KAAMELOTT - Un royaume en mouvementKaamelott, un succès à suivre
Par Jérôme Tournadre • 28 mars 2007
De Livre en Livre, « Kaamelott » s’est imposée comme une série-feuilleton. Focus sur cette évolution.

Oubliées les séries que l’on regarde seul chez soi avec l’appréhension du « qu’en dira-t-on », oublié l’effet de mode qui a encensé plus que de raison des fictions en les mettant en avant face à la soit-disant perdition du cinéma. Dorénavant les séries ont trouvé leur place légitime dans le paysage audiovisuel français. Elles sont capables de drainer un public énorme qui en redemande toutes les semaines. Nous ne sommes pas là pour en expliquer les causes ni le cheminement accompli depuis des années mais il est intéressant de constater que « Kaamelott » a accompagné le changement de mentalité du public français et des diffuseurs face à la fiction TV.

En effet, des termes comme « loners », « saisons », « arcs narratifs » ou encore « cliffangers », plus utilisés généralement quand on parle de séries américaines, sont tout à fait approprié à « Kaamelott ». Il n’est pas maladroit de dire qu’Alexandre Astier est un enfant de la télé (on peut même parlé de fan-boy au vu des ses influences) qui à grandi avec les séries américaines et qui a su comprendre leurs structures pour aujourd’hui les utiliser sans avoir honte de cet héritage.

A une certaine époque les feuilletons rebutaient les diffuseurs pour cause de cohérence narrative à respecter (même si cela n’en gênait pas certains). A cette époque les séries étaient considérées comme des bouche-trous bien efficaces entre deux jeux idiots. Si cette pratique a fortement diminuée, il n’en reste pas moins que certains genres sont toujours perçus de cette manière, notamment la comédie. Un des avantages des short-coms pour une chaîne se trouve dans sa flexibilité à la diffusion. De par leurs faible durée et leurs histoires indépendantes (la vie quotidienne d’un couple ou celle des salariée d’une PME) elles peuvent facilement se programmer à toutes heures et être rediffusées sans souci de respecter un ordre précis. Tout en comprenant cet état de fait, Alexandre Astier su en jouer pour faire venir son public (et M6) vers l’histoire qu’il désirait. De manière presque naturelle, « Kaamelott » est passée du statut de série composé de loners (c’est-à-dire des histoires indépendantes les unes des autres) à celui de feuilleton où chaque épisode, bien que pouvant raconter une histoire indépendante, s’inscrit dans une logique d’ensemble. Un changement radical qui s’est pourtant opéré en douceur tout au long des quatre premières saisons. Ces saisons, ou livres, comportent chacune cent épisodes de 3 minutes, et chacune d’elles marque une évolution dans le ton et la narration de « Kaamelott ».

Ainsi le livre I est une saison d’introduction à l’univers de la série. Les cent premiers épisodes sont tous des histoires indépendantes qui tour à tour firent découvrir les différents aspects de l’univers de « Kaamelott » : Arthur et ses problèmes pour trouver le graal, gérer son royaume et pour supporter sa femme, sa belle-famille et son équipe de bras cassés... On y découvre les lieux de « Kaamelott » (la Table ronde, la salle à manger, les camps dans la forêt, la chambre à coucher d’Arthur, le labo de Merlin) et on fait connaissance avec la stupidité du duo Perceval et Karadoc, avec le rétrograde et terrible Leodagan, le rigide Lancelot, l’incapable... Du fait du caractère indépendant de chaque histoire, M6 pu les diffuser comme bon lui semblait ce qui fidélisa encore mieux les spectateurs qui s’habituèrent à cet univers et à ses codes. Petit à petit ils furent conquis et déjà tout un public commença à devenir fan et à reprendre certaines répliques avec en tête la désormais célèbres bottes secrète de Perceval et Karadoc (répondre ‘‘C’est pas faux’’ à une phrase qu’ils ne comprennent pas).

Tout en suivant la même voie, le livre II va légèrement changer la donne. L’intégralité du livre est là aussi composée d’épisodes indépendants mais on remarque déjà qu’Astier joue avec les références de sa série, les connaissances et la fidélité de ses spectateurs. Ainsi certains épisodes font suite à des épisodes du livre I. « Unagi II » (avec la technique de combats de Perceval et Karadoc), « La botte secrète II », « Un roi à la taverne II », etc. Le coté référentiel de la série va devenir une des clés de voûte de la popularité du show. Rien de tel qu’un gimmick bien utilisé pour faire rire, tel le ‘‘c’est pas faux’’, les jeux aux règles incompréhensibles de Perceval ou bien encore la chanson « A la volette ». La deuxième clé de la réussite du programme viendra du changement de ton dans certains épisodes. Le livre II contient ainsi des épisodes qui utilisent des effets dramatiques plutôt qu’un effet comique. Alors que l’on pourrait croire cela déplacé, c’est l’effet inverse qui se produit. Les personnages n’en deviennent que plus profonds et plus vivants. Le premier épisode qui vient en tête est bien sur « Pupi » qui nous montre Arthur en train de regarder un spectacle de marionnette en compagnie de la foule du marché. Outre le fait qu’il s’agisse là d’une rafraîchissante mise en abîme de la série, le final nous offre une scène touchante sans chute comique où une petite fille (celle d’Alexandre d’Astier) portée par Arthur tend une bourse aux forains pour qu’ils rejouent la pièce. A l’inverse, l’épisode « Always » possède une chute comique mémorable alors que l’intégralité de l’épisode baigne dans une ambiance déprimante : Un messager annonce à Arthur que Perceval est mort, cela va faire prendre conscience à la population du château de la place que le chevalier prenait dans leur vie et redonner foi au roi dans l’accomplissement de sa quête. Au final Perceval n’était pas mort mais seulement malade. Pour l’anecdote, Cet épisode fut écrit par Alexandre Astier à la suite d’un poisson d’avril qui vira en rumeur macabre annonçant la mort de Franck Pitiot. Astier eu recours à ce même procédé pour contredire certains médias qui analysaient le personnage de Bohort comme le gay de la bande. On remarquera enfin que dans les derniers épisodes de ce livre, les looks des personnages évoluent. En effet, ces épisodes furent tournés en même temps que le livre III faisant ainsi transition entre les deux époques.

Car le livre III marque un grand changement dans « Kaamelott ». Certes, les histoires restent pour beaucoup indépendantes mais de nombreux arcs narratifs naissent dans cette saison, créant ainsi une histoire globale, avec pour fil conducteur la rivalité grandissante entre Arthur et Lancelot. Déjà amorcée dans le livre II, l’antagonisme entre le roi et le premier de ses chevaliers devient ici de plus en plus fort. La cause ? Même si Lancelot évoque pour sa défense l’équipe de bras cassés qui composent les Chevaliers de la Table Ronde, c’est bien entendu son amour pour la reine Guenièvre qui est le moteur de sa rébellion envers le roi. Ce qui était un élément comique durant les deux premiers livres devient ici le ressort dramatique majeur de la série. Au fil des histoires, Lancelot va de plus en plus s’opposer à Arthur. Le premier grand clash interviendra dans l’épisode « Ivresse II » qui se conclut sur une bagarre entre Lancelot et Arthur lorsque ce dernier lance Excalibur pour lui prouver que celle-ci revient toujours à son élu. Lancelot ne pourra alors pas se retenir de se battre pour récupérer l’épée. C’est le premier grand clash entre ces deux fortes personnalités, qui trouvera son paroxysme dans le final de la saison. Car, chose extraordinaire pour ce type de programme, le dernier épisode du livre III se conclu sur un cliffhanger à l’efficacité redoutable. Ayant découvert la liaison entre Arthur et Mevamwi, Guenièvre part rejoindre Lancelot dans la forêt. Les dernières images nous la montrent devant un Lancelot stupéfait.... Fondu noir sans chute comique et à bientôt pour la suite. Imaginez la délicieuse frustration du spectateur qui se rend compte qu’il regarde bien plus qu’une simple petite série comique. Il se prend d’affection pour ces personnages, leurs aventures et leurs relations et le voilà devant un suspense incroyable. « Kaamelott » s’est dès lors affranchi de son statut de short-com plaisante pour devenir une vraie, grande, série. On ne la regarde plus pour trois minutes de rigolade. Non, on la suit tous les soirs pour vivre les aventures de héros devenus familiers. Il n’est alors pas étonnant de voir apparaître dans cette saison des épisodes en deux parties afin de développer les histoires. Le premier d’entre eux est « La poétique » où Arthur explique à Perceval l’art de raconter une histoire. Deux épisodes donc, qui alternent les scènes entre Arthur et Perceval, et les conséquences de leurs échanges lors d’une réunion des Chevaliers de la Table Ronde. Un nouveau pas dans la narration de la série est franchi avec en prime l’un des épisodes les plus drôle de la série (Perceval : ‘‘C’est excitant les vieux, c’est mystérieux’’). Suivront plus tard « L’assemblée des rois » (qui se paye le luxe d’offrir une sympathique scène d’action) et « La dispute » qui scelle la séparation entre Arthur et Lancelot et conclura la saison.

Le livre IV va continuer dans cette voie et développer les événements du final du livre III. Ainsi, toute la saison va s’efforcer de démontrer les répercussions de la sécession de Lancelot, du départ de Guenièvre et de la romance entre Arthur et Mevamwi : Léodagan et Seli s’interrogent sur leurs avenir au château, les maîtresses d’Arthur complotent pour devenir la nouvelle reine, Lancelot monte un camp avec l’aide du roi Loth. Enfin, ayant échoué dans sa mission, la dame du lac est déchue, perd ses pouvoirs et devient simple humaine. Alors que l’humour de la série provenait d’un événement propre à un épisode, c’est dorénavant un fil conducteur qui deviendra la source des gags de la série (voir par exemple Bohort tentant de convaincre le père Blaise, de retour de voyage, de la véracité des événements récents, Guenièvre qui compare Lancelot à Arthur, le roi qui tente d’envoyer un espion dans le camp de Lancelot etc... ). Pour autant c’est dans cette saison que l’ont perçoit les limites du format de « Kaamelott ». Alors que les propos d’Alexandre Astier sur son désir de réaliser des épisodes spéciaux de 52 minutes et une trilogie cinématographique après le livre VII pouvaient faire naître des craintes (On se souvient de « Espace détente », l’adaptation ratée de « Caméra Café »), les épisodes en deux parties apparaissent pourtant de plus en plus comme un exercice pour maîtriser une histoire sur une durée plus longue que les trois minutes rituelles. Au final, le livre IV est l’apogée du format initial de « Kaamelott ». Le dernier épisode, « Le désordre et la nuit », dure d’ailleurs sept minutes et préfigure le nouveau format du livre V qui sera diffusé à partir du 30 avril est qui sera composé de cent épisodes de sept minutes chacun.

Ambiance en retenue, décors et costumes très sobres reflétant une saison qu’Astier annonce comme la plus sombre de la série, le dernier épisode peut déjà donner nous donner une indication sur ce qui nous attend. « Le désordre et la nuit » nous montre Arthur vaincre Lancelot et récupérer Guenièvre. Toutefois un homme habillé de noir apparaît à un Lancelot dévasté par son échec et lui annonce la venue des jours sombres. Au vu des premières images qu’on croirait toutes droites sorties d’un film (et qui nous rassure dans les capacité d’Astier à continuer l’aventure au cinéma), ce livre promet beaucoup.