Treme est donc un quartier central de la Nouvelle-Orléans, plus ancien quartier noir des Etats-Unis, affecté par Katrina, mais qui n’est pas dans la partie la plus touchée de la ville. Pourquoi choisir Treme plutôt qu’un autre quartier ? Pour David Simon, il représente la vraie Nouvelle-Orléans, faite de métissage et de musique, et vierges des déformations d’images d’Épinal que peuvent être les quartiers plus touristiques, comme le French Quarter. La musique y est l’élément central, et nombre des personnages de la série sont des musiciens, qui ponctuent les épisodes de morceaux de jazz pour mieux parler de leur ville.
The Wire : New Orleans ?
Autant en finir tout de suite avec la (difficile) comparaison entre The Wire et Treme : si David Simon résumait la première en la qualifiant de ’tragédie grecque dans laquelle les institutions post-modernes représentent les forces olympiennes’, Treme dresse un tableau résolument plus optimiste des capacités de l’être humain, et de l’Américain aux ’vraies valeurs’ qu’est l’habitant de Treme, à lutter contre le mauvais sort et à se sortir d’une situation tragique grâce à sa culture et ses racines.

Bernette, Batiste, Desautel et les autres...
La série, à défaut d’une intrigue ’forte’, repose sur la personnalité des personnages principaux, et leur différents rapports à leur ville et à leurs congénères. Ils sont au nombre de dix. Du moins selon le site d’HBO et moi-même, s’ils vous faut deux preuves irréfutables. Ils sont tous introduits par une scène caractéristique de leur rôle dans la série et de leur psychologie.
Antoine Batiste (Wendell Pierce) est un tromboniste en galère d’argent, et qui vit de concert en concert pour pouvoir payer (après négociation) le taxi qui l’y emmène.
Davis McAlary est un disc-jockey pour la radio locale, qui passe plus de temps à parler de musique qu’à en jouer, et qui rêve un peu trop à la célébrité.
Janette Desautel (Kim Dickens) tente de remettre à flot son restaurant, qui attire toujours la clientèle du quartier mais qui souffre de problèmes d’approvisionnement et des délais de remboursement de l’assurance.
Albert Lambreaux (Clarke Peters) est le chef d’un groupe de Mardi Gras Indians, parade traditionnelle de la ville au moment du Carnaval, qui revient s’installer chez lui (ou plutôt dans le bar du quartier) pour reprendre l’entraînement avec son groupe pourtant absent. Son fils Delmond (Rob Brown) est un musicien professionnel qui a réussi, et qui parcourt l’Amérique pour jouer du Jazz, mais sans la flamme qui anime les musiciens de la Nouvelle-Orléans.
LaDonna Batiste-Williams (Khandi Alexander) est l’ex-femme d’Antoine. Elle élève leurs deux enfants avec son nouveau mari, qui vit à Baton Rouge depuis l’ouragan, et qui tente de la convaincre de laisser tomber son bar et de faire de même.
Toni Bernette (Melissa Leo) est l’avocate des causes perdues, travaillant depuis sa voiture à retrouver les disparus et attaquer en justice les responsables du désastre, elle recherche activement le frère de LaDonna qui a disparu des radars lors de son transfert à l’Orleans Parish Prison. Le mari de Toni, Creighton (John Goodman) est professeur, et se retrouve porte-parole de la cause auprès des médias.
Enfin, les deux nouveaux personnages introduits dans le deuxième épisodes sont Sonny et Annie, un couple de musiciens de rue, qui jouent dans le quartier français pour vivre la vie de bohème à laquelle ils attachent beaucoup d’importance.
I feel like funkin’ it up
Si la série commence par le retour de la parade du quartier après l’ouragan, c’est tout sauf un hasard. Simon et Overmyer ont choisi de raconter la ville au travers de sa forte culture musicale, incarnée par les brass bands de quartier, qui défilent dans les rues suivis des riverains qui chantent et dansent sur leur passage.
En plus de leurs intrigues, les scénaristes ont mis un point d’honneur à introduire les personnages par le biais de leur rapport à la musique. Antoine ne se sépare pas de son trombone et court les petits concerts qui ne lui servent qu’à payer son transport et sa bière. Davis est un DJ qui passe plus de temps à parler de musique qu’à en jouer. Janette ne peut pas travailler dans le silence, et a besoin d’avoir la radio allumée en permanence. Delmond, le fils d’Albert, n’est pas heureux quand il joue dans les clubs huppés de New-York, et retrouve un peu de vie quand il joue auprès des siens. Les Bernette n’ont pas la culture populaire, depuis leur maison intacte et huppée, et préfèrent que leur fille joue du piano classique. Sonny et Annie soulignent l’ignorance des touristes vis-à-vis de la culture de la ville en leur jouant Oh When The Saints et en leur soutirant de l’argent.
Si ces petites scènes parsemées au long des deux épisodes peuvent paraître anecdotiques, elles en disent un peu plus sur ces personnages très différents. La musique promet d’être au cœur de la série, et mieux vaut donc l’apprécier pour pouvoir visionner un épisode avec un minimum de plaisir.

Dès le premier épisode, et de manière encore plus visible (ou plutôt, audible) dans le deuxième, le choix des chansons ponctuant l’histoire n’est pas anodin. Beaucoup des chansons du series premiere, et la totalité de celles de l’épisode de cette semaine ont toutes le même message : ’La Nouvelle-Orléans est belle, c’est ma ville, et j’y reste’. Partant d’une bonne intention, cette déclaration d’amour à la ville frise pourtant ici l’indigestion [1].
Au pays de Khandi
Car le plus gros souci de la série, dans ces débuts, c’est l’acharnement avec laquelle elle veut donner une image positive de la Nouvelle-Orléans. Que ce soit dans ces chansons, ou pire : dans les quelques échanges qu’ont Sonny, Annie et Davis ont avec les touristes du French Quarter.
Quand Davis, sommé par ses parents d’accepter un travail qui n’a pas de rapport avec la musique, se retrouve à travailler dans un hôtel de luxe du Quartier Français, il nous fait découvrir à quel point les Autres sont bêtes. Que ce soit les rednecks qui cherchent Bourbon Street alors qu’ils sont à l’Hôtel du même nom, ou bien son patron qui lui interdit de conseiller des lieux de sortie en dehors de cette même rue aux clients, tout nous prouve bien que l’Amérique ne sait pas ce qu’est la Vraie Nouvelle-Orléans, et que la série est là pour une petite visite hors des sentiers battus.

L’initiative est louable, mais on ne peut s’empêcher de se sentir insulté. Et encore un peu plus quand le Church Group venu aider à la reconstruction de la ville est pris pour des cons par Sonny qui leur vend de la musique ’typique’ en leur chantant Oh When The Saints version soupe. Pire, la scène suivante commence par une autre version plus ’soul’ et moins commerciale de la chanson, pour mieux souligner la supériorité culturelle. Le Church Group passe ensuite ’la soirée de leur vie’ dans le 7th Ward, un autre quartier décrit comme dangereux et qui pourtant leur fait entrevoir le vrai bonheur.
Toute la série va en fait dans ce sens, et se contente (pour l’instant, en espérant un regard un peu différent dans la suite) de pointer les merveilles de Treme en oubliant les côtés négatifs. Ce quartier est en effet réputé pour être un des plus dangereux de la ville, et la mixité ethnique, si belle soit elle, engendre elle aussi quelques problèmes qui n’ont pas été abordés dans ces épisodes. Les seuls points négatifs sont imputés à la police et aux pouvoirs publics, grands coupables de la catastrophe. Ici, seul le vol des outils d’Albert, et l’accès de violence que cette trahison engendre semblent faire redescendre un peu le nuage de bonté sur lequel flottent les personnages.
Treme Mollo
Malgré ces gros défauts, la série n’est évidemment pas dénuée d’intérêt et comporte son lot de très bonnes scènes, à la hauteur de David Simon. Toutes les scènes de la fanfare du début du premier épisode semblent très bien dépeindre l’engouement que peut provoquer l’évènement. Le personnage de John Goodman paraît assez intéressant, dans les promesses de contrepoint qu’il donne, en critiquant le fait que le gouvernement décide de réhabiliter en priorité les cours ’culturels’ de la ville, plutôt que les classes manuelles et pratiques, qui paraîtraient plus utiles en temps de crise. Son discours semble ici aller à l’encontre de celui des autres personnages, et même de celui des scénaristes.
Notons aussi la toute dernière scène du deuxième épisode, où Albert et George entonnent le chant de guerre des Guardians Of Flames, au milieu du bar désert, certainement le meilleur passage musical de cet épisode grâce à un chant et une interprétation en simplicité, très chargée d’émotion.
Tous les personnages sont bien installés et ont tous leur raison d’être au sein de la série, si tant est qu’on laisse le bénéfice du doute à nos deux nouveaux (même si l’acteur qui interprète Sonny chante particulièrement mal, mais après presque une saison de Glee, on peut devenir tolérant).
Je peux aussi imputer une bonne partie des défauts que je reproche à ce début de saison à la différence de traitement et d’exposition de Katrina et de ses conséquences entre les Etats-Unis et chez nous. Même si les médias ont couvert l’évènement internationalement, force est de constater que l’histoire a un plus fort impact émotionnel aux Etats-Unis, et que les conséquences sur la vision de la ville, et sur la volonté des scénaristes d’en faire changer, peuvent s’expliquer.
Ainsi, si je pense que ces deux épisodes ne méritent pas forcément l’intégralité des critiques dithyrambiques qu’ils ont reçu, la série a de quoi construire une histoire forte, basée sur ses personnages bien moulés. Rendez-vous en fin de saison pour mes excuses publiques à David Simon et Eric Overmyer.
[1] d’un point de vue personnel et absolument subjectif, j’ai trouvé les musiques du deuxième épisode moins bonnes que celles du premier, ce qui influe certainement sur ce jugement