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Jane The Virgin
5.01 - Chapter Eighty-Two
Alright, let’s do this (one last time)
dimanche 31 mars 2019, par
ENFIN DE RETOUR. Les capitales sont essentielles tant l’annonce que cette cinquième saison serait la dernière nous a fait pleurer puis trépigner d’impatience vu la manière dont la précédente s’est terminée. Attention, les spoilers pleuvent et font aussi mal que ceux de Game of Thrones (et la série est bien meilleure).
Michael est donc revenu d’entre les morts. En fait, il n’était pas vraiment mort. Il est seulement amnésique (le narrateur : O.M.G.!) et c’est un coup de Sin Rostro aka la plus grande némésis de la série aka Rose. Rafael, dans sa grande mansuétude et par une des plus belles preuves d’amour qui puisse exister, l’a retrouvé et a prévenu Jane qui est, et c’est tout à fait normal, bouleversée. Et ça, ce n’est que la première minute d’un épisode de reprise grandiose.
#JRShotWho
Si on l’avait oublié, Jane The Virgin est une série méta. Tellement méta que toutes ses scènes ou presque, toutes ses actions sont autant d’échos aux saisons précédentes, aux actions des personnages qu’à l’histoire de la télévision. Sans négliger sa forme et son fond, la série n’hésite pas à multiplier les références télévisuelles comme une lettre d’amour à cet art (qui n’est pas un long film). Ici, c’est Dallas, au détour d’une de ses incrustations sur notre écran. Si cela double le niveau de lecture pour apporter une touche d’humour et de connivence avec le spectateur, ce n’est pas fait pour appâter le chaland.
En effet, si l’on se souvient bien, cela nous renvoie à cette saison 3 de ce qui n’était pas encore le revival d’une série sur des texans blancs qui se tiraient dans les pattes. Elle se termine sur un des plus grands cliffhangers de la télévision, qui a tiré sur l’affreux JR ? Dallas fut alors connu pour donner certains des plus mémorables twists (la mort de Bobby comme étant une saison en rêve par exemple) et Jane The Virgin, par cette référence, fait bien plus que l’honorer, elle poursuit la tradition. L’an dernier, elle nous avait laissé sur notre postérieur, pris de court un an après la mort de Michael avec son retour. Si l’on aurait pu s’attendre à ce retournement de situation improbable digne des telenovelas qu’elle s’amuse à pasticher et parodier, Jane The Virgin avait installé sa situation avec tant de solidité et de certitude qu’un retour en arrière était impensable.
Mais elle l’a fait. Elle l’a fait et de manière magistrale, redistribuant les cartes et faisant de tout ce qui s’était déroulé depuis la mort du mari de Jane non pas un rêve mais une sorte de réalité alternative où le triangle amoureux avait trouvé une conclusion définitive. La jeune femme avait alors pu expérimenter les deux combinaisons sans avoir à choisir : une vie avec Michael, une vie avec Rafael. Désormais, pour sa dernière ligne droite, on remet les compteurs à zéro et on revient à la source de la telenovela, l’émotion et la profondeur de tout le passif des personnages en plus. Pourtant, je m’égare, la référence à Dallas est dédiée à une tout autre intrigue, celle de JR et Petra. Celle-ci est plus ancrée dans une tradition du rebondissement facile et jouissif, celle de l’intrigue criminelle mais n’affaiblit en rien l’autre grand morceau de l’épisode ni ne paraît superflue. Loin de perpétuer les clichés que le genre et les références invoquent, Jane The Virgin est plus intelligente que ça, alchimiste du scénario, elle pense à tout. A TOUT.
Gina Fuckin’ Rodriguez.
De tout cela découle une palette d’émotions à exploiter que notre personnage déploie pendant tout l’épisode et nous rappelle pourquoi elle est l’une des plus grandes. Lors de la scène avec Alba et Xo dans la cuisine, elle monologue en un plan-séquence [1] où elle s’interroge sur sa vie, fait le point, doute, crie, mange, pleure, se rend compte du chemin parcouru et de l’ampleur du bouleversement qui vient de se produire. Un morceau de bravoure.
Malgré le retour de Brett Dier et la prestation de tous les acteurs, Gina Rodriguez porte tout sur ses épaules et c’est grandiose. Même en hors-champ, on ne peut entendre qu’elle, elle envahit l’écran. C’est aussi pour elle que la série est une grande : elle donne la voix à une femme forte, qui n’a pas peur de verbaliser les choses, de sa virginité à son mari revenu d’entre les morts, du cancer de sa mère à ses doutes sur les sentiments conflictuels qui viennent de renaître.
Michael, Rafael, this is the last chance to impress me. So love synch, for your liiiife !
(By the way : #TeamMichael.)
La grande force de Jane The Virgin, outre toutes les autres (phrase de normand, ça), c’est la manière dont elle s’éloigne des tropes du triangle amoureux célébré et perpétué par le genre télévisuelle dont elle s’inspire grandement. Il y a du rebondissement, de la bataille pour le cœur de la belle mais tout ceci se déroule sans la considérer uniquement comme un objet de désir. Ici, elle est la personne en charge, ils sont ceux qui vont devoir évoluer, faire des compromis. Il y a toujours eu un choix à faire entre les deux et elle l’a fait en son âme et conscience, ils n’ont plus cherché à la pousser à le faire depuis qu’ils ont compris qu’elle incarnait cette grande chanson des Destiny’s Child : Independant Woman.
Jusqu’ici, j’étais Team Michael (et je le reste toujours au fond de mon cœur). Mais tout le chemin parcouru et le travail effectué sur la relation entre Rafael et Jane en son absence a installé le père de Matteo comme une évidence suite au décès de Michael. Alors la perspective de les voir à nouveau déchirer le cœur de Jane nous détruit nous aussi, nous fait nous questionner sur la manière dont tout cela va terminer. On pourrait être persuadé qu’un trouple est une option inenvisageable mais la série nous habitue à de tels situations, à briser les conventions et les clichés que l’on se prend à espérer qu’elle ne choisisse pas, que son cœur reste dévoué aux deux.
Enfin, si Jane est de plein droit le centre de l’attention, ses prétendants sont également des personnages extrêmement bien travaillés. Des stéréotypes dans lesquels ils sont nés (le gentil flic et le riche bad guy), ils se sont extirpés et ont évolué pour devenir deux hommes avec leurs failles et leurs qualités propres, rendant la situation encore plus complexe pour elle. Ce qui m’intéresse particulièrement avec Jane The Virgin et ses personnages masculins (Rogelio inclus), c’est la manière dont face à ces trois femmes fortes, elle redessine les contours de la masculinité. Ni Rafael ni Michael ne se sentent menacés par la manière dont Jane veut mener sa carrière, sa vie de femme et sa vie de mère. Il n’est que rarement question de s’imposer pour eux et même lorsque l’argent entre en compte, ils ne chipotent pas et la laissent en charge. Nous sommes dans une société menée par les hommes et représentée à la télévision. Il est alors salvateur de voir que le modèle qui se redessine depuis quelques années, idéalement fondée sur l’équité, l’égalité et son adéquation à chaque situation familiale, se retrouve ici sans que cela ne vienne comme étant une exception à la règle. Non, Jane The Not Virgin Anymore (but it was her choice !) a su donner une place à tous ses personnages qui soit moins basée sur les clichés (et les réalités) perpétués par la société patriarcale. Et quand ils s’invitent, elle s’y confronte et les combat.
This is also America
Avec One Day At A Time, Jane The Virgin nous présente depuis déjà quatre ans des personnages hispaniques qui ne sont pas cantonnés à leurs clichés inhérents. Pourtant, la série choisit, à l’instar de sa consœur sur Netflix [2], d’intégrer l’identité de la communauté à son récit, sans qu’elle ne soit stigmatisée pour autant. Certes, je parle d’un point de vue occidental et français, peu à-même de juger avec une objectivité totale son traitement. Il n’en reste pas moins que de ce point de vue-ci, il ne me semble jamais clivant, ne me place jamais à l’extérieur mais au contraire, inclut dans le parcours des personnages et donc dans notre attachement à eux.
Cela me frappe depuis quatre ans avec ce que ces trois générations de femmes se passent les unes aux autres, un héritage jamais conservateur et toujours bienveillant, inclusif et remis en question par l’une ou l’autre des générations (souvent Jane contre Alba) pour finir par une synthèse pour vivre en communauté et en paix.
Ici, il s’agit de l’esprit de la mort, un masque de tête de mort qui représente ceux qui sont partis dans la culture hispanique et que Jane voit apparaître. Ce masque signifie la transmission de la mémoire des morts par le souvenir et le récit de leur vie afin de les garder vivants (une des thématiques du dernier Pixar, Coco). On a alors plusieurs flashbacks sur la manière dont elle a fait passer la mémoire de Michael à sa famille depuis l’enterrement jusqu’à aujourd’hui. Mais qu’en est-il de ce Michael quand celui qui revient d’entre les morts est également amnésique sur toute la vie qu’ils ont vécu ensemble ? Est-ce que son souvenir, construit sur cet événement est effacé, rendu caduque avec son retour ? Où doit se positionner Jane ? Elle ne sait plus si elle parle de et à un mort ou à un vivant. C’est diablement intelligent.
Rogelio, Alba, Xo, Petra et JR sont là également mais il n’y a pas assez de quarante minutes et de toutes ces lignes pour que tout soit développé avec la même importance. Et comme sait si bien le faire Jane The Virgin, le prouvant avec cette formidable reprise, tout vient à point à qui sait attendre. Qu’est-ce qu’on l’avait entendu cette cinquième saison ! Qu’est-ce qu’elle ne déçoit pas dans son dernier chapitre d’ouverture ! Qu’est-ce qu’on va la regretter dans dix-huit épisodes...
[1] un des plus longs monologues de la télévision que vous pouvez retrouver ici et que Gina Rodriguez a enregistré en une prise et qu’elle a dirigé !!
[2] Qui vient d’être injustement annulée, you fu*** morons