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21 Drum Street - Retour sur un épisode à problème d’Un Episode et J’Arrête.

N°61: De l’Importance de la Représentation

Par Conundrum, le 12 mars 2017
Publié le
12 mars 2017
Saison Chronique
Episode Chronique
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La chic Association des Critiques de Séries, l’ACS, a un chic podcast au nom qui nous parle à tous, Un Episode et J’Arrête.

Récemment une réaction de notre Iris sur un épisode dédié aux traitements de troubles mentaux dans les séries a soulevé la question de la légitimité de la représentation lorsque l’on aborde des problèmes de société. Des erreurs et des raccourcis malvenus sur le domaine des troubles mentaux montrent que la discussion aurait fortement bénéficié de la présence d’un expert, non pas en séries, mais sur ces troubles eux-mêmes. Pour faire simple, la question étant, peut-on parler de problématiques qui ne nous touchent pas ?

Avant d’avoir une réponse simple et qui tient en tirades de 140 caractères, souvenez-vous juste de l’époque, si vous l’avez connu, où des gens, en dehors de l’émission d’Alain Carrazé sur Jimmy parlaient de séries télé. Vous savez la belle période où toutes les séries étaient des sitcoms (La Vie à Cinq était "un sitcom" lorsqu’elle avait été mentionné dans une émission de Canal +) ou quand Buffy était juste « ce truc pour gamins » ? Même si on était heureux que, pour une fois, on parle de séries, ça piquait beaucoup aux oreilles des raccourcis aussi simplistes et infantilisants.
C’est ce qu’on risque de ressentir lorsque le traitement des maladies mentales nous tient à cœur (pour n’importe quelle raison que ce soit) et qu’on écoute les premières minutes du podcast. Si les séries sont traitées avec respect et une large connaissance sur le terrain, celui des troubles mentaux l’est moins.

Et pour répondre à la question ci-dessus, je ne pense pas qu’il faille être atteint de troubles ou être psychiatre pour parler du sujet. Mais si on le fait, on doit le faire avec respect et d’avoir quelque chose de bigrement intelligent à dire. Si on veut juste s’entendre parler, alors mieux vaut s’abstenir. Ou envoyer votre CV au·à la Directeur·trice des Ressources Humaines de la rédaction de pErDUSA.
Un expert en série peut parler de Friday Night Lights avec intelligence et pertinence. En revanche, s’il doit parler de la justesse de la représentation du football américain dans la série, ne savoir que ce sport est juste celui des gars qui ont mal compris les règles du Rugby risque de ne pas suffire.

Il y a deux éléments qui, dans les premières minutes du podcast, gênent fortement. Le premier est la présentation de Sheldon Cooper comme un « Asperger Geek ». Il est très important de signaler que même si c’est fortement suggéré, le personnage n’a jamais été diagnostiqué. Ce n’est pas qu’une simple approximation. Ce raccourci légitimise le diagnostic sauvage.
Celui d’Asperger est particulièrement complexe, surtout pour un adulte. Il passe par une batterie de test psychologique et psychiatrique, par des tests de QI approfondi, par des entretiens avec les proches pour comprendre le développement du patient lorsqu’il était enfant, etc… Faire ce raccourci alors que la série prend le choix de ne pas le faire renforce l’idée qu’il est admissible d’affirmer qu’une personne que l’on trouve étrange est autiste. S’il est estimé que seulement 10% des personnes atteinte du syndrome sont diagnostiqué, cela vient du fait qu’il est très difficile de pouvoir le faire. A cela s’ajoute que les symptômes diffèrent entre les hommes et les femmes, et que ces dernières, peuvent ne pas être diagnostiquée selon la bonne méthodologie (qui cherche à retrouver chez la patient les symptômes d’un autiste Asperger mâle).

Le diagnostic est une épreuve car il n’y pas de prise de sang qui pourra affirmer à 100% qu’une personne est atteinte du syndrome. C’est un processus qui prend du temps, qui peut s’avérer être erroné, et qui peut arrivé ni sur un oui ou non, mais sur un simple « C’est possible. » Présenter Sheldon comme un Asperger, ne met pas en confiance pour le reste du podcast, et le gentil avertissement en début d’épisode annonçant que le panel n’est pas un expert et que des erreurs peuvent être commises sur le terrain tombe à l’eau quelque minutes après avec la jolie mention du ‘Monsieur Tout le Monde’. Par là, il faut comprendre les gens normaux qui n’ont pas de troubles psy. Et là, on ne parle pas d’expertise, mais d’un simple tact. L’argument du raccourci ne tient plus. Si tu as un trouble tu n’es pas « [Insérer le dénominatif du genre auquel vous vous identifiez ici] Tout le Monde », vous êtes différents. Et c’est violent comme terme et c’est quelque chose qu’on peut tous comprendre. C’est un peu comme les professeurs qui me demandaient ma nationalité à l’école. Je répondais « Français », et j’avais le droit à un « Mais de quel origine ? ». Je peux comprendre et admettre qu’ils·elles ne voyaient pas le mal dans leur question, mais ça voulait dire que le système éducatif me disait que je n’étais français comme les autres.
Et juste après l’exclusion, il y a la trivialisation avec la gentille blague « mais on n’est pas tous un peu malades ? ». Il est difficile de continuer à suivre l’épisode sans commencer à ressentir de la gêne pour ne pas dire de la colère.

Et c’est là où la représentation est si importante. Il ne s’agit pas uniquement de voir (ou d’entendre) des gens qui parlent à ce qui nous caractérise, il s’agit d’avoir un point de vue de personnes concernées pour mieux gérer et appréhender les problèmes. Quelqu’un sur le panel aurait pu répondre, et lancer une discussion sur ces propos qui peuvent être difficile à entendre. Et on aurait pu entendre quelque chose de vraiment neuf sur le sujet. Mais tout simplement, sans expert en psychiatrie, nous avons affaire à des journalistes dont l’expertise se porte sur les séries télévisées. L’ACS veut être une organisation respectable, et les efforts dont elle fait preuve sont appréciés. L’idée même d’aborder le sujet est bienvenue, le problème est qu’en tant que journalistes représentant d’une association sérieuse, le podcast se devait au moins de mieux préparer le sujet, non pas sur les séries, mais les troubles psy en eux-mêmes. Les approximations ne sont pas acceptables quand elles renforcent des stéréotypes faux et préjudiciables.

Et on peut soutenir l’avis qu’on peut parler de ce qu’on veut sans être touché par les problématiques que l’on aborde. Mais dans ces cas-là, cela vient avec une vraie responsabilité, une vraie connaissance du sujet, et un vrai respect pour la problématique.

Conundrum