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Dossier - Sexe, genre et féminisme dans les Séries

and the Feminism: Sexe, genre et féminisme

Par Lyssa, le 28 juillet 2008
Par Lyssa
Publié le
28 juillet 2008
Saison Sex
Episode Sex
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Lyssa ne donne peut-être plus de nouvelle, mais elle continue à faire travailler sa cervelle sur des questions importantes concernant les séries télé, comme par exemple le féminisme supposé de Sex and the City. Ce texte vous fera voir la série sous un jour différent (ou vous conforter dans votre opinion, c’est selon). A lire absolument !

Si j’ai (un tout petit peu) disparu de la circulation cette année, c’est parce que j’étais fort occupée à sauver les koalas et les chatons tout en emménageant avec George Clooney, et à analyser divers thèmes au sein des séries télévisées pour mes études (Oh oui, détestez-moi !).

Au sein de mon corpus, Sex and the City a tenu une sacrée place par son approche des femmes. On a souvent lu que la série était féministe mais, au cours de mon marathon annuel avec Carrie et Samantha, l’adjectif m’a paru de plus en plus exagéré. Les quatre personnages semblaient nécessiter sans arrêt des hommes et ne jamais être satisfaites sans petit ami. En même temps, elles ne paraissaient pas pour autant avoir besoin d’enfants et menaient des vies professionnelles plus réussies que la plupart des hommes.

Forte de cette constatation épineuse, j’ai donc relevé les manches de mon plus beau pull-over pour en avoir le cœur net. La conclusion a quelque peu chamboulé mon point de vue initial sur la série. (Ça, c’était la petite phrase pour vous convaincre de me lire : je n’ai pas perdu le sens du teasing.)

Ma première question a eu trait au commencement : la production. Une série peut-elle être féministe si elle est écrite par des hommes ?

À cela, je réponds : Joss Whedon. Dieu a beau être un homme, il a créé l’une des séries (sinon la série) la plus féministe qui existe. Dans Buffy, il n’a jamais été question du sexe de l’héroïne, sinon lorsque, dans le 100ème épisode, un humain sans pouvoir lui dit : « But you’re just a girl… » après que la Tueuse l’ait sauvé d’un vampire (je n’ai pas non plus perdu mon sens des phrases à rallonges). Ce à quoi Buffy lui répond : « That’s what I keep saying… ». La seule personne ayant soulevé cette question dans la série est donc un homme, sans aucun pouvoir ni doute de l’existence d’un monde surnaturel. Il pense avoir une bonne connaissance de la société qui l’entoure (une fille n’est pas sensée sauver un garçon) mais ignore en réalité un énorme pan du monde. Si l’on pousse le raisonnement, cette société qu’il connaît pense l’homme supérieur. Dans le monde à la fois ordinaire et extraordinaire qu’il ne soupçonne pas, les sexes ne prédisposent pas.

Au vu des développements de Whedon, la question ne serait donc pas de savoir si les créateurs de Sex and the City sont féministes mais de s’interroger sur la partie inverse de la production : la réception de la série. Si l’on part du principe selon lequel les séries télévisées proposent une représentation de la société (les personnages ne sont rien de moins que des personnes dans un monde virtuel, lui-même créé par des hommes bien réels. Vous suivez ?), Sex and the City est loin d’être aussi novatrice qu’on a pu l’asséner. La série se cale sur un imaginaire social défini depuis belle lurette : le sexe détermine les identités. Si tu as un sexe féminin, tu as forcément le genre féminin. C’est pourquoi la série est finalement loin de montrer des femmes émancipées : même si Carrie, Charlotte, Miranda et Samantha sont autonomes, elles sont toujours esclaves de l’image qu’a la société réelle de ce qu’une femme doit être : visuellement distinctive des hommes, féminine et émotionnelle.

On trouve assez facilement des exemples. Dans l’épisode "They shoot single people, don’t they ?", Carrie se demande s’il vaut mieux simuler un orgasme (a fortiori, être en couple) que d’être célibataire. Est-il donc préférable de simuler l’image que la société se fait des femmes (de jolies poupées qui ne se soucient pas de leur sexualité) ou être célibataire mais assumer le besoin d’orgasme ? Comme si, au final, le choix devait être fait. Être en couple et vouloir une sexualité épanouie semble être un total oxymore. D’ailleurs, cinq minutes après que les filles aient discuté la question, Charlotte, Miranda et Samantha se trouvent des petits amis dignes de Notre Belle Famille. Je pense notamment à Charlotte qui décide de baisser ses attentes pour sortir avec un joli garçon très bricoleur. Certes, avant la fin de l’épisode, toutes décident de rompre en réalisant que ça ne leur convient pas vraiment.

Autre exemple : lorsque Miranda a son enfant, les scénaristes développent la notion de double journée inventée par les féministes. Notion qui consiste à dire que les femmes mères doivent jongler avec des contraintes doublées : assurer au travail puis assurer à la maison. La solution de Miranda ? Réduire ses heures de travail. Pas une fois, il n’est question de la responsabilité de Steve dans l’affaire : si quelqu’un doit s’occuper du bébé, c’est la mère. Non pas parce qu’elle est obligée, non, elle ne demande même pas à Steve de l’aider : Miranda réduit ses horaires en bonne mère culpabilisée de ne pas voir son enfant autant qu’il le faudrait.

La série utilise ainsi des conclusions féministes (la double journée) tout en entérinant le problème (il n’y a pas de porte de sortie : Miranda culpabilise, est culpabilisée), sans chercher à trouver des solutions qui ne couperaient pas une partie de la vie de la femme.

Bien sûr, Sex and the City est féministe sur de nombreux points. La séparation entre travail et famille, la possibilité pour une femme d’avoir une carrière satisfaisante, la réussite financière (conception hautement masculine dans la société industrialisée) et une sexualité épanouie sont autant d’éléments qui marquent l’autonomie des personnages. En ce sens, le programme est féministe, d’autant plus si l’on considère les années (1990) de sa diffusion. Quasiment pour la première fois à la télévision, des femmes se prennent en charge sans l’aide d’institutions telles que la famille ou l’État.

Néanmoins (s’il n’y avait pas de « néanmoins », ce ne serait pas drôle), la présence des hommes reste prépondérante. Pour preuve, la fin de la série. La femme la plus émancipée, Samantha, finit avec un homme (plus jeune qu’elle, certes, ça me fait de belles jambes, elle finit avec un homme). Carrie veut une relation conservatrice avec Big (une jolie maison avec un joli mariage et un joli chien). Le film est d’ailleurs particulièrement parlant sur ce point : Carrie est tellement obnubilée par le mariage qu’elle en devient à claquer et ruine sa relation. Pire, à la fin de la saison 6, elle quitte New York, son vrai grand amour, son job et ses amies pour suivre un homme qui prendra soin d’elle émotionnellement, sexuellement et financièrement. (« Un travail à Paris ? » Baaaah, ça sert à rien, mon hôôôômme est riche comme Crésus !)

Is wedding really all there is ?

Le problème de Sex and the City, c’est qu’elle présente un monde divisé en deux sexes et en deux genres : masculins et féminins. Pas une seule fois en six saisons, ces notions n’ont été transgressées. Dans la série, pas de transsexuel, d’hermaphrodite ou de travesti. L’homosexualité est présente mais elle est éphémère pour les femmes, caricaturale pour les hommes : Samantha devient lesbienne l’espace de quelques épisodes mais retourne vite auprès des hommes. Les homosexuels de la série sont des folles complètes, aux caractéristiques féminines : adeptes de la mode, extravertis et émotionnels (d’ailleurs extravertis parce qu’ils sont émotionnels… Comme s’ils étaient des femmes aux montées d’hormones incontrôlables).

Les personnages de Sex and the City sont ainsi gentiment priés de se conformer à ce que la société attend d’eux : qu’ils soient des hommes et des femmes, rien d’autres, et qu’ils soient visuellement et émotionnellement distinctifs. S’ils sont homosexuels, ils ne peuvent pas être des hommes ; ils font forcément partie de la sphère féminine.

Judith Butler a développé une théorie sur le féminisme particulièrement applicable à la série et a notamment écrit la chose suivante : "Le sujet féministe est en réalité discursivement constitué par le système politique, celui-là même qui est supposé permettre son émancipation. Cela pose un problème politique lorsque ce système s’avère produire des sujets genrés le long d’un axe différentiel de domination ou des sujets supposés masculins : croire que ce système permettra l’émancipation des "femmes" revient à se mettre en situation d’échec". Les personnages de la série étant esclaves d’une distinction manichéenne entre les sexes homme et femme et les genres masculin et féminin, elles peuvent seulement acquérir de l’autonomie, un soupçon de liberté. Ce "système", pour reprendre l’expression de Butler, ne peut pas permettre aux femmes de s’émanciper puisqu’il les emprisonne dès le départ dans un genre qu’il a lui-même défini et qu’il contrôle. (En fait, la bataille est un peu perdue d’avance si on commence avec une politique qui biaise les égalités des sexes et des genres, et si on l’entérine comme le fait Sex and the City.)

Malgré leurs avancées, elles ne peuvent aspirer à une indépendance émotionnelle parce qu’elles sont dépendantes des hommes. C’est d’ailleurs le thème de la série : comment trouver l’amour à New-York ? Les épisodes où aucun des personnages ne recherche l’homme de sa vie sont inexistants.

Emprisonnées dans cette représentation manichéenne entre homme et femme, elles ne peuvent pas avoir de marges de manœuvre. Le monde leur donne déjà la possibilité de réussir et d’être sexuellement autonomes, qu’elles ne demandent pas, en plus de leur autonomie, une indépendance émotionnelle ! Cela impliquerait que les hommes deviennent un complément à leur vie et non une condition de réussite. Ainsi, les femmes ne peuvent pas être pleinement féministes (en ce sens où elles se suffiraient à elles-mêmes), qu’elles le veuillent ou non – d’ailleurs, elles ne semblent pas vraiment se poser la question, bien heureuses qu’elles sont avec l’autonomie qu’elles ont réussi à grappiller.

Lyssa
P.S. Un peu de lecture pour les vacances ? Lisez Trouble dans le genre : le féminisme et la subversion de l’identité de Judith Butler. Sur la plage, ça en jette.