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Grey’s Anatomy - Et si les dernières saisons de la série en étaient aussi les plus réussies ?

Un Point sur la Série: Et si c’était la meilleure série du monde...

Par Jéjé, le 13 novembre 2014
Par Jéjé
Publié le
13 novembre 2014
Saison 11
Episode 6
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Grey’s Anatomy n’est pas une série qui inspire les commentaires et les analyses. Du moins plus depuis longtemps, depuis que l’on s’est lassé de faire des blagues [1] sur l’histoire d’amour de Izzie (Katherine Heigl) et d’un fantôme et que Shonda Rhimes a ajouté Scandal à sa carte de visite.

Elle a gardé, pour ceux qui ne la regardent pas/plus, il me semble, l’image de ses premières saisons ultra populaires, celle d’un soap médical souvent over-ze-top centré sur un personnage un peu trop geinard.

C’est en tout cas ce qui me reste de ses débuts qui ne m’avaient guère convaincus et que j’avais regardés essentiellement pour tenter de comprendre l’engouement général à l’époque. Et puis, comme je ne peux arrêter une série dont j’ai vu plus de quatre épisodes [2], j’ai continué.
Je me suis pris au jeu en milieu de saison 2, j’ai fatigué sévèrement vers la saison 5, les deux suivantes m’ont servi de fond sonore pour mes corrections de copies, et contre toute attente, à partir du finale de la saison 8, elle est devenue l’une de mes séries favorites.

J’ai déjà fait part ici de mon intérêt pour les saisons tardives des séries qui durent "trop longtemps". Mais Grey’s Anatomy est pour moi un cas différent.
Je suis convaincu que les saisons 9 et 10 (et probablement la 11 au vu des premiers épisodes) constituent le meilleur de ce que la série a pu offrir depuis ses débuts.

Après de la mort de Mark et de Lexie à la fin de la saison 8, la série s’est retrouvé avec sa distribution la plus solide depuis le début et surtout avec son ensemble de personnages le plus réussi. Débarassée de ses maillons faibles, avec une nouvelle génération de personnages qui s’ajoute aux très nombreux réccurents et qui offre des effets de miroirs savoureux (les élèves deviennent des mentors sous les yeux de l’ancienne garde), la série a pris une dimension chorale.
Qu’on soit bien clair, je n’utilise pas le terme "choral" pour souligner platement que la quantité de personnages principaux est supérieure à la moyenne habituelle des séries (elle l’est, mais ça n’est pas le sujet), mais bien pour dire qu’à partir de la saison 9 et au delà l’ensemble des personnages « principaux » sont tous sur un même pied d’égalité et portent chacun le fait que la diversité des êtres humains ne s’oppose pas à leur proximité.

Alors oui, cette voix qui résonne en choeur, c’est un peu celle du générique d’Arnold et Willy, mais c’est une évolution sur la forme et sur le fond assez marquante quand on se rappelle qu’à ses débuts le coeur de la série, c’est un petit groupe de jeunes blancs hétérosexuels (Meredith, Lizzie, George, Alex), flanqué d’un side-kick ethnique (Cristina), qui découvre les plaisirs de mélanger l’amour et le travail.
Pendant les premières saisons, les personnages principaux blancs ont vécu leurs intrigues sexo-sentimentales entre eux [3], laissant le soin aux personnages et aux histoires secondaires de faire vivre une diversité certes beaucoup plus large que dans d’autres séries mais encore bien compartimentée.
A mesure des saisons, de certains départs d’acteurs, de l’introduction de nouveaux personnages, de l’évolution professionnelle des internes, cette hiérarchie entre les personnages s’est effacée.
A partir de la saison 9, Grey’s Anatomy réussit à faire vivre pleinement une galerie étendue de personnages de tout genre, ethnie, orientation sexuelle, système de croyance
, qui ne sont pas définis par les traits de caractères stéréotypés habituellement associés à ces catégories et qui interagissent tous les uns avec les autres, professionnellement et personnellement.

Son atmosphère de communion multi-culturelle n’a rien de vraiment réaliste. La série ne s’approche que très rarement de toute forme de discriminations (le plus souvent à l’occasion de flash-backs consacrés à l’histoire de la mère de Meredith et de Richard Weber dans une période qui semble révolue), mais sa vision idéalisée des rapports humains reste cependant une alternative appréciable à la très répandue pseudo-universalité des histoires de riches blancs [4].

A peu près au même moment, la série se révèle impressionnante dans sa façon de jouer, voire de sublimer les codes de son genre.
Son genre, c’est, je le rappelle, le feuilleton sentimental over-ze-top. Grey’s Anatomy ne partage avec Urgences que les blouses que portent leurs personnages et le bip-bip des machines en salle d’opération.
La série vit donc sur le double rythme traditionnel des soaps : celui des relations amoureuses et parfois professionnelles de ses personnages et celui des rebondissements les plus dramatiques possibles.
Habituellement, la narration est menée surtout par la succession de faits supposément marquants dans les relations (tentation, mariage, adultère, séparation, promotion, machination professionnelle…), qui se répètent au fil des années que durent les séries. De temps en temps, souvent en milieu et fin de saison, des rebondissements plus dramatiques ont lieu (mort soudaine d’un personnage, apparition de parents inconnus…). Ceux-ci ne modifient en rien les organisations des relations principales et sont avant tout une manière rapide d’introduire ou de supprimer des personnages. Alors que leur mode narratif est d’apparence ouvert et linéaire, rare sont les soaps qui échappent à une écriture en cycles courts.

Grey’s Anatomy est de ceux-là.
Dès ses débuts, la série a choisi de faire durer les relations sentimentales entre ses personnages principaux (Meredith et Derek sont ensemble depuis le pilote, Cally et Arizona depuis la saison 5, Cristina, en dix saisons, a vécu deux longues histoires…). C’est assez inhabituel mais pas complètement inédit.
En revanche, là où Grey’s Anatomy se distingue des autres soaps, c’est qu’elle approche de la même façon les rebondissements « énormes », en les explorant sur le très long terme.
Un personnage principal qui meurt, c’est le lot régulier de toutes les soap. C’est l’occasion de réunir toute la distribution lors d’une scène enterrement dans l’épisode suivant et d’évoquer deux ou trois bons moments du personnage au détour d’un échange. Mais l’épisode d’après, c’est « buisness as usual », d’autant que c’est en général à ce moment-là qu’un nouveau personnage pointe son nez, suscite la curiosité des autres (et du spectateur) et replace la série sur les rails habituels de sa narration.
Grey’s Anatomy ne lésine pas lorsqu’il s’agit d’« éliminer » un personnage (et bien souvent de conclure une saison) : tempêtes, crashs d’avion, alertes à la bombe, accidents de ferry, cancers et fusillades, Shonda Rhimes y va toujours franchement. Mais ces événements ne se limitent pas à rendre spectaculaire la fin de contrat d’un acteur et à charger en adrénaline les seasons finales (toujours très efficaces, c’est l’une des marques de la série !) Ils ont toujours des répercussions importantes sur les personnages survivants et peuvent lancer des arcs narratifs qui se déroulent sur des saisons entières.

Le finale de la saison 8 constitue l’exemple caractéristique de cette écriture au long cours. Dans ce double-épisode, la moitié de la distribution principale monte à bord d’un petit avion qui finit (bien évidemment) par s’écraser. L’accident permet à deux acteurs qui souhaitaient quitter la série de partir pour de nouvelles aventures [5] et de faire pleurer dans les chaumières. Les scénaristes vont alors dérouler minutieusement tous les fils des conséquences de cet événement. Ils vont faire de la culpabilité des survivants un thème central de la saison suivante, explorer comment une relation amoureuse peut évoluer lorsque l’un des partenaires a subi un dommage corporel irréversible, étudier la façon dont une expérience traumatisante crée des liens qui excluent ceux qui ne l’ont pas vécue, ils vont également s’intéresser aux responsabilités liées à l’accident, examiner ses ramifications judiciaires et ainsi bouleverser les relations de pouvoir au sein de l’hôpital….
L’arc majeur de la saison actuelle a été lancé par l’un des éléments les plus classiques du genre : la découverture d’une sœur cachée au personnage principal dont on n’avait jamais, jamais entendu parler auparavant.
On ne peut pas faire plus cliché. D’autant que son arrivée coïncide pile poil avec le départ de Cristina, la meilleure amie / « sœur qu’elle n’a jamais eue » de Meredith [6] .
Les scénaristes prennent à nouveau cet événement à bras le corps et envisagent de la façon la plus sérieuse du monde ses prolongements en les déclinant minutieusement d’épisode en épisode, en examinant les points de vue de chacun des personnages concernés.
Cette démarche va les mener à écrire l’un des épisodes les plus éblouissants de la série. 11.04 – Only Mama knows se penche sur le fait qu’il est improbable que Meredith, plus âgée que sa « nouvelle » sœur, n’ait pas perçu dans son enfance que sa mère ait pu être enceinte. Il reprend des scènes d’anciens (et de très anciens) épisodes, les agence dans des flash backs avec des scènes inédites tournées pour l’occasion et donne un nouvel éclairage au passé de la série pour le faire correspondre à l’évolution de l’histoire tout en en conservant sa cohérence. Cet exercice de style, qui joue finement avec la mémoire des fidèles, se révèle être une récompense assez jubilatoire pour les fidèles de la série et surtout un exemple de la maîtrise des scénaristes des notions de durée et de temps qui s’écoule au sein de leur œuvre [7].

Grey’s Anatomy est pour moi l’une des rares qui prend en compte et utilise l’élément « temps » à la hauteur des potentialités qu’offre le format « série télé » [8].

Ca, et le fait que le sexe est toujours montré comme un élément joyeux et essentiel de la vie tant chez les hommes que chez les femmes, font que je n’ai aucun problème à affirmer que Grey’s Anatomy est l’une séries les plus originales et plus accomplies à l’antenne.

Voire de tous les temps.

Jéjé
P.S. Et que ceux qui veulent me contredire rattrapent les 150 épisodes qu’ils n’ont pas (encore) vus…
Notes

[1à juste titre.

[2Exception faite de How I Met Your Mother, abandonnée après la 4ème saison, exception dont je reste très fier !

[4Oui, The Affair, je parle de toi, entre autres…

[5Les choix de Chyler Leigh me laissent perplexes, elle a abandonné Grey’s Anatomy… Pour Taxi Brooklyn

[6Et si les relations amoureuses constituent la majorité des interactions entre les personnages, l’amitié qui aura lié ces deux personnages féminins pendant dix ans est sûrement la plus grande réussite de la série jusqu’à présent.

[7Il n’est pas le seul, le diptyque 9.01 – Going, going, gone / 9.02 – Remember the Time, dans une forme différente, est un autre bijou de construction formelle au service des émotions.

[8La dernière fois que j’ai dit sur ce genre de choses, c’était il y bien longtemps au sujet d’une petite série méconnue du câble