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1.01 - Pilot

Il y a 3 ans je suis mort

lundi 26 septembre 2005, par Stratego

Ma relation avec les séries est assez bizarre. J’ai parfois l’impression que pour qu’une série me marque profondément, il faut que dans un premier temps je ne puisse pas la supporter. Ca m’est déjà arrivé avec des séries aussi différentes que Six Feet Under et Farscape, a chaque fois pour des raisons très différentes évidemment. Mais finalement ces séries ont pour point commun qu’elles explorent toutes les méandres de l’esprit humain. Que ce soit dans la famille et la mort pour SFU, dans l’inconnu, la folie et l’amour pour Farscape. Dans Touching Evil (Les Forces du Mal) - comme son titre l’indique - c’est le Mal, mais surtout l’humanité dans ce qu’elle a de plus beau et de plus atroce à la fois.

Au départ je trouvais le titre de la série inapproprié. Sûrement parce que je m’attendais à une série fantastique, ou bien qu’a l’époque, la définition du "Mal" venait d’être copyrightée par les stratèges de la Maison Blanche. Ca a du me paraître incongru, limite racoleur au premier abord.

J’ai zappé sur quelques passages de ce premier épisode pour me faire une vague idée et ainsi savoir si ça valait la peine que je passe 90 minutes devant. Et évidemment, je suis systématiquement tombé sur les scènes les dialogues les plus volontairement ambigus, et les scènes les moins convaincantes. Conclusion ? Il faut choisir si vous avez le temps ou pas de regarder un pilote. Si oui regardez le correctement, où taisez vous à jamais.

La première impression qu’on peut avoir à la vision de ce pilote, c’est que c’est gris, morne, que le type habillé comme un agent du FBI modèle qu’on découvre a une apparence bien trop parfaite pour être d’un quelconque interêt. Et surtout à notre époque où les personnages imparfaits haut en couleurs donnent du sang frais à des séries qui autrement paraîtraient bien plus classique.
Et c’est bêtement cette impression là que j’ai eu...

Seulement voilà, supercop n’est pas si super qu’il en a l’air. Après avoir pénétré dans une superbe maison monochrome, perdue dans les collines de San Francisco, il entend un chat et au lieu de vérifier que la pièce à laquelle il tourne le dos est inoccupée, se dirige en direction du bruit. Soudain on sent le détective désamorcé par la vue sublime qui se dessine au travers de la véranda dépolie. Au centre de la pièce, un sofa blanc - comme tout le reste de la maison - sur lequel trône un chat noir.

L’agent sort tout juste de sa rêverie quand on entend la première balle du chargeur d’un semi-automatique pénètrer dans la chambre d’un canon. Le canon est pointé en direction de sa nuque. Délicatement, il se retourne près à calmer son agresseur avec quelques paroles rassurantes. Mais il ne rencontre qu’un visage cagoulé de noir, un bourreau perdu au milieu du palais de nacre. Avant même d’avoir eu le temps de distinguer la silhouette noire, une balle transperce son front et une autre le propulse à travers la véranda, dans le jardin un étage plus bas.

Il relève sa tête ensanglantée pour apercevoir l’homme cagoulé. Ce dernier constate que sa sentence à bien été exécutée. Et l’agent s’évanouit.

Une ellipse nous transporte sur le lit d’une salle de soins intensifs, où les yeux de l’agent s’écarquillent une dernière fois, apercevant quelque chose, tandis que ses signes vitaux chutent brutalement. La sonnerie d’un appareil retentit tandis qu’il ouvre grand les yeux pour laisser la vie lui échapper. Le ciel semble secoué par un tremblement tandis que des médecins s’affairent autour du corps, puis les médecins s’éloignent...

David Creegan (1967 - 2001)

...

Un battement, deux battements, les signaux cérébraux reprennent sur le moniteur et les yeux affolés de l’agent cherchent à comprendre pourquoi la mort ne veut pas de lui. Fondu au blanc.

David Creegan (2001 - ?)


Ca me paraissait essentiel, non pas de résumer l’épisode, mais de résumer l’événement clé qui assez logiquement aura une résonance sur toute la série.

Touching Evil 2.0

Il y a quelque chose d’étrange dans cette manie de recréer une oeuvre d’art. Sans trop me perdre à essayer de définir les raisons de la chose, je peux comprendre la motivation. La création est une plongée dans l’inconnu. Ce n’est pas forcément difficile une fois qu’on est lancé, mais passer à l’acte peut devenir impossible. Or lorsqu’on recréée ou qu’on modifie une oeuvre existante, et qui a déjà pu faire ses preuves, c’est nettement plus évident de diagnostiquer ce qui fonctionne le mieux. C’est la différence entre recopier, et recréer.

Un détective en mission reçoit une balle dans le lob avant droit du cerveau, après quelques secondes en état de mort clinique, son activité cérébrale et son pouls reprennent. La partie de son cerveau qui contrôlait ses inhibitions est détruite et il n’y a désormais plus aucun filtre entre ce qu’il pense et ce qu’il fait. Il ne voit plus le monde de la même façon, parce qu’un partie de ce qui faisait de lui un être humain à disparu. Pourtant son absence de honte lui permet d’entrer en empathie totale avec les victimes mais surtout les tueurs en série qu’il traque au sein de l’OSC, une unité du FBI dédié aux crimes en séries et organisés.
Pas mal comme point de départ...

Je ne parlerais que très peu de la série anglaise originale. Je ne l’ai jamais vue. Je m’étais débarrassé de ma télé bien avant que Jimmy ne décide de la diffuser.

L’adaptation

De cette série britannique (également nommée Touching Evil) visiblement très intéressante, les producteurs de sa recréation américaine n’ont apparemment conservé que les idées de bases et les personnages principaux.
L’intrigue quand a elle a été adaptée aux Etats-Unis.

Touching Evil (nouvelle version), a été tournée à Vancouver, Colombie-Britannique au Canada. Une magnifique ville avec tout plein de jolies métisses asiatiques (côte pacifique aidant). La ville à surtout l’avantage de sa proximité avec Seattle (nord-ouest des Etats-Unis). Elle possède donc un climat et une lumière relativement similaire. Très souvent, si une série ou un film se déroule à Seattle ou dans ses environs, c’est qu’ils ont été tournés à Vancouver pour des raisons d’économie (permis de tournages en extérieurs, studios et personnel moins coûteux qu’aux US.

C’est sûrement à cause du budget de la série (USA Networks étant un réseau câblé, avec considérablement moins de moyens qu’une chaîne nationale comme ABC qui se paye des tournages à Hawaï ;)), puisque les créateurs de la série ont décidé que son intrigue se déroulerait à San Francisco, la ville des nuages. Un choix intéressant sachant que le climat britannique devait beaucoup jouer dans l’ambiance de la série originale.

Les magnifiques plans d’ensemble du Golden Gate et des autres lieux éthérés de la ville sont donc des "stock shots". Tournés indépendamment du reste de la série ou bien achetés à une compagnie spécialisée dans ces plans. On utilise couramment ce genre de séquences à la télévision pour introduire un environnement, une ambiance, ou bien pour avoir un repère dans le temps (ex : coucher de soleil). Mélangés avec des plans tournés en extérieur à Vancouver, l’illusion est quasi-parfaite.

Première Rencontre

Après avoir brièvement introduit l’intrigue policière de l’épisode on découvre les bureaux de l’OSC (Organised and Serial Crimes Unit) et le détective Susan Branca qui y pénètre seulement pour découvrir un hurluberlu en train de se couper les cheveux avec une paire de ciseaux à papier dans son bureau. Mieux, il prétend que ce bureau est également le sien. Cet hurluberlu, c’est David Creegan, 3 ans après.

L’introduction de la personnalité de Creegan est très abrupte, et on comprend rapidement que le bonhomme à quelques nouvelles ... "facultés", mais pas tout à fait dans le même genre que celles de Michael Newman dans Now & Again (Un Agent Très Secret).

L’atmosphère ultramoderne de l’OSC implique logiquement un sérieux. Or Creegan désintègre cet atmosphère pesante lorsqu’il se précipite pour faire un câlin à Hank Enright, Agent Spécial et chef de l’OSC. OSC à la création duquel Creegan à participé. Evidemment, Enright avait tendu sa main à Creegan pour un tant soit peu respecter l’étiquette, et lui demande avec la tendresse et la patience qu’on accorde a un enfant de bien vouloir l’appeler "boss" ou "chef" au bureau.

Enright annonce rapidement à Susan Branca que Creegan est son nouveau co-équipier, et fuit stratégiquement pour ne pas avoir à subir les remarques de Branca. Cette dernière se retourne lentement pour faire face à Creegan qui lui offre un sourire un peu niais.

Enquête

Les critiques les plus courantes vis à vis de Touching Evil concernent les enquêtes qui ont lieu dans la série. Soit le suspect est trouvé trop facilement et on ne le remet jamais en question. Soit l’enquête est résolue bien trop rapidement. Soit elle est résolue bien avant la fin de l’épisode. Et c’est là où les scénaristes donnent un signal que je n’ai reçu moi qu’au second épisode. Ce n’est pas que TE n’est pas une série policière, c’est que ce n’est pas une série procédurale comme on l’entend généralement.

Il y a bien des formalités, des habitudes à l’OSC, mais la mission secrète que se donne Creegan, et peut-être même sans s’en rendre compte lui même, c’est de détruire ces mauvaises habitudes.

La capacité de Creegan à rentrer en connexion avec un suspect ne dépend pas d’un rituel mais de l’inspiration, comme pour un artiste. Et comme chez certains artistes elle se nourrit par la remise en question, le danger, le risque.

Quand on n’arrive pas à savoir si un suspect ment, suffit de casser le feu arrière de sa voiture et de lui demander s’il a remarqué et comment il s’est fait ça. Un innocent ne verra pas le rapport que ça peut avoir avec le fait qu’il soit suspecté, logiquement. Mais un coupable ne supportera pas ce facteur hors de contrôle dans sa mise en scène et inventera une excuse pour persuader qu’il est toujours à la barre. Qu’il a les choses bien en main.

Creegan confronte Hinks (son suspect pour l’enlèvement des 3 garçons), mais en lui renvoyant l’image d’une police incapable, inefficace qui n’est pas en mesure de le mettre hors d’état de nuire. Or selon la psy de l’OSC c’est consciemment ou inconsciemment ce qu’il recherche, qu’on le fasse expier.

Cette façon de le décevoir est une manière pour Creegan de casser son rythme, exactement comme il le fait avec les rythmes de procédure de l’OSC. Il sort le grand jeu : oubliant son statut de professeur, mettant maladroitement son badge en évidence, démontrant une incapacité à prendre en note son témoignage tandis qu’il avoue que le précédent a été perdu dans l’ordinateur lors de sa première déposition. Tout pour persuader Hinks que les bons samaritains ne servent a rien.

Creegan cherche aussi à casser l’académisme parfaitement huilé de Branca, sa nouvelle co-équipière. Dès sa première apparition elle donne l’impression d’une beauté froide - ce qu’il ne manque pas de lui faire remarquer - mais qui cache un tempérament malheureusement réprimé. Il tente donc de la faire sortir de ses gonds. Il donne l’air de ne pas prendre son travail au sérieux, en s’habillant "comme un clodo" comme le fait remarquer Hank Enright. Il l’observe longuement dans la voiture, juste après leur première rencontre, et lui dit qu’elle est belle "pas de façon sexuelle, (...) mais comme un vol d’oiseaux ou un ciel nocturne". Branca est déséquilibrée et tente de se remettre d’aplomb en insistant sévèrement qu’elle ne veut pas entendre parler de choses personnelles, encore moins de sexe entre eux deux. Elle n’a pas compris, ou fait semblant de ne pas comprendre que c’est l’instinct de Creegan qui parle, pas son coeur, son cerveau ou ses couilles, mais tout en même temps.

Creegan a l’air d’un gamin lors d’une réunion improvisée avec Enright lorsque Branca déclare qu’elle n’est pas persuadée autant que lui que Ronald Hinks est le coupable. Il répète plusieurs fois "Mais si tu sais !" et ce comportement qui peut apparaître comme un trait de caractère excentrique un peu facile est en réalité une volonté chez Creegan de pousser Branca à se fier à son instinct, et d’arrêter d’enfouir sa féminité dans son travail.

Non je ne parle pas de l’intuition féminine, pour moi c’est une excuse simplette quand une femme est tout bêtement (attention figure de style, attachez vos ceintures !) plus intelligente qu’un homme. Les demoiselles qui veulent continuer cette discussion en privé peuvent me joindre au 06.60.08...

Non, sérieux. Ce que je pense c’est que Creegan veut que Branca fasse confiance à sa vision du monde, et qu’elle soit différente parce qu’elle est féminine est d’un grand intérêt justement, parce que des détails qui peuvent échapper ou paraître anodin a un homme peuvent ne pas l’être pour une femme et vice versa. Or son point de vue, Susan le rejette encore plus que celui de Creegan, alors qu’elle sait déjà, elle aussi c’est bien Hinks et personne d’autre. Seulement tout ça ne rentre pas dans les cases de l’académie.

- Branca : “What do we have ? Hinks was present at two of the abduction sites ? I mean it’s not enough. There’s no real proof.” (Qu’est-ce qu’on a ? Hinks était présent à deux des sites d’enlèvement ? C’est pas suffisant. On n’a pas de veritable preuve.)
- Creegan : “True, but you know he’s the one.” (Vrai, mais tu sais que c’est lui.)
- Branca : “No, what I know is what I can prove.” (Non, ce que je sais c’est ce que je peux prouver.)
- Creegan : “I’ll see you tomorrow. Thanks for the ride.” (On se voit demain. Merci de m’avoir déposé.)
- Branca : “Yeah, no problem.” (Ouais, pas de quoi)
- Creegan : “You should... trust your instincts more.” (Tu devrais... faire confiance à ton instinct.)
- Branca : “Thanks Sir Alec Guiness. I think I’ll stick to the rules of evidence.”

Branca est intriguée par Creegan après leur première journée, et malgré ses propres remarques à son égard, elle ne peut pas s’empêcher de le regarder rentrer chez lui après l’avoir déposé. Elle aperçoit une femme en peignoir qui lui ouvre et se retourne, soudain gênée d’être en position de voyeuse.

Ca ne l’empêchera pas d’aller plus tard fouiller dans le dossier de Creegan pour mieux cerner le personnage. Or en apprenant qu’il a été cliniquement mort pendant quelques minutes et pis qu’il a été interné dans une institution psychiatrique par la suite, son personnage en devient encore plus mystérieux.

- Branca : “So how was it, dying ?” (Alors c’était comment, de mourir ?)
- Creegan : “As advertised. Golden gates. Pearly stairs. Spooky choir music.” (Comme dans les pubs. Portail doré. Escalier de nacre. Musique religieuse flippante.)
- Branca : “I’m serious. So what did you see on the other side ? Was there anything there ?” (Je suis sérieuse. Qu’est-ce que tu as vu de l’autre coté ? Il y avait quelque chose ?)
- Creegan : “...there was Starbucks’ on every corner !” (...il y avait des Starbucks à tous les coins de rue !)

Un petit aparté à propos de San Francisco. La ville du... Golden Gate, eh oui. Pourquoi ? Parce que Golden Gate c’est une image biblique du paradis, ou du moins de son entrée. Et comme San Francisco est une ville perpétuellement (comme on peut le voir dans les sublimes plans d’ensemble de la série) plongée dans les nuages. On se croit en effet, aux portes du paradis. Je n’avais jamais fait attention à ce détail (pas les nuages, le Golden Gate) avant aujourd’hui. Les trucs évidents des fois...

Lorsque que Creegan lui avoue qu’il ne peut pas ressentir de honte à cause de la destruction d’une partie de son cerveau, on peut observer en plus de l’incrédulité une pointe de jalousie, d’envie. D’autant plus que si Creegan n’a plus honte de rien, c’est désormais mais elle qui s’occupe d’avoir honte pour lui comme lorsque qu’il se déshabille dans la cabine de l’avion qui les emmène à Denver là où se trouve l’ancienne résidence de Ronald Hinks.

Une petite remarque justement sur cette scène dans laquelle Creegan récite joyeusement le célèbre poème de William Blake, The Tyger :

“Tiger, tiger burning bright
In the forest of the night,
What immortal hand or eye
could frame thy fearful symmetry ?
(...)”

William Blake
Blake a finit sa vie considéré comme un fou génial, et c’est intéressant de constater qu’on peut trouver une référence relativement récente à son oeuvre dans "Dead Man" de Jim Jarmush. Dans ce film hypnotique (louez le, achetez le !) le personnage principal interprété par Johnny Depp se nomme... William Blake.

Vigilante

Jeffrey Donovan est fabuleux, tellement fabuleux que si vous regardez bien la scène dans l’avion où il se met à se déshabiller en déclamant la prose de Blake, vous verrez Vera Farminga (Branca) commencer à exploser de rire alors que son personnage devrait être très fâché. On la voit sur le coté gauche de l’image commencer a se reprendre quelques secondes plus tard et finir sa scène en essayant de faire en sorte que Branca ait l’air de se cacher pour ne pas qu’on la voit avec ce dingo.

Mais Jeffrey Donovan est surtout fabuleux parce qu’il réussit a faire passer autre chose de la haine en jouant des scènes qu’on appelle communément « bordeline ». Voir Jack Bauer tabasser quelqu’un lors d’un interrogatoire ça ne surprend plus personne, c’est un surhomme qui n’a jamais a répondre de ses actes ou presque et sa violence est devenue tellement mécanique que ça ne dégage plus aucune émotion non plus.

Ici Creegan dégage de la terreur, mais on sent également qu’il n’a pas le choix. Comme à la fin de l’épisode lorsque les trois garçons ont été récupérés sains et sauf et qu’aucune preuve tangible ne peut être retenue contre Hinks. Creegan ressent un besoin irrépressible de voir ses petites filles, et ce n’est pas la haine qui le pousse à se rendre au domicile de Hinks, de charger son arme avant de pénétrer discrètement dans la maison. Il doit le faire, pour ses filles, pourtant ça le terrifie et c’est en larmes qu’il arrive en haut de l’escalier qui mène à la chambre. Et lorsqu’il découvre Hinks, un revolver dans la main et sa cervelle étalée sur le mur, il pousse entre ses larmes un gémissement de soulagement.

Il n’est pas « bordeline » parce qu’il n’a pas de problèmes de conscience. Seulement comme il l’explique dans un lapsus révélateur, il pense que c’est précisément la raison pour laquelle la mort n’a pas voulu de lui. Pour franchir les lignes que les autres ne peuvent pas franchir.

Psycho

Creegan avoue donc qu’il a été diagnostiqué cliniquement fou peu de temps après sa "résurrection". Quand je repense à ses yeux ahuris au tout début de l’épisode je ne peux pas m’empêcher de penser que la raison de cette folie temporaire c’est d’avoir vu la mort de trop près. Un peu comme Moïse qui redescends de la montagne (à cheval ! tsouin tsouin !) après s’être fait décolorer gratos par Dieu. Excusez moi, j’avais rien de mieux qu’une référence biblique, ça vous montre à quel point je suis pas inspiré. Je vais me manger une banane et ça ira mieux.

Bref je disais donc, oui ! Cet aura mystique qui entoure Creegan, c’est aussi (et surtout) pour les gens autour de lui l’aura d’un homme qui fait le funambule sur la frontière entre génie et folie. Et forcément, son rapport à la psychiatrie ne peut être que très intéressant.

- La psychologue de l’OSC : “Mr Creegan, psychologists make you angry, don’t they ? Why is that ?” (Mr Creegan , les psychologues vous agacent n’est-ce pas ? Pourquoi donc ?)
- Creegan : “Because they think it’s clever to ask questions like that.” (Parce qu’ils pensent que c’est malin de poser des questions comme ça.)

Pourtant lorsque Branca désavoue une nouvelle fois son jugement alors qu’il pensait qu’elle le soutiendrait enfin, Creegan perd patience, s’énerve et sort de la salle. Enright le convoque dans son bureau, et le plan suivant nous laisse penser un moment grâce a un cadre serré sur le profil de Creegan qu’il est en train de se confesser, ou du moins de se confier. Hank est hors champs et on entend sa voix comme s’il s’agissait de la voix d’un psychiatre à qui on tournerait le dos, allongé sur un divan. Il demande à David comment son insertion dans l’équipe se passe. Creegan lui promet qu’il va faire de son mieux. C’est un drôle de rapport qui est établit entre ses deux là. Confident ou père pour Enright, protégé ou fils prodigue pour Creegan.

Cyril Kemp 5647A - Niveau 3

Il y a un autre rapport passionnant, c’est celui de Creegan avec Cyril Kemp, le suspect idéal de la police locale. Un marginal, un SDF, un grand gaillard. David trouve un moyen de communiquer avec lui parce que leur façon de penser est similaire. Cyril se croit piégé dans un rêve dont on ne se réveille jamais et Creegan lui est véritablement piégé dans une vie qui n’est plus la sienne. Pour l’aborder dans sa cellule il renverse les rôles et force Cyril à se comporter comme l’interrogateur.

Cyril est persuadé qu’il habite sur Alpha 9, un satellite de combat en orbite autour de Saturne, et que ce qui est en train de lui arriver n’est qu’un songe qui le ramène au 21ème siècle tandis qu’il vit en 2303.

Lorsque Creegan tente avec délicatesse de faire comprendre à Cyril qu’il a simplement les faits à l’envers, et qu’en fait ce qu’il croit être un rêve est bien la réalité, Cyril a une magnifique remarque :
- “You’ve got a wonderful imagination !” (T’as une imagination débordante)

Ce qui peut passer pour une sous-intrigue amusante s’avère finalement particulièrement tragique quand on découvre la détresse de Cyril. Creegan est pris d’affection pour cet homme qui lui rappelle probablement des souvenirs difficiles et fait de son mieux pour s’occuper de lui alors qu’il comprend très vite que malgré sa présence sur les lieux d’un enlèvement et le fait qu’il ait reconnu Hinks, son état mental rend son témoignage inadmissible au tribunal.

On découvre finalement que Creegan ne déteste pas tous les psychiatres puisqu’il emmène Cyril au centre dans lequel il avait été interné lui même et fait un joyeux câlin au médecin qui s’était occupé de lui.
La première fois que j’ai vu cet épisode, j’espérais que ce ne serait pas la dernière apparition de Cyril Kemp, et je pense que je ne suis pas le seul...

3

Vous vous souvenez de ce que je disais à propos du statut de série policière de Touching Evil au début de cet article ? Non, moi non plus...
Bien fait de l’avoir écrit finalement.

Je disais que la série est policière mais pas procédurale comme la plupart des séries policières.

Série policière c’est une fonction, comme la fonction d’un boucher est de couper de la viande et de la vendre, seulement je pense et j’espère avoir raison quand je pense que la raison d’exister d’un boucher n’est pas de vendre et de charcler de la barbaque. Ca vous donne pas faim ?

Le but de Touching Evil n’est donc pas "qui ?" ou "comment ?" mais "pourquoi ?". C’est la question la plus intéressante des trois, mais souvent la plus dérangeante.

Tiens donc, 3 questions. Le chiffre 3 c’est justement la clé de ce pilote. Et cette clé, c’est Cyril qui la donne à Creegan alors qu’il est à la fois le personnage le plus orbital (physiquement et dans sa tête) et le plus central de cette série. Il est la matérialisation des questions que pose et que se poste la série, son âme.


Un pilote surprenant si on aborde la série comme une simple série policière, mais d’une profondeur impressionnante si on se laisse les failles des personnages s’ouvrir sous nos yeux. Le potentiel de cette série qui met en pratique la rhétorique déjà appliquée aux personnages de Six Feet Under dans le cadre d’une intrigue policière ne peut que sauter au yeux si on ne s’arrête pas au détails volontairement peu rigoureux de l’enquête.

Les acteurs sont irréprochables, en particulier Zeljko Ivanek (Hinks), Pruitt Taylor Vince (Cyril), et Jeffrey Donovan (Creegan) qui sont mis en avant dans cet épisode. Coté réalisation c’est parfois classique, parfois surprenant, mais toujours à la hauteur.

Et pour ceux qui pensent que Ronald D. Moore (le papa de la nouvelle Battlestar Galactica) est bon qu’a faire de la SF, rendez vous au prochain épisode !