Critique des meilleures nouvelles séries télé (et des autres)
Regarde critique sur les séries TV actuelles

21 Drum Street - Comment réussir sa série de Dick Wolf avec l’exemple de Special Victim Unit

N°55: Le Guide de la DickPic Réussie

Par Conundrum, le 11 mai 2016
Publié le
11 mai 2016
Saison Chronique
Episode Chronique
Facebook Twitter
Alors que l’annonce des nouvelles grilles approche et que les séries de septembre vont commencer à accaparer l’attention de la presse et la blogosphère spécialisée, il est temps de revenir un instant sur un événement très important qui va probablement passer inaperçu.

Law and Order : Special Victims Unit changera de showrunner à la rentrée.

Intéresser un nouveau public sur une série à l’antenne depuis plus de 15 ans n’est pas chose aisée, et il est un peu hypocrite de ma part de m’attrister du changement de responsable de production. Mais c’est un événement qui, en une saison, est devenu bien plus marquant pour moi que la fin de The Good Wife.

Comme Jéjé l’a expliqué dans ses excellentes raisons de reprendre la série, Warren Leight, le showrunner de In Treatment, a repris les rênes de la série lors de sa treizième saison. Son arrivée coïncide avec le départ Chris Meloni, laissant Marska Hargitay en tant que rôle principal. SVU subit alors une métamorphose subtile et efficace. Alors que Law and Order, la série mère se voit annulée, SVU, reste centrée sur des cas liés à des affaires sociales et sexuelles mais soigne particulièrement son aspect juridique.

L’évolution de la série de Dick Wolf, producteur de la plupart des dramas de NBC actuellement, ses "DickPics", passe alors par une catégorisation efficace des épisodes.

Quatre familles d’épisodes font de SVU la meilleure DickPic à l’antenne.

La DickPic de Groupe

Episode 17.14 - Nationwide Manhunt

La DickPic de groupe, ou les fameux cross overs, s’améliore de saisons en saisons.

Si les Chicago DickPics font appel à des personnages déjà connus de l’univers de Law and Order, les cross overs en bonne et due forme où l’équipe de l’unité spéciale de New York rencontre les héros de Chicago paraissent de moins en moins forcés.

Il est difficile de justifier l’existence d’un feu à caractère sexuel qui s’étend de Chicago à New York : faire jouer toutes les séries dans le même bac à sable est compliqué et distrait trop de la trame principale de l’intrigue.
En effet, chaque épisode se doit d’être un épisode complet avec ses propres trames, et doit faire avancer la trame commune. Se concentrer sur les larges distributions de chaque Chicago DickPic devient difficile et on a l’impression de perdre son temps sur les trames B des séries qu’on ne suit pas et qui ne passionnent pas. C’est pour cela que l’idée du cross over entre quatre séries a été abandonnée cette saison au profit du bien plus gérable DickPic de groupe entre Chicago PD et SVU : "Nationwide Manhunt / The Song of Gregory Yates".

L’antagoniste choisi était une figure remarquable et connu des deux séries, puisqu’il était déjà au centre d’un précédent cross over. De ce fait, il apparaissait bien plus comme un cross over naturel, découlant d’une mythologie partagée, plutôt que le croisement forcé et brouillon qu’étaient les précédents cross overs.

La DickPic de Célébrités

Episode 17.01,02 - Devil’s Dissection, Criminal Pathology
Episode 17.07 - Patrimonial Burden
Episode 17.16 - Star-Struck Victims

Le sous-titre « Ripped from the Headlines  », une version plus musclée d’un "tiré de faits réels", est souvent associé à la série.

Tout comme la série mère, SVU prend pour point de départ un événement qui vient de marquer le public américain pour, bien souvent, s’en éloigner complètement dès le troisième acte. Ce type d’épisode est souvent décevant, comme l’a montré le risible "Scorched Earth" quand la DickPic s’attaque à DSK.

Cette saison, ces épisodes, sans être les meilleurs de la série, sont moins faibles. Nous sommes déjà revenu sur le double épisode d’ouverture qui revisite l’affaire Robert Durst, mais cette saison, deux autres épisodes ont adressés des affaires impliquant des célébrités.

Un scandale sexuel autour d’une émission de télé réalité sur une famille nombreuse très croyante a donné un solide "Patrimonial Burden". Une tiède tentative d’aborder le sujet Bill Cosby s’est soldé sur un "Star Struck Victims" bien convenu et surtout bien moins pertinent de l’épisode de The Carmichael Show sur le même sujet.

A défaut d’être les épisodes les plus marquants de la série, il s’agit d’épisodes solides qui servent aussi à dater au carbone la série. Avec ce type d’épisode, Law and Order SVU enregistre et fait écho de ce qui marque la société à une période donnée. Cette idée d’association temporelle est souvent collée à certaines comédies comme Will and Grace et 30 Rock où les blagues recèlent de références à la pop culture du moment. SVU agit de la sorte sur un domaine bien plus sérieux. Avec une série d’une telle longévité, ces épisodes prennent leur importance sur le temps

La DickPic très personnelle

Episode 17.06 - Maternal Instincts
Episode 17.11 - Townhouse Incident
Episode 17.17,18 - Manhattan Transfer, Unholiest Alliance
Episode 17.19 - Sheltered Outcast

Être flic n’est pas un métier comme les autres. C’est pour cela qu’il y a bien plus de séries sur cette profession que celle d’analyste financier dans un grand groupe bancaire, par exemple.

L’une des raisons pour laquelle SVU m’a gêné lors de son lancement était que, contrairement à la série mère, une part importante était donné à la vie personnelle de nos protagonistes. Law and Order se contentait de colorer la trame principale de l’épisode par de simples touches comme un appel à sa femme ou un « C’est parce que je suis lesbienne ? » qui sort de nulle part. SVU adresse les problèmes personnels de pleine face.

Et cette saison, je m’y suis fait. En effet, des problèmes de famille peuvent prendre une tournure bien différente lorsque l’on est flic et que notre sœur est souvent à la limite de la légalité. Certaines affaires peuvent résonner très fort et ébranler certaines de nos convictions. Et puis, il y a la réalité d’un travail qui n’est pas dangereux tous les jours, mais qui, à certains moments, mettent votre vie en danger.

SVU adresse aussi ce type de problème. Certaines intrigues sont là pour rappeler cette réalité mais aussi à nous faire attacher à une distribution bien moins tournante que la précédente. Ils permettent aussi d’adresser des problèmes connus de manière neuve.
Un des épisodes les plus marquants de la saison, "Sheltered Outcast", confronte Carisi, une jeune homme optimiste, croyant et dévoué à son poste, au problème de la réinsertion des inculpés de crimes sexuels. L’épisode aurait bien moins marché avec une Rollins plus aguerrie, une Benson plus sage et un Finn plus expérimente. Voir Carisi être perturbé par l’amitié naissante entre lui et un homme qui a commis un viol dans sa vie, découvrir qu’il y a une réalité bien plus complexe après une arrestation et une incarcération justifiée fonction d’autant plus avec ce point de vue personnel.

La DickPic qui fait réfléchir

Episode 17.03 - Transgender Bridge
Episode 17.04 - Institutional Fail
Episode 17.05 - Community Policing
Episode 17.12 - A Misunderstanding
Episode 17.13 - 41 Witnesses

Ces cinq épisodes sont probablement les heures de télévision les plus puissantes ou importantes de la saison. Ils opèrent selon un principe très simple : tacler un problème épineux et associer des points de vue forts, argumentés et opposants à plusieurs des réguliers de la sérieux. Il en ressort 45 minutes qui poussent à la réflexion et au débat.

Le mouvement Black Lives Matter est adressé sans équivoque dans "Community Policing" où un jeune homme afro américain est tué par erreur par des policiers. Toute la complexité de la situation est adressée dans cet épisode qui ne tombe en aucun cas dans la facilité. Preuve en est le conflit entre l’assistant du procureur Barba et le Lieutenant Benson où le premier pousse à inculper les policiers et la seconde prend la défense des policiers. La prise de risque est remarquable, les deux points de vue sont défendus avec justesse et maitrise mais surtout, celui qui apparait le plus difficile à vendre est associé au personnage principal de la série.

Dans "A Misunderstanding", le concept de consentement entre adolescents perdus lors de rapport sexuel est abordé avec toute la complexité de la situation. Il ne s’agit pas de diaboliser ou victimiser, mais de comprendre comme deux jeunes personnes peuvent arriver à une situation où un viol est commis. Chaque protagoniste de l’histoire étend son point de vue, et la résolution n’apporte pas de conclusion heureuse.

Il y a aussi des épisodes comme "41 Witnesses" qui mettent le téléspectateur devant sa propre personnalité : un crime est commis sous les yeux de 41 témoins sans que personne n’intervienne. En étayant les points de vue des témoins, l’épisode force la question au téléspectateur : et vous, qu’auriez vous fait ? Quel type de témoins auriez-vous été ?

Si les séries policières ont été une manière d’éduquer le téléspectateur sur son système judiciaires, SVU va plus loin en poussant à un débat autour de problèmes de société.
En s’affranchissant de la réalité où aucun point de vue n’est plus à défendre qu’un autre et en ce consacrant uniquement sur un cas bien précis, SVU éduque sur l’identité transgenre (avec "Transgender Bridge"), sur la réalité du viol, sur ce qui arrive après une arrestation tant pour les victimes ("Intitutional Fail)" que pour les coupables ("Sheltered Outcast") et permet de mieux appréhender au calme des sujets complexes comme le mouvement Black Lives Matter.

J’aime à penser que le chemin frayé par Warren Leight et son équipe, passé quasi-inaperçu depuis ces années, sera poursuivi l’année prochaine avec son remplaçant.

J’aime aussi à penser que la saison prochaine, avant de vouloir se lancer dans de la nouvelle série, le public essaiera quand même de donner sa chance à un vieux drama qui réussit à épater après 17 ans au compteur.

Conundrum