HUMEUR - Y a-t-il un pilote pour sauver la fiction de France Télévisions ?
Ou quand Patrice Duhamel perd une occasion de se taire...
Par Sullivan Le Postec • 22 décembre 2009
Au risque de tirer sur une ambulance, il est temps de poser une question : Le bilan de la fiction de France Télé n’est-il pas actuellement plus mauvais qu’il ne l’a jamais été ?

A l’heure où ils s’apprêtent — enfin — à quitter le navire, retour sur le spectaculaire échec du duo Duhammel / de Carolis, les fossoyeurs de la fiction France Télévisions.

Quelques fictions de qualité surnagent au sein de la programmation de France Télévisions. Mais ne sont-elles pas l’arbre qui cache une foret de productions “quota” sans aucun intérêt ? Et, surtout, combien de temps l’arbre pourra-t-il encore tenir debout, dans un contexte d’absence absolue, et terriblement inquiétante, de la moindre ligne éditoriale ?

Je n’ai pas spécialement envie de tirer sur France Télé. Après une décennie de fictions désastreuses où l’on n’a rien fait d’autre que recopier des formats du privé et programmer des unitaires aussitôt diffusés, aussitôt oubliés (parfois même avant...), c’est France Télévisions qui a pris le risque de ré-introduire de la fiction de 52’ en prime-time il y a dix ans. Et qui plus est dans une programmation audacieuse : deux séries différentes à la suite. C’est le Service Public qui a pris sur lui de ré-acclimater le public français à de la vraie série française, au vrai format de la fiction télévisée. Et, jusqu’à grosso modo 2005 ou 2006, France Télé a été le théâtre d’un développement intéressant, sans doute pas aussi fructueux qu’il aurait du, mais qui lui a quand même offert deux de ses deux plus gros succès en fiction, « Clara Sheller » et « David Nolande ». Mais depuis...
Je n’ai pas spécialement envie de tirer sur France Télé, mais si la Direction du groupe tend le bâton pour se faire battre et se met à genoux en suppliant qu’on s’en serve, cela devient difficile de résister.

Des déclarations...

Début décembre, Patrice Duhamel, numéro 2 du groupe (à gauche sur la photo d’illustration, aux cotés de Patrick de Carolis), donnait une conférence de presse pour présenter les programmes des fêtes des différentes chaînes de France Télévisions. Évoquant la fiction, et au milieu de quelques propos désobligeants envers les professionnels du secteur, Monsieur Duhamel a réussi à faire cette édifiante déclaration :

"Notre défi commun avec les auteurs, c’est de faire revenir les moins de 40 ans à la fiction française. C’est un sujet de société qui dépasse le cadre de la télé. Mais ça ne se fera pas en trois mois."

On saluera le courage d’une telle prise de position sur l’avenir... à six mois de la fin du mandat de de Carolis et Duhamel ! — dont ils savent très bien qu’il ne sera pas renouvelé.
En effet, l’un des multiples effets pervers de la nomination des Présidents de l’audiovisuel public directement par l’Elysée est qu’elle va accentuer la zapette des dirigeants et l’instabilité chronique des Directions des chaînes publiques — dans un domaine où la réussite ne vient qu’en sachant creuser son sillon dans le temps.
La sortie de Duhamel est donc un vœu pieux, mais c’est surtout le moyen de tenter de cacher qu’en la matière, leur bilan est désastreux. De Carolis et Duhamel n’ont rien fait pour rajeunir l’audience de la fiction de France Télévisions. Pas plus tard qu’il y a quelques semaines, était annoncée l’annulation de « Clara Sheller » qui n’aura donc pas de saison 3. Justement l’une des rares séries, évidemment initiée par les prédécesseurs de l’équipe actuelle, a avoir su fédérer un public plus jeune. Sur quoi les négociations avec les créatifs de la série ont-elles achoppées ? France Télévisions voulait décentrer la série du duo Clara-JP pour en faire une série familiale impliquant de manière beaucoup plus prononcée les parents des deux héros. Autrement dit, la direction de la fiction de France 2 militait activement pour un vieillissement de la série...

Il ne s’agit pas de remettre en cause la totalité du bilan de la Direction actuelle a la tête de France Télévisions. Elle a à son actif quelques réussites sur le plan des programmes de flux (même si les réussites sont en fait assez rares : en ce domaine « Ce soir ou jamais » fait office de bien pratique cache-misère). Elle a aussi renforcé sur l’exposition de la culture, du moins dans l’acceptation française du terme, qui entend essentiellement par là la perpétuation de cultures mortes, au mépris des cultures vivantes et populaires, laissées en jachère. C’est bien ce qui est à l’origine du dépérissement de la culture française, auquel les élites répondent en tentant d’imposer encore plus de cultures mortes, dans un cercle vicieux dont on ne voit guère comment on pourrait espérer en sortir, tant la nécessaire réforme profonde du système éducatif et notamment des formations des dites élites semble utopique. Mais je suppose que je digresse.
Sans remettre en cause tout le bilan, donc, force est de reconnaître que celui qui concerne la fiction est absolument catastrophique. C’est tout simplement le pire bilan de l’histoire de la fiction de Service Public.

...Aucune action

J’ai pourtant dit plus haut que les années 90 avaient elles-mêmes été catastrophiques. Mais, si je pense effectivement que les décisions prises à l’époque furent dévastatrices pour la qualité et la diversité de notre fiction, au moins furent-elles de vraies décisions. La ligne éditoriale était claire. Chercher l’audience en recopiant les formats du privé, auquel on apportait une touche ’Service Public’ : être un peu plus social, un peu plus réaliste, un peu plus audacieux. C’était « L’instit’ » au lieu de « Navarro », « Le Château des Oliviers » au lieu des « Cœurs Brûlés », « Seconde B » au lieu de « Hélène et les Garçons ». Et, en parallèle, c’était se racheter une conscience en programmant beaucoup d’unitaires destinés à ne pas laisser la moindre trace dans l’histoire de la fiction télévisée française. Ce fut une erreur, un échec créatif mais aussi, dans la plupart des cas, un échec d’audience — le téléspectateur ayant tout intérêt à préférer l’original à une copie en un peu plus ennuyeux et moralisateur. C’était au moins quelque chose qu’on pouvait définir, un anti-modèle à éviter de reproduire, ce qu’a initié le groupe dès la fin des années 90.

Aujourd’hui, bien malin serait celui qui saurait décrire la ligne éditoriale des fictions des chaînes de France Télévisions. Alors même qu’un certain bourgeonnement créatif se fait sentir dans la fiction française, le momentum des années 2000-2005 a été totalement perdu. France Télé non seulement n’est plus leader, mais elle est gravement à la traîne. Son seul titre de gloire ? TF1 est encore plus nulle et plus perdue !

La fiction de France 2 nage dans la confusion la plus totale depuis des années. La production n’a aucune cohérence et seul le patrimonial classique (« Chez Maupassant ») est à peu près correctement mis en avant. Le reste est massivement terne, anodin, sans intérêt. Et les quelques bonnes séries sont sacrifiées : en trois mois la chaîne a enterré l’idée d’une case de fiction le samedi à 19 heures alors que la qualité du programme diffusé, « Fais pas ci, fais pas ça », pouvait lui permettre de décoler, comme l’ont prouvé les rediffusions sur France 4. Et qui connaît « Un Flic » ?
France 3 a produit un nombre conséquent de fictions de qualité... mais personne ne le sait ! La chaîne s’avérant absolument incapable de communiquer et de mettre en avant ces réussites, sans le moindre progrès au fil des années. La trois peut remercier « Plus belle la vie » (héritée de la direction précédente aussi, évidemment) qui, à elle seule, rajeunit largement les statistiques de ses spectateurs. Là encore, rien d’autre que le patrimonial n’est mis correctement en avant. « Chez Maupassant » comme « Un Village Français » sont des productions ambitieuses et réussies. Mais leur réussite, en soulignant en creux l’absence d’autre chose, aggrave encore la crise d’image de la fiction du groupe. Une crise qui est grave, profonde, et qui sera immensément difficile à récupérer. Et la difficulté ne fera qu’augmenter chaque jour que la Direction du groupe passera à faire le malin devant les journalistes plutôt que d’essayer de faire son travail...

A ce moment où l’on parle des fictions sacrifiées sur les antennes du Service Public, il faut tout de même mentionner que deux des quatre principales cases de fiction française de France Télévisions se trouvent le vendredi et le samedi soir. Un tour du monde des grilles de programme montrera rapidement qu’on a quasiment partout abandonné l’idée de programmer de la fiction originale ces deux soirées là. France Télévisions fait le choix d’envoyer des productions originales, et chères, à l’abattoir deux fois par semaine...

Nul ne sait qui le fait du Prince placera à la tête des antennes du Service Public de télévision l’été prochain. La tâche des équipes qui prendra la relève sera immense. A fortiori dans un secteur où il faut au moins deux ans pour mettre un résultat à l’antenne. Leur action devra obligatoirement permettre à France Télévisions de se raccrocher au train du renouveau de la fiction française. Sans quoi le risque est immense que la fiction de l’audiovisuel public finisse par être perçue comme un puits sans fond — ce qui provoquera la liquidation plus au moins totale de celui-ci. Il y en a que ça démange depuis longtemps de privatiser l’une ou l’autre de France 2 ou de France 3...