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The Mary Tyler Moore Show - Critique de la première saison d’une série pionnière de la télévision américaine

Bilan de la Saison 1: Mary & Lou & Jennifer & Moi

Par Jéjé, le 27 juin 2013
Par Jéjé
Publié le
27 juin 2013
Saison 1
Episode 24
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Mon envie de regarder le Mary Tyler Moore Show ne date pas d’hier. Mais la première fois que je me suis lancé, le temps d’écrire un petit texte pour Ma Semaine à Nous, j’ai abandonné après seulement quelques épisodes sans y repenser pendant un bon petit bout de temps. [1]

Et puis, au début de l’année, la fin de 30 Rock a été accompagné d’un nombre assez impressionnant d’articles faisant références à la série. A la fois pour célébrer le niveau de réussite de son finale et pour féliciter Tina Fey d’avoir poursuivi brillamment le sillon des sitcoms des femmes au travail initié par le Mary Tyler Moore Show.

A chaque nouvelle mention, ma culpabilité montait. Je n’avais pas d’autre choix que de prendre comme résolution d’y revenir et de ne pas consacrer cette année mon été séries cette année à Teen Wolf et The Real Housewives of New Jersey.

Des débuts qui me laissent perplexe

Je ne me souvenais pas bien des raisons de mon arrêt si soudain, d’autant que le pilote est une franche réussite.

Il présente les six personnages principaux et installe les deux univers de Mary (personnel et professionnel) avec une élégante précision par le biais d’une narration très fluide, réussissant le petit miracle d’être à la hauteur des qualités quasi-légendaires que vantent encore à l’heure actuelle les critiques américains.

Me voilà joliment ré-engagé à suivre Mary Richards, trentenaire pétillante, qui après avoir quitté l’homme qui tardait à la demander en mariage, s’est installée à Minnéapolis dans une petite copropriété, où vivaient déjà dans les autres appartements Rhoda Morgenstern (Valerie Harper), new-yorkaise un brin aigrie par son célibat, et Phyllis Lindstrom (Chloris Leachman [2]), quarantenaire envahissante, mariée et mère de famille.
Elle a décroché un poste de productrice adjointe d’un journal télé local et travaille aux côtés de Lou Grant (Ed Asner), le rédacteur en chef, de Murray Slawter (Gavin McLeod, futur capitaine de La Croisière S’Amuse), journaliste, et de Ted Baxter (Ted Knight), le présentateur.

Rhoda & Lou & Phyllis & Murray & Mary & Ted

Vraiment réceptif à la comédie hollywoodienne classique, que ce soit à la télé (ma sitcom préférée de tous les temps, les Golden Girls, approche des 30 ans) ou au cinéma (peu de choses me font autant rire que les screwball comedy des années 30-40), je m’étonne de constater que la seule réserve dans mes premières impressions concernait l’humour de la série.
Pourtant, après les premiers épisodes suivants, je dois me rendre à l’évidence : il n’est vraiment pas des plus convaincants.

Il repose essentiellement sur trois éléments :
— le décalage entre la perfection de Mary et l’excentricité de son entourage et de ses prétendants
— l’incompétence de Ted Baxter
— l’autodérision et les sarcasmes de Rhoda.

Et deux d’entre eux ne fonctionnent pas encore très bien.

Trop souvent, la série force le trait sur l’"adorabilité" de son héroïne (les personnages de la newsroom passent la quasi totalité d’un épisode - 1.16 - Party Is Such Sweet Sorrow - à pleurer comme des veuves siciliennes à l’idée qu’elle puisse travailler ailleurs) et verse dans le loufouque lourdaud avec certains personnages qui deviennent plus gênants que drôles (le dentiste fasciné par les dents de Mary - 1.04 - Divorce isn’t everything -, l’amie d’enfance ultra collante - 1.22 : A Friend in Deed -…)

Quant aux erreurs de prononciation à l’antenne du présentateur, qui composent la majorité de l’humour des scènes dans la newsroom, elles deviennent vite un procédé répétitif, crispant, et franchement pas drôle. Et comme Ted Baxter accumule les défauts (fatuité, avarice, égoïsme…), il est encore très loin du simple d’esprit classique et hilarant et reste pour l’instant un personnage juste stupide.

Heureusement que les répliques amusantes de Rhoda et ses échanges de piques avec Phyllis sont là pour me faire sourire.

Le déséquilibre entre l’intérêt des scènes à la maison (pour moi les plus réussies) et celles au travail est tellement flagrant qu’après une dizaine d’épisodes, je suis un peu perplexe vis-à-vis de la réception critique de la série. J’ai du mal à comprendre que le Mary Tyler Moore Show puisse être considéré comme la première grande réussite de comédie en milieu professionnel, à laquelle Murphy Brown, Newsradio, 30 Rock et The Office devraient énormément.

Bien décidé à ne pas baisser les bras, je me rappelle les observations de Drum sur les débuts souvent difficiles des meilleures comédies, et, sur un coup de tête, j’achète "Mary and Lou and Rhoda and Ted : And all the Brilliant Minds Who Made The Mary Tyler Moore Show a Classic", un livre tout récent sur les coulisses de la série.

Un éclairage inattendu

Écrit par Jennifer Keishin Armstrong, une ancienne d’Entertainment Weekly, le livre aborde de façon chronologique la production de la série en se focalisant sur le travail des scénaristes et sur la place des femmes dans l’industrie du show business.

Grâce à lui, je comprends vite les raisons de ne pas trouver en Mary Richards l’héritière des femmes de tête des screwball comedy, vives, indépendantes, jouant le jeu de l’amour sur un pied d’égalité avec les hommes qu’elles convoitent (incarnées par Katharine Hepburn, Irenne Dunne, Claudette Clobert…).

La deuxième guerre mondiale a marqué l’arrêt de la célébration des femmes émancipées et fait des années 1950 et 1960 une période de retour aux valeurs très traditionnelles. Les comédies de l’époque, à la télévision en particulier, reflètent cet état d’esprit et elles se partagent en deux genres : les sitcoms campagnardes hors du temps (à la Green Acres) et les sitcoms familiales où la femme n’a qu’une seule place, à la maison aux côtés de son mari (à la I Love Lucy et au Dick Van Dyke Show, dans laquelle Mary Tyler Moore herself incarne la gentille femme au foyer d’un scénariste de télé).

Le chantier du Mary Tyler Moore Show, une série urbaine centrée sur une femme célibataire, apparait en décalage complet avec l’existant, de ce simple point de vue sociétal, mais également par la volonté de ses créateurs (James L. Brooks et Alan Burns) d’en faire une comédie sophistiquée. Ils refusent de jouer le jeu de l’avalanche de punchlines (ce qui m’embête un peu, je dois dire) et des situations abracadabrantes dans lesquelles invariablement se retrouvent la plupart des héros de sitcom du moment. Ils souhaitent que l’humour repose essentiellement sur les interactions des personnages dans des situations quotidiennes crédibles (character-driven comedy).
La réaction des executives de CBS au pilote fut à peu près la même que moi à cette première partie de saison : "Where are the jokes ? Where was the comedy ?" [3]

Ces intentions m’incitent à donner du temps à la série, à me laisser porter par son langage particulier et à ne pas y chercher les éclats de rire que j’attendais de la série vantée par tant comme la comédie la plus drôle de tous les temps.
Il me faut apprendre à la lire comme j’ai appris à lire Louie (qui m’avait laissé également perplexe lors de ses premiers épisodes).

Et je suis d’autant plus déterminé à être patient que dans son livre Jennifer Keishin Armstrong montre la volonté farouche de Brooks et de Burns de faire du Mary Tyler Moore Show une série avec des femmes écrites par des femmes et qu’elle détaille tout ce qui a été fait pour découvrir et former ces femmes-scénaristes, véritables Peggy Olsen de la télévision.
(Après quelques saisons, un tiers des ses scénaristes seront des femmes, à une époque où les sitcoms étaient exclusivement écrites par des hommes et où la présence d’une femme scénariste était une exception (toujours unique) dans les writers rooms.)

Avec ces nouvelles clés de lecture, je dépasse ma déception initiale et aborde la suite de la saison avec un regard rafraichi et aiguisé.

Une ambiance douce amère

Ne cherchant plus uniquement l’intérêt des épisodes dans leur capacité à me faire rire, je me laisse progressivement conquérir par d’autres aspects de la série.

J’apprécie de plus en plus le combat quotidien de Mary dans son milieu professionnel composé exclusivement d’hommes. Pour l’instant, elle réagit de façon discrète, mais Mary & Lou & Rhoda & Ted est là pour me rassurer. Ed Weinberg, scénariste de la série, déclarera à propos de la saison 3 : "Instead of just reacting shyly to everyone else, the Mary character now yells at people and fight back" [4].

Je commence à être enchanté par la description optimiste de sa condition : célibataire, à plus de 30 ans, elle est heureuse et épanouie.
Si une grande part des épisodes est consacrée à ses "dates" (pas souvent très concluants), on n’a jamais l’impression que le bonheur est intrinsèquement lié à la vie de couple.

La série ne verse pas non plus dans l’angélisme : Phyllis, sa voisine mariée et pourtant très progressiste, est toujours là pour lui rappeler insidieusement qu’elle ne correspond pas aux attentes de la société (avec parfois une cruauté inattendue - 1.10 - Assistant Wanted, Female - ). Rhoda, elle, reflète la célibataire malheureuse, dont les insécurités sont augmentées par un complexe physique (à quelques kilos près, elle n’atteint pas la taille idéale de Mary).
Ces trois personnages proposent une vision complexe de la condition des femmes urbaines dans les années 70, d’une subtilité peu commune, ne serait-ce que dans les séries actuelles.

J’aime aussi que les questions féministes débordent de la vie amoureuse de Mary et que l’attitude des hommes de la newsroom dans leurs relations personnelles commencent par être interrogée en fin de saison sans que la série donne des leçons de morale ou de progressisme à ses spectateurs. (Aucun personnage ne réagit vraiment négativement au fait que Lou quitte sa femme parce qu’elle avait souhaité reprendre ses études une fois que leurs enfants avaient quitté la maison. Mary fait preuve d’une douce pédagogie pour faire comprendre à son patron qu’un changement de dynamique dans son couple n’est pas forcément mauvais... - 1.21 - The Boss Isn’t Coming to Diner -)

Enfin, pour en revenir à l’humour, certains épisodes s’en sortent parfois vraiment très bien. C’est plutôt encourageant puisque malgré tout ma préférence va quand même à ceux qui réussissent à me faire rire et qui parviennent à lier les deux univers de Mary.

Alors avant de se lancer dans la saison 2, voici une petite revue des épisodes marquants de la saison, sous forme de... listes.

Mes épisodes favoris

— 1.01 - Love is All Around (James L. Brooks / Alan Burns)
Un pilote enlevé et précis qui mérite entièrement son statut de classique de la télé US.

— 1.06 - Support Your Local Mother (James L. Brooks / Alan Burns)
Rhoda refuse de voir sa mère venue lui rendre visite, qui s’installe alors chez Mary.

Avec un exemple de mère juive que ne renieraient ni Woody Allen, ni Philip Roth.
Le plus drôle de la saison.

— 1.10 - Assistant Wanted, Female (Treva Silverman)
Mary engage Phyllis comme assistante, qui prend assez mal d’être sous les ordres d’une femme qui a fait moins d’étude d’elle.

Pas franchement drôle, mais il se distingue par la scène la plus cruelle de la série. Quand Mary licencie son amie pour incompétence, Phyllis ne s’énerve pas et lui dit juste qu’elle comprend qu’une career girl comme elle se sente menacée par une femme mariée, dont la vie est vraiment complète…

— 1.13 - He’s All Yours (Bob Rodgers)
La vie sentimentale et professionnelle se mélange quand Mary se fait courtiser par un tout jeune caméraman, qui se révèle être le neveu de Lou.

Première fois où la vie personnelle et le travail de Mary s’accordent parfaitement dans un épisode très drôle.

— 1.19 - We’re closed in Minneapolis (Kenny Solms and Gail Parent)
La production de la pièce écrite par Murray n’a pas le succès critique escompté, particulièrement avec le Time’s Herald.

Episode très drôle, et encore plus savoureux quand on sait que les critiques ont été très durs avec la série à son lancement et que le plus sévère d’entre eux fut celui de Time Magazine. [5]

— 1.23 - Smokey The Bear Wants You (Steve Pritzker)
Rhoda suspecte que l’homme qu’elle fréquente est un gangster.

Le premier épisode centré sur Rhoda, forcément très drôle puisque rempli de one-liners et de sympathiques incursions dans la newsroom, où tout le monde a son avis sur les péripéties de son aventure amoureuse du moment.

Sur-estimés ?

— 1.08 - The Snow must Go On (David Davis and Lorenzo Music)
Suite à une panne du télétexte, la soirée électorale produite par Mary s’étire en longueur.

Cet épisode est souvent cité comme l’un de ceux dont l’humour est parvenu à défier le temps.
Reposant quasiment entièrement sur le personnage de Ted Baxter, je ne peux que m’inscrire en faux pour un épisode que je considère comme l’un des moins réussis de la saison.
(Heureusement que Rhoda vient mettre un peu d’ambiance le plateau.)

— 1.14 - Christmas and the Hard-Luck Kid II (James L. Brooks / Alan Burns)
Un collègue de Mary lui demande de travailler le soir du réveillon du Noël.
"Qu’est-ce que ça peut bien changer pour elle, puisqu’elle est seule ?"

Un épisode assez tendre, avec lequel j’ai vraiment commencé à accrocher au ton doux-amer de la série. Mais avec son finale trop mièvre, j’ai du mal à comprendre qu’il ait obtenu de la part de TV Guide le titre de "meilleur épisode de Noël de tous les temps"...

Des femmes écrites par des femmes

Si dans cette première saison, trois femmes participent à l’écriture de la série, deux d’entre elles n’arriveront qu’en toute fin de saison.

La première, Treva Silverman, est engagée après que les créateurs n’ont écrit que quelques scripts.
Son importance fut capitale pour le ton de la série et pour le personnage de Rhoda à qui elle donna sa voix. Elle deviendra au cours des années suivantes le porte-emblème de l’arrivée des femmes dans les writers rooms et fera même l’objet de nombreux articles de magazines.
En 2007, Ken Levine, scénariste de sitcoms et auteur d’un des blogs les plus documentés et les plus éclairants sur sa profession lui consacra un billet. C’est sa lecture lors de recherches sur la télé des années 70 qui donna à Jennifer Keishin Armstrong l’envie d’en savoir plus, de prendre contact avec elle et au final d’écrire Mary & Lou & Rhoda & Ted et ses coulisses féministes.

— 1.02 - Today I am a Ma’am (Treva Silverman)
Rhoda et Mary invitent deux prétendants à dîner : celui de Rhoda est en fait fraîchement marié (elle l’avait rencontré en le renversant avec sa voiture) et celui de Mary est une ancienne flamme très collante.

Amusant.
Où l’on découvre que Mary est loin d’être désespérée et qu’elle n’envisage pas de se contenter d’être traitée comme une princesse pour tomber amoureuse.

— 1.04 - Divorce isn’t everything (Treva Silverman)
Rhoda et Mary s’inscrivent à un club de divorcés pour rencontrer des hommes. Mary tombe sur un dentiste un peu bizarre (le président du club).

L’un des épisodes les moins réussis de la saison 1, avec un empilement de blagues lourdes sur les divorcés et de personnages secondaires grossiers.

— 1x10 - Assistant Wanted,Female (Treva Silverman)

Sacrée Chloris Leachman !

— 1.15 - Howard’s Girl (Treva Silverman)
Mary est heureuse d’avoir rencontré Paul, dont elle a, il y a longtemps, fréquenté le frère un peu "bizarre", adoré par ses propres parents.

Variation amusante autour du first date.

— 1.19 - We’re closed in Minneapolis (Kenny Solms and Gail Parent)

Gail Parent n’écrira qu’un seul épisode pour la série, dans une configuration plus "classique" pour une femme scénariste de l’époque puisqu’elle travaillait avec un duo avec un homme. Treva Silverman était une exception parmi les exceptions puisqu’elle fut l’une des très rares femmes à écrire seule avant The Mary Tyler Moore Show pour des comédies.

— 1.20 : Hi ! (Treva Silverman)
Mary se fait enlever les amygdales et partage sa chambre d’hôpital avec une femme peu sensible à sa gentillesse.

Centré sur les difficultés des femmes à concurrencer les modèles physiques et moraux représentés par Mary.
Touchant sur la fin, intéressant avec le recul, mais pas très drôle sur le moment.

— 1.22 : A Friend in Deed (Susan Silver)
Mary devient la demoiselle d’honneur d’une de ses amies d’enfance qu’elle n’avait pas vue depuis une vingtaine d’années…

Assez drôle malgré la personnalité trop crispante de l’amie de Mary.
L’épisode sonne comme le précurseur de Sex & The City, avec les discussions de Mary et Rhoda sur l’évolution de leurs rapports aux mariages de leurs amies plus le temps avance.

NB : Oui, tous les épisodes écrits par des femmes (en solo) se focalisent sur la vie personnelle de Mary, son rapport à son célibat et aux hommes, et laissent de côté la newsroom
Et oui, il n’y en a pas beaucoup que je trouve drôles...

Jéjé
P.S. Allez, encore six saisons et trois spin-offs ! Je tiens le bon bout...
Notes

[1Pour répondre précisément à Drum, ma lubie a dû durer quatre jours…

[2Oui, oui, c’est Maw-Maw de Raising Hope.

[3Mary & Lou & Rhoda & Ted - Chapitre 5 - Technical difficulties (1970)

[4Mary & Lou & Rhoda & Ted - Chapitre 11 - Pot and the Pill (1972-73)

[5La tendance s’inversa assez vite, la série fut largement récompensée aux Emmys de l’année, mais dût s’incliner face à All in the Family lancée à la mi-saison pour le titre de Meilleure Comédie.