28 novembre 2007
Episode Aaron
Il y a un an, nous parlions sur pErDUSA avec ferveur et optimisme du nouveau projet d’Aaron Sorkin, Studio 60 on the Sunset Strip. Malheureusement, bien que non dépourvue d’intérêt, la série était bien loin de la qualité des précédentes productions de l’auteur.
Depuis fin octobre, Sorkin est de retour. Après les coulisses d’une émission sportive, ceux de la plus grande instance du pouvoir aux Etats-Unis, et ceux d’une émission à sketch, Sorkin se penche sur un de ses sujets de prédilection : la télévision.
The Farnsworth Invention fait de nous les témoins de la plus grande invention du siècle passé. Hank Azaria et Jimmi Simpson y tiennent les deux rôles principaux, mais ce n’est pas à la télévision que vous pourrez voir The Farnsworth Invention. A l’époque de Quarterlife, de YouTube et maintenant Hulu, la nouvelle plateforme vidéo de NBC et Fox, ce n’est pas sur le net que l’on retrouve Sorkin. Aaron revient à ses premières amours : The Farnsworth Invention est sa nouvelle pièce de théâtre à Broadway.
AARON SORKIN
Aaron Sorkin a commencé au théâtre, plus particulièrement avec l’adaptation de La Cage aux Folles. Mais ce n’est pas à l’écriture ou sur scène qu’on le trouve, mais derrière le comptoir du théâtre, en tant que barman. Ne travaillant qu’à l’entracte et après la pièce, Sorkin a énormément de temps libre et gribouille des idées, la trame et les dialogues d’un de ses projets sur les serviettes en papier du bar. Le soir venu, il retranscrit le tout sur sa machine à écrire.
Une fois achevée, il demande à un de ses collègues barman, un acteur fraîchement diplômé, de faire partie de la pièce. Son ami lui fait comprendre qu’il un peu trop talentueux pour interpréter un rôle écrit par barman sur des serviettes en papier. L’acteur en question n’est autre que Peter Krause et la pièce, Des Hommes d’Influence.
Après un succès populaire et critique à Broadway, Sorkin part à Hollywood pour l’adaptation au cinéma avec Tom Cruise, Jack Nicholson, Kevin Bacon, Kiefer Sutherland et Demi Moore dans les rôles titres. Aaron Sorkin trouve rapidement du travail en tant que scénariste et script doctor. Il se fascine pour une émission sur ESPN, une chaîne de sport du câble US, et commence à imaginer ce que doivent être les coulisses et la vie des animateurs et producteurs de l’émission. C’est ainsi que naît Sports Night, un pilote développé pour ABC.
Mais les dialogues de Sorkin font de ce projet une sitcom peu commune. Thomas Schlamme est le seul réalisateur qu’Aaron rencontre qui soit emballé par le script tel qu’il est. La série est mise à l’antenne, avec Josh Charles, Felicity Huffman et son ancien collègue, Peter Krause. La série est un succès critique, mais l’audience n’est pas au rendez-vous. Un ABC pré Lost – Desperate Housewives – Grey’s Anatomy, en situation difficile, renouvelle la série bon an, mal an.
Cependant, Aaron Sorkin ne peut plus se consacrer entièrement à la sitcom : il vient de vendre un drama à NBC, The West Wing. L’auteur, insistant pour écrire tous les scénarii de ses séries, est obligé de laisser la main aux rares scénaristes qui n’ont pas été renvoyés ou démissionnés de Sports Night. The West Wing est un succès populaire et critique, contrairement à sa sitcom d’ABC qui se voit annulée à l’issue de sa seconde saison. Une chaîne du câble rachète Sports Night, mais lorsque Sorkin annonce qu’il supervisera juste la série pour se consacrer à The West Wing, le projet tombe à l’eau.
Sorkin connaît quatre bonnes saisons de The West Wing, mais des problèmes de drogues, de retard de script, et des opinions politiques trop vocales aux yeux de NBC compliquent les relations entre l’auteur et son employeur. A la fin de la quatrième saison, il annonce son départ de la série, avec celui de Thomas Schlamme.

Il faudra attendre 2006 pour revoir Sorkin sur le petit écran. Studio 60 on the Sunset Strip est indubitablement le pilote qui génère le plus d’attention de la saison. Le pilote est une réussite et la série prometteuse. Malheureusement, ses défauts sont trop présents pour être passé outre ou même pardonné. La presse n’est pas tendre, et le public peu présent. La série est alors annulée après une seule et unique saison. Cependant, elle a un point fort, le personnage de Jack, le président de la chaîne incarné par Steven Weber. Studio 60 on the Sunset Strip marche le mieux quand elle se penche non pas sur les coulisses de l’émission, mais les luttes de pouvoir à la télévision. Et c’est l’un des thèmes de son nouveau projet, The Farnsworth Invention.
THE FARNSWORTH INVENTION
D’abord annoncé comme un long métrage réalisé par Thomas Schlamme, Sorkin rembourse l’avance du studio lorsqu’il réalise que The Farnsworth Invention fonctionne mieux en pièce de théâtre. La pièce est un plaidoyer centrée sur le conflit de la paternité de l’invention de la télévision. Est-ce le jeune prodige fils de fermier qui en établit les plans à 14 ans ou est-ce l’homme d’affaires juif immigré intransigeant qui a eu la vision de ce que pouvait être la télévision ?
Il y a deux narrateurs, David Sarnoff et Philo Farnsworth, et chacun nous raconte la vie de l’autre. Ils s’interrompent, réagissent à la narration de leur ennemi, s’effacent de temps à autres, mais ne quittent quasiment jamais la scène. C’est la première fois que Sorkin met la réalité de côté, car, pour répondre à la question posée sur scène, Sorkin ne se repose pas que sur les faits, mais sur les intentions et sentiments des protagonistes.
Sarnoff explique, à l’issue du verdict du procès qui voit Farnsworth perdre contre Vladimir Zworykin (l’ingénieur russe financé par Sarnoff) qu’il se trompe peut-être sur ce qui s’est vraiment passé, mais que cela importe peu. Il y a eu appel et les procédures légales s’étalèrent sur plusieures années. Au final, il emporta victoire sur le jeune inventeur. L’apogée même de The Farnsworth Invention, qui voit Sarnoff et son ennemi se rencontrer pour la première et unique fois, e qui est la scène la plus forte de la pièce … n’a jamais eu lieu. Le narrateur explique qu’il n’a jamais eu le courage de rencontrer Farnsworth, mais que s’il avait pu ou voulu, voilà comment il imagine le déroulement de la scène.
Il n’y a évidemment aucune vraie réponse à la question posée. Pour Sarnoff, la télévision était un outil qui véhicule l’information et des divertissements de qualité au cœur des maisons américaines ; elle aurait pu être un instrument dans la lutte contre l’analphabétisme. Bref, elle aurait été un média noble. Un krach boursier en aura voulu autrement, et Sarnoff ne pourra pas lutter contre la transformation de la télévision en simple outil marketing. Et c’est l’un des reproches que lui fait Farnsworth, le narrateur. Chacun lutte pour une reconnaissance. Sarnoff n’est pas un monstre odieux motivé par l’appât du gain. Il veut réaliser sa vision idéaliste d’une télévision humaniste, et sait que si Farnsworth est légalement proclamé l’inventeur de la télévision, il n’aura plus la liberté de réaliser son rêve.
L’une des forces de la pièce est la mise en abyme des deux personnages principaux. Les deux narrateurs sont hors du temps. On se retrouve alors avec un dédoublement de Sarnoff et Farsnworth. Il y a, dans les deux cas, le narrateur qui connaît l’issue de l’histoire, qui a vécu ses échecs (Sarnoff ne fera pas de la télévision ce qu’il espérait et détruira la vie de Farnsworth qui ne gagnera rien de son invention et qui finira sa vie seul et saoûl), et il y a le personnage qui vit l’action. C’est ici qu’il faut noter la qualité de l’interprétation, même sans dialogues, même s’il est juste témoin de l’action qui met son ennemi en scène, le narrateur, qu’il soit Azaria ou Simpson, a toujours un regard, un visage, un geste qui en dit long.
La structure de la pièce fait de The Farsnworth Invention une œuvre unique dans le catalogue de Sorkin. Pourtant, on retrouve cette thématique, cette passion commune à un grand nombre de ses œuvres, ce rapport à la fois d’admiration et de dégoût envers la télévision. Il est évident que, pour Sorkin, la télévision est loin d’utiliser tout son potentiel. Les programmes ne doivent pas être dirigés et produits comme de simples véhicules pour pousser ses téléspectateurs à la consommation. La télévision est devenu un média corrompu. C’est un message noble mais Sorkin a la fâcheuse tendance à oublier que la limite est bien fine entre être idéaliste et être donneur de leçon. C’est d’ailleurs, une des raisons de l’échec de Studio 60, mais dans The Farnsworth Invention, il en fait le centre de sa pièce. Le théâtre est le média idéal pour véhiculer ce message. La pièce joue sur l’interaction du public, les narrateurs nous regardent directement dans les yeux. Le théâtre donne un recul et une liberté indispensables à cette approche.
Le fait que la pièce se déroule au début du vingtième siècle donne de nouveaux thèmes à Sorkin. La pièce n’est pas sans rappeler Mad Men, la cigarette est présente et l’outil crucial d’un moment de la pièce. L’antisémitisme passif et latent et le rôle de la femme ne sont pas des thèmes centraux de la pièce mais donnent le ton à The Farnsworth Invention. La guerre froide est aussi un des moteurs de la motivation de Vladimir Zworykin. On retrouve la marque de fabrique de l’auteur, l’humour et des dialogues mordants mais ce renouveau est bienvenu. Et étrangement, même si elle a pour thème la télévision, The Farsworth Invention est plus à rapprocher de The West Wing que de Sports Night ou Studio 60. Il n’y a pas d’histoire d’amour dans la pièce, il y a juste des luttes de pouvoir et des personnages tragiques et idéalistes. Deux hommes intelligents qui ont changé le monde dans lequel ils ont vécu sans qu’aucun d’eux ne soit connu du grand public.
Il est dommage de devoir aller à New York pour voir la pièce. Il s’agit probablement d’un des meilleurs scripts de Sorkin, interprété par d’excellents acteurs (Hank Azaria n’a jamais été aussi talentueux). The Farnsworth Invention est une œuvre réussie qui repose sur l’intelligence de son audience, et qui fait réfléchir. Une œuvre comme on aimerait en voir plus souvent à la télévision.
Sorkin et la rédaction

Sorkin et Joma
Aaron Sorkin et moi partageons le même mépris pour la realtv et le faisons savoir, ce qui fait de nous, selon Tigrou, des gens prétentieux. Enfin Tigrou juge surtout Sorkin hein, moi je suis juste un peu naze d’aimer Studio 60 on the Sunset Strip et de ne pas aimer Survivor ou Project Runway.
Mais oui, malgré une saison ratée, et un angle qui aurait du être revu (comme l’a suggéré Conundrum, il aurait sans doute mieux valu centrer la série sur Jack et la production plutôt que sur les auteurs) j’aime bien Studio 60.
Quand j’ai découvert The West Wing/A la Maison Blanche sur France 2, il y a une éternité de cela, ça été de suite le coup de foudre, et c’était en VF ! Quand j’ai découvert Sports Night sur Série Club, en VO, il y a déjà longtemps de cela, ça été de suite le coup de foudre. Et quand Judd Hirsh se lance dans son monologue au début du pilote de Studio 60 le coup de foudre a encore frappé.
Il y a quelque chose dans les personnages et les histoires de Sorkin qui m’interpellent et me plaisent, ne me demandez pas quoi, je serais incapable de le dire. Ce qui va faire que ce billet sera plutôt court, difficile pour moi d’exprimer quelque chose de viscéral.
Quelles que soient les erreurs du gars, pour l’instant, je lui fais confiance les yeux fermés, et son prochain film, Charlie Wilson’s War est déjà noté sur mes tablettes.
Sorkin et Feyrtys
De Sorkin, je ne connais que les séries The West Wing et Studio 60. J’ai dévoré la première jusqu’à la saison 2, puis m’en suis désintéressée progressivement ; et quand j’ai à nouveau aimé la série, Aaron Sorkin n’était plus aux commandes (saisons 6 et 7). Je n’ai jamais regardé Studio 60 avec enthousiasme, et j’ai compris en milieu de saison que j’étais tombée en désamour avec Sorkin. Tomber en désamour, c’est un processus douloureux. Toutes les petites manies que l’on adorait se transforment en défauts insupportables. On finit même par oublier pourquoi on a tant aimé l’autre et on renie tous les bons moments qu’on a pu passer ensemble. Quand deux personnages se mettaient à parler dans Studio 60, j’avais envie d’en prendre un pour taper sur l’autre. Et tout ce qui me venait à l’esprit était la fameuse phrase issue de la parodie de Gilmore Girls par MadTV : "Who needs a plot when you’ve got so many words ?". Les personnages féminins m’ont paru être des folles hystériques, pendant que les personnages masculins me donnaient l’impression d’être des adolescents attardés au sens de l’humour à côté de la plaque. Tout ce qui sortait de la bouche des acteurs de Studio 60 me faisait dire : "Shut up, Aaron !" tellement il m’était impossible de différencier l’auteur de ses personnages… Je sais parfaitement que c’est le désamour qui parle, et qu’Aaron ne mérite pas tous les reproches que je lui fais, et pourtant, le mal est fait : il m’est devenu impossible d’ouvrir mes coffrets dvd de The West Wing sans penser au raté monumental qu’a été Studio 60 pour moi. J’espère vraiment finir un jour par oublier cette douloureuse série… Et apprécier à nouveau l’œuvre d’Aaron Sorkin pour ses, j’en suis sûre, innombrables qualités.
Sorkin et Jéjé
Sur le Sorkin des séries télé, Fertys a dit (en mieux) ce que je pouvais en penser.
Je vais juste revenir sur Sports Night, série à laquelle je n’ai jamais accroché. Mon désintérêt n’a cependant rien à voir avec le monsieur de ce dossier, mais plutôt avec la réalisation. J’y fais rarement attention dans les séries télé, mais avant que Thomas Schlamme n’invente pour The West Wing le « travelling des couloirs » (qui permet d’avoir dans le même cadre les protagonistes d’une conversation), les dialogues de Sorkin étaient filmés avec une avalanche de champs/contre champs. Comme les lignes de dialogues pouvaient durer moins de trois secondes et que les répliques s’enchaînaient à la vitesse du son, on avait affaire à un stroboscope de gros plans des acteurs de Sport Nights pendant vingt minutes.
Voulant éviter de me déclencher une crise d’épilepsie, je n’ai jamais persisté avec Sport Nights. Et pourtant Peter Krause et Felicity Huffman…
Sinon, j’ai bien aimé A Few Good Men…
Sorkin et Lyssa
Je dois être comme les vieux, restée à une époque dorée où n’existaient que Whedon et Sorkin. Loin de les comparer, Buffy restera à jamais la série qui a réussi à me représenter en tant qu’adolescente puis adulte, je dois avouer qu’il n’y a pour l’heure aucun autre créateur qui a réussi à leur arriver à la cheville.
De The West Wing à Studio 60, que j’ai été la seule à couronner d’un A- au dernier bulletin de notes de pErDUSA, Sorkin a construit ou déconstruit mes réflexions quant aux Etats-Unis, sa politique et sa société, en parvenant presque toujours (je mets à part ses idées sur la real-tv, qui n’était pas réflexives mais idéologiques et assumées comme telles) à illustrer ses propos par des exemples concrets et intelligents.
Jamais manichéen, ou bien avec satire lorsque les Républicains prennent possession de la Maison Blanche, Sorkin a construit une réalité un peu bizarre dans The West Wing, à partir de son éternel statut d’humaniste qui n’aime pas les gens, et est parvenu à utiliser la fiction comme plateforme de revendications d’une manière qui reste inédite, sans pour autant tirer un trait sur les complexités qu’il aime détester.
Sorkin et Ju
Aaron Sorkin, pour moi, c’est The West Wing et rien d’autre. Trop jeune (hi hi hi) pour avoir connu Sports Night, trop déçu pour me rappeler de Studio 60, quoi qu’il en soit, Sorkin c’est des personnages intelligents qui parle très vite et avec passion de leur boulot, tout en traversant les couloirs de la Maison Blanche.
Plus que ça, Sorkin c’est à la fois le mec qui m’a fait découvrir ma conscience politique devant "Let Bartlet be Bartlet" (la première pierre d’une dissociation inquiétante à la réalité qui n’a fait qu’empirer depuis), et surtout celui qui m’a ouvert les yeux sur un problème grave. Oui, les cartes de géographie Mercator qu’on trouve dans toutes les écoles du Monde ne font qu’empirer l’inégalité Nord/Sud, et seule l’Organisation des Cartographes pour l’Egalité Sociale peut nous sauver.
Effrayant.