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Folge 4
4 Blocks - Saison 1
dimanche 10 mars 2019, par
Qu’est-ce que c’est ?
Il s’agit d’une production originale de TNT Serie, une chaîne récente du câble allemand (du même groupe que la chaîne américaine TNT, la chaîne de The Closer et de Rizzoli and Isles) qui, une fois n’est pas coutume, est diffusée en France sur Warner TV en prime-time.
La série a été créée par Richard Kropf, Bob Konrad et Hanno Hackfort, un trio de scénaristes plutôt en vogue puisqu’ils ont également été à l’origine ces deux dernières années d’une série pour Amazon (You Are Wanted) et d’une autre pour ARD (Labaule und Erben).
Deux saisons ont déjà été diffusées (d’une demi-douzaine d’épisodes chacune) et il a été annoncé que la troisième, prévue pour l’année prochaine, serait la dernière.
Ça parle de quoi ?
De gangsters, donc, et plus précisément de la famille Hamadi, des Libanais qui ont émigré en Allemagne il y a 25 ans. Le racket, les machines à sous, la prostitution et le trafic de cocaïne sont les quatre activités principales, les "4 Blocks", que contrôlent Ali, dit Toni, l’aîné, et Abbas, son frère cadet, dans leur quartier de Neukölln et quelques parcs de la ville, sous la supervision d’un mystérieux Ibrahim.
À quelques jours d’obtenir son titre de séjour définitif et de pouvoir se ranger des voitures et devenir un homme d’affaires légitime, il voit ses projets bouleversés par l’arrestation de son beau-frère, le meurtre d’un policier et le retour d’un de ses anciens amis.
Y a quelques personnes qu’on aurait déjà vues ?
Tatort étant un peu le Law & Order local, tout le monde est à peu près passé dans un épisode ou deux. Kida Khodr Ramadan, Ali, était dans les deux premiers de Tatort : Berlin tandis qu’Almila Bagriacik, qui joue sa sœur, est devenue récemment la co-équipière de Borowski (dans Tatort : Kiel, l’une des versions à la plus grande longévité).
Dans des rôles de Bikers drogués très violents, on retrouve le tout gentil soldat pacifiste et gay de Deutschland 83 (Ludwig Trepte) et le pasteur romantique et militant de Weissensee (Ronald Zehrfeld).
Et (sans trop de spoilers) elle est bien cette première saison ?
Elle est É-PA-TANTE !
Il m’a fallut quelques épisodes pour me sentir parfaitement à l’aise avec la série, qui possède tous les atours de la plus classiques des classiques du genre, cochant toutes les cases qui doivent être cochées : la rivalité entre les deux frères, la valorisation permanente de la notion de « famille », la célébration de la virilité, l’aspiration à la légitimité et au repos du chef, la relégation des personnages féminins en périphérie des intrigues, l’histoire d’amour entre un flic sous couverture et une sœur des gangsters, des cases qui bien souvent tirent ces histoires vers une complaisance, voire une fascination sans recul, envers les personnages principaux et leurs agissements.
J’étais d’autant moins susceptible d’être confiant que la série semble au départ lorgner beaucoup plus du côté de Sons of Anarchy que des Sopranos (malgré la référence très claire du surnom du « héros ») et j’étais carrément stressé quand elle paraît adopter deux des plus grands défauts de la série de Kurt Sutter : faire entrer en compétition les personnages principaux avec une organisation criminelle bien plus cruelle, sans aucun principes moraux, pour les situer du « bon côté » des criminels, et faire des policiers chargés de les faire tomber des psychopathes racistes eux non plus sans principes, et ainsi instaurer un relativisme moral bien facile [2].
Dans ce contexte, la première moitié de saison met en place des situations qu’on pourrait trouver un peu trop conventionnelles, les différents personnages agissent et interagissent comme on pourrait s’y attendre. L’intérêt vient essentiellement de la description de cette communauté libanaise d’émigrés de longue date et de son fonctionnement interne, et de l’évocation de son intégration au sein de ce quartier de Neukölln, de Berlin, de la société allemande, de ses rapports conflictuels à d’autres communautés minoritaires et de la façon dont la nouvelle génération née en Allemagne se construit.
La tension monte d’un (très grand) cran à partir du quatrième épisode et ne retombera pas jusqu’à l’image finale de la saison. Il est clairement établi pour le spectateur et pour les personnages que la loyauté n’est pas possible dans la criminalité et que comme dans tous les milieux les positions d’autorité et de commandement modifient le rapport aux autres et les aspirations personnelles. Ces dernières ne sont plus conciliables avec l’idée de famille comme collectif protecteur face à l’extérieur, la famille devient un groupe qui doit se soumettre et se mettre au service d’une volonté individuelle.
Dès lors, les personnages ne semblent plus écrits comme les rouages d’une histoire de gangsters à dérouler mais comme de véritables entités qui doivent prendre des décisions qui mettent en jeu leur avenir. Toute l’intrigue crimino-policière s’en trouve chamboulée et devient de fait palpitante. Il ne se passe plus rien d’attendu, ni de banal puisque chaque personnage ne se conduisant que par rapport à sa situation extirpe la série de tout rebondissement stéréotypé, creuse l’intérêt qu’on peut leur porter et rend palpable le tragique de certaines de leurs destinées.
Je crois bien que c’est l’une des rares séries de gangsters où j’ai été véritablement inquiet pour le sort de criminels.
Cette écriture au plus près concerne également parmi les personnages secondaires, les apprentis gangsters de la nouvelle génération et les femmes. Celles-là, qui restent clairement à l’arrière plan, prennent une ampleur inattendue et si leurs résolutions n’ont que peu d’impact sur les intrigues crimino-policières, leurs dilemmes et leurs positionnements se révèlent passionnants et émouvants.
Il n’y a que les bikers rivaux et les policiers qui ne bénéficient pas de ce traitement. Ce petit bémol n’est pas suffisant pour amoindrir la réussite éclatante de cette première saison.
Et plus précisément (donc avec de gros spoilers sur le dernier épisode) ?
Ce qui m’a le plus impressionné, c’est le fait que, tout en proposant un récit parfaitement ancré dans les grands classiques du genre, 4 Blocks parvient à développer un discours critique sur la figure supposée fascinante du gangster.
Grâce à Issam, par exemple, un personnage à contre-courant des figures imposées de ce type de polar. Au départ, il forme aux côtés de son ami Zeki, le duo archétypal des adolescents gangsters en devenir. Ce sont des petits soldats qui gèrent la vente d’herbe dans l’un des parcs contrôlés par les Hamadi. Zeki est déterminé, il se réalisera par la voie de la criminalité qui lui offre idoles et modèles et compense à ce stade son physique frêle par un recours systématique à la confrontation. Issam est lui aussi fasciné par ce milieu qui inspire ses textes de rap, gonflé d’une misogynie caricaturale. À la suite d’une expérience sexuelle ratée avec une jeune fille dont il s’est épris, cette dernière remet en cause sa virilité. Dans beaucoup d’autres fictions, ce moment aurait marqué l’adhésion totale du personnage aux codes virils de la criminalité [3]. Plusieurs autres fois au cours de la saison, il est mis dans des occasions de rejoindre une position plus élevée dans le groupe, occasions qu’aurait saisies sans hésiter Zeki, et pourtant à chaque fois, il va les refuser.
L’écriture de 4 Blocks n’associe jamais ces refus à de la lâcheté ; elle va même valoriser sa décision de quitter Berlin en lui offrant à mon sens la plus belle scène de la saison. Pour la série, abandonner ce milieu est la plus grande forme de courage. C’est à mon sens le message qu’elle donne quand Ali, le « héros », celui qui pensait pouvoir conserver quelques principes de moralité en restant à la tête de son organisation familiale, accepte et facilite le fait que sa sœur quitte son mari et Berlin pour Vince, le flic sous couverture, et qu’elle emmène avec son fils, qu’elle ne veut pas voir devenir un criminel.
L’acte inéluctable d’Ali dans la scène finale de la saison n’en apparaît que plus tragique et déchirant.
Hâte de voir la saison 2 ?
Je ne fais pas partie de celles et ceux qui chantent les vertus des séries qui devraient ce qui contenter d’une seule saison. Loin de là…
Mais je me demande si avec la disparition de Vince et d’Issam, la série pourra conserver sur le long terme le recul qu’elle porte sur ses personnages, garder son identité si particulière et qu’elle ne sera pas obligée de devenir un simple soap (sachant que je n’ai rien non plus contre les soaps, loin de là…) sur des histoires de gangsters…
[1] Une très bonne idée pour le coup, puisque je comprends bien mieux l’accent des immigrés libanais que celui des Berlinois natifs - qui parlent vraiment beaucoup, beaucoup trop vite.
[2] Rappelons-nous le gang des méchants nazis et l’évolution désastreuse du personnage d’Ally Walker en saison 2 et 3 de Sons of Anarchy.
[3] S’il s’était mis à tabasser la fille, j’aurais, je pense, arrêté la série.