Dans mes choix de séries, je n’ai pas toujours le flair d’un cochon truffier. Comme tout le monde, je suis le premier à claironner quand je dégote un projet réussi, mais je ne suis pas sûr que les statistiques plaident en ma faveur à ce petit jeu.
Je crois cependant qu’il n’y a rien qui me frustre plus que de rester de marbre devant une série bien faite. Plus exactement, devant une série qui me donne l’impression de ne pas exploiter tout son potentiel.
Pour moi, The Americans a longtemps été une agréable série d’espionnage mais pas une grande série. Pour cela, j’aurais voulu que l’histoire combine plus adroitement ce qui touche à l’espionnage et ce qui concerne la vie familiale. J’avais l’impression que l’exceptionnel et « l’anodin » ne se mariaient pas très bien.
J’ai donc attendu. J’ai attendu un programme capable de bluffer autant dans son évocation d’un quotidien faussement plan-plan (parce qu’une foule de contradictions émotionnelles est planquée sous le tapis) que dans sa description d’une guerre froide vraiment dangereuse. Mais au bout de deux ans, je ne voyais rien venir. Ou presque.
En 2015, c’était plié : je n’allais pas replonger.
Heureusement, je ne suis pas trop obtus. Parce que j’ai trouvé dans la saison 3 ce que je cherchais.
1 La série explore vraiment sa schizophrénie
Cette fois, Philip et Elizabeth Jennings sont confrontés à ce qu’ils fuient du regard depuis le début. Si ce sont de redoutables espions, ils forment surtout un couple comme les autres. Confronté aux années qui passent et aux conséquences de ses actes.
Le sujet n’a jamais été éludé par la série mais avec la question de l’avenir de Paige, la thématique du temps prend tout son sens. Les treize épisodes de la saison 3 s’articulent complètement autour de cette idée, et le timing est très bon.
Cette question résonne douloureusement dans la tête de Philip, lorsque ce dernier doit se rapprocher d’une adolescente pour récupérer des infos sur la CIA. Elle hante Elizabeth, quand celle-ci apprend que sa propre mère est en train de mourir en URSS.
Dans le même ordre d’idées, lorsque Paige apprend la vérité sur ses parents, les scènes « anodines » prennent un relief énorme. Notamment quand le couple vient voir l’adolescente dans sa chambre alors qu’elle est très déstabilisée. Ce ne sont pas les espions qui verrouillent leur couverture, ce sont des parents qui s’inquiètent. Et ça marche.
Elles rappellent (modestement) les scènes d’interrogatoire d’Irina Derevko par Sydney Bristow au début de la saison 2 d’Alias. Le téléspectateur se retrouve en prise directe avec le dilemme émotionnel des protagonistes principaux. Enfin.
Dans le premier épisode de la saison 4, l’imbrication des deux vies des Jennings ressort notamment autour d’une discussion au sujet d’une bouteille d’eau de Cologne. Pour l’instant, c’est très anecdotique. Mais ça traduit pour moi une intéressante cohérence thématique.
2 Le thriller et le petit tuto des trucs horribles
Au delà de leur amour des postiches (il m’arrive de fredonner « Wigs are Family » devant mon écran, j’avoue), Philip et Elizabeth courent toujours d’une mission à l’autre. Au point qu’il n’est pas toujours facile de s’y retrouver.
Cette année, pourtant, j’ai l’impression que les scénaristes ont davantage ancré ces histoires autour de séquences marquantes.
Le coup de la valise magique pour sortir Annelise de la série (et d’un hôtel), la longue séance de dentiste dans le garage (le truc qui vous plante les doigts dans les accoudoirs de votre fauteuil) ou l’élimination d’opposant avec des pneus et de l’essence… quand elle veut frapper les esprits, The Americans n’a rien à envier à d’autres séries du câble.
En plus, comme ses scénaristes ne « bansheesent » pas trop cette idée, les scènes chocs remplissent bien leur fonction.
3 Martha sera toujours Martha (et plus que ça)
C’est ce que j’appelle un "Personnage Ohlala ». Un homme ou une femme à qui il arrive des tas de péripéties et à chaque événement, je me retrouve à lâcher cette interjection. Quand c’est bien comme lorsque ça l’est moins. Et Martha, c’est l’archétype du genre.
Depuis son mariage avec Philip en saison 1 (qui lui a valu ici-même le surnom de "Pauvre Martha !"), dans la construction de leur vie de couple en saison 2… ou lorsqu’un accident de stylo vient tout bousculer en saison 3.
Utiliser la découverte du micro installé dans le bureau de l’agent Gaad est une bonne idée. Si cet artifice ressemble à un bouton sur lequel il est bien pratique d’appuyer en cas de besoin, il arrive à point nommé pour faire partir la relation Philip/Martha dans une direction un peu inattendue. Et là aussi, côté émotion, le public est dans l’histoire.
J’avoue avoir été surpris de voir Philip tomber la moumoute en fin de saison et de laisser sa « femme » en vie (peut-être ai-je loupé un truc, niveau enjeu ?) mais l’abattage d’Alison Wright est assez impressionnant. Je pense que les scénaristes aiment autant le personnage que l’actrice. On peut difficilement leur donner tort.
4 Un potentiel encore à exploiter
Je ne sais plus trop quoi penser de Stan Beeman. A part que c’est Jean-Michel Napadechance et que ce n’est plus (pour l’instant ?) une menace brûlante pour les Jennings. Mais il est sympa, Stan. Il n’a pas de bol mais il n’est pas horripilant donc ça va. Et je ne serais pas étonné de le voir revenir dans le jeu de manière maline.
Quant à Nina, je suis agréablement surpris de constater que son retour en Russie fonctionne plutôt bien. En tout cas si on mesure l’intérêt de ses aventures sur une échelle qui va de 1 à « Ce qui arrive à Theon Greyjoy dans la saison 3 de Game of Thrones ».
Plus sérieusement, Annet Mahendru a peu de choses à faire en saison 3 mais elle le fait relativement bien. Même dans le premier épisode de la saison 4. Je pense cependant que les scénaristes ont tout intérêt à ne pas la tenir trop éloignée des autres personnages. Entre ce qui lui arrive et ce qui se passe à la Rezidentura depuis son départ, mon choix est effectivement vite fait.
Dans tous les cas, The Americans a pris un nouvel intérêt dans mon agenda et j’en suis le premier heureux. Voir une série tendre vers la maturité, après tout, c’est une des plus belles expériences de sériephile.
Charge aux scénaristes de ne pas distendre des liens qui ont mis beaucoup de temps à se tisser.