Il y a très longtemps, la rédaction de pErDUSA a été confrontée à une opinion quant à sa politique éditoriale qui m’a fait réfléchir. A l’époque, le site s’essayait à la critique de chaque épisode d’une saison choisie. En dehors de Ju et Lost, peu de rédacteurs ont réussi à maintenir le cap sur une saison entière.
Notre interlocuteur pensait que le principe de critique par épisode n’avait plus de sens, et qu’il fallait privilégier la critique par saison. Il ne fallait pas chercher à tout prix l’audience d’un rendez-vous hebdomadaire de la critique par épisode, mais devenir un site de référence avec moins d’articles, mais qui couvrent une période plus longue.
Cet avis a été rejeté.
En revanche, quelques saisons après, nous avons effectivement arrêté la critique systématique de séries prédéfinies, au profit de l’idée de parler de séries quand elles le méritent. Mais cette idée de juger une série sur une saison et non pas sur un épisode m’a marqué.
Pour moi, elle met de côté un aspect primordial de la structure d’une série. La structure narrative d’un épisode de série part du principe que du temps (une semaine) s’est écoulé entre ce rendez-vous télévisuel et le précédent et qu’une semaine va s’écouler avant le suivant. En plus de faire avancer l’intrigue, il se doit de rafraîchir la mémoire du téléspectateur et lui donner envie de revenir la semaine suivante. Ce postulat fait partie du cahier des charges du scénariste. Et c’est une des raisons pour laquelle je rechigne à me faire une intégrale d’une série que je ne connais pas.
Un auteur talentueux va rappeler les éléments nécessaires au dénouement de l’intrigue sans donner une idée au téléspectateur de ce qui l’attend. Cela explique ces scènes récapitulatives un peu agaçantes pour le téléspectateur assidu qui sont plus visibles lorsque l’on enchaîne des épisodes de séries. Mais elles s’expliquent par le fait qu’un téléspectateur moins fidèle (le gros de l’audience d’une série) ne regarde, en moyenne, qu’un épisode sur quatre. Comprendre un épisode sur quatre de Scandal sans le « Précédemment dans Scandal » devient alors un sport cérébral extrême.
En règle générale, l’opinion qu’on se fait d’une série tout au long de l’année se confirme à l’issue de la saison. Même en ratant sa sortie, je pense que j’aurais gardé une bonne image de Parenthood pour le courage du début de saison.
En revanche, il y a de rares cas où mon opinion sur la saison ne conforte pas l’avis que je me suis fait sur les épisodes d’une série. Sur les conseils de Ju, j’ai regardé la saison une de New Girl. J’ai ri à beaucoup de moment de la seconde partie de saison, et j’ai suivi la série, sur le coup, avec plaisir. Le dernier épisode de la saison 1, en lui-même, ne dérogeait pas à la règle. Mais une fois le générique de fin diffusé, la série a déclenché chez moi un profond agacement.
Si New Girl partait dans un absurde constant comme Happy Endings, j’aurais pu accepter tous les défauts des personnages comme source d’humour. Le problème est que la série cherchait à se donner une profondeur avec des moments plus dramatiques centrés sur ces défauts. Après une vingtaine d’épisodes, je ne supportais plus de voir des trentenaires se plaindre de devoir travailler mais qui n’ont pas un emploi cool. Je ne comprenais pas l’origine de la colère perpétuelle de Nick, il n’était qu’un simple personnage geignard qui aime râler. Sa relation avec Cece a calmé le personnage, mais l’immaturité de Schmidt était un trait de caractère qui m’irritait plus qu’il ne me faisait rire. Les gamineries de Jess m’ont déplu dès le début de la série, ça ne s’est pas calmé en fin de saison. Et puisque les scénaristes ne se sont jamais vraiment intéressé à Winston, je ne vois pas pourquoi en parler.
Pour faire simple, tous ces traits de caractère en tant que source d’humour passaient plutôt bien, en revanche, dès qu’ils sont abordés sous un regard plus dramatique me gênent prodigieusement. J’entends dire que la saison 2 est très drôle et je vois tous mes camarades de jeu tomber dans le culte de la série. Je retenterai surement après que mon agacement se soit dissipé.

J’ai eu l’effet inverse avec la seconde saison de Homeland.
De semaine en semaine, j’ai eu, parfois, du mal avec la série. Cette oscillation perpétuelle entre le nul et génial m’agaçait, mais au final, devant la force du dénouement, j’ai été très satisfait de ne pas avoir cédé à la tentation d’arrêter la série. Et contrairement à tout ce que je me disais pendant la diffusion de la saison 2, je devrais être là pour la saison 3.
D’un côté, j’ai une série que je peux trouver efficace sur la base d’un épisode, de l’autre, un tout qui ne révèle son intérêt qu’en fin de saison. Une belle série réussit sur ces deux tableaux. New Girl et Homeland, de ce fait, ne sont pas des séries que j’aimerais revoir. Ce ne sont pas de mauvaises séries, elles ont un intérêt, mais elles échouent toutes les deux sur un aspect primordial du visionnage d’une série, à savoir pouvoir être juger positivement à l’issue d’un épisode et à l’issue d’une saison.
Je n’ai pas encore vu House of Cards et je ne sais pas si/comment le rythme de diffusion de la série a un impact sur l’écriture. J’ai tous les épisodes, mais sans la structure d’une diffusion sur une chaine et une diffusion à un moment très chargé, je garde la série pour cet été.
Une des conséquences de ce rythme est l’isolement du téléspectateur face à la série. Sans date de diffusion par épisode, le commentaire social est difficile car peu de personnes en sont au même moment. On ne peut en discuter que entre personnes qui ont vu l’intégrale ou juste le pilote. Je déteste quand des showrunners vantent les mérites d’une saison en clamant "c’est un film de XX heures". Un film et une série, ce n’est pas la même chose. Chaque genre a ses atouts et impératifs propres. Je trouve que, en privilégiant la diffusion d’une traite, House of Cards se prive de l’intérêt propre à la série télévisée. C’est dommage.