La fiction française exécutée ? Les créatifs s’alarment
Les chaînes privées exploitent quelques contre-performances récentes de la fiction française pour mener une attaque sur les quotas de production
Par Sullivan Le Postec • 12 décembre 2007
On a beaucoup glosé sur quelques échecs d’audience d’une poignée de fictions françaises diffusées ces derniers temps. Dans les coulisses certains en profitent et s’agitent pour faire réduire les quotas d’obligation de production d’oeuvres des chaînes...

Takis Candilis avait, en sous-texte, vendu la mèche en septembre, en déclarant : « Il doit y avoir un moyen de s’entendre pour préserver une obligation de production. TF1, France Télévisions, Canal+ et M6 investissent environ 600 millions d’euros par an dans un genre qui est délaissé par le public. »
Nous concluiions à l’époque notre article bilan sur la “crise” de la fiction française sur ce constat : la dite crise était, vite fait, bien fait, tranformée en outil bien pratique pour se lancer à l’attaque des quotas de production qui obligent les chaînes françaises à diffuser de la fiction “maison”. Avec le recul, on s’étonne du coup beaucoup moins de ce que TF1 n’ait pas déprogrammé « L’Hôpital », alors même que l’ampleur de la contre-performance entrait dans les clauses définies par le CSA pour justifier une annulation de dernière minute. On comprend mieux, aussi, pourquoi TF1 a soutenu mordicus que « L’Hôpital » était d’excellente qualité quand deux yeux et/ou une paire d’oreilles permettaient en 30 secondes de s’appercevoir du contraire : si ce mauvais décalque de « Grey’s Anatomy » n’en était pas, mais plutôt une série de qualité, alors il était d’autant plus facile de généraliser cet échec pour remettre en cause le genre tout entier.

Depuis, le lobbying a fait son chemin et a trouvé une oreille attentive du coté de l’actuel gouvernement qui tarde à publier le décret consolidant les obligations patrimoniales des chaînes. L’attaque est menée sous deux angles : soit diminuer directement les dits quotas, soit y faire rentrer tout et n’importe quoi de “Popstars” au “Droit de Savoir”.

Tout en manifestant leur soutient aux scénaristes américains actuellement en grève, les créatifs français prennent la parole pour dénoncer la situation actuelle.

Nous relayons ici la tribune publiée par L’UGS (Union Guilde des Scénaristes) dans Libération et le communiqué de presse diffusé après une table ronde des acteurs du secteur au nom des participants : ADAMI - DOC - AGRAF - ARP - Club des Auteurs - EAT - FICAM - Groupe 25 Images –ROD - SACD - SCAM - SEDPA - S.F.A.A.L - SNTPCT - SNTR-CGT - SFA-CGT - SPFA - SPI – SRF - UGS - USPA.

« Les scénaristes, version française

La grève des scénaristes américains, mondialement médiatisée, met en lumière l’importance d’un métier dont dépend toute une industrie. Pendant ce temps, de ce côté de l’Atlantique, nous subissons une campagne de dénigrement savamment orchestrée qui voudrait faire croire que la fiction française est en crise et que les scénaristes français sont des incapables. Pourquoi ces bruits imbéciles ?

La réponse est simple. Qui veut noyer son chien l’accuse de la rage. Le but ? Faire baisser les obligations des chaînes privées et détruire le système de quotas d’œuvres originales en langue française auquel elles sont soumises. Car cette campagne de dénigrement, qui dure depuis plusieurs mois, est aujourd’hui suivie d’une offensive des chaînes privées contre leurs obligations. Cette offensive, soutenue par le gouvernement, a fait bondir leurs actions de 20 %. Produire français coûte plus cher que d’acheter à bas prix des séries américaines déjà amorties sur leur territoire. Il s’agit donc de détruire tout un secteur de notre industrie pour le profit immédiat et à court terme de quelques actionnaires. C’est cela la vérité, il est important de la dire. Est-ce cela la réalisation des promesses du gouvernement ?

Un peu d’histoire : l’Etat a privatisé des chaînes et leur a concédé gratuitement l’utilisation de canaux de diffusion, à condition qu’un pourcentage de leur chiffre d’affaires (16 % pour TF1) soit investi dans la création et la production d’œuvres originales. Des canaux bonus sur la TNT ont été attribués récemment et gratuitement aux mêmes chaînes, auxquels s’ajoute l’ouverture de secteurs jusque-là interdits à la publicité, comme la grande distribution. En sept ans, TF1 a vu son chiffre d’affaires augmenter de 43 % ; M6, de 104 % ! On pourrait logiquement penser que le gouvernement renforcerait leurs obligations en proportion des avantages concédés. Il n’en est rien. Il faut dire que certains décideurs de l’audiovisuel sont des amis de longue date du président de la République. Il est permis de s’inquiéter de ces liens amicaux dans les circonstances actuelles.

La pseudo-« crise » de la fiction française se cristallise autour de quelques séries dont l’Audimat est décevant. On évite soigneusement de parler des succès. Prenons le programme de cette dernière semaine : le Lien, le Pendu, Guerre et paix ont connu des audiences magnifiques. Quant aux séries, qui n’a pas vu Clara Sheller, Avocats et associés, Plus belle la vie, Kaamelott, les Bleus ? Il faut poser les vraies questions avant de désigner des coupables. Clouer les scénaristes français au pilori pour casser la réglementation est facile. Ni salariés ni intermittents du spectacle, ils ont une profession mal connue et peu défendue. Ils n’ont pas d’amis dans les instances qui gouvernent. Ils n’ont pas non plus de places dans les instances qui décident de la fiction, qui la commandent et qui la programment. Ils ne sont que rarement cités dans les programmes qui annoncent les films qu’ils ont écrits. L’attaque dont ils sont aujourd’hui la cible n’est qu’un écran de fumée qui masque ce qui se trame en coulisses… Sur la scène internationale, la France défend depuis des années la diversité culturelle, la circulation des œuvres, le droit de chaque pays à avoir une expression propre et donc une production propre. Si nos élus baissent les quotas et les obligations de production, cela signifierait la mort de tout un tissu industriel et de tout un pan de notre culture vivante.

Face à ces manipulations grossières, il s’agit de défendre notre culture et le respect de l’identité des spectateurs à travers les fictions. En un mot il s’agit d’exister. »

> L’union Guilde des Scénaristes - Libération, 21 novembre 2007.

« De l’exception culturelle à l’exécution culturelle ?
VERS UNE REMISE EN CAUSE DE LA POLITIQUE DE SOUTIEN A LA DIVERSITE CULTURELLE ET A LA CREATION

Les organisations professionnelles de l’audiovisuel rassemblant les auteurs, les producteurs, les artistes-interprètes, les agents artistiques et les industries techniques s’inquiètent profondément des orientations de la politique audiovisuelle du Gouvernement et de l’entreprise de dérégulation qui semble s’engager.

Elles regrettent vivement que le combat pour la diversité culturelle, qui avait pu réunir toutes les majorités politiques depuis plus de 10 ans et qui avait abouti à la ratification l’an dernier de la Convention de l’UNESCO pour la diversité culturelle, soit battu en brèche et sacrifié à l’augmentation de la valorisation boursière des télévisions commerciales. Elles en veulent pour preuve le recul inadmissible du Gouvernement et le report à une date indéterminée de la publication du décret devant consolider les obligations patrimoniales des diffuseurs, malgré les engagements clairs, précis et définitifs qui avaient été pris.

Les organisations professionnelles de l’audiovisuel regrettent cette reculade qui va fragiliser le financement de la création en laissant perdurer des abus manifestes de certains diffuseurs. Ce dévoiement de l’ambition culturelle et audiovisuelle de notre pays est d’autant plus grave qu’il traduit un mépris pour le Parlement qui avait adopté une disposition tendant à consolider ces obligations patrimoniales des diffuseurs à l’unanimité dans la loi sur la télévision du futur du 5 mars 2007 et en contrepartie du canal bonus qui avait été attribué à TF1, M6 et Canal+. Ce soutien aveugle aux grandes chaînes commerciales constitue une rupture dans la politique audiovisuelle de la France qui repose sur une vision fausse, inexacte et injuste de la réalité des diffuseurs et de leur environnement juridique.

Le cadre réglementaire dans lequel évoluent les diffuseurs leur a permis de se développer de manière continue : la gratuité des fréquences, l’ouverture de la publicité aux secteurs interdits ou encore la prolongation automatique des autorisations d’émettre sont autant de dispositions extrêmement bénéfiques et positives pour les opérateurs privés. Loin de permettre un nouvel élan pour la création française et européenne, l’allégement de la réglementation en faveur de la diversité culturelle encouragerait davantage encore les diffuseurs privés à se transformer en porte-avions des séries et des films américains et à ne plus investir dans les talents nationaux.

L’abandon programmé de l’ambition culturelle de la politique audiovisuelle française fait également fi du poids économique de l’industrie audiovisuelle qui permet de renforcer l’attractivité des régions mais aussi de contribuer à leur dynamisme économique et à l’emploi.

Aussi, les organisations professionnelles de l’audiovisuel attendent du Gouvernement et du Président de la République qu’ils tiennent les engagements qui avaient été pris en faveur des obligations patrimoniales des diffuseurs. Elles demandent également que des garanties leur soient données pour que les réformes envisagées se fassent autour d’un calendrier cohérent et d’objectifs équilibrés et ambitieux qui remettent réellement au cœur des réflexions le soutien à la création et à la diversité culturelle. »

> ADAMI - DOC - AGRAF - ARP - Club des Auteurs - EAT - FICAM - Groupe 25 Images –ROD - SACD - SCAM - SEDPA - S.F.A.A.L - SNTPCT - SNTR-CGT - SFA-CGT - SPFA - SPI – SRF - UGS - USPA - 10 décembre 2007.

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