THE SECOND COMING • MINI-SERIE
Le Jugement Dernier façon Ken Loach...
Par Sullivan Le Postec • 18 janvier 2010
En février 2003, ITV, chaîne privée britannique, le TF1 local, diffusait cette mini-série sur la seconde venue sur Terre du fils de Dieu, férocement anti-religieuse. En 2010, notre TF1 en est toujours à « Julie Lescaut ».

Diffusé en 2003 par ITV, entre « Bob & Rose » et « Mine all Mine », deux autres mini-séries assez peu connues (parce que peu ou pas diffusées en France) de son cru, « The Second Coming » est un projet que Russell T Davies portait depuis longtemps. Sa production a connu d’ailleurs de multiples rebondissements, sur lesquels je reviendrais. Au-delà de ses qualités propres (qui sont massives), « The Second Coming » est intéressant aussi en cela qu’il montre l’écriture de Davies alors qu’il s’adresse directement à des adultes, dans un drama au contenu pour le moins controversé.

Un homme et une femme enlacés dans un lit. Ils viennent de faire l’amour.
Judith : “Est-ce que tu m’aimes ?
Stephen : “Oui.
(pause)
Judith : “Est-ce que tu es le fils de Dieu ?
Stephen : “Oui.
Cette scène, qui arrive aujourd’hui au tiers de la seconde partie, est le pitch initial de Russell T Davies à sa productrice de l’époque, Nicola Schindler de Red, la fabrique à chefs d’œuvres britannique. Hier comme aujourd’hui, ce qui prime chez Davies c’est toujours le personnage, en l’occurrence le personnage ordinaire pris dans une situation, à un degré ou un autre, extraordinaire. L’histoire ne vient toujours qu’après, et sert avant-tout à orchestrer le parcours psychologique du personnage. « The Second Coming » est un projet fascinant, comme si le retour de Dieu sur Terre avait lieu dans un film de Ken Loach. Et la mini-série se termine par une des scènes les plus violentes jamais vue à la télévision (elle montre deux personnes discuter calmement autour d’un repas)...

La seconde venue

Stephen Baxter (Christopher Eccleston, magistral) a passé la trentaine. Il est célibataire, travaille dans un vidéo-club. Il est plus qu’ordinaire, il a quasiment raté sa vie. Après une soirée bien arrosée, il se retrouve assis, sur le trottoir en face du bar, avec sa meilleure amie, Judith (Lesley Sharp, à la hauteur d’Eccleston) et l’embrasse. Et c’est à cet instant là qu’il a une révélation. Il est le fils de Dieu, la seconde venue.
Écrit comme cela, cela peut surprendre. Mais « The Second Coming » ne joue pas là-dessus : ce n’est pas une histoire qui s’interroge quant à savoir si, oui ou non, un homme est le fils de Dieu. C’est une histoire sur la seconde venue, et sur ses conséquences.
Après 40 jours de pérégrinations, Stephen revient à Manchester, organise un miracle pour attirer l’attention du public, et fait son annonce. L’humanité a cinq jours pour rédiger un Troisième Testament. Si le fils de Dieu est de retour, il n’est pas seul : le Démon rôde aussi. Sous quelle forme ? Et que ce passera-t-il si jamais aucun Troisième Testament n’est produit ?

Hell. Development Hell

La scène entre Stephen et Judith décrite plus haut est venue à l’esprit de Russel T Davies vers le milieu des années 90. En 1999, il vient de réellement percer avec « Queer as Folk », son prochain projet est attendu. Résolu à continuer à travailler avec Red Productions, il propose « The Second Coming ». Channel 4, qui a diffusé le drama gay et sa suite, achète. A ce moment, « The Second Coming » est une mini-série de 6x52 minutes. Russell T Davies part l’écrire. Après 10 mois de travail, nous sommes en octobre 2000, le tournage doit avoir lieu dès la fin du premier semestre 2001. Mais les équipes dirigeant la fiction à Channel 4 ont changé entre-temps. Et les nouveaux ne comprennent pas cet objet bizarre qu’est « The Second Coming ». Il faut dire aussi qu’à cet époque, nous sommes encore cinq bonnes années avant le renouveau du fantastique et de la science-fiction à la télévision britannique. A l’époque, la fiction réaliste et le drama en costume sont les seuls horizons possibles, hors séries comiques. “Si on passe ça, vous allez avoir l’air ridicule,” disent même les exécutifs de Channel 4 à Davies.
Cependant, le projet a déjà été fermement commandé par l’équipe précédente, il aurait pu être produit “contre” la nouvelle. Mais Nicola Schindler et Russell Davies n’ont pas envie de passer près d’un an à se battre à chaque instant pour tourner une série que les dirigeants de la chaîne ne veulent pas, qu’ils ne comprennent pas. Ils décident alors d’une séparation à l’amiable, et Schindler part, avec les scripts de Davies sous le bras proposer, le projet à d’autres chaînes.

C’est à peu près à la même époque que Channel 4 décida de ne pas produire la série dérivée de « Queer as Folk », « Misfits », dont deux épisodes complets avaient déjà été écrits par Davies. Ce qui explique que Russell Davies décida finalement de développer des relations avec d’autres diffuseurs et ne travailla jamais plus pour cette chaîne.

« The Second Coming » est refusé par la BBC. A ce moment-là, tout le monde pense le projet mort et enterré. Mais Schindler décide de le proposer à ITV. La chaîne privée a des habitudes de fictions beaucoup plus consensuelles, mais Davies et Schindler viennent d’écrire et de produire pour elle « Bob & Rose », série de 6 épisodes sur un gay qui tombe amoureux d’une femme, sans anicroche. Schindler a eu raison de tenter le coup : ITV signe le projet, qui passe toutefois à 4 épisodes de 52’. Pendant la période de développement à ITV, la durée est encore réduite et passe à deux épisodes de 70 minutes.

Docu

Ce raccourcissement fut probablement, et Russell T Davies le concède, bénéfique au résultat. Débarrassée de toute digression, très centrée sur son sujet et ses deux personnages principaux, « The Second Coming » gagne en force à être aussi directe.

En terme de style, l’approche du réalisateur Adrian Shergold est celle d’un réalisme documentaire radical. La caméra à l’épaule filme l’action comme si elle ignorait totalement ce qui allait se passer à la prochaine seconde, l’image a beaucoup de grain, les comédiens sont des plus naturels. La pauvre Lesley Sharp, pas coiffée ni maquillée, fait peur à voir dans la plupart de ses scènes. Mais elle en tire une vraie puissance, celle de l’acteur qui a renoncé à savoir s’il était joli à l’image pour mieux être à fond dans son jeu.
L’action se déroule dans des milieux populaires, nous sommes en plein dans le réalisme social à l’anglaise, très cru, criant de vérité. Et c’est dans ce contexte là que Davies déroule son histoire de retour du Messie.

Le rythme est très intense, mais du fait du recentrage sur les personnages d’Eccleston et Sharp, ceux-ci restent suffisamment épais et développés pour que l’on puisse s’intéresser à eux. Habitude de Davies, le regard du monde sur cet événement est présent au travers des écrans de télévision.

Mais le plus intéressant, dans « The Second Coming », c’est évidemment le propos, ce pourquoi Russell T Davies a choisi de raconter cette histoire. Davies n’est pas croyant, et c’est là la clef de ce récit. Il constitue en fait une charge virulente contre la religion, son absurdité et la manière dont elle peut être une façon facile de botter les problèmes en touche. Russell T Davies y laisse voir une religion qui rabaisse l’humanité plutôt que de l’élever.
Au début, lorsque Stephen révèle qu’il est le fils de Dieu, ses amis lui demandent des miracles. Des miracles personnels (ressusciter untel...), qu’il n’a pas de raisons d’accorder à eux plus qu’à d’autres, des miracles à base de bons sentiments, qu’il a vite fait de rejeter : “Mettre fin à la famine ? Mais il n’y a pas besoin d’un miracle pour ça, l’Humanité peut très bien le faire si elle le décide”. Mais il a vite fait d’être renvoyé à la propre absurdité de son existence et de ce qu’il a demandé. Qui peut écrire le Troisième Testament ? Pour y dire quoi ? Comment le sélectionner ?

A la conclusion du récit (Spoilers, donc) c’est Judith qui se révèle l’auteure de ce Troisième Testament. Celui d’un monde sans Dieu, ni religion, qu’elle rend possible parce qu’elle convainc son meilleur ami Stephen de se suicider en dégustant le dîner de pâtes à la mort-aux-rats qu’elle lui a confectionné. La scène est aussi radicale que poignante.

« The Second Coming », tout en portant clairement la marque de son auteur (le récit mis au service des personnages, la télévision comme vecteur constant d’exposition et de matériel auquel les personnages réagissent...), montre aussi clairement ce que Russell T Davies peut faire quand il écrit en visant un public adulte. C’est vers ce public qu’il a plutôt envie de se tourner après les cinq années consacrées à « Doctor Who ». On a carrément hâte de le voir revenir sur ce terrain.

Post Scriptum

« The Second Coming » 2x70’. 2003. Red Productions pour ITV.
Scénario : Russell T Davies ; réalisation : Adrian Shergold.
Producteurs exécutifs : Nicola Schindler et Russell T Davies.
Avec Christopher Eccleston et Lesley Sharp.
Inédit en France. Disponible en DVD Zone 2 UK, mais il n’y a pas de sous-titres français.