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The Wire - Critique de l'épisode 2 de la saison 5

Unconfirmed Reports: In Vino Veritas

Par Jéjé, le 14 janvier 2008
Par Jéjé
Publié le
14 janvier 2008
Saison 5
Episode 2
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Si l’ensemble de la critique américaine reste enthousiaste, quelques bémols sont apparus dans certains articles concernant la nouvelle saison [1] [2].
Vous avez du mal à y croire ? Vous pensez que la description peu aimable du Baltimore Sun n’est pas étrangère à leur apparition ?
Faisons le point maintenant puisque que les quelques papiers qui reprochent à cette saison une baisse de subtilité dans les dialogues et dans quelques rebondissements illustrent leurs thèses avec des exemples pris dans l’épisode de cette semaine.

Lors d’une scène de « debriefing alcoolisé », que des individus aux expressions moins politiquement correctes qualifieraient encore de « beuverie », McNulty, Lester et Bunk échangent les propos suivants.
« You can go a long way in this country killing black folks. Young men especially. »
« If Marlo was killing white women… »
« White children… »
« Tourists… »
« If three hundred white people were killed in the city every year… »
Effectivement, on n’a pas l’habitude d’entendre ce genre de déclarations dans The Wire. Y voir un relâchement dans l’écriture est pourtant pour moi un non-sens. Cette radicalité chez les personnages arrive dans un contexte de désespérance.
Cet épisode particulier met en scène les conséquences immédiates de l’arrêt de l’enquête sur les vingt-deux cadavres en suivant les premiers faits d’armes de la saison de Marlo. On commence par le nettoyage d’un « corner » avec une Snoop aussi terrifiante que lors de son apparition en saison 4 et de son achat de la clouteuse électrique. On enchaîne avec la reprise de l’éducation de Michael dans une expédition punitive à l’encontre d’un gars dont la rumeur voulait qu’il aurait tenu des propos irrespectueux sur Marlo.
En parallèle, on suit les derniers efforts d’une « Major Crimes » démantelée pour transmettre l’affaire à d’autres. En effet, Lester a maintenu une surveillance individuelle de Marlo sur son temps libre. Il a remarqué sa baisse de vigilance. Pour lui et McNulty, le coincer serait une histoire de quelques semaines sous surveillance électronique. Malgré cet argument, malgré la promesse de gros titres facilement assurés, le FBI refuse de se saisir de l’affaire. L’intermédiaire de McNulty leur apprend également que personne d’autre ne reprendra le flambeau et met en cause la Mairie.
Ainsi la violence triviale des propos tenus dans le bar caractérise-t-elle la croissance exponentielle des sentiments d’impuissance et de frustration des personnages, beaucoup plus qu’elle ne dénote un manque de rigueur et de retenue de l’équipe de David Simon.
Une équipe soupçonnée également de facilité scénaristique… Ce sont les derniers agissements de McNulty qui sont visés.
En toute fin d’épisode, arrivé avec Bunk auprès d’un cadavre avant les techniciens de la police scientifique, il maquille une probable overdose en homicide par strangulation et déclare « There’s a serial killer in Baltimore. »

Trop gros ? Trop improbable ? Trop « Ugly-bettien » ?
Là encore, c’est une question de contexte. La police n’a plus de moyens, la morgue est surchargée et fonctionne avec de jeunes médecins inexpérimentés, McNulty est à bout…
Come dirait Bree, With desperate times come desperate measures ! Ce rebondissement est pour moi tout à fait plausible. On a beaucoup vanté les qualités « documentaires » de The Wire. Avec raison. Mais c’est aussi une fiction. Engagée. Crédible. Hyper réaliste. Mais une œuvre de fiction. Avec les petits arrangements narratifs qui permettent d’avancer dans un temps plus rapide que la réalité. Qui permettent d’avoir des résolutions finales satisfaisantes. Et que l’on trouve dans toutes les saisons précédentes de la série et qui font lui donne une partie de son intérêt.

Ce rebondissement s’inscrit de plus avec logique dans la thématique liée à l’arrivée du monde des médias. Je jubile à l’idée de voir la façon dont Simon va traiter le traitement de ce gros mensonge par les gars du Baltimore Sun et les autres médias de la ville. Il a déjà posé quelques bases dans cet épisode pour nous faire saliver.
A commencer par celle de la conférence de rédaction. Voir des journalistes tenter d’expliquer à leur rédac’ chef que l’école ne porte pas seule la responsabilité de la violence de la jeune génération était très agréable. (Oui, voilà encore une preuve de la limite du réalisme de The Wire !) Tout comme l’entendre répondre qu’une analyse des tenants et des aboutissants de ce problème n’intéresserait pas grand monde. On n’ose croire que Simon ait fait ici une petite allusion à l’audience de sa série. (Lorsqu’un téléspectateur américain regarde The Wire, quinze autres regardent Brothers & Sisters ! Et ne parlons pas des vingt-trois Français qui ont suivi la première saison sur Canal Jimmy !)
L’antagonisme entre Scott l’ambitieux et Gus le sage s’intensifie dans cet épisode. Chargé d’écrire un papier d’ambiance (je n’ai pas trouvé mieux pour traduire « colored piece ») à propos d’un match de base-ball, Scott invente l’histoire d’un enfant pauvre et hémiplégique à la recherche d’un billet. Pour Gus, il y a trop de faits invérifiables pour que l’article puisse être publié. Il est pourtant désavoué par le rédacteur en chef.
Plus qu’une illustration du manque d’éthique du jeune journaliste, ce passage montre l’inanité d’une ligne éditoriale qui privilégie l’émotion aux faits et les cas particuliers à la vue d’ensemble. Les réserves de Gus à propos de la véracité de l’histoire rapportée sont nobles mais finalement assez vaines. Vrais ou faux, les articles de ce genre ont-ils vraiment leur place dans des journaux qui se veulent ambitieux ? Ne prennent-ils pas la place des analyses de fond proposées et balayées à la conférence de rédaction ?
A la façon des anecdotes divertissantes de son discours, dans le pré-générique, qui permettent à Bubbles d’empêcher l’assemblée des « Drogués Anonymes » d’accéder à sa réalité.

Résonnent à ces problèmes les interrogations de Michael à propos du motif pour lequel il va participer avec Chris et Snoop à un réglement de comptes. En effet, gars du West Side aurait raconté que Marlo « suçait des bites ».
Pourtant, rien n’indique avec certitude qu’il soit bien à l’origine de cette rumeur. Et quand bien même, Michael s’étonne que Marlo y accorde la moindre importance puisqu’elle ne repose sur rien de fondé et que Marlo le sait.
Comme le lui explique Chris, la perception est plus importante que la véracité. L’envie de croire est plus grande que la recherche de la vérité.

Mais, que faire quand le rapport des faits n’aboutit pas à produire une perception correcte de la réalité ?
Quand Marlo impose par la force le silence autour de lui, quand Scott et McNulty les déforment pour servir les intérêts qu’ils poursuivent, ils répondent chacun à leur manière à cette même question.

Jéjé
P.S. Rien sur Carcetti dans cette review. J’imagine que j’aurais l’occasion d’y revenir bientôt. En attendant le retour d’Omar, mentionné pour la première fois cette saison par Marlo.
Notes

[2The Wire still Prime Crime Drama By David Hinckley
New York Daily News