. Enfin, presque, puisqu’au moins, le diable est réflêchi. Leur client est incontrôlable, consomme presqu’autant qu’il vend, et même si l’argent coule à flot avec lui, le risque est monumental. Le regard "mais qu’est-ce qu’on a fait ?" qui peut se lire sur leur visage, en fin d’épisode est absolument jubilatoire.

C’est loin, janvier 2009 ?

7 épisodes maîtrisés de bout en bout. Un Vince Gilligan qui montre tout son talent loin d’X-Files. Une chaîne qui fait confiance aux auteurs et qui a très bon goût. Un acteur récemment porté aux nues par la profession. Une série qui engranges les belles critiques. C’est un euphémisme de dire que l’attente que suscite la saison 2 est grande. Même si les données ne seront plus les mêmes. Gilligan qui avoue ne pas savoir où il va, l’effet de surprise passé, la tentation de faire une saison 2 en roue libre... autant de questions qui trouveront leur réponse en 2009.

2009 ?

pfff...

Dominique Montay