BAROMETRE DE LA CREATION TV — La Crise de la fiction française en chiffres
Le Baromètre confirme la très mauvaise santé de la fiction française
Par Sullivan Le Postec • 27 juin 2011
Chaque année, la Journée de la Création TV est l’occasion de dévoiler le Baromètre de la Création TV, qui donne les chiffres de la production de l’année précédente. L’occasion de voir démontrée la mauvaise santé de la fiction française.

La fiction télévisée française n’est pas en forme. On le répète en boucle depuis cinq ans. Les chiffres le confirment. De même qu’ils laissent deviner qu’au fond, les chaînes ne font pas grand-chose pour que cela change.

Tendance 2011 :
Volume horaire et investissement

En 2010, le volume horaire annuel de fiction produite par l’ensemble des chaînes est en baisse pour la deuxième année consécutive, s’établissant à un petit 732 heures.

Un chiffre plus très éloigné de ceux des années 1998 / 2003, où ils étaient compris entre 667 et 717. Depuis, « Plus belle la vie » s’est installée à l’antenne et représente à elle seule plus de 100 heures par an. Les chiffres ne sont rien sans une comparaison, citons donc sur ce point le récent rapport Chevalier (mars 2011) : ‘‘La dernière étude Eurofiction de l’Observatoire européen de l’audiovisuel1 qui compare les volumes de fiction produite par pays remonte à 2002, mais, selon le rapport du SESCA, les chiffres n’auraient pas fondamentalement changé en 10 ans. En 2001, alors que la France produisait 553 heures de fiction, l’Italie en produisait 627 heures, l’Espagne 1306 heures, le Royaume‐Uni 1463 heures et l’Allemagne 1800 heures !’’

La France produit un volume horaire de fiction télévisée dramatiquement faible, et c’est là une tendance lourde : la moyenne des 20 dernières années se situe à 785 heures par an, la barre des 1000 heures par an n’a été franchie que deux fois depuis 1991 (en 1991 et 1996).

JPEG - 71.8 ko

Le graphique est particulièrement éloquent pour déconstruire le discours des chaînes selon lesquelles la faiblesse de l’investissement actuel des chaînes privées dans la fiction aurait pour cause le désamour du public pour la fiction française, manifeste depuis 2006. On constate très facilement qu’avant 2005, quand les fictions françaises trustaient l’essentiel des places du Top 100 annuel des meilleures audiences, ce n’était guère mieux. D’autant plus que les chiffres de meilleures d’années comme 1995 et 1996 ont essentiellement à voir avec des séries AB production à l’ambition éditoriale proche du néant.
La réalité est plus simple, et plus triste : nous vivons dans un pays où l’ensemble des dirigeants des grandes chaînes privées n’ont jamais compris l’intérêt stratégique de la fiction, son rôle dans l’établissement de l’image qualitative d’une chaîne, et son rôle de locomotive et de fidélisation des audiences. En conséquence de quoi les français, et ne parlons même pas des catégories socio-professionnelles supérieures, voient majoritairement la télévision comme des robinets à images bas de gamme. A raison : c’est ce que les chaînes privées françaises sont.

La tendance est aussi en baisse en termes d’investissement, sauf sur France Télévisions où l’on note une augmentation de 10,3%, qui bénéficie entièrement à France 3. C’est 58% de l’investissement de l’ensemble des chaines.
L’investissement de TF1 est en légère baisse à 143,5 millions d’euros, un ordre de grandeur similaire à celui de France 2. Le chiffre de l’investissement de Canal+ confirme pour sa part que les retours de communication sur les Créations Originales de la chaîne cryptée ont peu à voir avec le réel volume d’investissement, qui se situe en 2010 à 28,8 millions d’euros (contre 40,8 l’année précédente). Un chiffre faible, qui a probablement à voir avec les cycles de productions de ses séries. On l’a déjà dit ici, on va le répéter : le refus de Canal+ d’augmenter son investissement depuis que les succès de « Braquo » et des séries suivantes ont validé sa stratégie constitue un refus d’obstacle difficile à comprendre.
Malgré cette grosse baisse, M6 réussi à rester en dessous de Canal+ avec seulement 26,8 millions investis. De quoi relativiser les prétentions de M6 à se définir comme une « grande chaîne ». Arte investit pour sa part près de 20 millions d’euros.

JPEG - 54.9 ko

Concernant les formats, la remontée du 90 minutes, amorcée en 2009, se poursuit : il redevient le premier format produit en volume devant le 26’, le 52’ (seulement troisième) et les programmes courts. De là à penser qu’on régresse au lieu de progresser...

Dans ce contexte, la suprématie de la fiction américaine se confirme. Au-delà des audiences, on constate que les chaînes nationales historiques (TF1, France 2, France 3, Canal+, M6, Arte) ont consacré plus de soirées de fiction à la fiction américaine qu’à la fiction française : 349 contre 320, les fictions européennes non-françaises étant au nombre de 79, dont la majeure partie sur Arte et France 3.

La fiction reste un genre recherché par les téléspectateurs, qui le surconsomment largement. Même la fiction française peut être attractive : elle améliore nettement l’audience par rapport à la moyenne sur France 3, et l’augmenté légèrement sur TF1, Canal+ et Arte. Sur France 3, Canal+ et Arte, programmer de la fiction française est même plus payant que de programmer de la fiction étrangère.
En revanche, la fiction française coûte de l’audience à M6 (ce qui n’est pas étonnant vu le manifeste manque de bonne volonté…) et, un peu plus surprenant, à France 2. Voilà qui confirme la crise éditoriale majeure dont souffre la fiction de France 2 depuis 2006. Sur cette chaîne, la fiction à quasi été rasée ces cinq dernières années, tout est à reconstruire...

JPEG - 44.2 ko

TNT : l’échec

Les chiffres du Baromètre soulignent l’échec criant du modèle actuel de la TNT. Celles-ci récoltent en 2010 quasiment 20% de part d’audience, et 23,1% des recettes publicitaires brutes (une différence à l’avantage de la TNT qui laisse deviner l’intérêt de la segmentation, qui reste pourtant si peu et si mal appliquée, de l’audience pour le rendement publicitaire).
Malgré cela, les chaînes de la TNT représentent un négligeable 1.8% de l’investissement dans la production d’œuvres. Les petites chaînes thématiques du câble sont plus ambitieuses et représentent 8% de l’investissement.

JPEG - 51.6 ko

En clair, on s’est satisfait en France pour la TNT d’un modèle à la M6 : low-cost, sans ambition éditoriale et orienté vers la recherche de profits les plus gros et les plus rapides possibles. Et le Service Public s’est inscrit dans la tendance : il ne produit aucune fiction originale pour France 4, ce qui est une aberration éditoriale. Les chaînes de la TNT anglaise produisent des fictions d’envergure internationale depuis maintenant plus de cinq ans !

La TNT française s’avère un mirage, des chaînes pour du beurre, un véritable désert qualitatif. Favoriser l’arrivée de nouveaux entrants aux ambitions éditoriales élevées n’est pas un risque : c’est une absolue nécessité.

Post Scriptum

Le Baromètre de la Création TV est produit par l’Association pour la Promotion de l’Audiovisuel en partenariat avec la CNC. Il est dévoilé chaque année à l’occasion de la Journée de la Création TV qui se tient aujourd’hui à Paris.