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The Real Jéjé of pErDUSA - Les femmes jouent toujours les mêmes rôles dans les séries françaises

N°18: Va falloir passer à autre chose...

Par Jéjé, le 10 mars 2014
Par Jéjé
Publié le
10 mars 2014
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Pas facile de s’enthousiasmer pour les séries télés françaises. Je sais bien que la médiocrité générale des productions tire son origine d’un système institutionnel inadapté [1]. Mais j’aimerais bien que les scénaristes, après toutes les difficultés auxquelles ils/elles ont pu être confronté(e)s pour pouvoir raconter des histoires sur le petit écran, aient la force de s’affranchir de leur fascination de "petit(e) bourgeois(e)" [2] pour la sexualité féminine tarifée.

C’est un peu brutal, je le concède, mais je n’en peux plus de me retrouver, dans la plupart des cas où je décide de jeter un coup d’oeil à une série française [3] qui crie qu’elle veut sortir du lot [4], confronté à une énième variation de la pute au cœur d’or, de la mère maquerelle lesbienne, de la strip-teaseuse mystérieuse ou de l’actrice porno ensorcelante.

Ma dernière expérience en date fut encore plus désagréable que d’habitude par son arrivée tardive dans une série qui me plaisait énormément. (Et que j’aime toujours beaucoup. C’est même sûrement ce que j’ai vu de plus excitant en matière de série française depuis Police DistrictALL.).

J’étais donc en plein visionnage des Revenants>1.08.
Ca faisait déjà cinq épisodes que je savourai son ambiance inquiétante, sa petite ville toute traumatisée de voir ses jolis morts revenir l’un après l’autre, son "Précédemment dans les Revenants" comme si c’était normal d’entendre ce genre de chose en français...
Mes inquiétudes que la série ne soit pas à la hauteur de l’engouement de la presse internationale s’étaient envolées et je suivais donc sans plus aucun a priori (ni positif, ni négatif), en simple spectateur impliqué, les destins de Camille, Victor, Tony dont les prénoms et personnages marquent de leurs empreintes à tour de rôle les différents épisodes.
Quand arriva le tour de Lucy dans le sixième.

Lucy, on l’avait entr’aperçue dans le pilote. C’était la jeune et jolie serveuse du bar de la ville. Alors oui, on l’avait vue terminer une passe avec le père de la dite Camille, mais comme elle s’était vite fait larder de coups de couteaux et plonger dans le coma, on n’avait pas (vraiment) eu le temps de se rendre compte qu’elle cumulait deux des clichés féminins les plus éculés de la télé (femme victime d’un serial killer et pute).
Heureusement, ce sixième épisode où elle se réveille est là pour nous mettre les points sur les i et affirmer que même avec plus de temps d’antenne elle reste un personnage féminin défini uniquement par le désir sexuel qu’elle provoque chez les hommes (on apprend une seul chose dans son flashback, c’est en jouant de son physique et de son sourire, à peine débarquée dans la ville, qu’elle a obtenu un boulot et le petit endroit où elle peut faire ses passes tranquillement ) et par l’utilisation commerciale et décomplexée qu’elle en fait.
A peine sortie de son coma, la voilà qui drague le gentil flic un peu coincé, avant qu’elle ne couche dans la minute suivante avec un inconnu qu’elle croise dans un couloir de l’hôpital.
Comme toute bonne prostituée de fiction, elle comprend mieux que les autres le monde qu’il l’entoure et l’on comprend qu’elle communique avec les morts quand elle a des rapports sexuels (vous apprécierez la parabole subtile sur la complexité de la sexualité féminine).
Cette révélation permet de rendre plus noble les visites des hommes du village qui venaient non seulement pour un réconfort physique mais également pour communiquer avec leur entourage disparu.

Nous voilà donc ainsi dans le stéréotype le plus extrême de la "pute, tisseuse de lien social", de la "pute nécessaire à la communauté", de la "pute, femme ultime".
Non seulement elle permet aux hommes d’apaiser leurs pulsions sexuelles naturelles, mais, au contraire de toutes les autres femmes, elle sait les comprendre, leur prodiguer les mots justes, leur apporter ce dont ils ont vraiment besoin pour affronter la dureté de la vie et du quotidien (paranormal ou pas).

Ce que je rejette, ce n’est évidemment pas le personnage de la prostituée en tant que tel - je serai très curieux de suivre une série écrite par Virginie Despentes ou par une héritière de Catherine Breillat - mais cette vision fantasmée si confortable (et si répandue), ce cliché romantique de la pute compréhensive et proche des hommes.
Pour moi, ce modèle répété à outrance dans la fiction creuse le même sillon que le manifeste gerbant de 343 connards [5] et renforce, personnage après personnage, les idées que la prostitution est nécessaire pour la société et que les seules femmes qui appréhendent vraiment la difficulté d’être un homme au quotidien, ce sont elles, les putes.

Non seulement c’est un déni de la réalité mais en plus c’est une insulte envers les compagnes de ces hommes.
Forcément, si le besoin de ces derniers d’aller se soulager (sexuellement et émotionellement) chez ces putes romantisées s’expriment si souvent dans la fiction, c’est sûrement pour pallier le fait qu’à la maison, ces pauvres hommes n’ont que des rombières, distantes, les yeux dans le guidon des tâches ménagères.

D’un simple point de vue du récit, cette image "positive" des putes romantiques ne fait pas d’elles des personnages à part entière : faire-valoir de la masculinité, elles n’ont jamais les honneurs d’une peinture très poussée : des personnages comme Gloria dans les Beaux MecsALL ou Fleur dans Pigalle, La NuitALL sont à peine esquissés, tout juste survolés, car il ne faudrait pas qu’elles existent par elles-mêmes, qu’elles réfléchissent à leur statut, à leurs envies personnelles, à leurs besoins.
Il ne faudrait pas qu’elles fassent de l’ombre au coeur de ses deux séries, l’homme, le vrai, le gangster (célébré avec beaucoup plus de réussite et de subtilité dans la série de France Télévision que celle de Canal +).
Dans Les Revenants, c’est pas compliqué, Lucy a débarqué de nulle part, sa valise à la main, elle a fait la pute et est devenue comme ça du jour au lendemain le lien entre les vivants et les morts. Elle n’a pas plus de caractéristiques que ça.

Malheureusement, la fiction française récente se contente pas de quelques uns de ces personnages de "putes rassurantes", non, dernièrement elle s’est délectée des univers de la sexualité tarifée à la manière d’un ado de onze ans qui aurait découvert son premier Playboy (ou plutôt qui aurait vu sa première fenêtre "pop-up" porno sur son écran d’ordinateur).

L’image supposément émoustillante et sulfureuse de la femme qui vend ses charmes a envahi tous les genres possibles et est devenu l’ingrédient-clé de toute nouvelle série française qui se voudrait un minimum différente.
Moderniser la série historique ? Pas de souci, on va s’intéresser aux relations dans un bordel à la fin du XIXème siècle (Maison Closes1 ; 2.01-2.02, Canal +, 2010 ;2013), on va dynamiser Angélique Marquise des Anges en faisant passer la petite nouvelle par la case "pute dans les colonies" (Rani1.01 - 1.03, France 2, 2011), on va faire Pirates du Finistère avec en rôle féminin principal une… pute au grand coeur (L’Epervier20 minutes d’un épisode, France 3, 2011).
Dépoussiérer la comédie au travail ? Simple, une bourgeoise va se retrouver à la tête d’une boîte de productions pornographiques (Hards1, Canal +, 2008 ;2011 ;2014 [6]). Ou alors, même si on place la série dans une grosse boîte traditionnelle, "on va donner lui un nom qui joue sur l’ambiguité femme qui travaille et pute. Et puis, on va pas se fouler, y’a déjà un film américain qui l’avait fait, alors on va juste le reprendre, parce qu’on va pas se faire mal à trouver quelque chose d’original déjà que c’est un remake d’une série hollandaise…" (Workingirls<1.06, Canal +, 2012 ;2013 ;2014)
Bousculer la saga familiale ? Facile, au lieu de gérer un grand hôtel sur la Côté d’Azur ou un château avec plein d’oliviers, la famille s’occuper du buisness des films pornos. Oui, encore… (Xanadu1.01 - 1.03, Arte, 2011)

Le fait que ces arguments paresseusement licencieux permettent à ces séries d’arriver à l’antenne en dit long sur le processus de sélection des projets par les diffuseurs, mais c’est loin d’être le seul problème.

Si des efforts de documentation semblent être faits sur les milieux choisis, leur spécificité n’a que peu d’incidence sur les personnages qui demeurent coincés dans les intrigues banales habituelles de la fiction française (aaah, le si confortable secret de famille !). Celles-ci ont même tendance à avancer moins vite et moins bien qu’ailleurs. Comme si l’écriture avait été paralysée par l’audace apparente de ces univers.
De plus, ces séries affrontent rarement (et souvent mal)les stéréotypes de genre ou de classe et n’ explorent quasiment pas les ramifications éthiques et sociales de la domination sexuelle par l’argent et la violence.
Au mieux, après quelques efforts initiaux, elles jettent l’éponge et rechignent à présenter le moindre point de vue sur leur univers. Elles se satisfont de les présenter comme des configurations sociales légitimes qu’il n’est nul besoin de remettre en cause.

Maison Close est à égard un modèle d’écriture qui se prend les pieds dans le tapis à la deuxième marche.
On commence par deux épisodes qui laissent espérer quelques bonnes choses, voire une petite réflexion sur la prostitution : le pilote montre comment Rose, une jeune femme, et Vera, une ancienne de la maison, sont piégées par un système organisé et contraintes de devenir ou de rester des prostituées. Le deuxième épisode explore l’état d’insécurité permanente dans lequel vivent ces femmes qui risquent leur vie à chaque passe.
Mais manifestement, incapables d’avoir une idée précise de ce qu’ils voulaient raconter dans leur série, les scénaristes passent vite au second plan la volonté de leurs héroïnes de s’extraire de leur situation et de lutter contre leur asservissement injuste, et se concentrent sur des rebondissements sentimentaux et romanesques aussi incohérents qu’inutiles.
Plus grave, la dangerosité des situations dans lesquelles sont placées les héroïnes se révèle surtout un moyen facile et malsain de créer le suspense et l’occasion de filmer avec complaisance des séquences de dégradation et de viol. (Pendant les épisodes 1.02 et 1.03, la série va retarder avec une délectation pénible la première passe de Rose : on va la voir tenter de se briser l’hymen avec une bougie, être mise aux enchères aux meilleurs clients du bordel, commencer sa passe avec le gagnant avant de s’échapper, être enfermé avec le propriétaire du bordel, devoir supporter des discours d’encouragement, se soumettre à l’homme auquel elle s’était refusé pour finalement se faire violer lors d’un plan d’une minute trente sur son visage tordu de douleur.)
Embourbée alors dans cette mise en image très maladroite de la domination des femmes, la série laisse se développer sans contrepoint fort le discours rassurant des hommes de la série ("même si aucune femme ne rêve de ce métier, c’est un métier, et il y a un moyen de le faire bien en se respectant soi-même" (1.02), "[si une prostituée] parvient "à abandonner son corps à ses clients sans leur donner son esprit, elle reste libre et leur est supérieure" (1.03), "Les femmes de l’autre côté ne sont pas plus heureuses" (1.04)), avant d’arriver en fin de saison à un dénouement "heureux" pour les personnages féminins principaux [7] qui achève de le légitimer.
Alors, même si persistent ponctuellement, au détour d’une phrase ou d’un personnage, quelques éléments de critique sociale, la série s’abandonne beaucoup trop souvent à la fascination de ce qu’elle semblait critiquer initialement.

Je n’ai pas eu le courage de regarder la saison 2 dans son entier, n’ayant pas constaté dans l’écriture d’évolution dans le traitement des femmes de la série, et me suis dirigé vers les terres moins clinquantes d’Arte.

Grave erreur.

Xanadu, elle, ne fait dans ses débuts aucun effort, mais strictement aucun, pour interroger son univers et ferait passer les tentatives malheureuses de Maison Close pour des sommets de la pensée humaine.
L’industrie pornographie contemporaine n’est qu’un réservoir sans fond de situations pseudo-provocantes pour une saga familiale qui multiplie les effets racoleurs. L’intrigue principale, d’une banalité à pleurer, où des frères et soeurs se disputent les rênes de l’entreprise familiale, s’accompagne rien que dans le pilote d’une scène de viol conjugal (pauvre, pauvre Judith Henry) et d’un massacre sanglant lors d’un vernissage. Le milieu du porno permet à la scénariste d’y rajouter des allusions à une hémorragie interne de l’utérus, des plans de pénis en érection, quelques poitrines dénudées, et de pimenter l’inévitable secret de famille du parfum d’une ancienne égérie du porno portée disparue.
Ces ressorts complaisants ne laissent aucune place à des personnages un tant soit peu complexes, à des relations crédibles, à un développement de la moindre idée sur la famille, la société, la sexualité. Et bien loin de masquer la pauvreté affligeante de l’écriture, ils en révèle toute la prétention et la vacuité, mais ce n’est pas l’objet de cette chronique.
En s’échinant à ne surtout porter aucun regard critique sur l’organisation hiérarchique du milieu qu’elle présente, Xanadu est conduite à reprendre cette même structure, tristement banale et conservatrice dans son récit :des hommes d’argent et de pouvoir monopolisent la parole et l’action tandis que les femmes se retrouvent ou objets de fascination, moteurs de fulgurances masculines (c’est l’égérie porno disparue), ou objets de mépris, à l’origine des frustrations masculines (l’épouse chiante), ou objets de décorations, source de distractions masculines (les actrices de X lambda).

Au vu de ces exemples récents, je me dis vraiment que la sexualité féminine tarifée ne porte pas chance à la fiction française.
Il y a sûrement une façon de l’aborder avec réussite, mais pour l’instant, on a surtout eu droit à des manières qui, loin de tout esprit novateur, ancrent les fictions qui s’y essaient dans une vision du monde passéiste, conservatrice et toujours très paternaliste.

Alors, si on passait à autre chose ?
Il sera bien temps d’y revenir quand la fiction française sera un peu plus solide.

Jéjé
Notes

[1Je ne détaillerai pas cet aspect, dont je ne suis pas un fin connaisseur, mais si vous voulez vous faire une idée plus précise de l’état de la situation vous trouverez une mine d’informations, par exemple, sur feu le Village et sur Dimension Séries.

[2Une fois n’est pas coutume, de nombreuses scénaristes sont à l’écriture des séries qui me posent problème…

[3J’arrive rarement à les suivre en entier…

[4essentiellement sur Canal +, mais le service public n’est pas en reste.

[5Y’a pas d’autre mot !

[6Oui, c’est facile de suivre une série avec une saison tous les trois ans. Le pire, c’est que Les Revenants ne sont pas loin de prendre le même chemin...

[7Dans une Happy-End plus que naïve, Rose torture son bourreau, lui arrache le titre de propriété du bordel et décide d’en faire le lieu d’une prostitution respectueuse des femmes (!?) dirigée de façon collégiale.
Extraits de ses paroles finales :"[Les hommes seront] toujours les bienvenus ici, du moins ceux qui savent se comporter avec les femmes. Les autres, les tordus, les sadiques,les pervers, je les invite à foutre le camp. […] Je veux faire de ce bordel un établissement modèle, on repart à zéro, seules les filles qui veulent bosser restent"