Juillet 2004
Deux années ont passé depuis mon dernier édito sur le site du FLT. L’heure d’un bilan semblait toute annoncée mais c’était sans compter sur la visite impromptue de mon ami le Huron. N’étant pas dans la mesure de rédiger l‘édito, je vous conte le récit de sa visite, en espérant que vous pardonnerez ma paresse intellectuelle …
« C’était un Huron, mais un Huron téléphile. Assis sur un rocher, au sommet de la colline qui surplombe le campement de sa tribu, il dispense à ceux qui veulent l‘entendre les vertus de la télévision. Sage parmi les sages, il décrit avec une conviction toujours aussi intense, les programmes qui le marquèrent au cours de ses voyages.
Quelle ne fut pas ma surprise de le revoir après de si nombreuses années. A Orly, où j’allais l’accueillir, ses premiers furent: « Conduisez moi, s’il vous plait, à l’endroit où on achète le Livre qui dévoile les mystères de la télévision ». Son excitation était telle que je l’accompagnais au kiosque de l’aéroport avant même d’aller chercher ses bagages. Une fois arrivée sur place, je fus très gênée. Les couvertures des journaux télés étaient fort embarrassantes car toutes consacrées aux émissions de télé réalité. Alors que je cherchais fébrilement un magazine faisant exception à la règle, le Huron remarqua ma gêne. Il m’interrogea: « N’y a-t-il point de Livre ? ». Son visage marquait la déception. Je tentais de le rassurer en montrant d’un geste de la main la quantité impressionnante de journaux télés. Rassuré, un sourire malicieux plissa son visage: « Je le savais, vous m’avez fait peur. ». Il saisit un journal au hasard et déchiffra, avec une grande attention, les inscriptions de la couverture. Perplexe, il m’interrogea: « Une ferme de célébrités, qu’est-ce donc ? ».
Confus, je ne pus lui répondre. Son esprit de découverte, toujours aussi vif malgré son âge avancé, le poussa à feuilleter le magazine. Il s’étonna: « Pourquoi des gens célèbres voudraient-ils vivre dans une ferme ? ». Il referma l’ouvrage. Après quelques secondes, il fronça les sourcils et s’exclama: « Mais pourquoi donc les Téléspectateurs regarderaient-ils cela ? Quel est l’intérêt de la chose ? ». Il parut déçu, mais se reprit aussitôt: « Qu’importe, après tout ! Je suis sûr que la sagesse du peuple Français, fils de Molière, Balzac et Camus, s’est exprimée par la loi de l’Audience. ». Embarrassé, je pris la parole pour le corriger: « Voyez-vous, mon ami, cette émission a eu un grand succès. »
Le Huron fut déçu par ma réponse. Son optimisme le poussa à m’interroger à nouveau: « Fort heureusement, cette émission est la seule du genre, n’est-ce pas ? ». L’espoir placé par mon ami étranger dans sa question me fit hésiter un instant. Pouvais-je lui avouer que le PAF est contaminé par une multitude de programmes tous aussi misérables que la Ferme. Je ne pus mentir à cet ami de longue date: « La situation est préoccupante, les émissions de piètre qualité sont de plus en plus nombreuses. Les téléspectateurs se complaisent à regarder des gens se vautrer dans la fange, alors même que ces derniers sont trop ravis de jouir de leur 15 minutes de gloire pour réaliser ce qu‘il est advenu de leur existence. Nous sommes en présence d’un cercle vicieux, auxquels seuls les téléspectateurs peuvent mettre fin ».
Le visage candide du Huron reflétait la stupeur: « Dans ma tribu, lorsqu’un mal arrive, il ne repart jamais à moins d’y être chassé par nos plus valeureux guerriers ou par les incantations de nos sorciers. ». Je souris: « Il y a bien des gens qui tentent de lutter contre ce mal. Ils ne sont pas nombreux mais leur foi est intact. Ils ont besoin d‘aide cependant. ».
Une fois arrivé chez moi, j’entrepris de montrer à mon invité le site du FLT. Alors que je lui expliquais brièvement en quoi constitue la tâche de cette association, le Huron s’enhardit de cette nouvelle. Il saisit le moniteur à deux mains: « Je baise la terre sacrée dans laquelle s’enracine la fougue et l’âme des guerriers contre ce mal que vous appelez la trash TV ». Un scrupule me fit reprendre la parole: « La tâche du FLT n’est pas facile, nos résultats sont encore insuffisants. Mais nous persévérons. » Le Huron hocha la tête.
Après quelques jours passés dans la capitale, le Huron me remercia pour mon hospitalité et rentra chez lui. Alors que vous lisez ces lignes, sachez que le Huron n’enseigne plus les vertus de la télévision. Assis au pied d’un hêtre, bercé par le murmure du vent, il lit un livre. »