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Max’ Investigations - Une exploration de la représentation de l’obésité dans les séries

N°2: F*** you, Insatiable !

Par Max, le 12 août 2018
Par Max
Publié le
12 août 2018
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Il y en a qui passent six mois de l’année à préparer leur summer body. Il y en a qui scrutent Instagram, les posts sur le sport, la diététique avec plus de corps “parfaits” que la CW n’en a jamais contenus. Il y en a surtout qui vivent bien avec le corps qu’elles et ils ont ou mal en pensant au corps qu’elles et ils voudraient avoir. Et se tournent vers la TV pour se sentir un peu mieux, un peu vus. Mais est-ce vraiment possible ?

Mon journal d’ado hors-normes à la TV

En tant qu’ancien obèse, j’ai longtemps cherché (inconsciemment) à la télévision, mon média de prédilection depuis… 1997 et le pilot de Buffy sur M6, un personnage qui puisse me ressembler. Des personnages qui me parlent, qui m’émeuvent, qui captent des pans de ma personnalité ou des morceaux de ma vie, il y en a eu et ils me sont précieux. Mais des personnages qui sont physiquement à mon image, il n’y en avait pas.
Jamais.
Ou dans le fond de la classe des teen-shows.
Mais c’était tout.

Où trouver un adolescent homosexuel obèse ? Nulle part.
Ou dans un épisode obscur de Confessions intimes, peut-être.

À défaut de trouver de l’intersectionnalité à la télévision, il faut prendre son mal en patience et grappiller de la représentation là où l’on peut. Bénie soit E4 [1] pour avoir mis en avant Rae Earl en 2013 dans My Mad Fat Diary. C’est la première fois de mon histoire de sériephile que l’on me montre, moi ! (ou presque), à l’écran. À la faveur d’un rattrapage de la première saison avec ma meilleure amie, on se passionne pour le parcours de cette “ado hors-norme [2] et sa maladie mentale, de meilleure amie aveugle à ses problèmes, de petit copain qu’elle trouve trop bien pour elle (mais qui l’aime réellement comme elle est). Et en plus, il y a un personnage gay ! (mais tout beau, tout propre). Soir après soir, on se retrouve toujours beaucoup dans le parcours de cette adolescente “comme nous” (ou presque, encore), traversée par les mêmes doutes, les mêmes difficultés, le même regard intransigeant et partial sur soi.

My Mad Fat Diary a l’intelligence de ne pas reproduire le trope de la personne en surpoids qui tente de maigrir par dessus tout, de faire de Rae la bonne copine ou le clown du groupe ou tout autre qualité sensée “excuser” sa condition physique. Non, elle est malheureuse, dépressive, adolescente, a une passion pour le rock, veut trouver quelqu’un à aimer et qui l’aime, juste avancer. Elle est normale, complètement normale. Et c’est la première fois que je me vois donc à la TV. La première fois que je peux en discuter avec une autre amie de l’importance qu’a ce parcours et ce portrait sur notre relation à la fiction mais aussi à la société et au regard des autres et aux autres.

Maintenant, il faudra attendre 2016 et des triplés, un papa mort à retardement et beaucoup d’errances et de changements personnels.

Je ne suis pas un numéro !

Une des qualités du tire-larmes et pisse-mémé de NBC, c’est Kate Pearson, seule fille du Big Three. Face à ses parents presque exemplaires et ses frères qui se tirent la bourre pour le titre de Mr Parfait, elle se sent comme une anomalie. Pourquoi ? Parce qu’elle est en surpoids (puis, dans le présent, obèse).
Ce qui fonctionne particulièrement bien dans This Is Us, c’est la façon dont toute la vie de Kate s’articule autour de son poids : sa relation avec sa mère, avec Toby (son amoureux rencontré dans un groupe d’entraide), avec elle-même, son choix de carrière, sa potentielle grossesse …

Être ou avoir été en surpoids prend tout l’esprit, c’est une maladie psychologique invisible et peut-être plus dévastatrice que le poids porté en lui-même. Il est difficile voire impossible pour elle de se délester de ses complexes, du sentiment de ne pas entrer dans une case et donc devoir renoncer constamment à ses envies, notamment celle de suivre les pas de chanteuse de sa mère. Mais ce problème que la série aborde de front est aussi son principal problème. Kate ne semble être définie que par cela, même lorsqu’elle tente d’exister en dehors. Si cela participe à exposer les personnes obèses par leur expérience d’eux-mêmes, cela les rend aussi quelque peu unidimensionnelles, comme si toute leur existence (et ce n’est en quelque sorte pas faux) n’était que le rapport à son corps et/ou au poids.

À sa décharge, ce n’est pas totalement de la faute de This Is Us qui tente de réparer les dommages d’une industrie où cette question est totalement absente. Nommez plus de cinq personnages réguliers et/ou récurrents de séries en surpoids ? Difficile, n’est-ce pas ? Et c’est encore pire dans l’industrie du cinéma où Rebel Wilson et Melissa McCarthy (Sookie de Gilmore Girls) se partagent 99,7% des rôles de “femmes fortes à humour gras et personnalité exubérante” dans des comédies américaines en plein déclin. Et elles ont toujours un prétendant toujours un peu mieux gaulé, une super copine tellement jolie et des parents ou de la famille un peu coincés mais tellement compréhensifs.
L’arrivée d’une femme comme Chrissy Metz étend un peu le panel mais ça reste peu et dans une série qui peine à lui donner autre chose à jouer. Il y a tellement à dire sur ce personnage sans en enlever la composante la plus intéressante en terme de représentation : les scènes de la saison 2 où elle partage sa passion à son père sont les plus émouvantes et intéressantes de la série jusqu’ici.

This Is Really Us ?

Cela m’amène alors à la polémique qui m’a le plus touché ces derniers temps dans le petit monde des séries : le fat suit. L’interprète de Toby, porte un fat suit, prothèses et costume destinés à le grossir pour ensuite montrer plus ostensiblement une perte de poids.
Ce n’est pas correct envers sa partenaire de jeu, Metz, qui compose avec son corps, l’expose, se met quelque part à nu en construisant son personnage.
Ce n’est pas correct envers les acteurs en surpoids (il y en a) qui auraient pu jouer le rôle sans artifice et sortir du gars à l’humour salace et le bon copain du beau-gosse.
Ce n’est pas correct envers le spectateur en faussant une représentation déjà peu présente et en faisant de la perte de poids un idéal à atteindre pour être bien, en paix ou dans la norme. Engager un acteur qu’il peut se modifier à volonté et rapidement, c’est nier tout un travail dans le temps pour comprendre et représenter correctement. Gros n’est pas un costume, ce n’est pas un problème ou quelque chose dont on peut se débarrasser comme d’un personnage trop encombrant.
Ce n’est donc pas correct envers les personnes en surpoids ou qui l’ont été.

Il y a eu des excuses, c’est bien mais c’est peu, il faut changer les choses. Mom joue de la même chose avec Jill (Jaime Pressley) mais en pire : c’est pour faire rire. Et ça, ce n’est pas bien, pas bien du tout. Alors qu’elle s’empêche de rechuter, Jill développe une addiction à la nourriture. Et grossit. Beaucoup. Puis, elle décide de faire un régime et perd du poids. Beaucoup. Mais recommence à boire. Le propos derrière la compensation du manque par une autre addiction peut être extrêmement intéressant dans une série qui a si bien traité et fait rire et fait pleurer de l’alcoolisme. Mais le faire au détriment de personnes en les caricaturant, ça, ce n’est pas correct du tout (et ce qui a considérablement diminué l’impact de la storyline et de la saison dans son entier).
Le fat suit, c’est tabou, on en viendra tou·tes à bout.

Le Gros Mot

La télévision et le cinéma sont le reflet de la société. Ils accompagnent son éducation, que ce soit de manière didactique ou de quinconce, en exploitant la fiction et la possibilité de ses mondes. C’est donc à la télévision et au cinéma de maintenir ou instaurer de nouvelles normes par leur influence. L’obésité, souvent ridiculisée, doit désormais être montrée comme une norme sur le spectre, au même titre que le reste.

Avec Dietland et sa satire de l’industrie de la mode et sa construction factice des standards de beauté, on attaque enfin de front à la fois les préjugés sur les personnes en surpoids et la vie intérieure de ces personnes. À travers Plum, rédactrice “prête-plume [3]” pour un magazine féminin dirigé par la parfaite Kitty Montgomery, la série expose à la fois les problèmes psychologiques, sociaux et physiques que représente l’obésité mais aussi que la représentation de l’obésité génèrent. Car si Plum n’a pas la forme d’une athlète de haut niveau, elle n’est pas malade, elle est simplement grosse. Et la société n’accepte pas cela, n’a de cesse de lui montrer (par des jugements de clients lors d’un rendez-vous galant au restaurant, par des infrastructures ou vêtements non pensées pour son gabarit, etc) qu’elle n’y appartient pas.

Ce qui m’a personnellement surpris et profondément touché avec Dietland, c’est la confrontation entre la perception que Plum a d’elle-même et celle qu’elle pense que les autres ont. Lors d’une scène chez des esthéticiennes d’Europe de l’Est, notre héroïne pense qu’elles parlent de son poids pendant l’épilation alors qu’elles discutent d’une tierce personne et sur un sujet totalement différent. Si cela peut prêter à rire pour certains, la larme n’était pas loin pour moi, me retrouvant totalement dans cette obsession du regard des autres, de leur jugement sur le corps, la façon dont il bouge, dont il gêne, dont il ne se conforme pas. Ce n’est qu’un exemple parmi d’autres du portrait d’une justesse effarante que Dietland tente de brosser et qui, bien sûr, peut ne pas parler à toutes les personnes en surpoids. Plum veut se conformer à une image qu’elle pense devoir façonner alors que c’est l’image qui doit se façonner à elle. Et comme message, c’est assez révolutionnaire.

C’est un propos qui peut s’étendre à toutes les personnes souffrant d’un problème d’image et d’estime de soi (et nous sommes nombreux). La série ne tente pas de hiérarchiser les complexes et les combats, elle les expose et les explose avec son intrigue sur ce groupuscule féministe révolutionnaire. Dietland essaie juste de changer la donne sur la vision que la personne peut avoir d’elle-même ou que la société peut avoir sur la femme en général.

Oui, je suis un homme, qui n’est désormais plus en surpoids mais qui garde à vie ses complexes comme des cicatrices. Il manque toujours quelque chose à la télévision pour que l’identification soit complète (pour quelqu’un qui a été dans ce cas). Comment être homosexuel ou ne serait-ce que faire l’idée de coming-out quand ta seule identité, c’est d’être obèse ? C’est là où Dietland (et la conclusion de My Mad Fat Diary) nous apprennent, épisode par épisode, représentation par représentation, à les regarder en face, à ne plus nous en excuser, à ne pas être "que" l’image que l’on revoit ou à vivre avec [4].

Et pour cela, je ne remercierai jamais assez une série télévisée.

Max
Notes

[1Une chaîne anglaise du groupe Channel 4.

[2La France est vraiment nulle pour traduire ses titres, toujours à la truelle.

[3Ou écrivaine fantôme, si vous préférerez...

[4Et non, on ne parlera pas d’Insatiable, nouvelle série de Netflix qui fait polémique avant sa diffusion pour son utilisation prophétiquement désastreuse de l’obésité. Le pilot est une honte sans nom qui renvoie tous les efforts faits très loin en arrière et insulte quiconque souffre ou a souffert de problèmes de poids. La chose la plus insultante qu’il m’ait été donné de voir. Et pourtant, j’ai supporté Michael Rapport pendant une saison de Justified et quatre épisodes de Friends.